Robert et Falconbridge ltée-Division Horne |
2009 QCCLP 2678 |
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[1] Le 13 juin 2007, monsieur Normand Robert, le travailleur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 juin 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST modifie celle qu’elle rend le 28 décembre 2006. Elle déclare que le travailleur a reçu sans droit la somme de 2 691,12$ et qu’il doit la rembourser selon des modalités à déterminer.
[3] À l’audience, tenue le 4 février 2009 à Rouyn-Noranda, le travailleur est présent et il est représenté. L’employeur est absent et il n’est pas représenté. La CSST est représentée par avocat.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’a pas obtenu sans droit la somme de 2 691,12$ et qu’il n’a pas à la rembourser à la CSST.
LES FAITS
[5] Le travailleur subit un accident du travail le 13 juillet 2005 qui lui cause une entorse du genou droit. Le 24 octobre 2005, la CSST reconnaît que la déchirure du ménisque interne du genou droit est reliée à l’événement survenu le 13 juillet 2005.
[6] Une méniscectomie interne partielle du genou droit du travailleur est réalisée le 15 décembre 2005. Par la suite, le travailleur se plaint de symptômes douloureux à son genou droit de nature incapacitante.
[7] Une résonance magnétique du genou droit, réalisée le 30 avril 2006, révèle la présence d’une déchirure oblique qui traverse la corne postérieure du ménisque médial jusqu’à la face antérieure.
[8] Le diagnostic de récidive de déchirure du ménisque interne droit est retenu le 4 mai 2006. Une arthroscopie exploratrice est recommandée. Le travailleur demeure incapable d’effectuer toute assignation temporaire à des travaux légers.
[9] Selon la note évolutive de la CSST du 9 juin 2006, il apparaît que le travailleur surveille des travaux d’aménagement d’un restaurant acheté avant son accident du travail.
[10] Le 26 septembre 2006, le travailleur rencontre un agent de la CSST. Il est en attente de chirurgie. Il déclare qu’il ne peut travailler dans son restaurant. Sa conjointe est fatiguée d’y travailler. Ses parents et ses trois filles y travaillent également. Il est en voie d’embaucher du personnel supplémentaire.
[11] Le travailleur rencontre à nouveau l’agent de la CSST le 20 novembre 2006. Il est incapable de faire quoi que ce soit. Il est encore en attente de chirurgie. Il devra engager du personnel supplémentaire pour pallier à l’absence de ses parents durant une longue période.
[12] Le 21 décembre 2006, le travailleur rencontre à nouveau l’agent de la CSST. Il est rapporté que le travailleur est congédié par son employeur pour bris de confiance, qu’il est actif à son restaurant et qu’il est allé à la chasse. Le travailleur précise que l’expédition de chasse s’est planifiée à la dernière minute et qu’il n’a pu aviser la CSST.
[13] Le travailleur avoue qu’il travaille au restaurant un maximum de 20 heures par semaine depuis que ses filles sont retournées aux études en septembre. Il déclare travailler pour sa conjointe qui ne lui verse pas de salaire. Il admet que, s’il ne travaillait pas au restaurant, il faudrait embaucher du personnel supplémentaire. Il ajoute qu’une personne est engagée depuis deux semaines pour compenser le départ de ses parents.
[14] L’agent de la CSST informe alors le travailleur que son indemnité de remplacement du revenu sera réduite d’un montant équivalent aux heures travaillées au salaire minimum à compter du 5 septembre 2006, date de retour aux études de ses filles.
[15] Des rapports d’une surveillance, réalisée à la demande de l’employeur, sont déposés à l’audience. Les activités de filature et de surveillance se déroulent du 31 octobre au 3 novembre 2006, le 8, les 10 et 11, le 13 et du 14 au 21 novembre 2006.
[16] La Commission des lésions professionnelles retient de leur contenu que le travailleur exécute différentes activités au restaurant Le Casso, dont celles de cuisinier et de serveur aux tables, notamment pour apporter la nourriture aux clients, pour débarrasser les tables et laver la vaisselle. Il peut s’accroupir et se relever sans difficulté. Il transporte des sacs de pommes de terre et il se maintient debout durant des périodes qui varient de 30 minutes à plus d’une heure.
[17] Il est rapporté également que le travailleur monte un abri Tempo pendant 1h25 le 8 novembre 2006 sans démontrer de malaises aux genoux. Il y est indiqué également que, le 21 novembre 2006, les enquêteurs apprennent que le travailleur s’est rendu dans la région de Drummondville pour chasser le chevreuil.
[18] Le docteur B. Séguin, chirurgien-orthopédiste, visionne trois bandes-vidéo sur lesquelles le travailleur s’active et il prend connaissance du contenu des rapports d’enquête déposés à l’audience. Le 21 décembre 2006, il conclut que les activités auxquelles s’adonne le travailleur sont difficilement compatibles avec les symptômes douloureux allégués au genou droit. Il considère que la preuve de surveillance démontre un travailleur qui ne présente aucun signe de souffrance ni de restriction de ses activités.
[19] Il ressort de la preuve prépondérante que le restaurant est enregistré au nom de la conjointe du travailleur, que le travailleur hypothèque sa maison pour une somme d’environ 45 000,00$ afin de l’investir dans l’acquisition et l’aménagement de la bâtisse où est situé le restaurant, qu’il agit à titre de caution pour un emprunt de 48 000,00$ par sa conjointe à titre de marge de crédit pour l’opération du restaurant et qu’il est marié sous le régime de la société d’acquêts.
[20] À l’audience, le travailleur déclare qu’il est très peu actif au restaurant et qu’il y est assis 90% du temps qu’il s’y trouve. Il déclare même avoir installé une chambre au sous-sol pour s’y reposer quant il est assis trop longtemps. Il nie avoir déclaré à l’agent de la CSST qu’il y travaille une vingtaine d’heures par semaine depuis le retour aux études de ses filles.
[21] Il y travaille de façon occasionnelle pour passer le temps ou pour aider sans plus. Il affirme que l’absence de ses filles, durant le jour, est compensée par sa conjointe et ses parents. Au retour de l’école, ses filles travaillent au restaurant en alternance.
[22] Le travailleur spécifie, contrairement aux notes de l’agent de la CSST, qu’il lui déclare qu’il se rendra à la chasse à l’orignal et au chevreuil durant l’automne.
[23] La CSST calcule la somme réclamée comme suit :
4 heures /jour (20 heures/semaine) X 7,75$ (taux horaire selon salaire minimum)
=
22,14$/jour X 108 jours ( 5-09 au 21-12-2006) = 2 391,12$.
[24] À ce montant, la CSST ajoute 300,00$ à titre d’avance versée pour des frais de déplacements non engagés, pour un total de 2 691,12$
L’AVIS DES MEMBRES
[25] Le membre issu des associations syndicales considère que le témoignage du travailleur est crédible et qu’il n’existe pas de preuve d’une quelconque rémunération. Le travailleur n’a donc pas reçu sans droit la somme alléguée par la CSST et il n’a donc pas à la rembourser.
[26] Pour sa part, le membre issu des associations d'employeurs considère que le témoignage du travailleur comporte des contradictions évidentes qui hypothèquent de façon importante la valeur probante de son témoignage et des déclarations faites à la CSST au sujet de son incapacité physique causée par son syndrome douloureux allégué au genou droit.
[27] Ainsi, l’opinion du docteur Séguin, qui visionne les bandes-vidéo, démontre que le travailleur est un personnage plutôt actif et qu’il se livre à des activités incompatibles avec sa lésion professionnelle.
[28] Le membre issu des associations d'employeurs considère que le travailleur est capable d’activités de travail durant 20 heures par semaine. Puisque la semaine régulière de travail est de 40 heures, la CSST devait couper de moitié l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[29] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST est justifiée de réclamer la somme de 2 691,12$ au travailleur.
[30] Les dispositions de l’article 278 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) se lisent comme suit :
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
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1985, c. 6, a. 278.
[31] Il ressort de la preuve prépondérante que le travailleur informe la CSST qu’il travaille au restaurant de son épouse environ 20 heures par semaine depuis le retour aux études de ses trois filles. Bien qu’il nie avoir déclaré cela à la CSST, la Commission des lésions professionnelles retient cette déclaration rapportée par l’agent de la CSST le 21 décembre 2006, même si cet agent ne témoigne pas devant le tribunal.
[32] La Commission des lésions professionnelles n’est pas tenue de suivre les règles de preuve et de procédure en matière civile. L’article 2 du Règlement sur la preuve et la procédure devant la Commission des lésions professionnelles[2] le prévoit.
[33] Dans sa décision David et Industries Savard inc.(F) et CSST[3], la Commission des lésions professionnelles conclut que les notes évolutives de la CSST, entre autres, qui sont complétées dans le cours habituel du travail de leurs auteurs, qui n’ont pas intérêt à altérer les faits ou les circonstances, à moins de preuve contraire qui n’existe pas ici, constituent des preuves de ouï-dire qui apparaissent fiables et qui ne doivent pas être écartées.
[34] La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve prépondérante que le travailleur est actif au restaurant Le Casso comme le démontrent les rapports de surveillance et de filature déposés devant la Commission des lésions professionnelles. Il s’adonne à diverses activités qui sont habituellement exécutées par une employée de restaurant : la préparation des repas, le services au tables, la vaisselle et le transport de nourriture servant à préparer les repas.
[35] Le contenu des rapports de surveillance est compatible avec les déclarations du travailleur à la CSST le 21 décembre 2006 à l’effet qu’il y travaille un certain nombre d’heures. D’ailleurs, il déclare même que, s’il ne travaillait pas depuis le retour aux études de ses filles, il devrait engager du personnel supplémentaire.
[36] La Commission des lésions professionnelles retient cette affirmation même si le travailleur la contredit également en affirmant que l’absence de ses filles est compensée par sa conjointe et ses parents.
[37] De plus, le docteur Séguin, chirurgien-orthopédiste, conclut que les activités exercées par le travailleur, telles que visionnées sur des bandes-vidéo enregistrées lors des activités de surveillance, sont incompatibles avec la lésion professionnelle. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, elles sont également incompatibles avec la déclaration du travailleur à l’effet qu’il reste assis 90% du temps qu’il passe au restaurant. D’ailleurs, s’il était si peu actif, pourquoi devrait-il aller se reposer dans une chambre au sous-sol du restaurant?
[38] Ses contradictions évidentes dans ses déclarations à la CSST et devant la Commission des lésions professionnelles hypothèquent de façon importante la valeur probante de son témoignage, au point de lui en faire perdre sa crédibilité.
[39] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur s’adonne à des activités de travail compatibles avec celles d’un travailleur de restaurant depuis le retour aux études de ses trois filles, même s’il prétend le contraire.
[40] Dans un tel cas, l’article 52 de la loi précise ce qui suit :
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
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1985, c. 6, a. 52.
[41] Le travailleur allègue qu’il travaille pour sa conjointe qui ne lui verse pas de salaire. La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la notion de bénévolat dans le présent dossier.
[42] En effet, le travail exécuté pour le compte du restaurant bénéficie à sa conjointe, à qui il est marié selon le régime de la société d’acquêts, Il est à la fois actionnaire dans le restaurant et il agit à titre de caution pour l’obtention d’une marge de crédit pour l’opération de ce restaurant. Il bénéficie donc indirectement des fruits de son travail et évite, pendant une période de temps, d’engager une personne pour remplacer ses trois filles selon ses propres déclarations.
[43] La Commission des lésions professionnelles considère qu’il n’est pas déraisonnable pour la CSST de calculer le bénéfice acquis par le travailleur entre le 5 septembre et le 21 décembre 2006 de la façon suivante :
4 heures /jour (20 heures/semaine) X 7,75$ (taux horaire selon salaire minimum)
=
22,14$/jour X 108 jours ( 5-09 au 21-12-2006) = 2 391,12$.
[44] Il s’agit là d’un montant brut tiré d’un nouvel emploi exercé à temps partiel et pour une durée déterminée, soit celui de restaurateur.
[45] Il y a lieu de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle reprenne le calcul de sa déduction conformément aux dispositions de l’article 52 de la loi en tenant compte du revenu net tiré du nouvel emploi et calculé à partir de la somme brute de 2 391,12$. Elle pourra également ajouter à la somme réclamée l’avance de frais de déplacements de 300,00$ non engagés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Normand Robert, le travailleur, déposée le 13 juin 2006;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 juin 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur tire d’un nouvel emploi un revenu brut de 2 391,12$ du 5 septembre au 21 décembre 2006;
DÉCLARE que le revenu net, calculé à partir de ce revenu brut, doit être déduit de son indemnité de remplacement du revenu conformément aux dispositions de l’article 52 de la loi;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail peut déduire également l’avance de 300,00$ pour frais de déplacements non engagés;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle complète le calcul de la déduction.
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Pierre Prégent |
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Gilbert Roussy |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Louis Cossette |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
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