Guichon-Ferrazan et Brossard (Ville de) |
2014 QCCLP 1606 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 16 novembre 2012, la Ville de Brossard (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation d’une décision rendue le 22 octobre 2012 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de madame Graciala Guichon-Ferrazan, la travailleuse, infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 17 février 2012 à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2011.
[3] L’audience sur la présente requête s’est tenue le 10 février 2014 à Longueuil en l’absence de la travailleuse qui y est représentée par monsieur Louis Bergeron. L’employeur est représenté à l’audience par maître Frédéric Poirier et madame Marie - Ève Roy, chef du service des ressources humaines, est également présente. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 22 octobre 2012 et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2011.
[5] Quant à la travailleuse, elle s’oppose à cette demande et précise qu’advenant que le présent tribunal accueille la requête de l’employeur, elle demande que les parties soient convoquées à une nouvelle audience quant au fond afin qu’elle puisse être entendue.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête en révocation de l’employeur, car ils sont d’avis que la décision du premier juge administratif est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider en ce qu’il y a absence totale de motivation quant à la présomption de lésion professionnelle et à son renversement.
[7] Les membres précisent que, bien que le premier juge administratif n’ait pas à répondre à tous les faits et tous les arguments soumis lors de l’audience, il doit répondre à ceux qui sont liés aux fondements de sa décision. Or, la force probante des éléments constitutifs de l’application de la présomption de lésion professionnelle, la crédibilité de la travailleuse ainsi que le renversement de la présomption n’ont pas été abordés par le premier juge administratif.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue le 22 octobre 2012.
[9] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Par ailleurs, une décision de la Commission des lésions professionnelles pourra être révisée ou révoquée selon les conditions strictes de l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Cet article permettant la révision ou la révocation d’une décision a une portée restreinte et doit être interprété restrictivement en tenant compte des objectifs visés à l’article 429.49 de la loi afin d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal[2].
[12] Donc, afin de réussir dans son recours en révision ou en révocation, la partie devra démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 de la loi.
[13] Dans la présente affaire, l’employeur invoque le troisième paragraphe de l’article 429.56, soit un vice de fond de nature à invalider la décision.
[14] Dans l’affaire Bourassa[3], la Cour d’appel rappelle que la notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Elle ajoute que :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[15] Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire ou du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente[4].
[16] Dans l’affaire Franchellini précitée, la Commission des lésions professionnelles précisait que « la révision pour cause n’est pas un appel et il n’est pas permis à un commissaire qui siège en révision de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire »; ce recours ne peut constituer un appel déguisé étant donné le caractère final des décisions du tribunal.
[17] La jurisprudence énonce aussi que ce recours en révision pour vice de fond ne doit pas être l’occasion pour une partie de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation déjà soumise[5].
[18] La Cour d’appel souligne que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision[6]. Elle invite donc la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[7] alors qu’elle s’exprime ainsi :
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
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16 Précitée, note 8
[19] Par ailleurs, une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision[8].
[20] Devant le présent tribunal siégeant en révision, l’employeur prétend que la décision du premier juge administratif n’est pas suffisamment motivée et qu’elle ne permet pas de comprendre sur quels faits ou raisonnements juridiques elle s’appuie et que le premier juge administratif a omis de tenir compte d’éléments de preuve et d’arguments déterminants sur l’issue du litige. Qu’en est-il?
[21] La travailleuse, préposée à l’entretien chez l’employeur, se blesse le 9 décembre 2009 lui causant une entorse dorsolombaire. Cette lésion professionnelle sera consolidée le 2 novembre 2010 avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique et des limitations fonctionnelles. La travailleuse commence un emploi de préposée à la surveillance de plateaux sportifs à compter du 24 avril 2011 chez le même employeur.
[22] Elle allègue avoir subi une récidive, une rechute ou une aggravation le 11 octobre 2011. Elle rapporte dans sa réclamation qu’en soulevant un poteau servant à fixer un filet de badminton, sa douleur s’est exacerbée et son dos a barré. Cette réclamation pour une lésion professionnelle est refusée par la CSST, il s’agit du litige dont est saisi le premier juge administratif.
[23] De l’écoute de l’argumentation des parties devant celui-ci, le présent tribunal retient que la travailleuse prétend avoir subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2011. Son représentant, monsieur Bergeron, plaide que la travailleuse bénéficie de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi au sens de l’arrêt Boies[9]. Subsidiairement, il prétend qu’elle a été victime d’un accident du travail tel que défini à l’article 2 de la loi selon l’interprétation large et libérale que lui a donné la jurisprudence ou que la travailleuse a subi une récidive, une rechute ou une aggravation. Finalement, il allègue qu’il peut aussi s’agir de l’aggravation d’une condition personnelle au sens de la décision PPG Canada[10]. Il argue que la travailleuse a rendu un témoignage crédible.
[24] Quant à l’employeur, son représentant, maître Poirier, plaide l’absence de récidive, de rechute ou d’aggravation et plus précisément qu’une entorse ne peut récidiver en l’absence d’un nouveau traumatisme.
[25] Par ailleurs, il prétend que la présomption de lésion professionnelle de l’article 28 de la loi ne s’applique pas et réfère le tribunal aux indices du paragraphe 185 de l’arrêt Boies précité qui peuvent être pris en compte dans le cadre de l’exercice de l’appréciation de la force probante de la version du travailleur visant la démonstration des trois conditions de l’article 28 de la loi, soit une blessure, qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail. L’employeur souligne l’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint la travailleuse avant la date alléguée de la blessure et la présence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits qui seraient à l’origine de la blessure. Il attire l’attention du tribunal sur les contradictions dans le témoignage de la travailleuse et entre ce témoignage et la preuve documentaire.
[26] Si le tribunal conclut à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi, l’employeur allègue que cette présomption est renversée. Il s’appuie sur le paragraphe 235 de l’arrêt Boies précité en ce que la preuve démontre qu’il y a absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci, car il n’y aurait eu aucun évènement traumatique pouvant expliquer l’entorse dont souffre la travailleuse et qu’aucun faux mouvement n’a été allégué.
[27] Le premier juge administratif relate la preuve aux paragraphes 7 à 17 de sa décision et au paragraphe 18, il expose les prétentions de la travailleuse. Les prétentions de l’employeur ne sont pas rapportées.
[28] Il conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2011, ses motifs sont les suivants :
[20] L’accident du travail et la lésion professionnelle sont ainsi définis à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
[21] En l’espèce, le diagnostic retenu par le docteur Crépeau et qui fait l’objet de la présente réclamation est celui d’entorse dorsolombaire.
[22] La loi prévoit qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que la travailleuse est à son travail est présumée être une lésion professionnelle.
[23] Le tribunal est d’avis que la travailleuse peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue par la loi. En effet, la travailleuse était en train d’effectuer son travail, alors qu’elle se trouvait sur les lieux de son travail le 11 octobre 2011. Le diagnostic d’entorse dorsolombaire est un diagnostic de blessure.
[24] Le tribunal conclut donc que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2011.
[29] L’employeur plaide devant le présent tribunal que la décision du premier juge administratif n’est pas suffisamment motivée.
[30] L’article 429.50 de la loi exige qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles soit motivée :
429.50. Toute décision de la Commission des lésions professionnelles doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, le commissaire fait état dans la décision de l'avis exprimé par les membres visés à l'article 374 qui siègent auprès de lui ainsi que des motifs de cet avis.
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1997, c. 27, a. 24.
[31] L’absence totale de motivation constitue un motif de révision ou de révocation, comme l’a établi la jurisprudence[11]. Cette absence de motivation contrevient à l’obligation légale de motiver, mais constitue également une erreur de droit dans l’exercice de la compétence de la Commission des lésions professionnelles qui n’aurait pas vidé ainsi une question qui lui est soumise[12].
[32] Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Romano et Services d’entretien Distinction (1989) inc.[13], « c’est l’absence totale de motivation qui peut, lorsqu’elle est évidente à la lecture même, donner lieu à une révision et non, […] un manque de motivation, même si un tel manque était prouvé ».
[33] Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de commenter tous les faits mis en preuve ni de trancher tous les arguments que les parties ont présentés, mais il faut que la lecture de la décision permette de comprendre le processus décisionnel du juge administratif et le raisonnement qui la sous-tend; il faut que le lecteur comprenne les fondements de la décision[14].
[34] En fait, il s’agit du test de l’intelligibilité dont il est fait mention dans l’affaire Hamel et EMCO ltée (Div. Distribution)[15] :
[36] Le test à appliquer consiste à se demander si les motifs de la décision sont suffisamment intelligibles et permettent à une personne raisonnablement informée de comprendre les fondements de la décision.
[35] En l’espèce, les prétentions de l’employeur quant à la non-application de la présomption de l’article 28 de la loi ou de son renversement ne sont ni rapportées ni traitées dans la décision du premier juge administratif. Cela rend-il cette décision inintelligible?
[36] Dans l’affaire Quirion et Ambulances Radisson[16], la Commission des lésions professionnelles accueille la requête en révision de l’employeur au motif que :
[70] En n’analysant pas plusieurs des paramètres reconnus par la jurisprudence dans les cas de récidive, rechute ou aggravation, le premier juge administratif a omis de discuter d’éléments qui étaient déterminants sur l’issue du litige. Il a rendu une décision qui n'a pas de lien rationnel avec l’ensemble de la preuve offerte.
[37] Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles fait aussi une revue de la jurisprudence en la matière :
[56] Dans Laplante et Provigo Distribution inc.9, on a décidé que le juge administratif avait fait défaut à son devoir de motivation adéquate de sa décision. Comme l’employeur était la partie perdante dans le dossier, il aurait fallu que le juge administratif lui explique de façon convaincante le raisonnement d’où il avait tiré sa conclusion. Or, comme il était manifeste qu'il avait omis de prendre en considération toute la preuve puisqu’il n’en faisait même pas mention dans sa décision et qu’il avait omis de discuter de certains éléments de la preuve et de prendre en considération d’autres éléments de la preuve, la décision a été révisée.
[57] Dans Lomex inc. et Gonzales10, la décision a été révoquée puisque le juge administratif avait négligé d’analyser et de discuter de certains éléments de faits essentiels qui étaient déterminants sur l’issue du litige, il avait omis de statuer sur un argument de droit invoqué par l’employeur et la motivation était tellement insuffisante qu’elle équivalait à une absence totale de motivation.
[58] Dans Verret et Salaisons Brochu inc.11, on a décidé qu’en faisant reposer ses conclusions sur une conjugaison d’éléments, dont l’un n’était pas prouvé, en ignorant d’autres faits prouvés et non contredits et en évacuant la discussion sur un autre élément pertinent, le juge administratif avait rendu une décision qui n’avait pas de lien rationnel avec la preuve qui lui avait été offerte.
[59] Dans Minville et Centre de santé des Haut-Bois12, la Commission des lésions professionnelles a décidé que comme le juge administratif avait omis de considérer des pans essentiels de la preuve et qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation de la preuve qu’alors, il n'y avait pas de lien rationnel entre la décision rendue et la preuve versée au dossier. La décision a été révisée car elle était entachée de vices de fond de nature à l'invalider.
[références omises]
[38] Dans l’affaire GFI Division de Société en commandite T & B et Ljubomir[17], les motifs de la décision du premier juge administratif, en ce qui concerne l’existence d’une lésion professionnelle, se résument à une énumération des dispositions législatives pertinentes. La Commission des lésions professionnelles révoque cette décision :
[35] La preuve soumise par l’employeur n’est aucunement analysée et discutée, non plus que la crédibilité du travailleur qui était pourtant au cœur du litige.
[36] On ignore les raisons qui ont amené le commissaire à privilégier la version du travailleur à celles des témoins de l’employeur. On ignore les raisons qui l’ont amené à mettre de côté la preuve documentaire déposée par l’employeur. On ignore finalement tout des raisons qui l’ont amené à conclure que le travailleur avait subi une lésion professionnelle le 15 juillet 2004.
[37] De plus, le commissaire omet de se prononcer sur la seule question véritablement en litige dans le présent dossier, à savoir la relation entre la chute et le travail. Non seulement cette question n’est pas discutée, elle n’est même pas abordée. Le commissaire ne discute aucunement dans la décision de ce qui aurait pu causer la chute du travailleur.
[39] Il en est de même dans la présente affaire alors que les motifs du premier juge administratif se résument à une énumération des dispositions législatives. Les arguments soulevés par l’employeur quant à la crédibilité de la travailleuse ne sont pas discutés pas plus que les indices devant être pris en compte dans le cadre de l’exercice d’appréciation de la force probante de la version de cette dernière visant la démonstration des conditions d’application de la présomption de l’article 28 de la loi, entre autres, l’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint la travailleuse avant la date alléguée de la blessure et la présence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits qui seraient à l’origine de la blessure.
[40] De plus, le renversement de la présomption n’a donné lieu à aucune analyse de la part du premier juge administratif alors que l’employeur plaide l’absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci.
[41] Dans les circonstances, il y a lieu de conclure qu’il y a absence totale de motivation quant à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi et à son renversement. La décision du premier juge administratif ne satisfait pas le critère de l’intelligibilité en ce sens que le lecteur ne peut comprendre son raisonnement et la base sur laquelle la décision a été rendue.
[42] Cela se distingue de l’affaire C.H.S.L.D. Trègle d’Or et Boyer[18] dont la travailleuse dépose la décision à l’appui de ses prétentions. Dans cette affaire, la travailleuse allègue que le premier juge administratif aurait dû analyser l’admissibilité de sa réclamation sous l’angle de la notion d’« accident du travail » sous l’article 2 de la loi, en présence de microtraumatismes, plutôt que de limiter son analyse sous l’angle d’une « maladie professionnelle ».
[43] La Commission des lésions professionnelles en révision conclut que rien dans la preuve ne permet d’identifier un évènement précis qui serait à l’origine de la réclamation et que, dans ce contexte, le fait d’ajouter une analyse sous l’angle des microtraumatismes aurait fait double emploi avec la notion de « maladie professionnelle ». Elle estime que cette analyse n’aurait rien ajouté et aurait été redondante.
[44] En l’espèce, s’il est vrai que le premier juge administratif n’avait pas à analyser la réclamation sous l’angle d’une récidive, d’une rechute ou d’une aggravation ni sur celui d’un accident du travail au sens de l’article 2 de la loi ni sous celui de « l’aggravation d’une condition personnelle » étant donné qu’il conclut à l’application de l’article 28 de la loi, il devait expliquer sur quels faits il se base pour conclure que la présomption de l’article 28 de la loi s’applique et analyser si cette présomption simple est renversée; il n’a donc pas vidé la question qui lui est soumise commettant ainsi une erreur de droit.
[45] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que cette absence totale de motivation constitue un vice de fond donnant ouverture à la révision ou à la révocation de la décision rendue le 22 octobre 2012 et que la requête de l’employeur doit être accueillie. Étant donné cette conclusion, il n’est pas opportun d’analyser les autres vices de fond allégués par l’employeur.
[46] L’employeur demande au présent tribunal de réviser cette décision et de rendre la décision sur la foi de la preuve documentaire et de l’enregistrement de l’audience devant le premier juge administratif. La travailleuse demande plutôt qu’une nouvelle audience ait lieu.
[47] La soussignée estime qu’il y a lieu de révoquer la décision et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience, puisque l’employeur soulève la crédibilité de la travailleuse. Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire GFI Division de Société en commandite T & B et Ljubomir précitée, « Il est difficile d’apprécier la crédibilité d’un témoin sur la base d’un enregistrement ».
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision ou en révocation de la Ville de Brossard, l’employeur;
RÉVOQUE la décision rendue le 22 octobre 2012 par la Commission des lésions professionnelles;
CONVOQUERA les parties à une audience sur le fond de la contestation déposée par madame Graciala Guichon-Ferrazan, la travailleuse.
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Suzanne Séguin |
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M. Louis Bergeron |
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S.C.F.P. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Frédéric Poirier |
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Bélanger Sauvé |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[3] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[4] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.
[5] Voir notamment : Moschin et Communauté Urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860; Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix; Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.
[6] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. (C.A.).
[7] C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).
[8] Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).
[9] Boies et CSSS Québec-Nord, [2011] C.L.P. 42.
[10] PPG Canada inc. c. CALP, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).
[11] Hamel et EMCO ltée (Div. Distribution), C.L.P. 202914-63-0303, 15 décembre 2004, L. Boudreault.
[12] Cité de santé de Laval et Heynemand, C.L.P. 69547-64-95095, 26 octobre 1999, Anne Vaillancourt (99LP-160).
[13] C.L.P. 94865-72-9803, 7 février 2000, S. Mathieu.
[14] Emballage Workman inc. (Multisac) et Martinez, C.L.P. 141500-72-0006, 2 mai 2002, L. Landriault.
[15] Précitée, note 11.
[16] C.L.P. 310628-64-0702-R, 3 mai 2010, Alain Vaillancourt, révision rejetée, 2011 QCCLP 6486.
[17] C.L.P. 253799-71-0501-R, 9 août 2007, M. Zigby.
[18] C.L.P. 305121-62A-0612, 16 février 2009, Anne Vaillancourt.
AVIS :
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