Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 3 décembre 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 11782

Dossier  : SAS-Q-209221-1505

Devant les juges administratifs :

LOUISE NOLET

JACQUES BOULANGER

 

M… F…

Partie requérante

c.

RÉGIE DE L'ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]              Il s’agit d’un recours formé à l’encontre d’une décision rendue en révision par l’intimée, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), le 14 mai 2015, ayant pour effet de confirmer le refus d’autoriser la rhinoplastie.

[2]              À l’audience tenue le 5 novembre 2015, la requérante est présente et la RAMQ est représentée.

[3]              Appelée à préciser ce qu’elle recherche par son recours, la requérante demande que le Tribunal reconnaisse comme services assurés diverses chirurgies du visage à des fins de féminisation, dont la rhinoplastie.

[4]              Les faits sont les suivants.

[5]              Née avec une malformation congénitale[1], la requérante a dû subir un traitement chirurgical au niveau des organes génitaux.

[6]              Depuis son enfance, elle souhaite changer de sexe.

[7]              De sexe génétiquement masculin, la requérante souffre de dysphorie de genre qui s’est accentuée dans le temps, lui occasionnant des idées suicidaires, de l’insomnie, de l’angoisse et de l’anxiété.

[8]              Elle a été opérée pour un réassignement sexuel qui aurait bien réussi et elle est sous hormonothérapie. Depuis quelques années déjà, elle vit en femme à temps plein et s’affirme ouvertement, malgré les préjugés ou moqueries à son endroit.

[9]              Elle n’aime pas son visage car il a une apparence masculine. Elle souhaite subir différentes chirurgies afin de le féminiser. Parmi celles-ci, il y a la rhinoplastie.

[10]           Le 6 novembre 2014, le Dr Hugo Ciaburro signe un formulaire de demande d’autorisation en plastie pour que la RAMQ reconnaisse la rhinoplastie comme service assuré. Aucune autre chirurgie n’est mentionnée dans cette demande. Le médecin explique ainsi les limitations fonctionnelles psychologiques qui seraient corrigées par l’intervention demandée :

« Perturbation psychologique évidente chez une transexuelle qui exige plusieurs interventions pour féminiser son aspect. Je me limite quant à moi à l’opérer pour rhinoplastie. […] »

(Transcription conforme)

[11]           Cette demande sera refusée par la RAMQ, le 26 novembre 2014, indiquant que la rhinoplastie pour féminisation du visage n’est pas considérée comme un service assuré.

[12]           Le 29 décembre 2014, la RAMQ reçoit la demande de révision de cette décision

[13]           En appui à cette demande à la RAMQ, la requérante dépose une note du 13 avril 2015 de Dr Michel R. Campbell, psychologue, lequel l’avait déjà évaluée le 17 avril 2013 dans le cadre de sa demande de réassignation sexuelle d’homme à femme. Le Dr Campbell rencontre la requérante de nouveau le 8 avril 2015. Voici ce qu’il note :

« […] Il est évident qu’elle a un désarroi important eu égard à son visage. Je suis inquiet qu’elle passe à l’acte si on lui refuse la chirurgie faciale de féminisation. Elle est très anxieuse à l’idée qu’on lui refuse la chirurgie faciale de féminisation.

En résumé, je crois que la chirurgie faciale de féminisation aura pour effet de réduire sa souffrance psychologique, d’améliorer sa perception de soi et sa confiance en soi en plus d’augmenter son niveau de mieux-être. »

(Transcription conforme)

[14]           La demande de révision sera refusée par la RAMQ, d’où le présent recours.

[15]           À l’audience, la requérante témoigne avoir vécu des souffrances toute sa vie. Elle est fière maintenant de se présenter comme une femme. C’est dans sa nature et elle souhaite vivement un visage féminin au complet. Elle dit ne pas aimer son nez d’homme.

[16]           Elle prétend ne pas avoir été un homme normal et que son cas est unique. Elle recherche un soulagement avec la chirurgie envisagée et « veut du positif ». C’est une question de bien-être personnel selon son appréciation.

[17]           La RAMQ fait témoigner le Dr Bernard Sévigny, otorhinolaryngologiste et médecin consultant au service d’expertise conseil à la RAMQ.

[18]           À l’analyse de la demande, Dr Sévigny conclut que celle-ci vise simplement un but esthétique.

[19]           Pour appuyer ses prétentions, Dr Sévigny témoigne à l’effet qu’aucun trouble fonctionnel, tant physique que psychologique, n’est documenté dans le dossier ainsi que dans l’historique médical et le profil pharmacologique que détient la RAMQ à l’égard de la requérante. Cette dernière n’a aucun suivi psychologique ou psychiatrique régulier et sa condition nasale actuelle n’occasionnerait aucun trouble physique.

ANALYSE ET MOTIFS

[20]           Bien que la requérante demande au Tribunal de considérer comme service assuré l’ensemble des chirurgies requises pour la féminisation de son visage, le présent litige doit s’en tenir à la demande d’autorisation de la rhinoplastie du Dr Ciaburro, le Tribunal n’étant présentement pas saisi d’autres demandes de modifications esthétiques du visage exprimées par la requérante.

[21]           La présente demande d’autorisation n’a aucun lien avec l’autorisation de la chirur-gie de réassignation sexuelle que la requérante a subie. Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas eu à débourser pour sa chirurgie de réassignation sexuelle qu’il en sera automatiquement de même pour toutes les autres chirurgies de féminisation désirées, telle la rhinoplastie.

[22]           Le programme de réassignation sexuelle ne relève pas de la RAMQ. Les patients son dirigés vers un guichet unique à Montréal, à la suite d’une entente[2] intervenue en août 2009 entre le Centre hospitalier A et l’Agence de santé et des services sociaux A. Lorsque le patient est accepté dans ce programme, les coûts sont assumés par le ministère de la Santé et des Services sociaux, et non par la RAMQ.

[23]           Par contre, la chirurgie faciale, notamment la rhinoplastie, n’est pas couverte par cette entente. Elle relève alors de la RAMQ qui doit déterminer si cette chirurgie est requise médicalement et, conséquemment, si le service requis est assuré ou non.

[24]       Le présent recours relève de l’application de l’article 3 de la Loi sur l’assurance maladie[3], lequel établit les services dont le coût est assumé par la RAMQ :

« 3. Le coût des services suivants qui sont rendus par un professionnel de la santé est assumé par la Régie pour le compte de toute personne assurée, conformément aux dispositions de la présente loi et des règlements :

a) tous les services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical;

[…] »

(Nos caractères gras)

[25]           L’article 22 du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie[4] énumère les services qui ne sont pas considérés comme assurés :

« 22. Les services mentionnés sous cette section ne doivent pas être considérés comme des services assurés aux fins de la Loi:

[…]

c) tout service dispensé à des fins purement esthétiques. […] »

[26]           À la lumière des dispositions citées, il appert que les services qui sont requis médi-calement sont assurés et que leurs coûts sont ainsi assumés par la RAMQ. Par ailleurs, un service dispensé à des fins purement esthétiques ne constitue pas un service assuré.

[27]           Le Tribunal doit donc décider si la rhinoplastie demandée par la requérante est considérée comme un service assuré, c’est-à-dire un service requis médicalement.

[28]           Une rhinoplastie qui a pour but de corriger un problème fonctionnel documenté est considérée comme un service assuré.

[29]           Pour que l’intervention demandée soit considérée comme un service assuré, la requérante doit donc démontrer, par une preuve prépondérante, la présence de troubles fonctionnels justifiant une rhinoplastie. Outre ce lien, elle doit aussi démontrer que la chirurgie envisagée vise directement à régler les problèmes fonctionnels allégués. Les troubles fonctionnels peuvent être physiques ou psychologiques.

[30]           La requérante décrit très bien les problèmes psychologiques qu’elle vit, notamment lorsqu’elle n’a aucun maquillage, ainsi que les répercussions sur son comportement affectif.

[31]           Outre les prétentions de la requérante, le Dr Ciaburro parle également de limitations fonctionnelles psychologiques qui pourraient être réglées par la rhinoplastie. Il n’est aucunement fait mention de limitations fonctionnelles physiques. Si des limitations fonctionnelles évidentes avaient été diagnostiquées et documentées, il n’aurait d’ailleurs pas eu à demander d’autorisation à la RAMQ pour procéder à la chirurgie visée.

[32]           Ainsi en est-il de la lettre du Dr Campbell disant que la requérante vit un désarroi eu égard à son visage et qui vante les bienfaits qu’aurait une chirurgie faciale de féminisation.

[33]           Bien que ces divers arguments militent en faveur de l’utilité de la rhinoplastie, pris séparément ou encore mis ensemble, ils ne peuvent être retenus car ils ne sont pas corroborés par le dossier médical de la requérante. Également, ils ne sont pas documentés par les profils médical et pharmacologique de la requérante détenus par la RAMQ.

[34]           Dans ce dossier, il n’y a pas d’éléments pour supporter les limitations fonctionnelles psychologiques alléguées. La requérante n’a pas été prise en charge pour des problèmes psychologiques. Seules des consultations en psychiatrie ont eu lieu dans le cadre de la chirurgie pour réassignation sexuelle. De plus, aucune médication n’est prescrite à cet égard, la requérante ne prenant que du Synthroid et de l’Œstradiol.

[35]           La preuve documentaire soumise au Tribunal ne permet pas d’identifier un trouble fonctionnel pour lequel la rhinoplastie serait un traitement utile.

[36]           L’absence de suivi étroit, de psychothérapie ou de prise de médication rend improbable la présence d’un problème psychologique significatif avec des répercussions fonctionnelles importantes.

[37]           Le Tribunal est sensible aux difficultés psychologiques alléguées tant par la requérante que par le Dr Campbell.

[38]           Toutefois, à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut qu’il ne lui a pas été démontré, de façon prépondérante, que la condition de la requérante répond aux critères permettant de considérer que la rhinoplastie est requise pour des raisons médicales.

[39]           La décision en révision contestée est donc confirmée.


PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le recours.

 


 

LOUISE NOLET, j.a.t.a.q.

 

 

JACQUES BOULANGER, j.a.t.a.q.


 

ROUSSEAU VAILLANCOURT BUTEAU

Me Vincent Tardif

Procureur de la partie intimée


 



[1] Hypospadias avec hypogonadisme.

[2] Entente relative à la mise en place d’un guichet administrative pour les transsexuels, pièce I-1.

[3] RLRQ, chapitre A-29.

[4] RLRQ, chapitre A-29, r. 5.

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