Décision

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Gabarit EDJ

Lavoie c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers inc.

2014 QCCS 6316

 

JS1145

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

200-17-011857-091

 

DATE :

Le 23 décembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ALICIA SOLDEVILA, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

JEAN-EUDES LAVOIE, […], Québec (Québec) […]

Demandeur

c.

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC., 1080, Grande-Allée Ouest, C.P. 1907, succ. Terminus, Québec (Québec) G1K 7M3

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur, Jean-Eudes Lavoie (« Lavoie »), réclame de l’Industrielle Alliance, assurances et services financiers (« l’Industrielle ») des dommages-intérêts de 186 943 $. Celui-ci soutient que l’Industrielle a porté atteinte à ses droits en refusant de lui délivrer une police d’assurance individuelle sur la vie et en transmettant des informations personnelles le concernant à la compagnie MIB inc. (« MIB »), qui est une compagnie gestionnaire de risques, dispensant des services à plusieurs assureurs sur le marché nord-américain.

1.            La trame factuelle que le Tribunal retient

[2]           Les faits pertinents à l’analyse des questions en litige n’ont pas fait véritablement l’objet d’une preuve contradictoire. Malgré certaines divergences sur les circonstances ayant entouré les réponses données par le demandeur dans le cadre de la proposition d’assurance et de l’examen médical requis par la défenderesse, le débat a plutôt porté sur les réponses données par le demandeur et l’utilisation de ses réponses dans le traitement d’évaluation du risque proposé à l’assureur.

[3]           Le 7 octobre 1998, le demandeur souscrit, auprès de l’Industrielle, une police d’assurance vie hypothécaire, de type individuel, pour un capital assuré de 89 000 $ (P - 1).

[4]           Le 5 février 2002 et le 9 juillet de la même année, le demandeur fait l’objet d’accusations criminelles pour fraude dans les dossiers numéros 200-01-073197-026 et 200-01-069582-025 (pièce D-1). Les infractions dont il est accusé remontent respectivement au 5 août 2001 et au 4 juillet 1996.

[5]           Deux auditions sont tenues pour chacune de ces infractions, l’une en mai 2002 et l’autre en avril 2003, dans le cadre desquelles le demandeur est représenté par avocat. Le demandeur enregistre un plaidoyer de culpabilité et bénéficie d’une absolution inconditionnelle dans les deux dossiers.

[6]           Le 8 novembre 2004, le demandeur procède au rachat de sa police d’assurance vie hypothécaire souscrite auprès de l’Industrielle en 1998, celui-ci ayant choisi de souscrire une assurance vie invalidité dans le cadre d’un régime d’assurance collective offert par la Banque Laurentienne lors de son renouvellement hypothécaire à hauteur, cette fois, de 121 000 $.

[7]           À compter de cette date, la police d’assurance (P-1) émise en 1998 est donc annulée.

[8]           Entre 2004 et 2007, le demandeur fait affaire avec la Banque Laurentienne pour les prêts qu’il contracte, lesquels sont assurés par le biais de l’assurance collective (P-2 et P-3).

[9]           En octobre 2007, le demandeur rompt ses liens commerciaux avec la Banque Laurentienne et contracte un nouveau prêt hypothécaire auprès de City Financière Canada inc. Cette dernière n’offrant pas de produit d’assurance collective rattachée à ses prêts hypothécaires, le demandeur a recours aux services d’un courtier indépendant, comme il l’avait fait en 1998, alors qu’il avait souscrit la police d’assurance vie hypothécaire de type individuel (P-1) auprès de l’Industrielle.

[10]        Le 29 novembre 2007, le demandeur complète, à l’aide de son courtier, une proposition d’assurance sur la vie auprès de la défenderesse (P-7) pour assurer l’emprunt hypothécaire contracté auprès de City financière Canada.

[11]        Dans ce contexte, le demandeur signe l’autorisation suivante :

Nous autorisons tout professionnel de la santé ainsi que tout établissement public ou privé de santé ou de services sociaux, la Régie de l’assurance maladie du Québec, toute compagnie d’assurance, le Bureau des renseignements médicaux , les institutions financières, les agents de renseignements personnels ou les agences d’investigation ainsi que tout organisme public détenant des renseignements personnels à notre sujet, notamment des renseignements médicaux et tout organisme public ou privé détenant des renseignements médicaux ou relatifs à notre santé à fournir ces renseignements à l’Industrielle-Alliance et à ses réassureurs pour l’évaluation du risque ou l’enquête nécessaire à l’étude de toute demande de règlement.

Nous autorisons également notre assureur ou ses réassureurs à échanger avec ses filiales et d’autres assureurs ou institutions financières les renseignements personnels obtenus aux fins de l’étude de la présente proposition et à faire enquête auprès d’eux pour l’évaluation du risque ou lors d’une demande de réclamant [sic] ou à échanger avec un organisme offrant de l’assurance médicale, des renseignements personnels à des fins pertinentes eu égard à la couverture d’assurance en cas de maladie grave.[1]

[Soulignement du Tribunal]

[12]        Il est à souligner que le « Bureau des renseignements médicaux » auquel réfèrent ces paragraphes est la désignation française de MIB.

[13]        La proposition complétée le 29 novembre 2007 ne comporte pas de questions relatives à l’existence d’antécédents judiciaires, sauf en relation avec des infractions au Code de la route, la suspension ou le retrait du permis de conduire (question 12), auxquelles le demandeur répond par la négative.

[14]        Le 5 décembre, l’infirmière mandatée par l’Industrielle rencontre le demandeur pour qu’il se soumette à un examen médical. À cette occasion, il répond à un nouveau questionnaire (pièce D-6), lequel comporte la question suivante (question 20) :

Avez-vous été reconnu coupable d’infractions ou d’actes criminels ou des accusations d’infractions ou d’actes criminels ont-elles été portées contre vous?

[15]        Le demandeur répond par la négative.

[16]        La preuve révèle que si le demandeur avait répondu positivement à cette question, des informations additionnelles auraient été demandées, dont la nature du ou des actes criminels, les dates et la sentence, de même que la vérification de l’existence d’une probation.

[17]        L’examen et l’évaluation de la proposition d’assurance soumise par le demandeur et du rapport médical (D-6) qui révèlent que le demandeur avait souffert d’embolies pulmonaires en 1978 et 1998, amènent la tarificatrice Anne Morneau (« Morneau ») à requérir un rapport du médecin traitant, le docteur Jean Roy.

[18]        Les notes du docteur Roy (D-5) signalent que le demandeur a fait une dépression majeure en 2002-2003, pour laquelle il a été traité par des antidépresseurs, tels Effexor et Celexa et qu’il a suivi une psychothérapie individuelle. Le 29 décembre 2001, il indique à son dossier :

Récemment, il a été mis à la porte de l’Hydro-Québec pour une supposée « fraude » avec une carte de crédit.

[19]        Pour le médecin, il s’agit d’un cas très complexe.

[20]        Au vu de ces informations, Morneau demande une enquête à la firme Keyfacts.

[21]        Le 5 février 2008, celle-ci reçoit le rapport de Keyfacts contenant l’information suivante :

Dossier Criminel :

CODE CRIMINEL : SELON LE PLUMITIF PÉNAL ET CRIMINEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC.

LAVOIE : JEAN-EUDES

[...]

D.D.N : [...]-1959

DATE DE L’INFRACTION : 05-08-2001

FRAUDE

SENTENCE LE 10-05-2002 : ABSOLUTION INCONDITIONNELLE, PAS DE SURAMENDE

*UNE ABSOLUTION, CONDITIONNELLE OU INCONDITIONNELLE, SIGNIFIE QUE L’ACCUSÉ A RECONNU SA CULPABILITÉ OU A ÉTÉ TROUVÉ COUPABLE MAIS QU’IL EST RÉPUTÉ SANS CONDAMNATION. DANS LE CAS D’UNE ABSOLUTION CONDITIONNELLE, S’IL RESPECTE SA CONDITION, AUCUNE CONDAMNATION NE SERA IMPOSÉE*.[2]

[22]        Selon le Guide de tarification que Morneau consulte et applique (D-15, p. 24), « la fraude » est une infraction du « Groupe 1 » qui emporte le refus du risque pour une période de quinze ans. L’absolution inconditionnelle n’est pas considérée comme un facteur pertinent dans l’évaluation du risque; c’est l’infraction qui l’est : « Underwriting : rate the offence rather than the sentence »[3]. Morneau avise le courtier du demandeur que la proposition n’est pas acceptée.

[23]        Le 11 février 2008, le demandeur transmet une demande au service de tarification pour connaître les motifs du refus de la proposition (P-9); une réponse, le 14 février 2008, lui indique que le refus est dû à son dossier judiciaire; aucun autre motif de refus ne lui est dénoncé.

[24]        Il y a lieu de signaler qu’en février 2008, suite à l’analyse du risque complétée par la tarificatrice Morneau, l’Industrielle transmet à MIB, à l’aide d’un code (296TZC et 031YD), l’information obtenue de Keyfacts en relation avec le dossier judiciaire du demandeur ainsi que son histoire d’embolie pulmonaire et de dépression. Il appert de plus que les informations relatives à la dépression du demandeur n’avaient pas non plus été révélées par celui-ci dans le questionnaire médical (D-6)[4].

[25]        Ce code ne décrit pas la nature de l’offense ni celle de la sentence, mais signale l’existence d’une participation à un acte criminel et que cette dernière information a été obtenue de source publique, en l’occurrence ici par le plumitif.

[26]        Il est en preuve qu’un assureur qui adressera par la suite une demande d’information sur le demandeur à MIB recevra une copie de ce code, sans autre forme de détail. Cet assureur devra alors poursuivre sa propre enquête, sans que l’identité de la source lui soit révélée, à moins d’une demande ultérieure spécifique à cet effet à MIB.

[27]        Au cours de son témoignage, Morneau affirme qu’elle en serait venue à refuser le risque même si le demandeur avait de lui-même déclaré sa condamnation ouvertement lors de son examen médical, vu les actes qui lui avaient été reprochés.

[28]        Selon le Guide de tarification en usage à l’Industrielle qu’elle a utilisé pour l’analyse de ce risque, la fraude correspond à un risque sérieux qu’il y a lieu de refuser vu la nature même du contrat d’assurance qui repose sur la plus grande bonne foi des parties.

[29]        Le 28 juillet 2008, le demandeur reçoit de MIB des explications sur les informations codées transmises par l’Industrielle à son sujet (P-8). La même journée, le demandeur adresse à l’Industrielle, par la voie de ses avocats, une mise en demeure exigeant de celle-ci qu’elle accepte de l’assurer.

[30]        Le demandeur n’a procédé à aucune demande de rectification des informations détenues par MIB à son sujet. Il a été admis que celles-ci étaient exactes. D’ailleurs, l’honorable juge Roger Banford le soulignait dans une décision interlocutoire rendue dans la présente affaire[5].

[31]        En effet, le juge Banford a été saisi par la défenderesse d’une requête sous l’article 54.1 C.p.c. et a rejeté le recours du demandeur, considérant, après une analyse des arguments juridiques soulevés, qu’il était « irrémédiablement voué à l’échec »[6].

[32]        La Cour d’appel avait renversé cette décision, l’estimant hâtive; voici comment elle s’est exprimée :

[2]         Il est acquis que la responsabilité d'un assureur peut être engagée lors de la phase précontractuelle s'il abuse de son droit ou s'il commet un manquement aux exigences de la bonne foi. Puisque ces moyens nécessitent une démonstration factuelle, il était prématuré de rejeter le recours des appelants, au stade préliminaire, après l'interrogatoire au préalable de l'appelant.

[3]         Le juge de première instance a assimilé une réponse de l'appelant à la question 20 au Rapport de l'examen médical à une fausse déclaration. Or, cette conclusion est hâtive.

[4]         C'est seulement l'appréciation par le juge du fond des autres réponses de l'appelant au Rapport et de l'ensemble de la preuve au procès qui permettront de déterminer si l'appelant a voulu mentir ou s'il s'est trompé dans sa réponse. Au surplus, l'effet juridique d'une absolution inconditionnelle n'est pas nécessairement un concept à la portée d'une personne ordinaire comme l'appelant. Il y a une nette distinction entre un mensonge et une erreur commise de bonne foi. C'est au juge de fond de faire la part entre ces deux possibilités.

[5]         La question reliée à la transmission de certaines informations à la société MIB inc. peut être envisagée sous l'angle du droit à la réputation. En cette matière, l'appréciation de la faute « demeure une question contextuelle de faits et de circonstances »[7]. Là encore, l'absence de ce contexte factuel rendait prématuré le rejet du recours.

[6]         De surcroît, vu sous l'angle d'un recours en diffamation, la véracité des propos communiqués ne constitue pas en elle-même une défense. Une analyse contextuelle de la transmission de l'information s'impose aussi.[8]

[Référence omise]

2.            La position des parties

2.1         Le demandeur

[33]        Le demandeur soutient que la défenderesse a commis une faute en refusant de lui donner la couverture d’assurance qu’il avait sollicitée. Il considère ce refus, motivé par l’existence de son dossier judiciaire, déraisonnable et fautif en regard d’une absolution inconditionnelle qu’il a obtenue aux deux accusations de fraude qui avaient été portées contre lui.

[34]        Le demandeur affirme avoir répondu en toute bonne foi à la question 20 contenue au deuxième questionnaire auquel il a dû répondre lors de son examen médical. Il croyait qu’une absolution inconditionnelle effaçait tout son dossier criminel.

[35]        Il soutient de plus que la transmission de cette information par l’Industrielle à MIB a été faite en violation de ses droits protégés par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et qu’elle constitue une diffamation à son endroit.

[36]        Ces fautes lui ont causé un grave préjudice, ayant été privé de toute possibilité d’obtenir une assurance sur sa vie entre 2007 et 2012.

[37]        Le demandeur, qui est monteur de ligne et dont le travail est dangereux, tenait à obtenir cette protection en raison de l’impossibilité pour son épouse, gravement malade, de subvenir à ses propres besoins s’il devait décéder.

[38]        Il réclame de la défenderesse les dommages suivants :

 

Ø 

Perte salariale en 2008 

61 954 $

 

Ø 

Dommages moraux : insécurité et anxiété vécues entre 2007 et 2012, faute de ne pas avoir pu obtenir une couverture d’assurance vie

25 000 $

 

Ø 

Anxiété, stress, perte de jouissance de la vie, perte de temps occasionnée par le dossier, sentiment de trahison

30 000 $

 

Ø 

Atteinte et perte de sa réputation, diffamation

50 000 $

 

Ø 

Perte d’opportunité de travail

20 000 $

 

Ø 

Dommages exemplaires

60 000 $

2.2         L’Industrielle

[39]        Le contrat d’assurance en est un de la plus haute bonne foi et l’Industrielle était justifiée de refuser d’assurer le demandeur en raison des accusations de fraude portées contre lui et des plaidoyers de culpabilité que celui-ci avait enregistrés.

[40]        Le demandeur n’a pas répondu correctement à la question 20 qui avait pour but de vérifier ces faits et qui aurait exigé de sa part une réponse affirmative.

[41]        Le demandeur a de plus caché des informations médicales pertinentes en lien avec une grave dépression passée.

[42]        La proposition d’assurance non acceptée par l’assureur alors qu’il procède à l’analyse du risque ne crée aucun contrat ni obligation entre les parties et la défenderesse dit avoir agi conformément aux règles habituelles du milieu et de façon raisonnable dans le cadre de cet exercice.

[43]        Quant aux informations que l’Industrielle a transmises à MIB, une autorisation précise lui avait été accordée par le demandeur à cet effet. Au surplus, les renseignements transmis étaient exacts et le demandeur n’a pas cru bon de les faire corriger.

[44]        L’Industrielle nie avoir porté atteinte à la réputation du demandeur et rappelle la prescription d’un an relativement à ce recours prévue à l’article 2929 du Code civil du Québec.

[45]        Relativement aux dommages réclamés, l’Industrielle les trouve démesurés et non fondés, particulièrement en ce qui a trait aux dommages punitifs qui lui sont réclamés.

3.            Questions en litige

1.-        L’Industrielle a-t-elle commis une faute en refusant d’assurer le demandeur en raison des faits qu’elle a découverts au cours de l’analyse du risque, soit l’existence de deux accusations pour fraude portées contre lui en 2002, malgré l’absolution inconditionnelle obtenue?

2.-        L’Industrielle a-t-elle commis une faute en communiquant à la compagnie MIB les informations personnelles relatives au dossier judiciaire du demandeur de même que les informations médicales obtenues dans le cadre de l’analyse du risque, et a-t-elle diffamé le demandeur en ce faisant?

3.-        Si les réponses à ces deux questions confirment l’existence d’une faute et que le lien de causalité avec les dommages réclamés est établi, l’Industrielle doit-elle être condamnée aux dommages réclamés par le demandeur?

4.-        Dans l’affirmative, des dommages punitifs doivent-ils également être ajoutés à cette condamnation?

* * * * *

4.            Analyse des questions en litige

4.1         L’Industrielle a-t-elle commis une faute en refusant d’assurer le demandeur en raison des faits qu’elle a découverts au cours de l’analyse du risque, soit l’existence de deux accusations pour fraude portées contre lui en 2002, malgré l’absolution inconditionnelle obtenue?

[46]        Comme le rappelait la Cour d’appel dans la présente affaire, lorsqu’elle a retourné le dossier devant la Cour supérieure, « il est acquis que la responsabilité d’un assureur peut être engagée lors de la phase précontractuelle s’il abuse de son droit ou s’il commet un manquement aux exigences de la bonne foi. »

[47]        Le fardeau de preuve incombe ici au demandeur, comme le prévoit l’article 2803 C.c.Q. :

Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

[48]        Avant d’entrer plus à fond dans l’analyse de la preuve, un rappel des principes juridiques applicables s’impose :

Le droit

[49]        Les auteurs Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon définissent comme suit le contrat d’assurance :

Le contrat d’assurance, contrat nommé, consensuel, synallagmatique, à titre onéreux, à exécution successive et aléatoire, repose essentiellement sur les principes du risque et de la mutualité.[9]

[50]        La nature de ce contrat exige la plus haute bonne foi du preneur qui doit dénoncer à l’assureur toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter, selon ce qui est prévu à l’article 2408 du Code civil du Québec :

2408. Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter, mais il n'est pas tenu de déclarer les circonstances que l'assureur connaît ou est présumé connaître en raison de leur notoriété, sauf en réponse aux questions posées.

[51]        Ainsi, le standard de bonne foi est même plus élevé que celui normalement requis par les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q.[10].

[52]        Le professeur Didier Lluelles expliquait l’exigence de cette plus haute bonne foi du preneur en ces termes :

En fait, l’expression signifie que le preneur doit être « de la plus haute bonne foi », ce qui n’est pas la marque de la plupart des contrats. Le caractère « uberrimae fidel » du contrat d’assurance se manifeste essentiellement au niveau de l’évaluation du risque : le candidat à l’assurance doit déclarer à l’assureur les éléments pertinents propres à permettre à ce dernier de procéder à une évaluation convenable du risque soumis.

Le preneur, ce faisant, doit non seulement être honnête, mais aussi efficace. C’est ainsi que l’assureur pourra obtenir une sanction si le proposant a fait une déclaration inexacte, même s’il n’avait alors aucune intention malveillante. Ce caractère abstrait de la bonne foi en assurance s’explique par la mutualité dont l’assureur a la charge. Cela explique également que le preneur doit non seulement répondre correctement aux questions, mais aussi prendre l’initiative de déclarer tout élément pertinent, en dehors même de toute question.[11]

[Soulignement du Tribunal]

[53]        Le risque est l’élément fondamental du contrat d’assurance et le professeur Lluelles le considère même plus important que celui de l’intérêt d’assurance[12].

[54]        Ainsi, l’exercice de l’analyse du risque par l’assureur est non seulement légitime, mais il fait partie des éléments qui permettent à l’assureur d’accepter une proposition de façon éclairée.

[55]        Un contrat d’assurance, même formé après l’acceptation d’une proposition,  peut être annulé par un assureur en cas de fausse déclaration du preneur[13], selon ce que prévoit l’article 2410 C.c.Q. :

2410. Sous réserve des dispositions relatives à la déclaration de l'âge et du risque, les fausses déclarations et les réticences du preneur ou de l'assuré à révéler les circonstances en cause entraînent, à la demande de l'assureur, la nullité du contrat, même en ce qui concerne les sinistres non rattachés au risque ainsi dénaturé.

[56]        L’honorable juge Maurice E. Lagacé soulignait, dans l’affaire Neil Ford c. La Garantie, compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord, que le risque est une notion fort complexe, tenant au particularisme de l’assurance et à ses règles de fonctionnement, de même qu’au contexte de bonne foi qui doit présider à la conclusion du contrat[14]. Ce principe a été souvent repris par les tribunaux[15].

La preuve

[57]        La preuve présentée par le demandeur pour établir le droit qu’il recherche et démontrer la faute de l’Industrielle a été succincte.

[58]        En fait, elle repose essentiellement sur son témoignage qu’il avait la conviction sincère que l’absolution inconditionnelle dont il avait bénéficié « effaçait » son dossier judiciaire et que la lettre qu’il a reçue de la Sûreté du Québec le 27 novembre 2003 (P-11) l’avait conforté dans cette conviction. Il convient d’en citer un extrait :

Nous sommes en mesure de vous confirmer que le Commissaire retire du fichier automatisé des relevés des condamnations criminelles géré par la Gendarmerie Royale du Canada, toute mention d’un dossier ou relevé attestant d’une absolution à l’expiration des délais visés au paragraphe 6.1(I), conformément à l’article 6.1(2) de la Loi sur le casier judiciaire.

[59]        Le demandeur a paru sincère au Tribunal lorsqu’il a fait cette affirmation. Cependant, ceci ne l’excuse pas d’avoir répondu par la négative à la question 20 qui en était une à deux volets. Rappelons-la :

Avez-vous été reconnu coupable d’infractions ou d’actes criminels ou des accusations d’infractions ou d’actes criminels ont-elles été portées contre vous?

[Soulignement du Tribunal]

[60]        Cette question traite, d’une part, de l’existence d’une reconnaissance de culpabilité à une infraction mais, de plus, de l’existence d’accusations portées relativement à une infraction ou un acte criminel.

[61]        Si la conviction du demandeur, au regard de sa compréhension de ce que pouvait constituer une « absolution inconditionnelle »  aurait pu expliquer une réponse  négative à la première partie de la question 20, « Avez-vous été reconnu coupable... », le second volet de la question, sur l’existence des accusations passées à des infractions ou des actes criminels, aurait dû commander une réponse positive[16].

[62]        Pour un simple citoyen, l’« absolution inconditionnelle » peut être comprise comme une absolution complète au regard de sa culpabilité et de la sentence bien qu’en réalité, au niveau juridique, l’absolution inconditionnelle, au sens de l’article 730 du Code criminel, réfère à l’absence de peine ou de sentence plutôt qu’à l’absence de condamnation[17]. Toutefois, il est difficile de concevoir que, dans l’esprit d’une personne ordinaire, l’accusation initiale puisse disparaître.

[63]        En droit, il est établi que la présomption de non-condamnation n’est pas assimilable à une présomption d’innocence à rebours et l’absolution équivaut à une absence de peine plutôt qu’à une absence de culpabilité[18].

[64]        Comme le soulevait la Cour d’appel dans la décision rendue dans cette affaire : « L’effet juridique d’une absolution inconditionnelle n’est pas nécessairement un concept à la portée d’une personne ordinaire » et il est vrai que le texte de la question 20 gagnerait sans doute à être précisé pour pallier la confusion que peut amener dans l’esprit d’une personne sans formation juridique la notion d’« absolution incondi­tionnelle ». Ainsi, il serait souhaitable que les termes « absolution inconditionnelle » soient inclus à la question posée par un assureur dans un contexte semblable. Il aurait suffi d’ajouter une troisième phrase à la question 20 : « Avez-vous déjà bénéficié d’une absolution conditionnelle ou inconditionnelle? ».

[65]        L’Industrielle a fait entendre madame Lucie Beaudet à titre d’experte en analyse de risque pour démontrer la raisonnabilité du refus de l’Industrielle d’accepter le risque proposé par le demandeur en regard de ses antécédents judiciaires[19].

[66]        Malgré les objections formulées par le demandeur, le Tribunal a accepté la production du rapport de madame Beaudet (D-10) et lui a permis de témoigner à titre d’experte en tarification en assurance vie. Le paragraphe 2 de la page 6 du rapport D-10 fut cependant biffé car, de l’avis du Tribunal, il relevait davantage de l’opinion légale que de l’expression d’une opinion d’expert.

[67]        En fait, le témoignage de madame Beaudet est venu confirmer que l’Industrielle s’était conformée aux usages et à la pratique en vigueur, en 2007, en ce qui a trait à la façon dont le risque avait été évalué. Celle-ci a également émis des commentaires relativement aux informations concernant le demandeur transmises par l’Industrielle à MIB.

[68]        Forte d’une expérience de plus de 30 ans dans le domaine de la tarification des risques, madame Beaudet s’est exprimée ainsi sur le refus de l’Industrielle d’accepter le risque proposé par le demandeur :

L’Industrielle Alliance a son propre manuel avec grille de tarification, mais toutes les compagnies d’assurance ont accès au Manuel de réassureurs qu’elle consulte en tant que manuel de référence. J’ai consulté les guides de tarification de deux compagnies de réassurance que je joins au rapport en Annexe 4. Dans les deux guides, les recommandations sont de refuser un tel risque.

Pour ce qui est du MIB, le tarificateur avait l’obligation de transmettre les informations sur le dossier criminel et sur l’histoire de dépression en raison de la matérialité des faits. Le tarificateur de l’Industrielle Alliance devait rapporter ces informations selon les procédures et les règles du MIB, tel qu’expliqué dans la section « Objectifs et fonctionnement du MIB ».

À la page 5 de la proposition signée le 29 novembre 2007, en apposant sa signature, monsieur Lavoie autorise MIB à fournir à l’Industrielle Alliance les renseignements à son dossier pour l’évaluation du risque.

[69]        À l’examen des annexes comportant les grilles d’évaluation des deux réassureurs auxquels fait référence madame Beaudet (RGA GUM et Munich Re), on constate que la fraude est considérée comme un crime sérieux qui emporte généralement le refus d’assurer l’auteur de la fraude, que ce soit au niveau d’une assurance vie, d’une assurance de biens ou autrement.

[70]        De plus, est également considéré comme pertinent le fait que le proposant a volontairement déclaré l’antécédent judiciaire. Ainsi, Munich Re détaille, dans son guide :

Insurance is a good faith contract. An underwriter reviewing an application on someone with a previous criminal conviction or currently pending charges must determine whether or not the applicant can enter such a contract.

Recurrent patterns of criminal behaviour, pending charges, or extensive criminality, particularly in conjunction with substance abuse of mental illness, all predispose to uninsurability. However, some applicants with prior convictions may be eligible for life and living benefits coverage. Coverage should be offered on a “best case” scenario only to applicants whose lifestyle demonstrates stability (job and homelife) and no evidence of ongoing association with the people or environmental factors which predisposed to the criminal activity.

Discerning the insurable risk from the uninsurable risk can be complex and challenging. The primary source of information regarding criminal activity is the applicant himself. Full disclosure must be made on the application form rather than developed via outside sources. […]

[Soulignement du Tribunal]

Traduction libre du Tribunal : L’assurance est un contrat basé sur la bonne foi. Un assureur (tarificateur) évaluant la proposition d’une personne ayant des antécédents judiciaires, soit en raison de condamnations criminelles ou contre laquelle des accusations ont été portées, doit déterminer si le proposant doit bénéficier d’une protection d’assurance.

La récidive de comportements criminels, des accusations pendantes ou la criminalité importante, particulièrement en conjonction avec de l’abus de drogue ou d’alcool ou de maladie mentale emportent généralement une non assurabilité. Cependant, certains proposants détenant des antécédents judiciaires pourraient être éligibles à des protections d’assurance vie et autres avantages. Une couverture devrait être offerte, dans le meilleur des cas uniquement, à des proposants dont le style de vie démontre la stabilité (travail et familial), en l’absence d’une association  avec des personnes ou un environnement reliés à la criminalité.

Discerner ce qui est un risque assurable de ce qui ne l’est pas est un exercice complexe, un défi. La première source d’information qui concerne les antécédents ou les activités criminelles doit être le proposant lui-même. Une dénonciation complète par le proposant doit être présente et les informations obtenues de lui plutôt que via des sources externes [...]

[71]        La preuve a révélé que si la réponse à la question 20 avait été affirmative, la défenderesse n’aurait pas assuré le demandeur en raison de sa politique de tarification. Le demandeur n’a pas démontré que cette politique était déraisonnable et le droit à l’assurance n’est pas un droit protégé par la Charte. Le Tribunal ne peut se substituer au législateur et accorder au demandeur plus de droits que ceux qui sont prévus par la loi.

4.2         L’Industrielle a-t-elle commis une faute en communiquant à la compagnie MIB les informations personnelles relatives au dossier judiciaire du demandeur de même que les informations médicales obtenues dans le cadre de l’analyse du risque, et a-t-elle diffamé le demandeur en ce faisant?

[72]        Comme mentionné plus haut, le demandeur a autorisé la défenderesse, lorsqu’il a soumis sa proposition, à faire enquête sur lui et à s’adresser à MIB pour obtenir des renseignements à son égard de même qu’à communiquer des renseignements à MIB afin de compléter son profil d’assurabilité.

[73]        Le juge Banford, dans sa décision interlocutoire du 24 septembre 2010, mentionnait que la transmission des informations litigieuses s’était faite dans un contexte d’affaires et dans le respect des exigences de la bonne foi[20].

[74]        La preuve soumise lors du procès ne permet pas au Tribunal de modifier la conclusion du juge Banford. Au contraire, ce qui ressort de la preuve, c’est que le demandeur a autorisé la défenderesse à faire usage des renseignements colligés au cours de son enquête.

[75]        Comme l’exposait la compagnie MIB, dans sa lettre au demandeur, le 28 juillet 2008 (P-8), les données compilées le sont « afin de protéger la majorité des proposants d’assurance contre la présentation occasionnelle de propositions d’assurance individuelles incomplètes et frauduleuses ».

[76]        MIB a transmis, à une seule occasion, les renseignements concernant le demandeur à un autre assureur, le 7 février 2008.

[77]        Le demandeur fonde également ses prétentions sur l’article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire[21] qui se lit comme suit :

 (1) Nul ne peut communiquer tout dossier ou relevé attestant d’une absolution que garde le commissaire ou un ministère ou organisme fédéral, en révéler l’existence ou révéler le fait de l’absolution sans l’autorisation préalable du ministre, suivant l’écoulement de la période suivante :

a) un an suivant la date de l’ordonnance inconditionnelle;

b) trois ans suivant la date de l’ordonnance sous conditions.

Note marginale :Retrait des relevés d’absolution

(2) Le commissaire retire du fichier automatisé des relevés de condamnations criminelles géré par la Gendarmerie royale du Canada toute mention d’un dossier ou relevé attestant d’une absolution à l’expiration des délais visés au paragraphe (1).

[78]        Il existe en effet, aux termes de cette loi, une certaine protection contre l’accès aux renseignements concernant les antécédents criminels et judiciaires d’une personne, mais elle est incomplète et se heurte de plus à la Directive provinciale D-21 « Gestion de certains renseignements contenus dans les registres et relevés informatisés en matière criminelle par la Direction générale des services de justice et des registres »[22].

[79]        En effet, cette Directive prévoit qu’un particulier visé par l’une des situations énumérées, dont l’absolution inconditionnelle, doit obligatoirement remplir le Formulaire SJ-788 pour que les renseignements aux registres et relevés informatisés en matière criminelle ne puissent être accessibles au public.

[80]        La preuve révèle que le demandeur n’avait pas rempli ce formulaire au moment où il a cherché à obtenir, en 2007, une assurance vie de la défenderesse et qu’il lui a soumis une proposition. C’est une démarche qu’il a souligné au Tribunal avoir faite ultérieurement. Aussi, ses antécédents judiciaires étaient bel et bien inscrits au plumitif criminel et, donc, ces informations étaient publiques et accessibles pour quiconque.

[81]        L’auteure Claire Bernard, commentant l’existence de la protection dont bénéficient les justiciables relativement à l’accès aux renseignements les concernant en lien avec leurs antécédents criminels et judiciaires, exposait ce qui suit :

Il existe donc une certaine protection contre l’accès aux renseignements concernant les antécédents criminels et judiciaires d’une personne, mais elle est incomplète. [...]

Si la protection conférée par la Charte québécoise est parfois plus large que celle accordée par d’autres lois antidiscriminatoires, elle a cependant une portée plus étroite que certaines d’entre elles quant aux secteurs d’activités sociales. Quelques juridictions, soit le fédéral, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, ont opté pour une inclusion des antécédents judiciaires dans la liste des motifs de discrimination interdits. Elles interdisent la discrimination fondée sur ce motif non seulement dans tous les secteurs connexes reliés à l’emploi, mais également dans d’autres secteurs d’activités, tels que les biens et services, l’hébergement, les baux commerciaux et le logement. La protection au Québec se limite au secteur de l’emploi.[23]

[Soulignement du Tribunal]

[82]        L’article 10 de la Charte prévoit que toute personne doit être protégée contre la discrimination lorsque la discrimination a pour effet de détruire ou compromettre un droit. Il convient de le reproduire :

10.  Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

[83]        Il n’existe pas au Québec, à proprement parler, de droit à l’assurance vie. Certes le législateur a cru bon de protéger le droit à l’emploi lorsque l’infraction dont une personne est trouvée coupable n’a aucun lien avec l’emploi ou encore si elle a obtenu le pardon. Cependant, une telle protection n’a pas été établie à l’égard d’un droit à l’assurance.

[84]        L’article 18.2 de la Charte québécoise n’est d’aucune utilité au demandeur; il vise uniquement à protéger le droit à l’emploi :

18.2  Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.

[85]        D’autre part, l’article 20.1 de la Charte fixe une présomption de non-discrimination lorsque l’assureur fait une utilisation légitime de certaines informations concernant le sexe, l’âge ou la santé d’une personne[24].

[86]        Cette présomption de non-discrimination ne couvre pas le cas d’antécédents judiciaires. Toutefois, tenant compte des dispositions de l’article 18.2 et de l’existence, dans d’autres juridictions, d’une protection interdisant une discrimination fondée sur le motif de l’existence d’antécédents judiciaires à tout autre secteur d’activité que celui de l’emploi, force est de constater qu’au Québec, les principes généraux relatifs au droit, pour un assureur, d’évaluer le risque qui lui est proposé lui permettent de tenir compte du fait qu’un proposant a été accusé et reconnu coupable de fraude, même s’il a bénéficié d’une absolution inconditionnelle.

[87]        Aussi, vu l’autorisation donnée par le demandeur, toute information obtenue durant l’enquête de l’Industrielle pouvait être partagée avec MIB.

[88]        En conclusion, la preuve révèle que le demandeur n’a pas répondu correctement à la question 20. Même si celui-ci a pu se méprendre sur la portée d’une absolution inconditionnelle et quant au fait qu’il ait été trouvé coupable, il devait tout de même dénoncer que des accusations avaient été portées contre lui.

[89]        Même en considérant que le demandeur se soit mépris au point de croire que son dossier avait été « effacé », ceci ne rend pas l’Industrielle fautive de refuser le risque en raison des obligations imposées au demandeur par l’article 2408 C.c.Q.

[90]        Il y a lieu, également, de souligner que le demandeur n’a pas non plus fait état de sa dépression grave et que le médecin, dans ses notes médicales, qualifiait le cas de « complexe ». Même si l’Industrielle n’a pas dénoncé au demandeur avoir refusé le risque en raison de l’absence de dénonciation de ses problèmes médicaux, lorsque la tarificatrice a évalué sa proposition, elle pouvait tenir compte que le demandeur avait, sous cet aspect également, caché des informations tout à fait matérielles et pertinentes dans le cadre de l’évaluation d’un risque en assurance vie.

[91]        Le demandeur a référé le Tribunal, au soutien de ses prétentions relativement à l’absence de matérialité des antécédents judiciaires, à l’arrêt Compagnie mutuelle d’assurance Wawanesa c. G.M. Massé location limitée[25].

[92]        Dans cette affaire, l’appelant cherchait à faire annuler a posteriori une police d’assurance automobile délivrée aux intimés Rouette, en raison de leur omission d’avoir fait état, dans la proposition, d’antécédents judiciaires.

[93]        Le premier juge avait refusé d’annuler le contrat d’assurance au motif de déclarations fausses ou de réticences de monsieur Rouette, car, d’une part, celui-ci avait répondu à toutes les questions posées par l’assureur et que, d’autre part, il ne pouvait savoir que son casier judiciaire, n’ayant rien à voir avec l’utilisation d’un véhicule automobile, était un élément pertinent et qui pouvait influer sur l’acceptation du risque.

[94]        La Cour d’appel, sous la plume de l’honorable juge Pierre Dalphond, a fait les commentaires suivants dans le contexte d’un recours fondé sur l’article 2410 C.c.Q., à l’initiative de l’assureur qui recherchait l’annulation de la police qu’il avait délivrée. La situation du demandeur qui réclame des dommages pour la faute de l’assureur de ne pas lui avoir délivré la police qu’il voulait souscrire est différente, mais les principes soulevés par le juge Dalphond sont pertinents :

[34]       Il incombait donc à l’appelante, qui demande la nullité du contrat (art. 2410 C.c.Q.), d’établir une connexité pour un assureur raisonnable entre certaines des condamnations antérieures de M. Rouette, dont aucune n’était relative à la conduite ou à la possession d’un véhicule automobile, aussi sérieuses fussent-elles, et les risques couverts par la police, et ce, malgré une absence de condamnation depuis huit ans.

[35]       Le juge de première instance a conclu que cette preuve n’avait pas été faite. À mon avis, il a eu tort.  En effet, il n’était pas déraisonnable pour un assureur d’affirmer que la participation, échelonnée sur plusieurs années, de M. Rouette à des infractions comme le vol, le recel, la fraude et l’usurpation de personnes est pertinente à l’évaluation du risque de réclamation frauduleuse de sa part.

[Soulignement du Tribunal]

[95]        Au bout du compte, il est vrai que la Cour d’appel a maintenu la validité de la police délivrée par l’assureur pour le motif qu’une personne raisonnable, sans expérience avec les politiques des assureurs, n’aurait pas « a priori considéré pertinent de mentionner les antécédents judiciaires n’ayant aucun lien avec la conduite d’un véhicule automobile »[26].

[96]        Par contre, le juge Dalphond servait cette semonce aux assureurs dont les questionnaires n’étaient pas suffisamment clairs à cet égard :

[42]       En conclusion, si les assureurs ne souhaitent pas assurer les personnes ayant un casier judiciaire non relié à la conduite d’un véhicule ou à sa possession, qu’ils posent directement les questions appropriées aux proposants.

[43 ]      Une chose est certaine, la situation actuelle où l’assureur ne pose aucune question aux proposants ayant un casier judiciaire, hormis les infractions qu’ils auraient commises au cours d’une certaine période antérieure concernant la conduite d’un véhicule, perçoit leurs primes pendant des années puis, lors d’un sinistre, conclut en la nullité de la police, est inacceptable. L’assureur ne peut, d’une part, profiter des primes de preneurs qu’ils considèrent indésirables comme groupe et, d’autre part, invoquer nullité de la police lorsque l’un d’entre eux subit un sinistre.

[Soulignement du Tribunal]

[97]        Ce n’est pas la situation qui prévaut ici. Au contraire, la question posée au demandeur était claire; c’est le défaut du demandeur d’y répondre correctement qui a mené l’assureur, après enquête, à refuser de lui délivrer une police.

[98]        Deux assureurs seulement ont été approchés par le demandeur pour obtenir une couverture d’assurance suite au refus de l’Industrielle de l’assurer.

[99]        Le 13 février 2009, le Groupe Cloutier lui communique le refus de BMO Assurance comme suit : « Refusé pour raison financière (instance de faillite) », (pièce P-17.

[100]     Le 17 février 2009, c’est au tour de la compagnie AIG Vie du Canada de l’aviser que sa proposition est déclinée pour un motif financier.

[101]     C’est le conseiller financier du demandeur, Charles Duchesne, qui a fait part, par écrit, au demandeur, du refus de ces deux assureurs, de même que des motifs de refus, dans les deux cas reliés à la situation financière du demandeur.

[102]     Le Tribunal conclut que la défenderesse n’a commis aucune faute en communiquant certaines informations relatives au demandeur au  bureau de MIB et que, de plus, le demandeur ne s’est pas déchargé non plus du fardeau de démontrer que ces informations avaient été à l’origine du refus des deux autres assureurs qu’il a approchés en 2009.

[103]     Le demandeur n’a pas soumis de propositions à d’autres assureurs pour obtenir une assurance vie avant 2012. Fort heureusement, il obtient la police souhaitée au cours de l’année 2012.

[104]     Il n’est pas nécessaire, de l’avis du Tribunal, de se pencher sur l’analyse du quantum de cette affaire en raison des conclusions d’absence de faute de l’Industrielle et d’absence d’existence d’un lien de causalité entre les gestes posés par l’Industrielle, et le refus de couverture du demandeur par deux assureurs subséquents. Il n’y a pas eu de preuve non plus relativement à la diffamation dont le demandeur s’est plaint.

[105]     Le Tribunal doit toutefois signaler que le demandeur s’est vu imposer une sanction sévère par l’Industrielle, près de cinq ans après le fait, en regard des circonstances ayant entouré les accusations qui avaient été portées contre lui pour l’utilisation d’une carte de crédit pour des montants minimes de 100 $ à 300 $.

[106]     Une analyse de son dossier, de façon plus approfondie, aurait sans doute révélé que, hormis les deux accusations portées contre lui, le demandeur a toujours été un actif pour la société et un bon citoyen de même qu’un époux exemplaire.

[107]     Malheureusement, le défaut du demandeur de répondre correctement et valablement aux questions qui lui ont été posées dans le cadre de l’enquête menée au niveau de la souscription, tant à l’égard de la question 20 qu’à l’égard de ses antécédents médicaux lui ont valu une réponse négative de l’Industrielle.

[108]     Le Tribunal ne peut adresser aucun reproche à l’Industrielle à cet égard puisque le demandeur a, par ses omissions, même s’il avait pu être de bonne foi, a perdu la confiance du tarificateur qui a dès lors appliqué le Guide de l’Industrielle qui commandait un refus de couverture.

[109]     Vu les circonstances, le Tribunal estime qu’il y a lieu de rejeter le recours du demandeur, sans frais.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[110]     REJETTE la requête introductive d’instance du demandeur;

[111]     Sans frais.

 

 

_______________________________

ALICIA SOLDEVILA, J.C.S.

 

Me  Sarto Landry

Casier 78

Procureur du demandeur

 

Me Judith Rochette

Beauvais Truchon - Casier 65

Procureurs de la défenderesse

 

 

Date d’audience :

10-13 juin 2014

 



[1]     Pièce P-7.

[2]     Pièce D-14, p. 16.

[3]     Pièce D-15, p. 25.

[4]     Le demandeur avait répondu par la négative à la question 3N sur l’existence de problèmes d’anxiété, de dépression, troubles nerveux ou psychologiques.

[5]     Lavoie c. Industrielle-Alliance, assurance et services financiers, 2010 QCCS 5446, par. 33.

[6]     Id., par. 48.

[7]     Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85, au paragr. 38.

[8]     Lavoie c. Industrielle Alliance, assurances et services financiers, 2011 QCCA 2106.

[9]     Sébastien LANCTÔT et Paul A. Mélançon, Commentaires sur le droit des assurances, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2011, p. 39.

[10]    Id., p. 40.

[11]    Didier LLUELLES, Précis des assurances terrestres, 5e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 33-34.

[12]    Id, p. 185.

[13]    Assurance-vie Desjardins-Laurentienne inc. c. Poirier-Wilson, J.E. 2003-1670 (C.A.); Ambroise c. Compagnie d’assurance Standard Life, 2011 QCCS 3998, par. 67-72; Caron c. Industrielle-Alliance, compagnie d'assurance-vie, 2008 QCCS 1520, par. 122-125; Philipp c. Sun Life du Canda, compagnie d’assurance sur la vie, 2007 QCCS 555, par. 33; Thibeault c. Compagnie d’assurance Wawanesa, 2012 QCCQ 3936, par. 85 à 88.

[14]    Ford c. Garantie (La), compagnie d'assurances de l'Amérique du Nord, [1999] no AZ-00026024 (C.S.), par. 15.

[15]    Desbiens c. Société nationale d’assurance inc., J.E. 2004-427 (C.S.), par. 58-61; Crédit Ford du Canada limitée c. La Fédération, compagnie d’assurance du Canada, J.E. 2000-335 (C.S.).

[16]    Thibault c. Compagnie d’assurance Wawanesa, précité, note 13.

[17]    Ville de Montréal c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2008] 2 R.C.S.  698, par. 20 Ville de Montréal c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2008] 2 R.C.S.  698, par. 20; Therrien (re), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 122.

[18]    Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, 2007 QCCA 1790, par. 46.

[19]    Rapport du 8 juillet 2013, pièce D-10.

[20]    Précité, note 5, par. 36.

[21]    L.R.C., 1985, c. C-47.

[22]    Gestion de certains renseignements contenus dans les registres et relevés informatisés en matière criminelle par la Direction générale des services de justice et des registres, Directive D-21, Ministère de la Justice du Québec, 20 mars 1998.

[23]    Claire BERNARD, «Les renseignements personnels reliés aux démêlés avec la justice et leur incidence sur l’activité professionnelle », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en droit de l’accès à l’information (2004), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 222-224.

[24]     20.1. Dans un contrat d'assurance ou de rente, un régime d'avantages sociaux, de retraite, de rentes ou d'assurance ou un régime universel de rentes ou d'assurance, une distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'âge, le sexe ou l'état civil est réputée non discriminatoire lorsque son utilisation est légitime et que le motif qui la fonde constitue un facteur de détermination de risque, basé sur des données actuarielles.

        Dans ces contrats ou régimes, l'utilisation de l'état de santé comme facteur de détermination de risque ne constitue pas une discrimination au sens de l'article 10.

 

[25]    2005 QCCA 197.

[26]    Id., par. 40.

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