Décision

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Laliberté c. Humania Assurances

2019 QCCQ 5909

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances Â»

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

LOCALITÉ DE

TROIS-RIVIÈRES

« Chambre civile Â»

N° :

400-32-700271-179

 

DATE :

  12 mars 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

ALAIN LALIBERTÉ

Demandeur

c.

HUMANIA ASSURANCE

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          Alain Laliberté (le demandeur) réclame à Humania Assurance (la défenderesse) 13 250,00 $ détaillé de la façon suivante :

§  12 000 $ représentant 10 versements de 1 200 $ chacun en vertu d’un contrat d’Assurance-invalidité;

§  250 $ pour honoraires d’avocat;

§  1 000 $ pour frais de crédit sur sa marge de crédit.

[2]          La défenderesse conteste la demande, précisant que le demandeur a cessé de répondre à la définition d’invalidité totale contenue au contrat d’assurance parce qu’il a occupé un travail rémunérateur.

LE CONTEXTE

[3]          En 1993, le demandeur adhère à une assurance collective pour coiffeurs-coiffeuses-électrolystes[1].

[4]          Le demandeur produit un contrat d’assurance émis par SSQ, Société d’assurance-vie et qui semble étranger au présent litige[2].

[5]          De 1998 à 2013, le demandeur a exploité un salon de coiffure selon le registre des entreprises du Québec contenu à l’annexe 5 de la pièce D-4[3].

[6]          En 2007, le demandeur a subi une déchirure de la coiffe des rotateurs du tendon sous-épineux à l’épaule droite. Il a reçu des prestations d’invalidité en vertu d’un jugement prononcé par le juge Robert Legris de la Cour supérieure. La période couverte par ce jugement va de septembre 2012 jusqu’au 12 novembre 2015, date du jugement[4].

[7]          Une chirurgie fut nécessaire le 16 juillet 2012.

[8]          Le 26 septembre 2016, la défenderesse a reçu une lettre anonyme concernant le demandeur dans laquelle il était mentionné que celui-ci continuait de travailler depuis les trois ou quatre dernières années et qu’il était payé « au noir Â» par Imprimerie Modoc de Trois-Rivières. On faisait mention également dans la lettre qu’il s’agissait d’un travail sur une base occasionnelle et que le demandeur était susceptible de lever des colis pesant de 30 à 50 livres[5].

[9]          À cette époque, le demandeur détenait une autre police d’assurance invalidité auprès de Desjardins sécurité financière. Cette dernière ayant reçu le même genre de lettre anonyme, la défenderesse a décidé de faire suivre le demandeur par un enquêteur professionnel et a convenu avec Desjardins de partager les frais, ce qu’elle a accepté.

[10]       La filature du demandeur s’est déroulée les 7, 8, 9, 10, 14 et 15 novembre 2016. Le rapport de la firme Trak Investigation, accompagné de photographies et d’un DVD a été produit[6].

[11]       Le Tribunal a pris connaissance du rapport et a visionné le DVD pendant le délibéré. Il en sera question plus loin.

[12]       M. Michel Maltais, physiothérapeute à la retraite, a témoigné qu’il a conçu pour le demandeur, un programme d’entrainement pour maintenir son adaptation musculaire et il en fait un suivi depuis 2008 pour son épaule droite[7]. Le demandeur se rend trois fois par semaine au gymnase de l’Université du Québec à Trois-Rivières afin d’y faire des exercices de renforcement des muscles et de l’épaule.

[13]       À la suite du rapport de Trak Investigation et considérant les définitions contenues au contrat d’assurance, la défenderesse a informé le demandeur, par lettre du 1er décembre 2016[8], qu’elle mettait fin aux prestations à compter du 1er décembre 2016. La défenderesse alléguait que le demandeur ne répondait plus à la définition d’invalidité totale et qu’il pouvait exercer une occupation rémunératrice.

[14]       Le demandeur a envoyé une mise en demeure à la défenderesse le 24 février 2017[9].

[15]       La défenderesse a répondu le 13 juin 2017 à l’avocat du demandeur réitérant sa décision de cesser le versement des prestations[10].

[16]       Le demandeur a produit une note clinique de la Dre Josée Fortier datée du 31 janvier 2017[11]. Cette dernière mentionne dans sa note que le demandeur a une douleur sévère qui demeure importante au moindre effort et qu’il a également de la douleur aux deux épaules et des douleurs lombaires.

[17]       La note fait ensuite mention que le demandeur a été « coupé par son assurance Â». La docteure ajoute que le demandeur est « invalide totale permanent Â» et qu’il peut faire des activités à son rythme. Après avoir fait état des séances d’entrainement supervisées du demandeur, elle conclut de la façon suivante :

« Ceci ne fait pas de ce patient une personne apte au travail rémunérateur autant partiel que temps plein Â».

[18]       La défenderesse a pour sa part retenu les services de Marie-Hélène Paquin, physiothérapeute. Elle a fait une analyse très détaillée de l’enregistrement vidéo[12].

ANALYSE

[19]       Il est d’abord utile de reproduire la définition de l’invalidité prolongée contenue au contrat d’assurance[13] qui est pertinente aux fins de l’analyse :

« 3.1-    Garantie de revenu en cas d’invalidité prolongée

B)    Définitions

a-)   (…)

b-)   Après les 24 premiers mois d’une même période d’invalidité, une incapacité totale et continue causée par un accident ou une maladie qui empêche effectivement l’adhérent d’exercer toute occupation rémunératrice ou de faire tout travail pouvant lui rapporter un salaire ou un profit quelconque occupation ou travail auquel il est raisonnablement préparé par son éducation, son entrainement ou son expérience Â».

(…)

[20]       Considérant que le demandeur recevait au début de la période en litige, des prestations de la défenderesse en vertu de la protection de l’assurance-invalidité, le fardeau de prouver le motif de cessation du versement de ces prestations invoqué par la défenderesse repose sur ses épaules.

[21]       C’est ce que prévoit l’article 2803 C.c.Q. :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[Nos soulignements]

[22]       C’est ce qu’écrivait à ce sujet, le Juge Paul Chaput de la Cour supérieure du Québec dans un jugement du 17 avril 1996[14] :

« […]

De 1986 à 1991, l’assureur verse des prestations d’assurance sur la foi des déclarations faites par le Dr Adem et son médecin traitant. Par ce paiement, l’assureur admet l’invalidité telle qu’alors déclarée. Il en résulte un droit acquis et c’est ensuite à Revere de convaincre le tribunal qu’il doit écarter la présomption que le droit du Dr Adem, reconnu et attesté par les paiements faits jusqu’en septembre 1991, a cessé d’exister.

[…] Â»

[23]       À l’audience, le Tribunal a compris de l’attitude du demandeur qu’il mettait en doute le droit de la défenderesse de mettre en preuve les bandes vidéo de la filature dont il a été question plus haut et la lettre anonyme.

[24]       Puisqu’il s’agit d’un élément matériel de preuve, les dispositions pertinentes sont les articles 2854 et 2855 C.c.Q. dont le texte est le suivant :

2854. La présentation d’un élément matériel constitue un moyen de preuve qui permet au juge de faire directement ses propres constatations. Cet élément matériel peut consister en un objet, de même qu’en la représentation sensorielle de cet objet, d’un fait ou d’un lieu.

2855. La présentation d’un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l’objet d’une preuve distincte qui en établisse l’authenticité. Cependant, lorsque l’élément matériel est un document technologique au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), cette preuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 de cette loi.

[25]       Le demandeur soulève implicitement son droit à la vie privée codifié à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[15] et à l’article 35 C.c.Q.[16] :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

[26]       Il faut ajouter à ces dispositions, l’article 2858 C.c.Q. :

2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.

[27]       Le demandeur n’a pas sérieusement contesté l’authenticité des bandes-vidéo.

[28]       Dans un jugement du 23 mars 2013, le Juge Daniel Lavoie[17] de la Cour du Québec reprenait l’énoncé suivant du Juge Raoul P. Barbe dans l’affaire Lefort[18] relativement à ce genre de preuve :

[105]     Notre collègue le juge Raoul-P. Barbe écrivait en 2007 au sujet de ce genre de preuve :

193-    Après cette preuve, la Cour a pris l'objection du demandeur sous réserve, et a autorisé la présentation de la preuve par surveillance vidéo en considérant notamment que :

le demandeur en a admis l'authenticité en déclarant qu'il avait vu le vidéo à plusieurs reprises et qu'il s'agissait bien de lui;

la défenderesse a établi qu'elle avait pris des moyens raisonnables en retenant les services d'une firme spécialisés (sic) de surveillance et de sécurité;

la Cour était d'avis que les raisons invoquées par la défenderesse étaient sérieuses et lui permettaient de douter de l'honnêteté du comportement de son assuré;

que cette surveillance apparaissait nécessaire pour la vérification du comportement de l'assuré;

que cette surveillance avait été faite de façon la moins intrusive possible, soit dans des endroits publics et pour une période limitée de trois jours. Cette surveillance fut limitée dans le temps et dans des lieux publics;

par ailleurs, la Cour doit bénéficier du plus grand éclairage possible; écarter ce type de preuve aurait pu être et serait dans les circonstances, contraire à l'intérêt de la justice;

de plus, devant les divergences entre les opinions des experts, ce type de preuve pouvait revêtir et de fait revêt une importance certaine;

cette surveillance vidéo a été effectuée par des personnes d'expérience, un ex-policier qui a travaillé 27 ans dans la Gendarmerie Royale au service de la filature;

cette preuve est fiable; en effet, on peut y reconnaître clairement le demandeur; il est possible d'identifier les dates où les images ont été prises et à quelle occasion. De plus, comme les prises d'images s'échelonnent sur trois jours, on ne peut soutenir que le demandeur a été filmé dans une de ses rares "bonnes journées".

[Référence omise]

[29]       En l’instance, la défenderesse a eu recours à la filature du demandeur après avoir reçu la lettre anonyme dont il a été question plus haut. Il s’agissait alors d’un motif raisonnable pour la défenderesse d’agir dans ce sens.

[30]       Le visionnement des bandes vidéo révèle que les images du demandeur ont été prises dans des lieux publics ou à des endroits où il est facilement visible à partir de lieux publics.

[31]       Le travail a été fait par Trak Investigation, une entreprise d’enquête qui semble sérieuse. Son mandat était limité à « vérifier les capacités physiques du sujet et documenter ses déplacements et activités. Â»[19]

[32]       Les coordonnées du demandeur sont indiquées dans le rapport de même que sa description physique et la nature de l’invalidité. Trak Investigation s’est assuré de l’identité du demandeur au moyen de recherches préliminaires.

[33]       La filature a ciblé l’information fournie, à savoir que le demandeur travaillait occasionnellement chez Modoc Imprimerie à Trois-Rivières.

[34]       Le dossier de la filature n’a pas été diffusé et a servi uniquement aux fins requises par la défenderesse.

[35]       Les bandes vidéo de la filature révèlent que l’attente du respect de sa vie privée par le demandeur était minime sinon inexistante puisqu’il a été filmé dans des lieux publics ou à des endroits où il était facilement visible à partir de lieux publics.

[36]       Dans l’arrêt Bridgestone Firestone[20], le Juge Jean-Louis Baudoin, tout en étant d’accord avec ses deux collègues, a ajouté le commentaire suivant :

[…]

« Pour qu'une preuve du genre de celle qui a été présentée à l'arbitre puisse être exclue en raison d'une violation de la vie privée, aux termes de l'article 2858 C.c.Q., il faut démontrer (et le fardeau repose sur la partie qui en réclame l'exclusion) que son admission soit de nature à déconsidérer l'administration de la justice civile Â».

[…]

[37]       Le demandeur n’a pas convaincu le Tribunal que l’admission de cette preuve matérielle déconsidérerait l’administration de la justice. Le Tribunal conclut de la preuve que l’authenticité des bandes vidéo a été établie de même que leur fiabilité.

[38]       Le Tribunal a pu constater que le visionnement de la surveillance vidéo est conforme à la description et aux photographies contenues au volumineux rapport de Trak Investigation qui comporte 73 pages. Les journées les plus pertinentes sont celles du 7 novembre et du 14 novembre 2016.

« Sommaire de la surveillance du lundi 07 novembre 2016

La surveillance débute à 06h00 à la résidence du sujet à Trois-Rivières. Vers 07h50, le sujet quitte sa résidence et se rend à la compagnie Modoc. En avant-midi, le sujet se rend à Québec avec un VUS dans lequel il y a des boîtes qu’il livre à divers endroits. Il est de retour à la compagnie Modoc en fin d’avant-midi. En après-midi, le sujet visite diverses adresses. Vers 14h13, le sujet se rend au GYM de l’Université de Trois-Rivières. La surveillance se termine à 14h45.

[…]

Sommaire de la surveillance du lundi 14 novembre 2016

La surveillance débute à 06h00 à la résidence du sujet à Trois-Rivières. Vers 08h15, le sujet quitte sa résidence et se rend à un restaurant puis revient à sa résidence. De 11h00 à 11h32, le sujet est vu travaillant sur le toit de sa résidence. À 11h40, le sujet arrive à la compagnie Modoc et quitte les lieux en direction de Québec où il prendra livraison de plusieurs boites. Vers 14h30, le sujet est de retour à la compagnie Modoc où il décharge les boites et retourne à sa résidence. La surveillance se termine à 15h30.

[…] Â»

[39]       Le visionnement de la journée du 7 novembre révèle que le demandeur soulève et transporte des boites de carton à l’aide de ses deux bras, sans effort apparent. Il pousse un chariot comportant plusieurs de ces boites qu’il a livrées à plusieurs endroits. La vidéo révèle également que le demandeur peut lever ses bras au-dessus de ses épaules, notamment pour ouvrir le hayon d’un véhicule de l’employeur et le refermer, un véhicule VUS de marque Toyota assez imposant.

[40]       La journée du 14 novembre 2016 montre le demandeur qui travaille sur le toit de sa résidence en faisant plusieurs mouvements différents, notamment avec son bras droit, sans apparence de limitation. Il peut monter et descendre d’une échelle et la manier sans effort apparent.

 

[41]       Au cours de la filature, l’enquêteur de Trak a rencontré M. Jean-François Bélisle, un des copropriétaires de Modoc Imprimerie. Celui-ci lui a fourni une déclaration manuscrite et signée par lui qui est l’Annexe 12 du rapport d’enquête. Il est utile de reproduire ce qui suit :

« Je, Jean-François Bélisle, fais cette déclaration solennellement, la croyant consciencieusement vraie et sachant qu’elle a la même force et le même effet que si elle était sous serment, aux termes de la Loi sur la preuve au Canada. Â»

[42]       Dans les réponses que M. Bélisle a fournies à l’enquêteur, il indique que son entreprise a une trentaine d’employés, qu’il connait le demandeur, qu’il est un employé depuis plus ou moins 5 ans, qu’il travaille comme « chauffeur occasionnel Â» pour faire de la livraison urgente pour des petits colis, que le demandeur travaille sur appel seulement au besoin et qu’il est rémunéré selon le temps passé et non pas à un taux fixe à l’heure. Il ajoute que le demandeur n’est pas un employé permanent et qu’il travaille entre 20 et 30 jours par année. Enfin, il précise que le demandeur utilise un véhicule de l’entreprise et qu’il est le troisième chauffeur en cas de besoin. Il fait notamment les livraisons à Québec.

[43]       À la fin de cette déclaration, il est indiqué que M. Bélisle a bien compris sa déclaration, qu’elle a été faite de façon libre et volontaire, sans promesse ni menace.

[44]       À l’audience, M. Bélisle a nuancé sa déclaration écrite à l’enquêteur, tout en admettant qu’il l’avait rencontré. Il a mentionné qu’il ne s’occupait pas de la rémunération dans l’entreprise et que c’est son frère Christian Bélisle qui s’en charge. Il a affirmé que le demandeur, bien que travaillant pour l’entreprise, n’était pas payé et qu’il ne savait pas s’il était payé, si c’était « au noir Â».

[45]       Le Tribunal a pu constater que M. Jean-François Bélisle était mal à l’aise lors de son témoignage et qu’il cherchait à protéger les intérêts du demandeur, alors que sa déclaration écrite à l’enquêteur ne souffre pas d’ambiguïté.

[46]       Pour sa part, Christian Bélisle a témoigné que le demandeur est un ami personnel depuis 25 ans et qu’il l’a engagé pour lui fournir de l’aide. Il confirme que le demandeur fait de la livraison notamment à Québec pour des colis qui ne sont pas lourds. Lui-même n’a pas rencontré l’enquêteur. Il nuance la déclaration écrite de son frère en disant que le demandeur ne travaille pas de 20 à 30 jours par année, mais de 10 à 20 jours. Il confirme cependant qu’un véhicule de l’entreprise est utilisé par le demandeur pour les livraisons. Il termine en affirmant que le demandeur n’est pas payé ni « au noir Â» ni autrement. Enfin, il précise que le demandeur manipule principalement des boites d’un poids maximum de 15 livres.

[47]       Le Tribunal n’accorde aucune crédibilité aux témoignages de Messieurs Jean-François et Christian Bélisle et retient la version écrite de M. Jean-François Bélisle, celle-ci étant cohérente avec la surveillance vidéo.

[48]       Il est utile de reproduire les trois conclusions contenues au rapport de la filature[21] :

« 3.      Conclusion

Selon les informations obtenues lors de cette rencontre, nous pouvons conclure que :

Ø  Le sujet Alain Laliberté travaille pour l’entreprise Imprimerie MODOC à titre de chauffeur / livreur occasionnel depuis quatre ou cinq ans.

Ø  Le sujet Alain Laliberté manipulerait des colis lors de ses livraisons.

Ø  Le sujet Alain Laliberté obtiendrait une rémunération forfaitaire pour le travail accompli. Â»

[49]       Le demandeur ne conteste pas qu’il travaille occasionnellement comme chauffeur /livreur pour l’imprimerie Modoc. Il prétend que cela ne le disqualifie pas de recevoir des prestations d’assurance invalidité de la défenderesse parce que ce travail n’est pas rémunéré.

[50]       Pourtant, Jean-François Bélisle a déclaré à l’enquêteur que le demandeur était rémunéré selon le temps passé. Le fait que les témoins Bélisle disent que le nom du demandeur n’apparait pas sur les listes de paies de l’entreprise n’est pas déterminant puisque cela peut être une confirmation de l’information contenue dans la lettre anonyme indiquant que le demandeur était rémunéré « au noir Â».

[51]       La situation du demandeur correspond t-elle à la définition d’invalidité totale contenue à l’article 3.1) de la police d’assurance, dont le texte a été reproduit plus haut?

[52]       Le fait que le demandeur se rende au centre de conditionnement de l’U.Q.T.R. est implicitement recommandé par la Dre Josée Fortier. Elle mentionne dans sa note clinique que cela permet au demandeur de « maintenir les acquis Â».

 

 

[53]       Le Tribunal accorde peu de pertinence à cette activité. Dans l’arrêt Forest précitée, la Cour d’appel du Québec n’a pas fait reproche, à une personne atteinte du syndrome de fatigue chronique, de faire de l’exercice physique, notamment du jogging qui lui était recommandé[22].

[54]       Toujours dans l’arrêt Forest, la Cour d’appel fait valoir qu’un travail rémunérateur doit permettre à un assuré ou à un adhérent, de retirer de ce travail un revenu suffisant comparable à ce que cette personne gagnait avant de devenir invalide. La Cour reprenait l’énoncé suivant dans l’affaire La Métropolitaine, cie d’assurance-vie c. Rivard.[23]

[…]

[19]        Les clauses contractuelles qui distinguent de la sorte l’invalidité de courte durée (par référence à l’emploi qu’occupait l’assuré au moment où il est devenu incapable de l’exercer) de l’invalidité de longue durée (par référence à tout emploi pour lequel l’assuré serait raisonnablement qualifié) méritent l’appellation de clauses standards. Il va de soi qu’elles ne sont pas toutes identiques, mais malgré cela, la distinction qu’elles véhiculent l’est souvent. Or, cette distinction a depuis déjà longtemps inspiré une jurisprudence qui ne s’est pas démentie depuis. Dans Métropolitaine (La), Cie d’assurance-vie c. Rivard, le juge Turgeon, auteur des motifs unanimes de la Cour, écrivait ce qui suit :

        La preuve devait établir que l’assuré était en mesure d’exercer toutes et chacune des occupations rémunératrices, que, raisonnablement, il est apte à exercer. Or, cette preuve n’a pas été faite.

        Il faut tenir compte de l’intention des parties aux contrats d’assurance en litige. L’appelante propose divers emplois à l’intimé, dont celui de gardien de nuit, sans tenir compte de l’intention des parties quand les polices furent contractées. Ces polices d’assurance prévoient l’éventualité d’un homme incapable de travailler suffisamment pour gagner sa vie. Tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, l’intimé est incapable au point qu’il ne peut plus poursuivre une occupation qui lui assurerait un revenu raisonnable en comparaison du revenu qu’il gagnait dans l’emploi qu’il a été obligé de quitter. On doit interpréter ces polices d’assurance d’une façon libérale.

 

        La preuve démontre qu’il ne s’agit pas d’occuper un emploi rémunérateur quelconque, mais un emploi, que, raisonnablement, il est apte à exercer suivant son instruction, sa fonction et son expérience. Suivant ces critères et son état médical, l’intimé est actuellement incapable au sens des deux polices d’assurance.

[…][24]

                                                            [Soulignement à l’original]

                                                            [Référence omise]

[55]       Les revenus du demandeur comme coiffeur, avant de devenir invalide, sont inconnus, mais ils étaient certainement supérieurs à la rémunération pouvant provenir du travail très partiel qu’il effectue chez Modoc Imprimerie.

[56]       Le Juge Benoit Moulin de la Cour supérieure a analysé une définition semblable à celle en l’instance dans l’affaire Blanchette[25]. Il est utile de reproduire les paragraphes suivants de ce jugement :

[…]

[64]      Les premiers arguments de monsieur Blanchette quant à la clarté de la définition d’invalidité au contrat d’assurance collective ne peuvent être retenus. La nombreuse jurisprudence qu’il cite et celle invoquée par La Capitale traitent de clauses similaires à celles en litige. Les tribunaux ne les ont pas qualifiées d’ambigües parce qu’elles ne mentionnent pas la rémunération rattachée à l’emploi qu’un assuré pourrait exercer. Ils les ont plutôt interprétées comme se référant à une rémunération comparable.

[65]      Le litige porte sur le deuxième volet de l’assurance invalidité. Pendant la première période de 24 mois, l’invalidité est reliée à l’occupation que monsieur Blanchette exerçait avant son arrêt de travail.

[66]      Après ces premiers 24 mois, une deuxième couverture d’assurance entre en jeu : elle met en cause sa capacité d’exercer non pas son emploi habituel, mais plutôt un travail pour lequel il possède des aptitudes raisonnables compte tenu de son éducation, de sa formation ou de son expérience. L’invalidité totale est alors par ailleurs déterminée sans qu’il soit tenu compte de l’existence ou de la disponibilité d’un tel emploi ou activité.

[…]

[57]       Après avoir fait une revue de la jurisprudence relative au sens des expressions « travail rémunérateur Â» ou « occupation rémunératrice Â», le Juge Moulin écrit :

[…]

[73]        Dans Compagnie d’assurance Standard Life c. Tougas, la Cour d’appel associe les adjectifs « comparable Â» et « raisonnable Â» :

[56]       […] les tribunaux ont généralement déterminé que le travail rémunérateur doit être en rapport avec l'instruction, la formation et l'expérience de l'assuré et qu'il doit être comparable en termes d'intérêt professionnel et de rémunération à celui qu'avait l'assuré.

(…)

[79]       Il ne s'agit pas pour l'intimé d'occuper un emploi rémunérateur quelconque, mais un emploi qu'il peut raisonnablement occuper suivant son instruction, sa formation et son expérience et qui lui assure un revenu raisonnable en comparaison du revenu qu'il gagnait dans celui qu'il a été obligé de quitter.

[…]

[Référence omise]

[58]       Le Juge Moulin a rejeté le recours du demandeur parce qu’il occupait un autre emploi chez son employeur lui procurant une rémunération comparable à celle qu’il gagnait avant son invalidité :

[…]

[120]     Selon la preuve prépondérante, monsieur Blanchette pouvait, à compter du 20 novembre 2012, et peut encore occuper un emploi lui procurant un revenu comparable à celui qu’il recevait avant son arrêt de travail.

[121]     Soulignons que la rémunération offerte en 2010 pour les occupations identifiées par madame Élie aurait procuré à monsieur Blanchette un revenu se situant entre 76.63 % et 106.43 % de son salaire brut et entre 66.81 % et 92.80 % du total de son salaire brut et des avantages sociaux payés par son employeur alors que selon la preuve, cet éventail devrait être élargi.

[122]     Partant, la demande de monsieur Blanchette en versement de prestations d’invalidité et pour être reconnu totalement invalide ne peut être reçue.

[…]

[59]       Dans « Développements récents en droits des assurances (2018) Â»[26], Me Renée-Maude Vachon traite de l’interprétation des polices d’assurance en 2018 selon la jurisprudence. L’auteure écrit aux pages 11 et 12 de son texte :

« Les principaux principes se dégageant des arrêts traités dans cette section sont les suivants :

·         Un libellé clair ne requiert qu’une application aux faits de l’espèce, en harmonie avec le contrat dans son ensemble;

·         Les termes employés doivent être compris selon leur sens ordinaire, pour un individu ordinaire;

·         L’interprétation doit être effectuée de façon uniforme;

·         Le contrat doit être interprété en faveur de l’assuré s’il subsiste une ambiguïté.

·         Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, [2010] 2 R.C.S. 245. Â»

[60]       Dans le dossier 400-32-700347-177 concernant le recours du demandeur contre Desjardins Sécurité financière, la définition de l’invalidité prolongée était différente de celle dans le présent litige. Elle était la suivante :

[25]   Il est d’abord utile de reproduire certaines définitions contenues à la police d’assurance-prêt[27] qui sont pertinentes aux fins de l’analyse :

« 1-       Définitions

Dans la présente garantie, les expressions suivantes désignent :

[…]

2)          Invalidité totale :

            a)     â€¦

            b)     pour tout autre adhérent :

            Un état d’incapacité qui résulte d’une maladie ou   d’un accident, qui exige  des soins médicaux          continus et qui l’empêche d’exercer chacune des       activités normales d’une personne du même âge.

            La maladie ou les blessures résultant de l’accident             ainsi que l’état de santé de l’adhérent doivent être    constatés par un médecin.

[...]

11-        Fin des prestations

Les prestations cessent d’office au premier des événements suivants :

a)      lorsque l’adhérent n’est plus totalement invalide, occupe un travail rémunérateur, est en formation ou retourne aux études.

[…]

[61]       Ajoutons qu’il s’agissait d’une assurance invalidité couvrant un prêt hypothécaire et non d’une assurance salaire.

[62]       La défenderesse a fait analyser le rapport de surveillance de Trak Investigation par Mme Marie-Hélène Paquin, physiothérapeute et consultante en réadaptation pour la défenderesse. Celle-ci a rédigé un rapport daté du 8 mars 2017 que la défenderesse a produit[28].

[63]       Sur environ quatre pages, Mme Paquin décrit plusieurs des activités du demandeur que révèlent les bandes vidéo. Elle écrit ensuite dans son analyse :

« Analyse :

Dans la note du Dre Josée Fortier du 31-10-2017 il y a mention de : « douleur sévère au moindre effort Â» et « douleur aux deux épaules et lombaire Â». Lors de l’observation du vidéo, tel que mentionné précédemment, je n’ai pas vu de signes de douleurs que ce soit au niveau lombaire ou aux épaules. De plus, les efforts démontrés par monsieur étaient assez importants : transport et déplacement de boîtes, monter et descendre échelles, marcher et se déplacer à quatres pattes sur le toit. Ce ne sont pas des tâches légères. Â»

[Reproduction exacte]

[64]       Elle poursuit en écrivant que le demandeur ne respectait pas les limitations de classe 3 que lui accordait la Dre Josée Fortier, ni les limitations des classes 1 et 2. Elle conclut donc que le demandeur n’avait pas de restriction au niveau lombaire ni au niveau des épaules.

[65]       Dans sa lettre du 1er décembre 2016 informant le demandeur de la cessation du versement des prestations d’invalidité, la défenderesse écrivait[29] :

[…]

Vos activités démontrent que vos conditions médicales alléguées ne vous empêchent aucunement d’exercer une occupation rémunératrice et même que vous faites un tel travail depuis plusieurs années.

Compte tenu de ce qui précède, des clauses de votre police et des informations au dossier, nous devons conclure à l’absence d’une invalidité totale tel que stipulé dans votre police d’assurance, et vous informons par les présentes de la terminaison immédiate de vos prestations d’invalidité. L’exonération des primes prendra également fin en date de ce jour.

[…]

[66]       La défenderesse a cessé de verser des prestations d’invalidité au demandeur parce qu’il pouvait exercer une occupation rémunératrice ou un travail pouvant lui rapporter un salaire ou un profit quelconque.

[67]       Selon la jurisprudence, une rémunération, un salaire ou un profit quelconque doit être comparable à ce que le demandeur gagnait auparavant comme coiffeur.

[68]       La surveillance vidéo met l’accent sur le fait que le demandeur peut faire certaines activités qui ne respectent pas les limitations de classe 3 que lui accordait Dre Fortier. Ces activités, si elles étaient pertinentes à l’égard de la définition d’invalidité totale contenue dans le contrat d’assurance dans le dossier de Desjardins Sécurité financière, n’en ont aucune relativement à la définition d’invalidité totale dans le contrat de la défenderesse. Celle-ci s’adresse à une occupation ou à un travail et non pas à des activités normales d’une personne de l’âge du demandeur.

[69]       La preuve prépondérante conduit le Tribunal à la conclusion que la défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve voulant que le demandeur occupe, chez l’imprimerie Modoc, un travail ou une occupation rémunératrice.

[70]       Le demandeur a donc droit aux prestations réclamées pour la période du 1er décembre 2016 au 31 octobre 2017, date à laquelle il a atteint 65 ans.

[71]       La réclamation de 250 $ du demandeur pour des frais d’avocat ainsi que celle de 1 000 $ pour des frais de crédit ne peuvent être accordées faute de preuve suffisante et en l’absence de preuve d’abus de droit de la part de la défenderesse ou de comportement de sa part équivalent à une faute, dans le traitement du dossier.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[72]       ACCUEILLE en partie la demande.

[73]       CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 12 000 $, plus les intérêts sur cette somme au taux légal, majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la mise en demeure, soit le 24 février 2017.

[74]       CONDAMNE la défenderesse aux frais de justice.

 

 

__________________________________

PIERRE LABBÉ, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

22 novembre 2018

 



[1]     Pièce D-3.

[2]     Pièces P-1 et P-6.

[3]     Pièce D-4.

[4]     Pièce D-1 (Laliberté c. Survivance (La), compagnie mutuelle d'assurance-vie, 2015 QCCS 5906).

[5]     Pièce D-2.

[6]     Précité, note 3.

[7]     Pièce P-5.

[8]     Pièce P-3.

[9]     Pièce P-2.

[10]    Pièce P-4.

[11]    Pièce P-5.

[12]    Pièce D-5.

[13]    Précité, note 1.

[14]    Adem-Bégin c. Paul Revere, compagnie d'assurance-vie, SOQUIJ AZ-50188073, p. 12; Voir aussi : Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, SOQUIJ AZ-93111006, [1993] 1 R.C.S. 282, arrêt auquel réfère le Juge Chaput; Voir aussi : Forest c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers inc., 2018 QCCA 875, paragr. 20; Voir aussi : Laliberté c. Survivance (La), compagnie mutuelle d'assurance-vie, 2015 QCCS 5906, produit par le demandeur (pièce P-4).

[15]    Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.

[16]    Code civil du Québec, CCQ-1991.

[17]    Veilleux c. Excellence (L'), compagnie d'assurance-vie, 2013 QCCQ 2892.

[18]    Lefort c. Desjardins Sécurité financière, 2007 QCCQ 10192.

[19]    Précité, note 3.

[20]    Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, SOQUIJ AZ-50067177, [1999] R.J.Q. 2229.

[21]    Précité, note 3, p. 52.

[22]    Précitée, note 14 (Forest c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers inc., paragr. 40 et suivants).

[23]    Métropolitaine (La), Cie d'assurance-vie c. Rivard, SOQUIJ AZ-84011025, [1984] C.A. 191.

[24]    La Cour d’appel fait également référence à l’arrêt Alliance, Cie mutuelle d'assurance-vie c. Victoriaville (Ville de), SOQUIJ AZ-88011353, [1988] J.E. 88-480, [1988] R.R.A. 330; Voir aussi : Blanchette c. La Capitale Assurances et gestion du patrimoine inc., 2018 QCCS 365, SOQUIJ AZ-51465921.

[25]    Blanchette c. La Capitale Assurances et gestion du patrimoine inc., 2018 QCCS 365.

[26]    Vachon, Renée-Maude, «L'interprétation des polices d'assurance en 2018», dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit des assurances (2018), volume 451, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018 (doctrine en ligne du CAIJ); Voir aussi : Sabean c. Portage La Prairie Mutual Insurance Co., 2017 CSC 7, SOQUIJ AZ-51360398.

[27]    Précité, note 1.

[28]    Précité, note 12.

[29]    Pièce D-6.

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