Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Bouchard et Vitro Plus Ziebart

2012 QCCLP 2817

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

24 avril 2012

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

456866-02-1112

 

Dossier CSST :

132279894

 

Commissaire :

Jean-Marc Hamel, juge administratif

 

Membres :

Suzanne Julien, associations d’employeurs

 

Alain Hunter, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Francis Bouchard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Vitro Plus Ziebart

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Après examen et audition et après avoir reçu l’avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.

[2]          ATTENDU que le 8 décembre 2011, monsieur Francis Bouchard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 octobre 2011 à la suite d’une révision administrative;

[3]          ATTENDU que, par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 juillet 2011 et déclare que la lésion professionnelle du 8 janvier 2008 a entraîné une atteinte permanente de 9,75 % et qu’en conséquence le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 6 639,15 $, plus intérêts;

[4]          ATTENDU que l’audience s’est tenue le 23 mars 2012 à Saguenay en présence du travailleur, de son représentant et d’une représentante de Vitro Plus Ziebart (l’employeur); le délibéré a été entrepris par après, et ce, suite à la réception de documents additionnels; l’audience a porté sur un moyen préalable présenté par le travailleur;

[5]          ATTENDU que le travailleur soumet qu’il n’a pas été informé du contenu du rapport d’évaluation médicale de son médecin, de sorte qu’il demande que le dossier soit retourné à la CSST, afin qu’il puisse être réévalué;

[6]          ATTENDU que le 8 janvier 2008, le travailleur est âgé de 41 ans et œuvre pour l’employeur à titre de vitrier automobile; ce jour-là, il tombe en bas d’un camion alors qu’il tente de poser une vitre sur un camion; cette lésion est acceptée en relation avec une entorse au genou droit, une entorse lombaire et, par la suite, une entorse à l’épaule gauche;

[7]          ATTENDU que la lésion au genou droit est d’abord consolidée avec une atteinte permanente, mais sans limitations fonctionnelles; par après, le travailleur demande au  docteur Louis-René Bélanger, chirurgien orthopédiste, de confectionner un rapport d’évaluation médicale;

[8]          ATTENDU que ce dernier détermine que le travailleur conserve un déficit anatomophysiologique (DAP) de 1 % pour une déchirure du ménisque interne du genou droit sans séquelles fonctionnelles (code 103033), mais pas de limitations fonctionnelles;

[9]          ATTENDU que la CSST donne suite à ce rapport et le travailleur ne demande pas la révision de cette décision; entre-temps, la lésion du travailleur au niveau lombaire est consolidée, et ce, sans atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles;

[10]       ATTENDU que, par la suite, le docteur Bélanger consolide la lésion du travailleur à l’épaule gauche, et ce, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles; par après, le travailleur demande au docteur Bélanger de confectionner un rapport d’évaluation médicale;

[11]       ATTENDU que ce médecin, qui a procédé à une arthroscopie de l’épaule gauche avec débridement et fixation du labrum postérieur, le 27 mai 2010, remplit près d’un an plus tard, soit le 12 juillet 2011, un rapport d’évaluation médicale;

[12]        ATTENDU que, dans ce rapport d’évaluation médicale, il précise que le travailleur conserve un DAP de 2 % pour une atteinte des tissus mous (déchirure du labrum de l’épaule gauche) (code 102383), 2 % pour une perte de 30o en abduction de l’épaule gauche (code 104817) et 1,5 % pour une perte de 30o en élévation antérieure de l’épaule gauche (code 104915);

[13]       ATTENDU qu’il retient, de même, que le travailleur conserve un DAP de 1 % pour une perte de 10o en rotation externe de l’épaule gauche (code 105004), 1 % pour une perte de 10o de la rotation interne de l’épaule gauche (code 105059) et 1 % pour une perte de 10o en adduction de l’épaule gauche (code 105184);

[14]       ATTENDU que le docteur Bélanger mentionne aussi, dans son rapport d’évaluation médicale, que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une limitation fonctionnelle, soit d’éviter la sollicitation de l’épaule gauche au-delà de 60o d’élévation et/ou d’abduction, avec ou sans charge;

[15]       ATTENDU que le médecin précise également, dans ce rapport d’évaluation médicale, que le travailleur est camionneur et qu’il présente une douleur résiduelle à l’épaule gauche qui nécessite la prise quotidienne d’anti-inflammatoires;

[16]       ATTENDU que, par après, la CSST donne suite à ce rapport d’évaluation médicale et le travailleur demande la révision de cette dernière décision qui est rejetée, d’où le présent litige;

[17]       ATTENDU qu’à l’audience, le travailleur mentionne que c’est lui qui a choisi le docteur Bélanger pour la confection des rapports d’évaluation médicale au genou et à l’épaule gauche; il précise qu’il n’a jamais reçu copie desdits rapports ni son médecin traitant;

[18]       ATTENDU qu’il explique que c’est un agent de la CSST qui lui a fait part du contenu desdits rapports d’évaluation médicale, par ailleurs, il spécifie ne pas avoir demandé de copie de ceux-ci au docteur Bélanger ou à la CSST;

[19]       ATTENDU qu’il témoigne que lorsqu’il a été évalué par le docteur Bélanger, en regard de l’épaule gauche, il prenait des anti-inflammatoires, ce qui a pu fausser l’examen qu’a effectué le médecin;

[20]       ATTENDU qu’il précise que depuis qu’il a subi une chirurgie à l’épaule gauche, il a constamment des spasmes musculaires, des muscles qui restent coincés et il ressent toujours une douleur à l’avant de l’épaule gauche; par ailleurs, sa rotation cervicale droite est limitée;

[21]       ATTENDU qu’il ajoute que lorsqu’il a été évalué pour son genou droit, la façon de procéder du docteur Bélanger a été la même, de sorte que c’est un agent de la CSST qui lui a fait part du contenu du rapport d’évaluation médicale confectionné; il n’a pas alors contesté la régularité du processus entrepris;

[22]       La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter le moyen préalable présenté par le travailleur.

[23]       Ils estiment que le fait que le médecin à charge n’ait pas informé le travailleur du contenu du rapport d’évaluation médicale ou que la CSST ne lui ait pas transmis de copie du rapport n’est qu'un aspect technique dont le non-respect ne peut permettre à ce dernier de contester le rapport de son propre médecin.

[24]       CONSIDÉRANT qu’en l’espèce, le travailleur soumet qu’il n’a pas été informé du contenu du rapport d’évaluation médicale par son médecin, de sorte qu’il demande que le dossier soit retourné à la CSST, et ce, afin qu’il puisse être réévalué;

[25]       CONSIDÉRANT qu’en regard de la preuve administrée, le docteur Bélanger doit être considéré comme le médecin qui a charge du travailleur aux fins de l’évaluation des séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle survenue le 8 janvier 2008;

[26]        CONSIDÉRANT qu’à cet effet, aucune disposition de la loi ne permet au travailleur de contester le rapport de son propre médecin[1] et que ce droit n’appartient qu’à la CSST et à l’employeur;

[27]        CONSIDÉRANT que le présent tribunal peut toutefois intervenir si l’évaluation des séquelles permanentes faite par le médecin qui a charge du travailleur n’est pas conforme à la loi ou au Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (barème)[3] ou omet d’évaluer un des aspects de la condition du travailleur, rendant ainsi l’évaluation non conforme au barème[4];

[28]        CONSIDÉRANT cependant que cette intervention ne doit pas être l’occasion, rappelle la jurisprudence[5], de remettre en question les observations et les constatations médicales faites par le médecin qui a charge du travailleur;

[29]       CONSIDÉRANT qu’en l’espèce, comme déjà dit, le travailleur soumet qu’il n’a pas été informé du contenu du rapport d’évaluation médicale par son médecin, de sorte qu’il demande que le dossier soit retourné à la CSST, et ce, afin qu’il puisse être réévalué;

[30]       CONSIDÉRANT que, pour la Commission des lésions professionnelles, le fait que le médecin à charge du travailleur ne l’ait pas informé du contenu du rapport d’évaluation médicale ou que la CSST ne lui en ait pas transmis de copie ne représente, avec respect, qu'un aspect technique, dont le non-respect ne peut permettre au travailleur de contester le rapport de son propre médecin[6];

[31]       CONSIDÉRANT que le tribunal en est d’autant convaincu que le travailleur, alors qu’il en a eu l’occasion, n’a pas requis de rencontre avec le docteur Bélanger ni demandé de copie du rapport à ce dernier ou à la CSST; le travailleur précise même que lorsqu’il a été évalué pour son genou droit, la façon de procéder a été la même et il n’a pas alors contesté la régularité du processus entrepris;

[32]       CONSIDÉRANT que, pour la Commission des lésions professionnelles, si le législateur laisse au travailleur le choix de son médecin en regard notamment de l’évaluation des séquelles permanentes résultant de sa lésion professionnelle, le travailleur ne peut contester les conclusions de ce médecin lorsqu'il en est insatisfait, puisque cela conduirait à permettre au travailleur de contester l’évaluation de son médecin, ce qui n’est pas permis par le législateur[7];

[33]       CONSIDÉRANT que, pour le tribunal, cette omission d’information du contenu du rapport d’évaluation médicale ne peut donc avoir pour conséquence d’écarter le rapport du docteur Bélanger ou de lui faire perdre sa qualité de médecin traitant; par ailleurs, le fait d’être informé ou non des conclusions finales du médecin qui a charge, comme en l’espèce, ne rend pas caduc pour autant son rapport d’évaluation médicale;

[34]       CONSIDÉRANT que, de plus, pour la Commission des lésions professionnelles, permettre ainsi à un travailleur de changer de médecin en raison de cette absence d’information pourrait constituer « un mode de contestation non prévu à la loi, qui, s’il était accepté, conduirait à une surenchère inacceptable »[8];

[35]       CONSIDÉRANT qu’en terminant, pour le tribunal, les faits révélés dans l’affaire Lapointe c. Commission des lésions professionnelles[9], sur laquelle prend appui le travailleur, se distinguent de ceux du présent dossier, en ce que le travailleur a témoigné que c’est lui qui a ici choisi le docteur Bélanger afin d’évaluer les séquelles découlant de sa lésion professionnelle;

[36]       CONSIDÉRANT enfin, en ce qui a trait aux autres décisions déposées par le représentant du travailleur, que le soussigné, bien qu’attentif aux principes qui y sont dégagés, ne peut les appliquer au présent cas, et ce, compte tenu que celles-ci comportent des caractéristiques qui leur sont propres;

[37]       CONSIDÉRANT que, comme ici, il n’a finalement été procédé que sur la question de la régularité du processus ayant conduit à la décision mentionnée plus haut, le dossier est retourné au greffe du tribunal afin que les parties soient entendues sur le fond du litige.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE le moyen préalable soulevé par monsieur Francis Bouchard, le travailleur;

RETOURNE le dossier au greffe de la Commission des lésions professionnelles afin que les parties soient convoquées pour être entendues sur le fond du litige.

 

 

__________________________________

 

Jean-Marc Hamel

 

 

 

M. Marc Simoneau

G.M.S. CONSULTANTS

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           Dufour et Provigo (div. Montréal détail), C.L.P.  296675-02-0608, 17 avril 2007, J.-F. Clément.

[2]           (1987) 119 G.O. II, 5576.

[3]           Emond et Constructions Rosaire Bossé inc., [1999] C.L.P. 377 .

[4]           Gaudreau et 9007-7876 Québec inc., C.A.L.P. 48061-60-9212, 13 juin 1995, E. Harvey.

[5]           Léonard et Transport Cabano-Kingsway inc., C.L.P. 303388-31-0611, 9 mars 2007, J.-L. Rivard.

[6]           Trudel et Transelec/Common inc., C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, révision rejetée, 07-07-13, C.-A. Ducharme.

[7]           Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier.

[8]           Précitée, note 7. Voir aussi : Vézina et  Entreprise d’électricité NT ltée, 247694-71-0411, 21 février 2006, C. Racine, révision rejetée 9 novembre 2006, A. Suicco; Ouellet et Couvrex-Pert inc., C.L.P. 401224-02-01A-1002, 8 septembre 2010, R. Arseneau.

[9]          C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle.

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