Dupont et Beaulieu Canada Moquette Division |
2011 QCCLP 6574 |
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[1] Le 28 avril 2011, monsieur Éric Dupont (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 2 décembre 2010 en vertu de laquelle elle déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût de son bois de chauffage.
[3] Une audience se tient à Saint-Hyacinthe le 1er septembre 2011 à laquelle assiste le travailleur. L’employeur est absent, bien que dûment convoqué.
[4] L’affaire fut prise en délibéré le 21 septembre 2010, après que le travailleur eut transmis au tribunal ses factures d’électricité de 2009 et 2010.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût d’achat de son bois de chauffage.
LES FAITS
[6] Le 19 mars 2009, le travailleur, agissant comme mécanicien, s’est lacéré l’aspect palmaire de l’index, du majeur, de l’annulaire et de l’auriculaire gauche en tentant, par réflexe, d’attraper un couteau sur le point de tomber.
[7] Le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi le 17 mai 2010, mais il conserve une atteinte permanente à son intégrité physique de 7,30% à la suite de cette lésion. Des limitations fonctionnelles en lien avec celle-ci sont établies, dont celles d’éviter la préhension importante soutenue ou répétitive, et la manipulation d’outils de façon soutenue ou répétitive reproduisant une vibration ou des contrecoups à la main.
[8] Le 8 novembre 2010, il demande à la CSST le remboursement du coût d’achat de son bois de chauffage, ce qu’elle refuse dans sa décision du 2 décembre 2010.
[9] La direction de la révision administrative de la CSST a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas fait la preuve qu’il chauffait son domicile principalement au bois.
[10] Le travailleur et sa famille habitent la même maison depuis sa construction en 1997. Il s’agit d’une maison de plain-pied, détachée, dont le sous-sol est fini, à l’exception du plafond.
[11] La maison comporte des plinthes électriques dans toutes les pièces, ainsi qu’un poêle à combustion lente au sous-sol. Le système électrique est fonctionnel, mais, depuis 1997, le travailleur, par choix, chauffe aussi au bois afin d’économiser sur le coût de l’électricité. Il chauffe aussi son garage à l’électricité.
[12] En période hivernale, les thermostats dans la maison sont fixés à 15° Celsius durant la semaine, le travailleur utilisant aussi son poêle à bois. La fin de semaine, le travailleur ne chauffe qu’à l’électricité parce que toute la famille doit s’absenter en raison du hockey des enfants, ce qui nécessite de longues absences.
[13] Depuis 1997 jusqu’à sa lésion professionnelle survenue le 19 mars 2009, le travailleur coupait annuellement son bois de chauffage sur la terre à bois de son beau-père, avec son autorisation. Ce dernier lui donnait le bois récolté, à savoir dix cordes de bois[1], soit l’équivalent de sa consommation annuelle.
[14] Depuis sa lésion, le travailleur a dû acheter ses dix cordes de bois qu’il a payées 80 $ la corde pour l’hiver 2010-2011[2]. Il n’a toutefois pas produit de reçu.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a démontré qu’il respectait toutes les conditions pour être remboursé du coût de son bois de chauffage, compte tenu de son incapacité à le couper et des coûts supplémentaires qui résultent de sa lésion.
[16] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur n’a pas droit à ce remboursement, car la coupe et l’utilisation du bois de chauffage ne constituent pas un travail d’entretien courant de son domicile.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat de son bois de chauffage pour l’hiver 2010-2011.
[18] La demande de remboursement du bois de chauffage du travailleur est fondée sur l’article 165 de la loi qui se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[19] Pour avoir droit au remboursement des frais qu’il a engagés pour faire exécuter des travaux au sens de cette disposition, le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle, et il doit s’agir de travaux courants d’entretien du domicile qu’il aurait normalement accomplis n’eut été de sa lésion.
[20] Selon la jurisprudence, l’atteinte permanente grave doit être évaluée non seulement en vertu du pourcentage de déficit anatomo-physiologique (DAP), mais aussi en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à exercer ces travaux[3].
[21] En l’espèce, le travailleur est devenu incapable de couper lui-même son bois de chauffage en raison d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique qui résulte de sa lésion professionnelle. En effet, ses limitations fonctionnelles ont pour effet de l’empêcher d’accomplir de tels travaux, dont l’utilisation d’une scie à chaîne.
[22] Cette incapacité l’oblige maintenant à acheter du bois déjà coupé, aux fins de continuer à chauffer son domicile au moyen de ce combustible.
[23] Cette première condition étant remplie, il convient maintenant de déterminer si, au sens de cette disposition, l’achat du bois de chauffage constitue ou s’assimile à des travaux d’entretien courant du domicile du travailleur.
[24] Considéré isolément, le simple achat de bois de chauffage ne diffère guère de l’achat d’un autre combustible, tels de l’huile à chauffage, du gaz naturel, voire même de l’électricité.
[25] La situation diffère toutefois lorsque, comme en l’espèce, le travailleur effectuait lui-même des travaux aux fins de son approvisionnement en bois, ce qu’il ne peut désormais accomplir en raison de sa lésion professionnelle.
[26] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles reconnaît d’ailleurs cette distinction, et considère que le coût du bois de chauffage d’un domicile peut être remboursé, à condition que le travailleur, dont l’intégrité physique est gravement atteinte en raison d’une lésion professionnelle, soit devenu incapable d’effectuer les travaux de coupe ou d’approvisionnement de son bois, et que le chauffage au bois constituait le principal ou l’unique moyen de chauffage de son domicile[4].
[27] Outre la démonstration de son incapacité résultant de sa lésion, le travailleur devait donc aussi démontrer, au moyen d’une preuve prépondérante, que le chauffage au bois constitue son principal moyen de chauffage, et non un simple moyen d’appoint.
[28] Il témoigne en ce sens, et produit sa facturation hydro-électrique pour les années 2009 et 2010.
[29] Après analyse, il est manifeste que sa consommation moyenne de kWh par jour augmente en période hivernale. Au plus fort de l’hiver, soit du 16 décembre 2009 au 24 février 2010, sa consommation d’électricité s’élevait en moyenne à 71,97 kWh par jour. À l’été 2010, soit du 1er juillet au 17 août 2010, la consommation électrique de la famille du travailleur s’élevait en moyenne à 43,54 kWh par jour.
[30] Le contraire eut été surprenant puisque le travailleur[5] combine le chauffage au bois et le chauffage électrique pour son domicile, et chauffe son garage exclusivement au moyen de l’électricité.
[31] Pour déterminer si, en l’espèce, le chauffage électrique du travailleur est principal ou d’appoint, il importe donc d’en connaître le pourcentage de sa consommation annuelle d’électricité.
[32] Comme la facturation produite est agrégée, et n’indique pas la part de chaque poste de consommation, le tribunal doit donc l’évaluer.
[33] Le tribunal constate d’abord que la consommation électrique totale du travailleur a été de 19 662 kWh en 2010, incluant le chauffage électrique[6].
[34] Il reste à donc à évaluer quelle a été la part de cette consommation consacrée au seul chauffage électrique en 2010.
[35] Le tribunal estime que le travailleur a consommé 3 770 kWh, pour le chauffage électrique de son domicile en 2010.
[36] Pour conclure ainsi, le tribunal s’est fondé sur la facturation du 1er juillet au 17 août 2010, qu’il a annualisée. Le choix de cette période résulte du fait que celle-ci correspond à une période de l’année susceptible d’être totalement exempte de chauffage électrique.
[37] Comme cette facture révèle une moyenne de 43,54 kWh par jour, son annualisation montre que la consommation annuelle serait de 15 892 kWh, si celle-ci était totalement exempte de chauffage électrique (43,54 kWh x 365 jours).
[38] Puisque la consommation totale d’électricité du travailleur en 2010 a été de 19 662 kWh, et que sa consommation d’électricité exempte de chauffage électrique est estimée à 15 892 kWh, il en résulte que la part du chauffage électrique équivaut environ à 3 770 kWh (19 662 kWh - 15 892 kWh).
[39] En l’espèce, la consommation d’électricité consacrée au chauffage représente une faible proportion de la consommation annuelle d’électricité du travailleur, soit environ 19 %, ce qui convainc le tribunal que l’électricité n’est pas son principal moyen de chauffage.
[40] En effet, il est convenu qu’en raison de nos hivers rigoureux, le coût du chauffage représente une proportion beaucoup plus importante de la facture annuelle d’électricité d’une maison qui n’est normalement chauffée qu’à l’électricité[7].
[41] En l’espèce, le tribunal attribue cette faible proportion au chauffage au bois que le travailleur combine de façon efficace avec le chauffage électrique.
[42] Le tribunal conclut donc que le chauffage au bois constitue le moyen principal de chauffage utilisé par le travailleur pour chauffer son domicile, et que le chauffage électrique n’en est un que d’appoint, dans les circonstances de cette affaire.
[43] Le travailleur a donc droit en l’espèce au remboursement de son coût d’achat du bois de chauffage pour l’année 2010-2011, sur présentation de pièces justificatives qu’il devra obtenir[8].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Éric Dupont, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de son coût d’achat du bois de chauffage de son domicile pour l’année 2010-2011, sur présentation de pièces justificatives.
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Pierre Arguin |
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[1] Une corde équivaut ici à du bois disposé sur 4 pieds de haut, sur 8 pieds de long, et 16 pouces de large.
[2] Le travailleur a cordé son bois lui-même avec l’assistance bénévole de sa belle-mère. Il n’a pas prétendu être incapable de corder son bois.
[3] Filion et P.E. Boisvert Auto ltée, C.L.P. 1105031-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Parent et Mines Agnico Eagle Ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément.
[4] Martel et Entreprises G. St-Amant inc., C.A.L.P. 07955-03A-8806, 26 octobre 1990, B. Dufour; Alarie et Industrie James McLaren inc., [1995] C.A.L.P. 1233 ; Lemieux et Ministère des Transports, C.L.P. 118805-02-9906, 6 mars 2000, P. Simard; Champagne et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent; Lacroix et Pointe-Nor inc., C.L.P. 143220-08-0007, 7 mars 2001, P. Prégent; Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, C.L.P. 134627-08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre; Nevins et Les Abatteurs Jacques Élément, C.L.P. 156525-08-0103, 18 février 2002, C. Bérubé; Benoît et Constructions AJP Rivard inc., C.L.P. 181584-04-0203, 21 février 2003, J.-F. Clément; Lacasse et Les Industries de la Rive Sud ltée, C.L.P. 205129-03B-0304, 23 juin 2005, C. Lavigne; Parent et Mines Agnico Eagle Ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément; Bérubé et Les Forages Julien Bérubé ltée, C.L.P. 294917-01A-0607, 17 avril 2007, R. Arseneau; Prud’homme et 9064-0194 Québec inc., C.L.P. 329166-64-0709, 25 juillet 2008, J.-F. Martel; Therrien et Hydro-Québec, C.L.P. 356044-09-0808, 26 mai 2009, N. Michaud; Letendre et Marine Industries ltée, C.L.P. 394960-04B-0911, 28 avril 2010, J. Degré.
[5] Le terme ‘’travailleur’’ sera utilisé ici pour fins de concision, le lecteur comprendra que les questions portant sur le chauffage et la consommation électrique concernent aussi sa famille.
[6] Comme la facturation d’Hydro-Québec, produite en l’espèce, ne débute pas le 1er janvier pour se terminer le 31 décembre, le tribunal utilise donc la période du 16 décembre 2009 au 16 décembre 2010 pour conclure à ce nombre de kWh annuel.
[7] Cette proportion peut évidemment varier selon certains facteurs, tels le type de maison (condominium, maison jumelée ou détachée, etc.), l’année de construction, etc. En l’espèce, la maison du travailleur est détachée, et de construction récente.
[8] La jurisprudence exige la production de tels reçus aux fins du remboursement : Millaire et Sport motorisé Millaire inc., C.L.P. 252156-64-0412, 14 novembre 2005, F. Poupart; Piché et Forage Dominik (1981) inc., C.L.P. 322769-08-0707, 21 janvier 2008, F. Daigneault.
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