Fraternité des cadres agents de la paix des services correctionnels du Québec et Québec (Ministère de la Sécurité publique) |
2015 QCCFP 6 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER N°: |
1301341 |
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DATE : |
25 février 2015 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Me Nour Salah |
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FRATERNITÉ DES CADRES AGENTS DE LA PAIX DES SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC
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APPELANTE
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Et
MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
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INTIMÉ |
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DÉCISION |
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(Article 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1) |
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[1] Le 18 juin 2014, M. Claude Fiset, au nom de la Fraternité des cadres agents de la paix des services correctionnels du Québec (ci-après nommée la « Fraternité »), dépose cet appel devant la Commission.
[2] La Fraternité demande à la Commission d’intervenir et d’ordonner au ministère de la Sécurité publique (ci-après nommé le « MSP ») de verser l’indemnité afférente à l’article 4 de la Loi sur la fête nationale[1] (ci-après nommée la « LFN ») à tous les cadres agents de la paix œuvrant dans des établissements de détention, en congé le 24 juin 2013, ne l’ayant pas reçue. Le tout, conformément à leurs conditions de travail ainsi qu’à la LFN.
[3] Avant toute chose, il apparaît nécessaire à la Commission de faire un résumé des faits d’un précédent appel à propos duquel elle a déjà statué, le 19 décembre 2013[2], puisque le présent recours y est lié. Cela permettra d’avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation.
[4] MM. Dale Bond, Gaétan Dupuis et Daniel Thériault occupent des emplois de cadre dans des établissements de détention. Les trois appelants contestent, en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique[3] (ci-après nommée la « LFP »), la décision du MSP de refuser de leur verser, pour la journée du 24 juin 2013, une indemnité égale à 1/20 de leur salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin, en application de l’article 4 de la LFN. Les appelants étaient, conformément à leur horaire de travail, en congé à cette date.
[5] Le MSP fonde ce refus sur le fait que les montants réclamés par les appelants sont déjà inclus dans leur traitement annuel, comme stipulé dans la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres œuvrant en établissement de détention à titre d’agents de la paix à l’exclusion des directeurs des établissements de détention[4] (ci-après nommée la « Directive »).
[6] Dans sa décision, la Commission conclut que les trois appelants bénéficient d’un jour férié et chômé le 24 juin 2013 et qu’ils ne peuvent prétendre à une indemnité additionnelle en vertu de l’article 4 de la LFN, puisqu’elle est déjà incluse dans leur traitement.
[7] Insatisfaits, MM. Bond, Dupuis et Thériault portent cette décision en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Ils invoquent, notamment, que l’interprétation de la LFN est à l’extérieur du champ d’expertise spécialisé de la Commission.
[8] Lors de l’audience devant la Cour supérieure, le 14 mai 2014, celle-ci souligne que le Procureur général du Québec, agissant pour le MSP, déclare, dans un exposé des questions en litige, qu’il est disposé à donner droit à l’appel des requérants. Ainsi, la décision de la Commission est infirmée et la Cour supérieure ordonne, par un bref jugement[5], au MSP de verser aux trois requérants, pour la journée du 24 juin 2013, une indemnité égale à 1/20 de leur salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin, en application de l’article 4 de la LFN.
[9] MM. Bond, Dupuis et Thériault font partie de la Fraternité. La Fraternité est une personne morale sans but lucratif qui est constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels (RLRQ, c. S-40). Son mandat est de représenter et de négocier les conditions de travail et d’emploi de certains cadres œuvrant dans des établissements de détention. M. Claude Fiset en est le président provincial.
[10] Le 22 mai 2014, M. Claude Fiset, s’appuyant sur le jugement de la Cour supérieure, envoie au nom de la Fraternité, une lettre au MSP. Il demande : « Que tous les membres n’ayant pas reçu l’indemnité prévue à l’article 4 de la Loi sur la fête nationale pour le 24 juin 2013 soient dédommagés par le ministère ».
[11] Le 17 juin 2014, n’ayant toujours pas reçu de réponse à cette lettre, la Fraternité réitère par écrit sa demande au MSP.
[12] Le 18 juin 2014, le MSP transmet une réponse, adressée à M. Claude Fiset, concernant les demandes de la Fraternité. Le MSP compte se conformer intégralement à la décision de la Cour supérieure. Ainsi, il versera aux trois requérants, en congé le 24 juin 2013, l’indemnité prévue à l’article 4 de la LFN. De plus, il compte, dès le 24 juin 2014, verser l’indemnité de la fête nationale prévue à l’article 4 de la LFN, à tous les cadres agents de la paix œuvrant dans des établissements de détention, et ce, peu importe leur horaire. Cependant, il refuse de verser l’indemnité du 24 juin 2013 aux cadres qui ne sont pas identifiés dans le jugement de la Cour supérieure.
Le moyen préliminaire
[13] Lors de la conférence préparatoire tenue entre les parties et la Commission, le MSP déclare son intention de soulever un moyen préliminaire qui porte sur la prescription de l’appel de la Fraternité. Le MSP soutient que le délai de 30 jours prescrit par le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective[6] (ci-après nommé le « Règlement ») n’a pas été respecté par la Fraternité.
[14] Pour sa part, la Fraternité prétend avoir respecté le délai. Elle avance que c’est le délai de l’article 115 de la Loi sur les normes du travail[7] (ci-après nommée la « LNT ») qui s’applique. Cet article édicte qu’une action civile intentée en vertu de la LNT ou d'un règlement « se prescrit par un an à compter de chaque échéance ».
[15] De ce fait, c’est cette seule objection que la Commission analyse dans cette décision.
[16] Le matin de l’audience, le MSP précise qu’il souhaite soulever un autre moyen préliminaire, portant sur l’intérêt d’agir de la Fraternité. Ainsi, étant donné que seul le président de la Fraternité, M. Fiset, est signataire de l’appel, ce dernier ne serait validement déposé que pour M. Fiset et non pour tous les cadres que représente la Fraternité. Le MSP informe la Commission que l’argumentation sur ce second moyen préliminaire ne sera présentée que si la Commission rejette le moyen fondé sur la prescription. La Fraternité est en accord avec cette manière de procéder.
[17] Ainsi, la Commission accède à cette demande et fera abstraction de ce moyen préliminaire pour cette décision.
LES FAITS MIS EN PREUVE
[18] Les faits de cette cause sont assez simples et la Commission n’entend qu’un seul témoin, M. Fiset.
[19] Le MSP interroge M. Fiset par rapport à l’appel interjeté par M. Gaétan Dupuis devant la Commission, le 23 juillet 2013, et dont la Fraternité a reçu une copie conforme. Ce document était adressé à une sous-ministre associée du MSP. M. Dupuis lui demandait de corriger la situation et de lui verser l’indemnité pour la fête nationale à laquelle il estimait avoir droit.
[20] Par les réponses de M. Fiset, et ce, même s’il ne se souvient plus exactement de la date où il a été sollicité par M. Dupuis, il est établi qu’il était au courant de cette problématique bien avant le dépôt de l’appel de M. Dupuis devant la Commission. C’est même M. Fiset qui a déféré M. Dupuis à la procureure de la Fraternité, pour qu’elle le représente.
[21] Le MSP interroge ensuite le témoin concernant la lettre envoyée le 25 juillet 2013 par M. Jean-François Longtin, directeur général adjoint des services correctionnels. Cette lettre explique à M. Dupuis qu’il n’avait pas à recevoir une indemnité pour le jour de la fête nationale, puisqu’il n’avait pas travaillé ce jour-là. Il précise que, selon son horaire de travail, le nombre d’heures annuelles à travailler et à remettre tient compte des jours fériés dans le calcul.
[22] La Commission précise que la Fraternité s’oppose au dépôt de cette pièce en preuve. Elle allègue un manque de pertinence. Elle invoque que M. Dupuis n’est pas présent à cette audience et que la Fraternité n’est pas en copie conforme dudit document.
[23] Le MSP, quant à lui, prétend que cette pièce est pertinente, car elle faisait partie de la preuve déposée devant la Commission dans le premier appel. Sans oublier que les informations contenues dans cette lettre sont connues par la procureure de la Fraternité, qui agissait également comme procureure de M. Dupuis.
[24] La Commission, après analyse, rejette cette objection et soutient que cette pièce est pertinente au présent litige. Les deux appels étant étroitement liés, elle est même essentielle à la bonne compréhension de la trame des événements.
[25] Lorsque la Fraternité interroge son témoin, la Commission apprend que M. Fiset sait depuis au moins six ans que l’employeur refuse toujours de verser l’indemnité de la LFN aux cadres agents de la paix qui ont un horaire atypique et qui sont en congé le 24 juin. Cette problématique a souvent été abordée lors des rencontres du Comité de relations professionnelles, rencontres auxquelles prenaient part l’employeur et l’association.
[26] Le témoin clôt son témoignage en affirmant que, le 21 mai 2014, il a pris connaissance pour la première fois du jugement de la Cour supérieure rendu le 14 mai 2014. Ce dernier lui a été transmis par la procureure de la Fraternité.
L’ARGUMENTATION
du MSP
[27] Pour le MSP, l’événement donnant ouverture au litige et constituant le début du délai de 30 jours, prévu à l’article 3 du Règlement, est la réception du relevé de paie par les cadres, en date du 27 juin 2013.
[28] La Fraternité est informée, officiellement, le 23 juillet 2013, qu’au moins un cadre fera appel afin d’obtenir l’indemnité relative à la LFN, puisqu’elle reçoit en copie conforme l’appel de M. Gaétan Dupuis déposé devant la Commission. Dès lors, il était loisible, à la Fraternité, de faire appel. Tous les autres cadres qui estimaient avoir droit à une indemnité auraient également pu faire appel. Or, rien n’a été fait et l’appel de la Fraternité, formé le 18 juin 2014, est manifestement prescrit.
[29] À l’appui de ces prétentions, le MSP cite les auteurs Lemieux et Issalys[8] qui indiquent qu’un tribunal administratif est un tribunal qui n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Ainsi, la Commission, en tant que tribunal statutaire, a l’obligation de respecter les règles de procédure concernant un appel édictées par la LFP et, par ce fait même, d’appliquer les prescriptions de l’article 127 de la LFP.
[30] Cet article édicte que le gouvernement prévoit par règlement les matières sur lesquelles un fonctionnaire non syndiqué peut faire appel, et ce, s’il ne dispose pas d’autre recours valable en vertu de la Loi. L’article 2 du Règlement, adopté en application de l’article 127 de la Loi, expose les matières d’appel, dont au paragraphe 3, les décisions prises en vertu de la Directive.
[31] L’article 3 du Règlement, quant à lui, traite de la procédure introductive d’un appel logé en vertu de cette Directive et prévoit que celui-ci doit être formé « dans les 30 jours de l’événement qui y donne ouverture ». Ce délai est de rigueur.
[32] Le MSP estime que le délai d’un an de l’article 115 de la LNT ne peut s’appliquer au présent cas. En effet, si le législateur avait voulu qu’un délai différent de celui du Règlement s’applique, il l’aurait expressément prévu, à l’instar du délai dévolu à la Commission en matière de harcèlement psychologique[9]. Ce délai de 90 jours est inscrit à l’article 123.7 de la LNT et s’applique à une plainte de harcèlement psychologique, devant la Commission, de par l’article 81.20 de la LNT.
[33] Aussi, le MSP souligne la décision TUAC, section locale 500 et Provigo Distribution inc.[10] qui démontre que l’article 115 de la LNT n’est pas d’ordre public et qu’il ne peut être invoqué afin de faire échec aux délais de prescription énoncés dans une convention collective ou bien au Code du travail[11].
[34] Le MSP mentionne également la décision Portes et fenêtres Chanteclerc inc. et Union internationale des opérateurs-ingénieurs, section locale 772[12]. Elle énonce que lorsqu’un délai pour déposer un recours est contenu dans une convention collective, il faut toujours s’y référer et passer par la procédure de grief ou d’arbitrage qui y est contenue ou, à défaut, par celle supplétive du Code du travail.
[35] D’autres dates significatives sont présentées par le MSP. Ces dates auraient pu être considérées et acceptées par le MSP en tant qu’événement permettant à la Fraternité de présenter un recours devant la Commission, sans que le MSP n’invoque la prescription.
[36] Le MSP réitère qu’étant donné la connaissance de M. Fiset et de la Fraternité de l’ensemble de la situation, c’est leur inaction qui a permis la prescription du présent appel. Le MSP estime que la Fraternité aurait, à tout le moins, pu déposer un recours, beaucoup plus tôt, afin de protéger les droits de tous les cadres concernés. Elle avait la possibilité de le faire, d’autant plus que MM. Dupuis, Thériault et Bond ont interjeté appel en respectant le délai prescrit par le Règlement.
[37] De plus, ajoute le MSP, si la Commission accepte le dépôt de cet appel, cela irait à l’encontre des règles de stabilité juridique. En effet, cela serait aussi absurde que de permettre à un employé, trois ans après la réception de son relevé de paie, d’envoyer une lettre à l’employeur et de lui demander de se repositionner sur le droit allégué, pour que le délai recommence à courir.
[38] Il est important de comprendre que chaque relevé de paie, visant un 24 juin, est une décision en soi et constitue le point de départ de la prescription, c’est-à-dire le jour où le droit d’action a pris naissance. Le MSP illustre ses dires par la décision Syndicat de la Fonction publique et parapublique du Québec et Québec (Gouvernement du)[13] concernant le point de départ de la prescription :
Comme l’auteure Céline Gervais le souligne, la détermination du point de départ de la prescription est une question mixte de faits et de droit et peut conduire à une grande variété de décisions :
« La détermination du point de départ de la prescription, question fondamentale s’il en est une, offre les plus grands défis et amène également la plus grande diversité de réponses, parce qu’elle est intimement liée au fait de chaque cause. Cela amène évidemment une certaine difficulté à en condenser les règles d’application. Le Code civil nous offre cependant quelques règles de base, qui semblent peu complexes de prime abord, et qui sont fondées sur des considérations logiques. En premier lieu, il faut retenir que le point de départ de la prescription débute au jour où le droit d’action a pris naissance. […] [[14]] »
[39] Le MSP cite aussi l’extrait suivant de la décision Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec[15] :
[…] l’arbitre Gilles Desnoyers décida que le point de départ est le versement de la paie correspondant à la violation alléguée et de surcroit que le Syndicat ne pouvait prétendre que la réponse de l’Employeur pouvait constituer l’événement qui donne naissance à un grief de cette nature […].
[40] Le MSP clôt son argumentation en rapportant ce passage, tiré du paragraphe 32 de cette même décision :
[…] comme le souligne l’arbitre Germain Jutras, « on ne peut faire revivre un grief abandonné par le mécanisme de faire répéter à l’employeur la décision qu’il a déjà prise et communiquée. Le prononcé du maintien d’une décision antérieure ne constitue pas un nouvel événement contre lequel il y a lieu de faire grief. » [[16]] […] Elle avait toute l’information pour faire valoir ses droits et elle ne peut, vu la nature de la réclamation, la faire revivre en invoquant des réponses fournies ultérieurement d’autant plus qu’elle aurait pu agir pendant la période litigieuse et aurait dû le faire selon la convention collective.
de la Fraternité
[41] D’entrée de jeu, la Fraternité souhaite répondre à certains arguments soulevés par le MSP.
[42] La Fraternité estime que les nombreux pourparlers, au sujet de l’indemnité de la fête nationale, entre l’association et l’employeur, pourparlers qui durent depuis les six dernières années, ont eu pour conséquence de rendre le droit incertain et litigieux. Avec le jugement de la Cour supérieure, en mai 2014, le droit devient enfin clair. Leur créance devient liquide et exigible et leur droit d’action s’ouvre par la même occasion.
[43] Ainsi, lorsque le 22 mai 2014, M. Fiset envoie une lettre à l’employeur et lui demande de payer les cadres n’ayant pas reçu cette indemnité pour le 24 juin 2013, son but est simple. Il souhaite que le MSP se conforme au jugement de la Cour supérieure. Il est donc faux de prétendre, comme le fait le MSP, que le but de la Fraternité est de redemander au MSP de se repositionner, afin que le délai de prescription puisse recommencer à courir.
[44] La Fraternité ajoute que les décisions citées par le MSP diffèrent des faits du présent litige. Ces décisions traitent toutes de litiges dont l’essence et le fondement émanent de la convention collective. Il est vrai que l’événement créateur de droit, dans ces décisions, est la date du relevé de paie.
[45] La Fraternité ajoute que savoir si l’article 115 de la LNT est une disposition d’ordre public[17] n’est pas pertinent au présent débat. Ainsi, ce qu’il est important de retenir c’est le fait que lorsqu’un litige émane directement d’une convention collective ou d’une directive, alors oui, il faut appliquer le délai du Règlement ou de la convention collective. Or, dans cet appel, la Fraternité souhaite que soit respecté l’article 4 de la LFN et que soit versée, à ses membres, cette indemnité. Le fondement de cet appel trouve son essence dans la LFN et non dans la Directive, d’où l’application de l’article 115 de la LNT comme délai de prescription.
[46] La Fraternité poursuit alors en présentant à la Commission les principaux arguments qui justifient, selon elle, de retenir le délai de prescription de l’article 115 de la LNT.
[47] Elle cite trois décisions de la Cour d’appel du Québec[18], dont deux datant des années 1980. Ces décisions ont pour sujet le remboursement de l’indu qui est soumis aux règles du droit commun. Il s’agissait de déterminer si l’arbitre de grief avait agi à l’intérieur de sa compétence en statuant que, dans un cas de réclamation de montants versés en trop par l’employeur, le délai de prescription applicable, soit six mois, était celui de l’article 71 du Code du travail préconisé par la convention collective. La Cour d’appel répond que l’arbitre a rendu une décision manifestement déraisonnable, car il avait cherché à décider à l’intérieur des clauses de la convention collective d’une question qui n’en découlait pas. Ainsi, ce sont les règles du droit commun qui s’appliquent, soit l’article 1047 du Code civil du Bas-Canada qui prévoit un délai de prescription de trois ans.
[48] La Fraternité mentionne alors la décision Kruger[19], dans laquelle l’arbitre rejette les prétentions du syndicat et décide que le fondement du litige étant basé sur la convention collective, la période visée doit se calculer en fonction de la convention collective et non en fonction de l’article 115 de la LNT :
Pour ma part, j’estime inexact d’affirmer, comme l’a fait le syndicat, « que le fondement du grief n’est pas la convention collective, mais bien la Loi sur les normes du travail ».
Dans son grief, le syndicat n’a invoqué la Loi sur les normes du travail que pour soutenir que l’exclusion du dimanche que l’on trouve au paragraphe 14.11 de la convention collective est illégale, et donc nulle de nullité absolue, puisqu’elle contrevient aux articles 52 et 55 de ladite loi, qui est d’ordre public.
Ce que le syndicat réclame, mais sans le dire explicitement, c’est donc l’application du paragraphe 14.11 de la convention collective tel qu’il devrait apparaître une fois corrigé par l’application des articles 52 et 55 de la Loi sur les normes du travail.
Or, comme on l’a déjà vu, j’ai fait droit à cette prétention syndicale.
Dès lors, le recours aux articles 52 et 55 de la Loi sur les normes du travail n’a pour conséquence que de retrancher du paragraphe 14.11 l’expression « le dimanche exclu », laissant ainsi à ce qu’il reste de cette disposition, la portée nécessaire pour faire droit au grief.
Je souligne de plus qu’une fois retranchés les mots « le dimanche exclu », le paragraphe 14.11 de la convention collective est plus généreux que la loi, puisqu’il prévoit que « les jours de vacances et les congés mobiles d’un réserviste sont calculés comme des jours travaillés dans sa cédule de travail », ce qui signifie que l’employeur doit en tenir compte aux fins du calcul des heures supplémentaires et ce qui démontre bien que le grief découle de la convention collective, et non de la loi.
Dès lors, puisque le grief découle d’une disposition de la convention collective, la période visée par la réclamation doit se calculer en fonction du paragraphe 27.13 de la convention collective, et non en fonction du paragraphe 115 de la Loi sur les normes du travail.
[49] Pour la Fraternité, le présent appel diffère de la décision Kruger. Elle soutient que la Directive ne contrevient pas à la LFN. Elle réitère qu’elle ne souhaite pas de correction ou de réparation à la Directive. Son seul vœu est que ses membres reçoivent l’indemnité prévue à la LFN.
[50] La Fraternité poursuit son raisonnement en citant l’article 17.1 de la LFN qui édicte que :
Pour l'application de la présente loi, l'article 5 et les articles 98 à 123 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.
Ainsi, à la lecture de cet article, il est tout à fait logique que l’article 115 de la LNT, article de procédure prescrivant un délai d’une année, trouve application au présent appel.
[51] La Fraternité cite alors l’arrêt O’Leary[20] :
Ainsi, qu'il est indiqué dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro[[21]], rendu simultanément, les tribunaux ne sont pas compétents pour connaître d'un litige qui découle de la convention collective, sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel qu'ont les tribunaux de compétence inhérente d'accorder une réparation que la procédure d'arbitrage d'origine législative ne prévoit pas. Pour déterminer si une affaire découle ou non de la convention collective, il faut prendre en considération l'essence du litige et des dispositions de la convention collective. Considéré dans son essence, le litige opposant les parties en l'espèce résulte de la convention collective. Bien que la négligence dont un employé pourrait faire preuve dans le cadre de son travail ne soit pas mentionnée explicitement dans la convention, cette négligence en relève implicitement. La convention collective reconnaît l'obligation de l'employé de garantir la sécurité et la fiabilité des biens et de l'équipement de l'employeur. On peut en inférer qu'elle confère à l'employeur le droit corrélatif d'intenter une action pour manquement à cette obligation. Elle impose également à l'employeur l'obligation d'exercer ses droits en conformité avec la convention collective; implicitement, il doit avoir recours à la procédure d'arbitrage exhaustive établie par la Loi et que la convention collective reconnaît comme étant l'unique recours possible. Puisque le tort allégué par l'employeur découle de la convention collective, il s'ensuit que la mesure disciplinaire qu'il engendre relève également de la convention. Celle - ci prévoit par ailleurs que l'employeur peut obtenir réparation par voie d'arbitrage.
[52] La Fraternité insiste également sur une décision qui s’appliquerait, selon elle, parfaitement aux faits de ce litige. Ainsi, la décision Fraternité des policiers et policières de St-Hubert[22] semble faire une distinction entre le fait qu’une créance soit reconnue ou non par le débiteur et le délai de prescription qui lui serait alors applicable :
Le procureur de la Fraternité a souligné qu'il n'y avait pas d'aveu, en l'espèce, quant à l'existence d'une dette exigible, tout comme dans l'affaire Commission scolaire Manicouagan[[23]], et à la différence de la situation qui avait prévalu, dans l'affaire Commission scolaire de La Mitis[[24]].
[…]
Bien que l'existence de la dette n'ait pas été admise par les plaignants, à l'instance, ces derniers ne peuvent opposer à l'employeur une contestation raisonnablement fondée sur la convention collective; en effet, leurs prétentions à un cumul des prestations d'assurance-salaire et des indemnités de la SAAQ ont été rejetées par la sentence du 2 mai 2000.
La récupération des sommes dues ne faisait plus appel à l'analyse de la convention collective. La créance de la Ville, contre chacun des plaignants, est devenue certaine et exigible le 2 mai 2000 :
- la créance était exigible et liquide, en ce que son existence n'était plus contestable, compte tenu de la sentence S-12 ;
- la créance était certaine, car le montant de l'indu pouvait aisément être déterminé.
Comme cette créance porte sur des sommes d'argent payées indûment, la Ville peut en réclamer le paiement par voie d'action civile, selon le délai de prescription établi à l'article 2925 du Code civil.
[53] Ainsi, même si le MSP refuse de payer ou n’admet pas la dette, il ne peut opposer l’application du délai du Règlement qui est lié à la Directive, car la récupération de cette somme ne fait plus appel à son analyse. Cette créance est née et exigible et elle porte sur une somme d’argent, ainsi le délai à appliquer ne serait pas celui prescrit par la Directive. La créance est devenue liquide et exigible le 21 mai 2014, lorsque M. Fiset a pris connaissance du jugement de la Cour supérieure.
[54] La Fraternité ajoute que l’article 119 de la LFP accorde à la Commission tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence; elle peut notamment rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit. La Commission peut donc utiliser sa compétence pour privilégier le délai de prescription, d’un an, de la LNT.
[55] La Fraternité rappelle les événements importants entourant l’appel :
· lettre, du 22 mai 2014, de la Fraternité des cadres agents de la paix au MSP pour exiger le paiement de l’indemnité du 24 juin 2013;
· courriel, du 17 juin 2014, de M. Fiset à l’employeur, car il n’a toujours pas reçu de réponse;
· décision de l’employeur, le 18 juin 2014, qui refuse le paiement aux cadres de l’indemnité de la fête nationale pour l’année 2013;
· appel déposé, le 18 juin 2014, devant la Commission.
[56] Elle soutient alors que, même si la Commission rejette le délai de prescription de l’article 115 de la LNT, elle a tout de même respecté le délai de prescription de 30 jours édicté par le Règlement. En effet, dans ce cas-ci, l’événement dont il faut tenir compte est le jour où l’employeur répond à M. Fiset, le 18 juin 2014. En conséquence, l’appel à la Commission déposé le jour même n’est pas prescrit.
[57] Elle prétend cela en s’appuyant sur la décision Bertrand, rendue par la Commission, qui traite de prescription[25]. Dans cette décision, l’événement créateur de droit est la date où l’employeur rend sa décision et non la réception du relevé de paie par l’appelante.
[58] Ainsi, la Fraternité considère qu’elle est justifiée d’invoquer à son tour la décision de l’employeur, du 18 juin 2014, comme autre événement pouvant donner ouverture au litige.
[59] Finalement, la Fraternité plaide que le jugement de la Cour supérieure doit s’appliquer à l’ensemble des cadres. Ainsi, ceux qui ne reçoivent pas l’indemnité du 24 juin 2013 sont victimes de discrimination en vertu de l’article 19 de la Charte des droits et libertés de la personne[26]. Aurait-il fallu déposer 275 plaintes individuelles pour chacun des cadres, s’interroge-t-elle? Cependant, la Fraternité n’explicite pas, outre mesure, cet argument, sauf en rappelant que la Commission, en vertu de l’article 119 de la LFP, a le pouvoir de statuer sur cette question.
[60] La Fraternité répète que peu importe le délai de prescription retenu par la Commission, celui de l’article 115 de la LNT ou celui du Règlement qui est lié à la Directive, son appel n’est pas prescrit.
[61] Elle invite donc la Commission à appliquer la décision Bertrand[27] et à retenir la réception de la réponse de l’employeur comme évènement, soit le 18 juin 2014, si elle juge que la Directive devrait prévaloir. Si, par contre, la Commission estime que le fondement du litige repose d’abord sur la LFN, alors la décision Fraternité des policiers et policières de Saint-Hubert[28] devrait être suivie et la Fraternité invite la Commission à appliquer le délai de l’article 115 de la LNT et à retenir la réception du jugement de la Cour supérieure par M. Fiset, soit le 21 mai 2014, comme événement.
Réplique du MSP
[62] Le MSP réfute les jugements cités par la Fraternité, car ils sont obsolètes et que l’état du droit a drastiquement changé depuis les vingt dernières années. Aujourd’hui, il est rare, pour ne pas dire impossible, de retrouver des jugements où les délais de prescription du droit commun ont préséance sur les délais de prescription de la convention collective.
[63] Il est établi par la jurisprudence que s’il est possible de rattacher le litige à une matière que l’on retrouve dans la convention collective, alors le délai de prescription de la convention collective a préséance. Le MSP demande ainsi à la Commission d’écarter les jugements de la Cour d’appel cités par la Fraternité qui relèvent d’un droit ancien.
[64] Aussi, le MSP souligne que la Commission a rendu sa première décision, le 19 décembre 2013, en s’appuyant sur la Directive étant donné que l’indemnité du 24 juin prévue dans la LFN fait partie intégrante des conditions de travail des cadres agents de la paix.
[65] Par ce fait, il suggère à la Commission d’appliquer la décision Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales[29] où la Commission analyse la manière de concevoir des conditions de travail qui ne sont pas explicitement prévues dans des conventions collectives. Ainsi, dès qu’il est possible de rattacher des conditions de travail à la convention collective, cette dernière s’applique.
[66] Finalement, le MSP précise qu’il est vrai que la créance est devenue liquide et exigible, mais uniquement pour les trois personnes citées dans le jugement de la Cour supérieure. Le dispositif de ce jugement ordonne de « verser au[x] requérant[s] », seuls eux sont visés. De plus, la Fraternité n’est pas requérante.
Supplique de la Fraternité
[67] La procureure de la Fraternité prétend que justement la Cour supérieure a révisé la décision de la Commission puisque cette dernière n’avait pas compétence pour la rendre. Cette décision était fondée sur la Directive, alors que l’essence du litige se trouve dans la LFN.
[68] Elle rétorque au MSP que c’est par le jugement de la Cour supérieure que le droit de créance est né pour les cadres agents de la paix, et que cela donne à la Fraternité le droit de faire une réclamation au nom de l’ensemble des cadres concernés.
LES MOTIFS DE LA COMMISSION
[69] L’appel de la Fraternité a pour objet le paiement de l’indemnité de la fête nationale, pour l’année 2013, à l’ensemble des cadres agents de la paix qui étaient en congé le 24 juin 2013. Or, selon la compréhension de la Commission, ce qui est réellement demandé par la Fraternité est d’étendre les effets du jugement de la Cour supérieure rendu pour MM. Dale Bond, Gaétan Dupuis et Daniel Thériault à tous ces cadres.
[70] Il a été admis que le MSP doit verser l’indemnité de la fête nationale pour l’année 2013 aux trois cadres visés par ce jugement et qu’il versera, dès 2014, cette indemnité à tous les cadres agents de la paix.
[71] Évidemment, avant de poursuivre l’examen de cet appel et de statuer sur le fond du dossier, la Commission doit décider si l’appel de la Fraternité est prescrit. La Commission devra ainsi répondre aux deux questions suivantes :
· Quel est le délai de prescription applicable à cet appel, celui de la LNT ou bien celui prescrit par le Règlement?
· Quelle est la date de l’événement qui donne ouverture au droit d’action de cet appel?
[72] Pour ce faire, la Commission étudie le cadre normatif, le droit invoqué par les parties et la jurisprudence appropriée.
[73] Avant d’effectuer cette analyse, la Commission se doit de rectifier un argument avancé par la Fraternité. Ainsi, lorsque cette dernière prétend que la Cour supérieure a renversé la décision rendue par la Commission[30], le 19 décembre 2013, par défaut de compétence, la Commission est en désaccord et ne voit pas quelle partie du jugement de la Cour supérieure permet à la Fraternité d’affirmer cela.
[74] La Commission reproduit dans son intégralité le jugement de la Cour supérieure[31] :
[1] Les requérants demandent la révision judiciaire d'une décision de la Commission de la fonction publique rendue par la commissaire Me Louise Caron le 19 décembre 2013.
[2] Dans un exposé des questions en litige le Procureur général du Québec agissant pour le Ministère de la sécurité publique déclare que le Ministère de la sécurité publique est disposé à donner droit à l'appel des requérants.
[3] CONSIDÉRANT cette déclaration du Ministère de la sécurité publique.
[4] CONSIDÉRANT l'arrêt Montréal Standard c. Middelton[].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[5] RÉVISE la décision de la Commission de la fonction publique du 19 décembre 2013 ;
[6] Ordonne au Ministère de la sécurité publique de verser au requérant l'indemnité prévue à l’article 4 de la Loi sur la Fête Nationale[…] ;
[7] LE TOUT, sans frais.
[75] Cela étant dit, la Commission poursuit et cite les articles 127 de la LFP et 2 et 3 du Règlement pour une meilleure compréhension de la décision :
LFP
127. Le gouvernement prévoit par règlement, sur les matières qu'il détermine, un recours en appel pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective et qui ne disposent d'aucun recours sur ces matières en vertu de la présente loi.
Ce règlement établit, en outre, les règles de procédure qui doivent être suivies.
La Commission de la fonction publique entend et décide d'un appel. Le paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 116, en ce qui concerne les règles de procédure, ne s'applique pas à cet appel.
Règlement
2. Un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d'une décision rendue à son égard en vertu des directives suivantes du Conseil du trésor, à l'exception des dispositions de ces directives qui concernent la classification, la dotation et l'évaluation du rendement sauf, dans ce dernier cas, la procédure relative à l'évaluation du rendement:
[…]
3° la Directive concernant l'ensemble des conditions de travail des cadres œuvrant en établissement de détention à titre d'agents de la paix à l'exclusion des directeurs des établissements de détention;
[…].
3. Le recours d'un fonctionnaire est formé par la transmission d'un avis écrit au sous-ministre ou au dirigeant de l'organisme dans les 30 jours de l'événement qui y donne ouverture. Ce délai est de rigueur.
Le fonctionnaire doit aussi transmettre une copie de cet avis à son supérieur immédiat ainsi qu'à la Commission de la fonction publique.
L'avis doit être signé par l'appelant et contenir son nom, son adresse, sa classe d'emplois, la mention de la directive sur laquelle se fonde son recours, ainsi qu'un exposé sommaire des faits, des motifs invoqués et des conclusions recherchées. Il est accompagné, le cas échéant, d'une copie de la décision faisant l'objet de l'appel.
[76] Maintenant, la Commission met en exergue les articles de la LFN et de la LNT présentés par la Fraternité pour soutenir son argumentation. Les articles pertinents sont les suivants :
LFN
4. L'employeur doit verser au salarié une indemnité égale à 1/20 du salaire gagné au cours des quatre semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin, sans tenir compte des heures supplémentaires. Toutefois, l'indemnité du salarié rémunéré en tout ou en partie à commission doit être égale à 1/60 du salaire gagné au cours des 12 semaines complètes de paie précédant la semaine du 24 juin. […]
17.1. Pour l'application de la présente loi, l'article 5 et les articles 98 à 123 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.
LNT
115. Une action civile intentée en vertu de la présente loi ou d'un règlement se prescrit par un an à compter de chaque échéance. […]
[77] Le délai de prescription que privilégie la Fraternité repose sur la théorie suivante : le fondement et l’essence de ce litige ne proviennent pas de la Directive. La Fraternité n’exige ni correction, ni réparation en vertu de la Directive. Leur créance est devenue liquide et exigible lorsque la Cour supérieure a rendu son jugement ordonnant le paiement de l’indemnité de l’article 4 de la LFN. Conséquemment, le litige étant issu de la LFN, le délai de prescription devrait se calculer selon l’article 115 de la LNT.
[78] La Commission n’adhère pas à l’argumentation de la Fraternité. La Commission constate que le droit est clair. En effet, l’appel de la Fraternité est déposé en vertu de l’article 127 de la LFP. Cet article prescrit que c’est le Règlement qui détermine les matières sur lesquelles un recours en appel peut être interjeté pour les fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective. Ce Règlement donne droit au fonctionnaire qui se croit lésé d’en appeler d'une décision rendue à son égard en vertu de certaines directives qui y sont identifiées. La Directive concernant les cadres agents de la paix y est expressément nommée.
[79] De plus, ce Règlement prescrit les règles de procédure; et l’une d’entre elles impose au fonctionnaire de déposer son appel dans un délai de 30 jours de l’événement créateur du recours. Ainsi, la Commission ne voit pas comment on peut prétendre utiliser un autre délai que celui du Règlement.
[80] La Commission retient l’argumentation présentée par le MSP et adhère aux auteurs Lemieux et Issalys[32] qui expriment le fait qu’un tribunal administratif est un tribunal qui n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Ainsi, il dépend de la loi qui le constitue et des autres lois qui lui attribuent compétence. Par ce fait, la Commission a l’obligation de respecter les règles de procédure, concernant un appel, édictées par la LFP et, par ce fait même, d’appliquer les prescriptions de l’article 127 de la LFP et du Règlement adopté en vertu de cette disposition.
[81] Pour la Commission, il est clair que si le législateur avait voulu qu’un autre délai soit utilisé, il l’aurait spécifié, à l’instar de l’article 81.20 de la LNT qui prévoit le délai pour déposer un appel en matière de harcèlement psychologique, en référant à l’article 123.7 de la LNT :
81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.
[…]
Les dispositions visées au premier alinéa sont aussi réputées faire partie des conditions de travail de tout salarié nommé en vertu de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) qui n'est pas régi par une convention collective. Ce salarié doit exercer le recours en découlant devant la Commission de la fonction publique selon les règles de procédure établies conformément à cette loi. La Commission de la fonction publique exerce à cette fin les pouvoirs prévus aux articles 123.15 et 123.16 de la présente loi.
123.7. Toute plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique doit être déposée dans les 90 jours de la dernière manifestation de cette conduite.
[82] Il est faux de prétendre que la Commission doit appliquer le délai d’un an, en soutenant, comme le fait la Fraternité, que le fondement du litige se trouve dans la LFN et non dans la Directive. Pour la Commission, ce conflit découle, à priori, de la Directive et porte sur les conditions de travail des cadres agents de la paix. La jurisprudence est claire à ce sujet. D’ailleurs, la Commission s’est déjà prononcée à cet égard[33] :
[61] La doctrine nous enseigne[[34]] qu’une condition de travail comprend tout ce qui a trait à l’emploi, tant sur le plan individuel que collectif, dont les droits et obligations du salarié et de l’employeur. La Commission adhère à l’interprétation large du mot « salaire ou rémunération » qui inclut les heures supplémentaires. Il ressort clairement que l’élément salaire fait partie d’une condition de travail négociée dans une convention collective.
[62] Il faut également examiner comment les tribunaux ont appliqué ces principes. L’affaire Weber décidée par la Cour suprême applique le critère suivant pour déterminer si l’arbitre de grief est compétent. Ainsi, il faut que le litige, dans son essence, relève de l’interprétation, de l’application, de l’administration ou de l’inexécution d’une convention collective[[35]].
[83] Pour la Commission, le paiement de l’indemnité prévue à la LFN est rattaché à la Directive et fait partie intégrante des conditions de travail des cadres agents de la paix représentés par la Fraternité. La Commission est d’avis que la nature du litige relève dans son essence de la Directive, et que ce rattachement se trouve à l’article 132 de la Directive :
132. Le présent chapitre s’applique uniquement au cadre visé au sixième alinéa de l’article 27 et dont la semaine régulière de travail comporte 5 jours de travail du lundi au vendredi inclusivement. Quant au cadre assujetti à un autre horaire, les jours fériés et chômés sont considérés être pris à même les jours de congé prévus à sa séquence de jours de travail et de jours de congé.
[84] De plus, l’article 129 de la Directive détermine que les 13 jours énumérés à l’annexe 3 sont des jours fériés et chômés sans réduction du traitement, des primes, des allocations, des indemnités, de la rémunération additionnelle et des montants forfaitaires. Il va sans dire qu’à l’annexe 3, le 24 juin est nommé.
[85] La Fraternité avance que la Commission en vertu de l’article 119 de la LFP a le pouvoir d’emprunter à la LNT le délai d’un an et de l’appliquer à ce litige. Certes, la Commission est en accord qu’en vertu de l’article 119 de la LFP, elle dispose des pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence; et qu’elle peut notamment rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider toute question de fait ou de droit.
[86] Au fait, cet article est le pendant, pour la Commission, d’une disposition prévoyant les pouvoirs de l’arbitre de grief[36]. Ainsi, même devant une convention collective silencieuse ou incomplète, les tribunaux n’ont pas remis en question la compétence de l’arbitre de grief, lorsque le litige est relié dans son essence à l’application d’un contrat de travail ou d’une convention collective[37]. Dans ce cas, l’arbitre de grief a le pouvoir d’interpréter la convention collective et d’appliquer les dispositions de lois, comme la LNT, puisqu’il ne peut accorder une indemnité inférieure à celle prévue à la norme d’ordre public.
[87] Cependant, la Commission rejette le fait que, pour exercer ce pouvoir, elle choisisse, de manière discrétionnaire ou arbitraire, des délais de prescription issus d’autres lois, alors que le Règlement contient déjà un délai qui ne soutient aucune autre interprétation et dont l’application est constante et non controversée.
[88] Ainsi, pour la Commission, il ne fait aucun doute que l’essence de ce litige se trouve dans la Directive et que le délai de l’article 115 de la LNT doit être écarté.
[89] La Commission ajoute que cet article n’est pas une norme d’ordre public. En effet, le délai de la LNT n’est qu’une règle de procédure propre aux recours de la Commission des normes du travail et la Commission n’a pas à appliquer ce délai au présent appel.
[90] Ainsi, la Commission souscrit à la décision citée par le MSP[38] et concluant que conformément à la théorie de la hiérarchie des sources de droit établie par la Cour suprême, la procédure de grief constitue le recours approprié lorsqu'une disposition de la convention collective va à l'encontre d'une norme d'ordre public. Ainsi, le salarié en probation qui n'a pas droit à la procédure de grief peut y recourir s'il allègue une contravention à une norme d'ordre public en invoquant l'abus de droit, la discrimination, l'arbitraire ou la mauvaise foi. La Cour supérieure ajoute qu’elle ne croit, cependant pas, que l'arbitre était tenu d'appliquer la prescription prévue à l'article 123.4 LNT. Bien qu'il ait compétence afin d'appliquer une norme d'ordre public, cela ne signifie pas qu'il acquière purement et simplement la compétence que la loi confère à la Commission des relations du travail. La présomption énoncée à l'article 123.4 LNT n'est qu'une composante procédurale du régime mis en place par le législateur en vue de protéger les salariés.
[91] La Commission endosse également la décision TUAC, section locale 500 et Provigo Distribution inc.[39] citée par le MSP. Cette décision illustre le fait que l’article 115 de la LNT se trouve au chapitre V de la LNT qui s’intitule « les recours » alors que « les normes du travail » sont contenues au chapitre IV. Or, les normes du travail sont d’ordre public et jouissent d’un statut particulier, car ce sont des normes auxquelles on ne saurait déroger. Cela est différent pour l’article 115 qui impose plutôt une règle de procédure et non une règle de droit substantif.
[92] La Commission ayant écarté le délai de prescription de l’article 115 de la LNT, elle doit maintenant déterminer la date de l’événement qui donne ouverture au droit d’action de cet appel.
[93] Selon la Commission, les deux dates proposées par la Fraternité pouvant constituer l’événement, qui donne ouverture au droit d’action, sont erronées.
[94] Dans l’un de ses deux choix d’événements, la Fraternité s’appuie sur la décision Bertrand[40] pour soutenir que l’un des événements donnant ouverture à l’appel serait la décision rendue par l’employeur et non le relevé de paie du 27 juin 2013, tel que le prétend le MSP. La Commission estime essentiel de replacer la décision Bertrand dans son contexte, car les faits de cette affaire diffèrent grandement.
[95] Ainsi, dans la décision Bertrand, le relevé de paie n’est pas évoqué. Mme Bertrand a reçu une décision de son employeur l’informant que, basée sur le nombre d’heures travaillées, elle n’aurait droit qu’à une seule journée de congé, sur un maximum de deux jours pour sa prime d’ambiance. Elle souhaite obtenir des précisions quant à cette décision, précisions qu’elle aura quelques semaines plus tard. Se croyant lésée, Mme Bertrand dépose un appel et utilise comme événement la date où elle reçoit les précisions de l’employeur. Or, la Commission décide que l’événement à retenir est la décision de l’employeur et non sa lettre contenant des précisions.
[96] La Commission cite à son tour cette décision[41] pour réaffirmer que le point de départ d’un délai de la prescription est le premier jour où le titulaire du droit aurait pu agir, le jour où il aurait pu pour la première fois prendre des mesures pour faire valoir son droit.
[97] La Commission estime qu’il ne peut exister qu’un seul événement créateur de droit. Ainsi, il ne fait aucun doute, dans l’esprit de la Commission, que cet événement est la journée durant laquelle les cadres agents de la paix reçoivent leur relevé de paie et constatent que l’indemnité du 24 juin 2013 ne leur a pas été versée, soit le 27 juin 2013.
[98] En effet, si M. Dupuis a pu déposer un recours à la Commission le 23 juillet 2013, c’est que son droit d’appel, concernant l’indemnité du 24 juin 2013, était né. Il en était donc de même pour tous les autres cadres agents de la paix qui n’ont pas reçu cette indemnité puisqu’ils étaient dans la même situation que cet appelant.
[99] La Fraternité, selon la preuve, apprend, le 23 juillet 2013, le dépôt de l’appel de M. Dupuis. Elle avait donc toute la latitude et la possibilité de faire appel à son tour. À tout le moins afin de protéger les droits de ses membres, si, comme elle le prétend, son droit d’action était incertain. Elle disposait jusqu’à la fin du mois de juillet 2013 pour s’exécuter. Faute de l’avoir fait, le recours est prescrit. Ce droit d’appel à la Commission concernant l’indemnité du 24 juin 2013 ne peut pas renaître plus tard.
[100] La Commission, par le fait même, écarte l’autre événement choisi par la Fraternité, soit le jour où M. Fiset prend connaissance du jugement de la Cour supérieure, le 21 mai 2014.
[101] La Commission insiste sur l’importance de la prescription extinctive, comme étant d’ordre public. En effet, tel que rapporté dans la doctrine[42], c’est au nom des intérêts supérieurs de la justice et de la paix sociale que l’on invoque généralement l’ordre public au soutien des règles sur la prescription. Ainsi, il n’est pas sain que, dans notre société, certaines situations juridiques restent incertaines ou floues trop longtemps. Il est impératif que le droit, au bout d’un certain moment, acquière une certitude qui permette de cristalliser la situation juridique et de consolider le droit des parties et des tiers.
[102] Finalement, la Commission ne se prononce pas sur le dernier moyen soulevé par la Fraternité, relatif à la discrimination qu’auraient subie les cadres agents de la paix, n’ayant pas reçu d’indemnité pour le 24 juin 2013, contrairement à ceux visés par le jugement de la Cour supérieure. En effet, le recours est prescrit et il est inutile de poursuivre l’analyse. D’autant plus, que la Commission n’a pas compétence pour étendre la portée d’une ordonnance rendue par la Cour supérieure.
[103] POUR CES MOTIFS, la Commission :
ACCUEILLE le moyen préliminaire portant sur la prescription soulevé par le ministère de la Sécurité publique;
REJETTE l’appel de la Fraternité des cadres agents de la paix des services correctionnels du Québec.
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_____________________________ Nour Salah, avocate Commissaire |
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Me Christine Beaulieu |
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Procureure pour l’appelante |
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Me Karl Lefebvre |
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Procureur pour l’intimé |
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Lieu de l’audience : Québec
Date de l’audience : 25 septembre 2014 |
[1] RLRQ, c. F-1.1.
[2] Bond et Ministère de la Sécurité publique, 2013 QCCFP 24.
[3] RLRQ, c. F-3.1.1.
[4] C.T. 170451 du 11 avril 1989 et ses modifications.
[5] Dupuis c. Commission de la fonction publique, 2014 QCCS 6070.
[6] RLRQ, c. F-3.1.1, r. 5.
[7] RLRQ, c. N-1.1.
[8] ISSALYS, Pierre et Denis Lemieux, L’action gouvernementale - Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 421.
[9] Art. 81.20 de la LNT.
[10] TUAC, section locale 500 et Provigo Distribution inc., SOQUIJ AZ-50323694.
[11] RLRQ, c. C-27.
[12] Portes et fenêtres Chanteclerc inc. et Union internationale des opérateurs-ingénieurs, section locale 772, SOQUIJ AZ-50678744.
[13] Syndicat de la Fonction publique et parapublique du Québec et Québec (Gouvernement du), SOQUIJ AZ-51056226, par. 26.
[14] GERVAIS, Céline, La Prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 106.
[15] Précitée, note 13, par. 29.
[16] Syndicat de la fonction publique du Québec et Société de l’assurance automobile du Québec, sentence arbitrale du 22 février 1999, Me Germain Jutras, arbitre, p. 21.
[17] Précitée, note 10.
[18] Syndicat des professionnels de la Commission des écoles catholiques de Montréal c. Moalli, 1991 CanLII 2860 (QC CA); Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec c. Décary, EYB 1986-57726 (C.A.); Syndicat des professionnels et professionnelles du réseau scolaire du Québec (C.E.Q.) c. Commission scolaire de La Mitis, 1989 CanLII 1259 (QC CA).
[19] Kruger Inc., division du carton et Syndicat canadien de l’énergie et du papier, section locale 216, SOQUIJ AZ-50464766, par. 74 à 80.
[20] Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967.
[21] Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929.
[22] Fraternité des policiers et policières de Saint-hubert et Ville de Saint-Hubert, [2002] R.J.D.T. 1227 (T.A.), SOQUIJ AZ-02142080.
[23] Syndicat de l’enseignement de la Haute Côte-Nord c. Commission scolaire Manicouagan, [1991] R.D.J. 126 (C.A.).
[24] Précitée, note 18.
[25] Bertrand et Ministère de la Sécurité publique, 2013 QCCFP 14.
[26] RLRQ, c. C-12.
[27] Précitée, note 25.
[28] Précitée, note 22.
[29] Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2012 QCCFP 13.
[30] Précitée, note 2.
[31] Précitée, note 5.
[32] Précitée, note 8.
[33] Précitée, note 29, par. 61-62.
[34] MORIN, Fernand, et autres, Le droit de l’emploi au Québec, 4e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 1161-1162.
[35] Précitée, note 21, par. 52.
[36] Article 100.12 du Code du travail :
« Dans l'exercice de ses fonctions l'arbitre peut:
a) interpréter et appliquer une loi ou un règlement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d'un grief;
b) fixer les modalités de remboursement d'une somme qu'un employeur a versée en trop à un salarié;
c) ordonner le paiement d'un intérêt au taux légal à compter du dépôt du grief, sur les sommes dues en vertu de sa sentence.
Il doit être ajouté à ce montant une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de la même date, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale (chapitre A-6.002) sur le taux légal d'intérêt;
d) fixer, à la demande d'une partie, le montant dû en vertu d'une sentence qu'il a rendue;
e) corriger en tout temps une décision entachée d'erreur d'écriture ou de calcul, ou de quelque autre erreur matérielle;
f) en matière disciplinaire, confirmer, modifier ou annuler la décision de l'employeur et, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Toutefois, lorsque la convention collective prévoit une sanction déterminée pour la faute reprochée au salarié dans le cas soumis à l'arbitrage, l'arbitre ne peut que confirmer ou annuler la décision de l'employeur ou, le cas échéant, la modifier pour la rendre conforme à la sanction prévue à la convention collective;
g) rendre toute autre décision, y compris une ordonnance provisoire, propre à sauvegarder les droits des parties. »
[37] Syndicat des métallos, section locale 2843 (Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 2843) c. 353491 Canada inc., 2011 QCCA 264.
[38] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur-du-Québec c. Bolduc, SOQUIJ AZ-50920670.
[39] Précitée, note 10.
[40] Précitée, note 25.
[41] Précitée, note 25, par. 38.
[42] BAUDOUIN, Jean-Louis et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 1091.
AVIS :
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