Bartoul et RHDCC Direction travail |
2013 QCCLP 1428 |
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[1] Le 13 septembre 2012, madame Naziha Bartoul (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 7 août 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 mai 2012 suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 1er mai 2012 dans le cadre de l’événement survenu le 20 octobre 2010.
[3] À l’audience, seule la travailleuse était présente.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrégulier l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales ainsi que le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de la travailleuse doit être accueillie puisque le rapport du médecin désigné par la CSST n’a pas été, conformément à l’article 205.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), soumis au médecin qui a charge de la travailleuse.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal doit, dans un premier temps, déterminer si la procédure d’évaluation médicale est conforme à la loi ou s’il existe une irrégularité de nature à l’invalider. Le tribunal est d’avis que la requête de la travailleuse doit être accueillie puisque l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier. Les dispositions pertinentes de la loi relatives à la procédure d’évaluation médicale amorcée par la CSST sont les suivantes :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
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1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
[7] À la note évolutive du 26 mars 2012, l’agente de la CSST indique avoir reçu l’avis du médecin désigné en vertu de l’article 204 de la loi, le docteur Chaikou Bah. Elle précise aussi que puisqu’elle a déjà acheminé, le 16 décembre 2011, une demande d’information médicale au médecin traitant et que ce dernier n’a pas répondu, elle achemine directement le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Elle ne tente pas d’obtenir un rapport complémentaire du médecin traitant.
[8] La travailleuse a confirmé cette omission lors de son témoignage à l’audience. De plus, elle explique que l’agente d’indemnisation devait lui acheminer le rapport du docteur Bah afin qu’elle puisse le remettre à son médecin traitant. Or, elle a attendu le rapport pendant des semaines sans rien recevoir. Au lieu de recevoir le rapport du docteur Bah, elle a reçu l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale. Son médecin n’a jamais pu soumettre son opinion relativement au rapport du docteur Bah. Elle précise aussi qu’elle a reçu le rapport du docteur Bah uniquement le 2 mai 2012.
[9] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST n’a pas respecté la procédure prévue aux articles 205.1 et 215 de la loi, laquelle est essentielle. Ce défaut invalide le processus d’évaluation médicale. La CSST se devait d’acheminer le rapport du docteur Bah au médecin de la travailleuse, conformément à l’article 205.1 de la loi. Ce n’est que si le docteur Bah, dans les 30 jours de la réception du rapport, omet d’y répondre que la CSST peut acheminer le dossier au Bureau d’évaluation médicale, malgré l’absence d’un rapport complémentaire du médecin de la travailleuse.
[10] Dans l’affaire Laverdière et Hôpital de Montréal pour enfants[2], il a notamment été écrit :
[37] Il appert des faits que la première irrégularité soumise par la procureure de la travailleuse est justement l’omission de la CSST de transmettre copie du rapport du docteur Moïse au médecin qui a charge.
[38] Pourtant, l’article 215 de la loi énonce une obligation en ce sens. Tel que la jurisprudence3 sur le sujet l’a souvent souligné, les dispositions de l’article 215 de loi visent à favoriser la règle de la transparence dans les échanges de rapports médicaux entre les parties. De plus, le médecin qui a charge doit recevoir copie du rapport du médecin désigné de la CSST pour être en mesure d’y répondre, conformément aux dispositions de l’article 205.1.
[39] Or, l’article 205.1 de la loi constitue une étape préalable à la demande d’avis du Bureau d'évaluation médicale. Ainsi le rapportait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Domond et Alcatel Cable (Mtl-Est)4, qui précisait que l’article 205.1 crée une obligation pour la CSST de demander au médecin qui a charge un rapport complémentaire lorsqu’elle désire transmettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu’elle a obtenu en vertu de l’article 204 de la loi. L’article 205.1 vient consacrer et renforcer le principe de la primauté de l’opinion du médecin qui a charge qu’a voulu donner le législateur.
[40] Il est vrai que le médecin qui a charge n’a pas répondu à la demande de la CSST du 7 mars 2002 de produire un rapport final et de donner son avis sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Le silence du médecin qui a charge, à ce sujet, pourrait être interprété comme un refus de répondre. Cependant, on comprend des documents au dossier que c’est la condition médicale de la travailleuse, qu’il considère non consolidée, qui amène le médecin qui a charge à ne pas produire de rapport d’évaluation médicale.
[41] La Commission des lésions professionnelles estime que le silence du médecin qui a charge ne permet nullement de conclure que ce dernier avait renoncé à contredire le médecin désigné par la CSST ou à étayer ses conclusions.
[42] Dans une décision récemment rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Castonguay et Ministère des Anciens combattants5, le tribunal rappelle l’obligation de la CSST de tenter d’obtenir le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 de la loi, malgré, dans ce cas, l’absence du médecin qui a charge et ce, même si la travailleuse a consenti à la façon de faire de la CSST. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles conclut que le défaut de solliciter le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 est suffisant pour invalider l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[43] En raison des omissions de la CSST de se conformer aux dispositions de la loi quant à la procédure d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles conclut que cette procédure est irrégulière. Également, la décision rendue par la CSST le 5 juillet 2002 qui faisait suite à l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière et doit être annulée. Il en est de même pour la décision rendue le 10 octobre 2002 à la suite d’une révision administrative.
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3 Cegep de Jonquière et Vaillancourt, C.L.P. 100736-02-9805, 26 janvier 1999, P. Simard; Lemieux et Asbestos Eaman inc. et als, C.L.P. 149262-71-0010, 6 novembre 2001, D. Gruffy.
4 C.L.P. 156808-61-0103, 29 janvier 2002, L. Nadeau
5 C.L.P. 188243-62C-0207, 20 mai 2003, R. Hudon
[11] S’il est vrai que le médecin traitant n’a pas répondu à une demande d’information médicale de la CSST en décembre 2011, cette omission est antérieure au rapport du docteur Bah. La CSST ne pouvait utiliser cette omission en décembre 2011 pour conclure que le médecin traitant a renoncé à émettre son avis suite au rapport du médecin désigné par la CSST. L’omission de la CSST est suffisante pour invalider l’avis du Bureau d’évaluation médicale. De plus, la décision rendue le 7 août 2012 suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est aussi invalide et sans effet.
[12] Par conséquent, le dossier doit être retourné à la CSST pour qu’elle prenne les procédures appropriées et conformes aux dispositions prévues à la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Naziha Bartoul, la travailleuse;
DÉCLARE que l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale le 1er mai 2012 est irrégulier;
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 août 2012, à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’il y soit donné les suites appropriées dans le respect des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Sylvie Arcand |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] [2003] C.L.P. 1130 ; voir au même effet, Lazarevic et Brasserie Daniel Lapointe II, C.L.P. 355093-05-0808, 16 novembre 2009, F. Ranger; Roy et Action-Démolition HL inc., C.L.P. 323712-62A-0707, 2 juin 2009, S. Arcand; J… J… et Compagnie A, C.L.P. 422749-63-1010, B. Roy, 5 décembre 2011.