Décision

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Pierre Clermont c. R.

2020 QCCQ 3408

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pĂ©nale Â»

N° :

500-01-201333-207

 

 

 

DATE :

15 septembre 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SUZANNE COSTOM, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

Duckerns PIERRE CLERMONT

Requérant-accusé

c.

La Reine

Intimée-poursuivante

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR  UNE REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE

en vertu des articles 8, 9, 10a), 10b) et 24(2)

de la Charte canadienne des droits et libertés

______________________________________________________________________

 

[1]          M. Pierre Clermont est accusĂ© de diverses infractions en vertu de la Loi rĂ©glementant certaines drogues et autres substances[1], la Loi sur le cannabis[2] et le Code criminel.

[2]          Il prĂ©sente une requĂŞte en vertu de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s[3] (ci-après « Charte Â»), dans laquelle il allègue que plusieurs de ses droits constitutionnels ont Ă©tĂ© violĂ©s. Il invite le Tribunal Ă  exercer sa discrĂ©tion, comme le prĂ©voit l’article 24(2), pour exclure les Ă©lĂ©ments de preuve obtenus lors de l’exĂ©cution du mandat de perquisition.

LES FAITS

[3]          Les parties s’entendent en grande partie sur la narration des faits qui se retrouve dans le rapport d’incident (R-1) et dans deux rapports complĂ©mentaires (R-2 et R-4). Cette preuve se complète par le tĂ©moignage de l’agent Berthiaume ainsi que par une admission concernant le tĂ©moignage de l’agent Proulx (R-8).

[4]          Le tout dĂ©bute quand deux patrouilleurs (les agents Berthiaume et Proulx) se prĂ©sentent Ă  la rĂ©sidence du requĂ©rant faisant suite Ă  un appel logĂ© au 911 signalant un possible conflit.

[5]          Quand les policiers frappent Ă  la porte, celle-ci s’ouvre d’elle-mĂŞme et ils entrent dans la rĂ©sidence. Ils voient une femme (madame NoĂ©mie Brunet) dans le corridor au fond de l’appartement. Elle est en sous-vĂŞtements et elle pleure.

[6]          Pour l’agent Berthiaume, des ustensiles Ă©parpillĂ©s sur le sol sont des traces de lutte.

[7]          Il aperçoit le requĂ©rant au bout du corridor comme s’il veut savoir ce qui se passe.

[8]          L’agent Berthiaume explique que ce dernier « est un de nos sujets connus Â» dans le secteur. Il sait que le requĂ©rant avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© impliquĂ© dans des interventions avec des armes Ă  feu. Pour l’agent Berthiaume, la prĂ©sence du requĂ©rant change le niveau de risque de l’intervention.

[9]          Plus prĂ©cisĂ©ment, l’agent Berthiaume sait que le requĂ©rant a des antĂ©cĂ©dents judiciaires sans savoir combien. Il sait que ce dernier avait Ă©tĂ© impliquĂ© dans une fusillade Ă  l'automne 2019, possiblement en octobre. Il ignore si des accusations avaient Ă©tĂ© portĂ©es contre le requĂ©rant par la suite. Il avait aussi entendu parler du requĂ©rant dans les semaines prĂ©cĂ©dant le 12 fĂ©vrier pendant les rassemblements des policiers au poste au dĂ©but de chaque cadre de travail. Il sait que les policiers avaient eu affaire avec le requĂ©rant Ă  plusieurs reprises, qu’il est très actif sur internet, qu’il est liĂ© Ă  certains individus dans le milieu criminel et « qu’il y a des armes Ă  feu la-dans  Â».

[10]       L’agent Berthiaume ordonne au requĂ©rant de s’approcher en montrant ses mains, ce qu’il fait. L’agent le place face au mur et le menotte. MĂŞme si le requĂ©rant collabore et n'est aucunement agressif, l’agent Berthiaume explique que cette procĂ©dure est requise pour leur sĂ©curitĂ©, compte tenu de la nature de l'appel et des antĂ©cĂ©dents du requĂ©rant.

[11]       Dans son rapport, l'agent Berthiaume mentionne qu’après avoir menottĂ© le requĂ©rant, il l'informe qu'il est en dĂ©tention pour fins d'enquĂŞte et lui donne « sa mise en garde, son droit au silence et son droit de consulter un avocat Â»[4]. Il est environ 5 h 15.

[12]       Ă€ l'audience, en rĂ©ponse aux questions en contre-interrogatoire, l’agent Berthiaume affirme que mĂŞme s'il ne l’a pas Ă©crit dans son rapport, il est certain d'avoir Ă©galement avisĂ© le requĂ©rant du motif de sa dĂ©tention, soit pour des menaces.

[13]       L’agent Berthiaume procède par la suite Ă  une fouille par palpation « pour sa sĂ©curitĂ© Â». Il cherche Ă  savoir si le requĂ©rant a sur lui un objet tranchant comme un couteau ou une seringue. Dans le rapport d’incident qu’il a rĂ©digĂ©, il mentionne qu’il effectue « une fouille visuelle par palpation pour ma sĂ©curitĂ© Â»[5]. L’agent Berthiaume sait que lors d'une dĂ©tention pour fins d'enquĂŞte, il a le droit de procĂ©der Ă  une fouille par palpation s'il la juge nĂ©cessaire pour la sĂ©curitĂ©, mais que la fouille ne peut pas avoir comme objectif la dĂ©couverte d’élĂ©ments de preuve.

[14]       Il est Ă  noter que madame Brunet avait avisĂ© les agents auparavant que le requĂ©rant avait son tĂ©lĂ©phone cellulaire Ă  elle sur lui. Lorsque le tĂ©lĂ©phone cellulaire se met Ă  sonner, le requĂ©rant indique aux policiers qu'il se trouve dans la poche droite de son pantalon.

[15]       L’agent Berthiaume glisse la main dans la poche du pantalon pour rĂ©cupĂ©rer le tĂ©lĂ©phone et dĂ©couvre un sac « ziploc Â» contenant 6 balles de calibre .22 qui est collĂ© sur celui-ci. Il sort les deux items de la poche du pantalon.

[16]       L'agent Berthiaume demande au requĂ©rant si une arme se trouve sur les lieux et si d’autres individus se trouvent sur place. Il pose ces questions parce qu’il ne connaĂ®t pas les lieux, qu’ils ne sont pas sĂ©curisĂ©s et que son partenaire et lui sont seuls. Il ne sait pas non plus s'il y a d'autres personnes dans l’appartement ou dans la cour. En effet, l'agent Proulx avait avisĂ© prĂ©cĂ©demment l’agent Berthiaume qu’il y avait une porte Ă  l’arrière menant Ă  l'extĂ©rieur.

[17]       L'agent prĂ©cise qu’en questionnant le requĂ©rant, son objectif n’était pas de l’incriminer mais plutĂ´t de s'assurer de sa sĂ©curitĂ© et celle de son partenaire.

[18]       Le requĂ©rant rĂ©pond qu'il n’y a personne d'autre sur place et qu’une arme Ă  feu se trouve dans une taie d'oreiller au niveau de la garde-robe Ă  cĂ´tĂ© du lit.

[19]       Les agents appellent des collègues pour venir leur prĂŞter assistance. En attendant l'arrivĂ©e de ces derniers, l'agent Proulx sĂ©curise les lieux, c’est-Ă -dire, il confirme qu’il n’y a personne d’autre dans l’appartement ni dans la cour.

[20]       Ă€ l’arrivĂ©e des autres agents, l’agent Berthiaume sort du logement avec le requĂ©rant, qui est placĂ© dans l’auto-patrouille. Le sac ziploc contenant les balles, deux tĂ©lĂ©phones cellulaires ainsi que l’argent sont Ă©galement remis aux autres agents.

[21]       L’agent Berthiaume rencontre le tĂ©moin qui avait fait l’appel 911 et, Ă  5 h 30, muni des renseignements obtenus de ce dernier, il retourne Ă  l'auto-patrouille pour mettre le requĂ©rant en Ă©tat d'arrestation pour avoir profĂ©rĂ© des menaces de mort.

[22]       L’agent Berthiaume va ensuite rejoindre l’agent Proulx qui est toujours dans l’appartement avec la prĂ©sumĂ©e victime (madame Brunet). Il ne se sent plus en danger puisque les lieux sont sĂ©curisĂ©s et le requĂ©rant n'est plus dans l'appartement.

[23]       Les agents veulent amener madame Brunet dans un endroit sĂ©curisĂ© pour prendre sa dĂ©claration. Elle accepte de les suivre mais dit qu'elle veut rĂ©cupĂ©rer un sac Ă  dos rose. Les agents lui disent qu’ils vont aller le chercher avec elle et la suivent dans la chambre.

[24]       Madame Brunet indique que son sac Ă  dos est dans la garde-robe. L’agent Berthiaume le rĂ©cupère et regarde Ă  l'intĂ©rieur pour s’assurer que l’arme Ă  feu ne s’y trouve pas et il dĂ©couvre alors « une quantitĂ© importante Â» d'argent en billets de 100$. L’agent Berthiaume voit Ă©galement du cannabis sur le bureau de la chambre ainsi qu’un sac noir sur le lit contenant une substance qui semble ĂŞtre des roches de crack. Ces derniers Ă©lĂ©ments sont bien en vue (plain view).

[25]       L’agent Berthiaume avise madame Brunet qu’elle ne peut pas prendre le sac Ă  dos parce qu’il contient des Ă©lĂ©ments de preuve. QuestionnĂ©e par les agents par rapport aux stupĂ©fiants, madame Brunet dit qu'elle ne sait pas Ă  qui appartient le cannabis mais que les autres stupĂ©fiants appartiennent au requĂ©rant.

[26]       L’agent Berthiaume sort de l’appartement pour aviser le requĂ©rant qu'il est arrĂŞtĂ© pour possession de stupĂ©fiants en vue d'en faire le trafic et il lui donne ses droits. L’agent Berthiaume lui demande Ă  qui appartient le cannabis. Le requĂ©rant rĂ©pond que c’est Ă  lui. Par la suite, le requĂ©rant est amenĂ© au centre opĂ©rationnel et madame Brunet est amenĂ©e au poste de quartier.

[27]       Le requĂ©rant consulte pour la première fois un avocat au centre opĂ©rationnel Ă  6 h 27.

[28]       L’agent Berthiaume retourne pour une troisième fois dans l’appartement. Il veut localiser l'arme pour pouvoir diriger les enquĂŞteurs qui viendront investir les lieux ultĂ©rieurement.

[29]       L’agent Berthiaume se dirige dans la chambre oĂą se trouve le lit. Il voit une taie d'oreiller dans une garde-robe qui n'a plus de porte et voit le canon d’une arme. L’arme a une balle chambrĂ©e. Les agents sĂ©curisent l'arme et la place sur le lit pour les enquĂŞteurs.

[30]       Quelque 35 minutes plus tard, une autre Ă©quipe arrive dans l’appartement et prend la relève. Les agents Berthiaume et Proulx se rendent au poste oĂą l’agent Berthiaume rĂ©dige son rapport et informe le sergent dĂ©tective Reed (S/D Reed) de la situation. Ce dernier rĂ©dige une dĂ©nonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition (pièce R-3).

[31]       La dĂ©nonciation contient 16 paragraphes qui rĂ©sument l'intervention des agents Berthiaume et Proulx. Les extraits pertinents pour les fins de la dĂ©termination de cette requĂŞte se lisent comme suit:

« 8. Vers 05 :15, Les policiers se rendent face Ă  la porte du 8518 St-Dominique, ils crient police et s'aperçoivent que la porte est non verrouillĂ©e. Donc les policiers pĂ©nètrent Ă  l'intĂ©rieur du 8518 St-Dominique pour sĂ©curisĂ© les lieux, ils aperçoivent une femme (BRUNET, NoĂ©mie) au fond du logement en sous-vĂŞtement qui pleure. Au mĂŞme moment un homme (PIERRE CLERMONT' DUCKENS) vient Ă  leurs rencontres (il s'agit d'un sujet que les policiers connaissent). Les policiers le dĂ©tiennent pour fins d'enquĂŞtes. L'agent Berthiaume #7185 effectue une fouille par palpation et trouve dans la poche avant droite de pantalon un sac ziploc transparent contenant des munitions de calibre .22.

9. Suite à la découverte des munitions, l'agent Berthiaume #7185 demande PIERRE CLERMONT, DUCKENS où se trouve le gun, ce dernier lui déclare qu'il est dans la chambre dans l'oreiller. Les policiers attendent le véhicule 27x2 qui se dirige en coopération avec eux.

[...]

13. Vers 05 :35, la victime BRUNET, Noémie veut quitter les lieux et elle insiste pour prendre son sac à dos rose qui se trouve dans la chambre à couché. Étant donné qu'il y a possibilité d'arme à feu, les policiers ouvre le sac à dos de la victime et découvrent une grosse somme d'argent canadiens dans le sac à dos. Sur la table de chevet se trouvent six onces de marijuana a l'intérieur d'un sac ziploc transparent et sur le lit qui est constitué d'un drap contour se trouve un sac noir ouvert contenant plusieurs roches de crack. La victime déclare que les stupéfiants appartiennent PIERRE CLERMONT, DUCKENS.

[...]

15. Vers 05 :55, l'agent Berthiaume vĂ©rifie dans la taie d'oreiller afin de valider et de pouvoir sĂ©curisĂ© s'il y a prĂ©sence d'arme Ă  feu. Un pistolet de calibre .22 chargĂ© a Ă©tĂ© trouvĂ©, ce dernier a Ă©tĂ© sĂ©curisĂ©. Â»[6] [Sic]

[32]       Le mandat est autorisĂ© et la perquisition qui s’en suit mène Ă  la dĂ©couverte et la saisie de la preuve qui est visĂ©e par cette requĂŞte en exclusion.


LA POSITION DES PARTIES

Le requérant

[33]       Le requĂ©rant affirme que l’entièretĂ© des motifs qui figurent dans la dĂ©nonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition a Ă©tĂ© obtenue en contravention de ses droits constitutionnels[7]. En consĂ©quence, le mandat est invalide et la perquisition constitue une violation de l’article 8 de la Charte.

Le DPCP

[34]       Le DPCP concède que les policiers n'ont pas respectĂ© certains des droits constitutionnels du requĂ©rant au cours de l'intervention. Cependant, il plaide que le remède appropriĂ© est de supprimer les renseignements obtenus en violation de la Charte de la dĂ©nonciation en vue d'obtenir le mandat de perquisition. Selon lui, Ă  la suite des suppressions, le reliquat est suffisant pour justifier l'octroi du mandat de perquisition. La fouille et les saisies sont donc lĂ©gales.

ANALYSE

[35]       Le Tribunal abordera, en ordre chronologique, chaque grief soulevĂ© par le requĂ©rant.

La détention arbitraire (article 9)

[36]       Selon l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, « Chacun a droit Ă  la protection contre la dĂ©tention ou l’emprisonnement arbitraires »[8].

[37]       Dans R. c. Le[9], la Cour suprĂŞme explique que pour respecter l’article 9, « la dĂ©tention doit ĂŞtre autorisĂ©e par une règle de droit, la règle de droit elle-mĂŞme doit ĂŞtre exempte de caractère abusif et la manière dont la dĂ©tention est effectuĂ©e doit ĂŞtre non abusive »[10].

[38]       Le requĂ©rant admet qu’au dĂ©but de l’intervention, les policiers avaient des motifs raisonnables de soupçonner qu’il avait commis une infraction (en matière de violence conjugale) et que sa dĂ©tention pour fins d’enquĂŞte Ă©tait lĂ©gale.

[39]       Par contre, il allègue que la dĂ©tention Ă©tait effectuĂ©e de manière abusive, la rendant arbitraire. Il souligne qu'il a collaborĂ©, qu’il n’avait rien dans ses mains et qu’il n’était nullement agressif. Il note que les agents n’ont pas entendu de cris avant d’entrer dans le domicile. Ces faits ne sont pas contestĂ©s. Il reproche ainsi aux agents de l’avoir menottĂ© et de l’avoir placĂ© dans l’auto-patrouille.

[40]       Le Tribunal n’est pas de cet avis. Les policiers sont appelĂ©s pour rĂ©pondre Ă  un appel du 911 concernant des cris dans une rĂ©sidence. Rendus sur les lieux, ils voient des ustensiles sur le sol du corridor que l’agent Berthiaume attribue Ă  des traces de conflit. Madame Brunet est en larmes. L’agent Berthiaume reconnaĂ®t le requĂ©rant et est au courant que ce dernier a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© impliquĂ© dans une fusillade et qu’il est associĂ© avec des individus dans un milieu criminalisĂ©. Ă€ ce point, il ignore si le requĂ©rant a sur lui des objets tranchants. Il veut aussi prĂ©venir le risque que le requĂ©rant prenne la fuite et il ignore s’il y a une porte arrière de la maison. L’agent tĂ©moigne que dans les circonstances, il est nĂ©cessaire de le menotter pour la sĂ©curitĂ© des agents et celle de la victime Ă  la lumière de la nature de l'appel et des antĂ©cĂ©dents du requĂ©rant.

[41]       Le Tribunal considère que l’agent Berthiaume a tĂ©moignĂ© de façon crĂ©dible et transparente. Son Ă©valuation de la situation est raisonnable. La mise des menottes n’est pas abusive et ne rend pas la dĂ©tention arbitraire.

[42]       Le fait que le requĂ©rant soit placĂ© dans l’auto-patrouille n’est pas abusif non plus. L’agent Berthiaume a tĂ©moignĂ© que les agents voulait le sortir de l’appartement pour ĂŞtre en mesure de discuter avec la prĂ©sumĂ©e victime et que compte tenu du froid, il l’a amenĂ© dans l’auto-patrouille. Le requĂ©rant n’y restera que 20 minutes avant de quitter en direction du poste de police Ă  5 h 40[11].

[43]       Le Tribunal conclut qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 9.

Le droit d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention (article 10a))

[44]       Selon l’article 10a) de la Charte 

« Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de dĂ©tention :

a) d’être informĂ© dans les plus brefs dĂ©lais des motifs de son arrestation ou de sa dĂ©tention; Â»

[45]       Le requĂ©rant allègue que l’agent Berthiaume a omis de l’aviser des motifs de sa dĂ©tention Ă  deux occasions. Tout d’abord, il prĂ©tend qu’au moment de sa mise en dĂ©tention pour fins d’enquĂŞte pour avoir profĂ©rĂ© des menaces, bien qu’on l’ait avisĂ© de ses droits, il n’a pas Ă©tĂ© informĂ© des motifs de sa dĂ©tention Ensuite, il plaide que dès la dĂ©couverte des munitions, il aurait dĂ» ĂŞtre avisĂ© de sa dĂ©tention pour fins d’enquĂŞte en lien avec des d’armes Ă  feu.

[46]       Dans les deux cas, l’existence de la violation allĂ©guĂ©e dĂ©pend de la crĂ©dibilitĂ© de l’agent Berthiaume. Il tĂ©moigne avec certitude qu’il a avisĂ© le requĂ©rant qu'il Ă©tait dĂ©tenu pour fins d'enquĂŞte en lien avec les menaces. Son rapport, rĂ©digĂ© dans les heures qui ont suivies l'incident, mentionne uniquement qu'il donne au requĂ©rant « sa mise en garde, son droit au silence et son droit de consulter un avocat Â»[12]. Mais selon l’agent, « c’est dans la base des choses Â» d’aviser les individus des motifs de leur dĂ©tention, peu importe la nature de l’intervention.

[47]       Le requĂ©rant plaide l’arrĂŞt Wood c. Schaeffer[13] qui souligne l'obligation des policiers d’écrire des notes complètes et dĂ©taillĂ©es. Il plaide que l’omission de l’agent Berthiaume de mentionner dans son rapport qu'il a avisĂ© le requĂ©rant des motifs de sa dĂ©tention devrait amener le Tribunal Ă  tirer une infĂ©rence adverse quant Ă  sa crĂ©dibilitĂ©.

[48]       Le Tribunal n’est pas de cet avis. L'avocate du requĂ©rant a elle-mĂŞme plaidĂ© que l'agent Berthiaume a rendu son tĂ©moignage avec une « candeur Ă©tonnante Â». Sans qualifier le tĂ©moignage d'Ă©tonnant, le Tribunal considère que l'agent a tĂ©moignĂ© en toute honnĂŞtetĂ©, au meilleur de ses souvenirs. Il ne s'est jamais mis sur la dĂ©fensive mĂŞme lorsque le requĂ©rant a remis en question ses actions. Il a rĂ©pondu Ă  toutes les questions d’une façon claire et prĂ©cise, sans exagĂ©rer. Son rapport est très dĂ©taillĂ© et son tĂ©moignage correspond Ă  quelques dĂ©tails près au contenu de ce rapport.

[49]       Ă€ la lumière des circonstances du prĂ©sent dossier, l'absence d'une inscription mentionnant que l'agent a avisĂ© le requĂ©rant des motifs de sa dĂ©tention n’amène pas le Tribunal Ă  douter de la crĂ©dibilitĂ© de celui-ci. Son tĂ©moignage selon lequel il affirme avoir avisĂ© le requĂ©rant des motifs de sa dĂ©tention parce qu'il le fait Ă  chaque arrestation, de façon systĂ©matique, et selon lequel il se souvient l'avoir dit particulièrement dans le cas qui nous occupe, est Ă©galement fiable.

[50]       Sur le deuxième volet de cet argument, l’agent Berthiaume explique que la dĂ©couverte des munitions n'a pas engendrĂ© un changement dans le statut du requĂ©rant. Il explique que cette dĂ©couverte a plutĂ´t augmentĂ© le niveau de risque de l'intervention et que sa rĂ©action Ă©tait donc d'en aviser son partenaire.

[51]       Le Tribunal croit l’agent Berthiaume. Comme dĂ©jĂ  mentionnĂ©, le Tribunal considère que dans son ensemble, l'agent Berthiaume a rendu un tĂ©moignage crĂ©dible et fiable. Sur ce point prĂ©cis, le Tribunal note que dans la pĂ©riode qui suit immĂ©diatement la dĂ©couverte des munitions, l’objectif principal de l'agent Ă©tait d'obtenir des renseignements supplĂ©mentaires du tĂ©moin et de la prĂ©sumĂ©e victime pour poursuivre son enquĂŞte en matière de violence conjugale.

[52]       Les agents n’ont pas enfreint l’article 10a) de la Charte.


La fouille accessoire à la détention pour fins d’enquête (article 8)

[53]        Selon l’article 8 de la Charte, « Chacun a droit Ă  la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives Â». La jurisprudence nous enseigne que toute fouille effectuĂ©e sans mandat est prĂ©sumĂ©e abusive[14], Ă  moins qu’elle ne puisse ĂŞtre justifiĂ©e.

[54]        Dans le cadre d’une dĂ©tention aux fins d’enquĂŞte, le droit canadien reconnaĂ®t un pouvoir limitĂ© de procĂ©der Ă  une fouille. Dans un arrĂŞt rĂ©cent, notre Cour d’appel, sous la plume de l’honorable Patrick Healy, rĂ©sume la portĂ©e de ce pouvoir comme suit :

[54] Il existe également en common law un pouvoir limité de procéder à une fouille dans le cadre d'une détention aux fins d'enquête. Un policier qui possède des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d'autrui est menacée peut procéder à une fouille par palpation préventive. Ce pouvoir est justifié par le devoir policier de protéger la vie et la sécurité.

[55] En revanche, des inquiĂ©tudes « vagues ou inexistantes Â» ne sauraient justifier une fouille et, lĂ  encore, les policiers ne peuvent procĂ©der uniquement sur la base d'un instinct ou d'une intuition. Le policier doit agir Ă  partir « d'infĂ©rences raisonnables et prĂ©cises fondĂ©es sur les faits connus se rapportant Ă  la situation. Â»

[56] Dans tous les cas, une fouille justifiée par des motifs raisonnables de sécurité ne sera constitutionnellement valide que si son exécution est raisonnable dans les circonstances. Le caractère globalement non abusif de la fouille dépend alors de l'ampleur de l'atteinte et de la façon dont la fouille a été effectuée. Une fouille sera jugée non abusive si la façon dont elle a été effectuée est raisonnablement nécessaire pour éliminer la menace de sécurité qui plane sur les policiers ou autrui.[15]

[55]        Le requĂ©rant plaide que l’agent Berthiaume n’avait « aucun motif raisonnable»[16] de craindre pour sa sĂ©curitĂ© ou celle d’autrui. Il concède que l’agent Berthiaume avait des craintes subjectives pour sa sĂ©curitĂ© mais considère qu’elles n’étaient pas raisonnables: l’appel logĂ© au 911 ne mentionnait pas l’emploi d’une arme, les renseignements concernant le requĂ©rant Ă©taient vagues et datĂ©s[17], et ce dernier Ă©tait calme et collaboratif. Rien dans son comportement ne laissait croire qu’il cachait quelque chose. Il souligne aussi le fait qu'il Ă©tait menottĂ©.

[56]        La poursuite soutient que le Tribunal doit tenir compte du contexte dans lequel les agents de la paix font leur travail :

Comme les policiers ont pour mission de protéger la paix publique et d'enquêter sur les crimes, ils doivent être habilités à réagir avec rapidité, efficacité et souplesse aux diverses situations qu'ils rencontrent quotidiennement aux premières lignes du maintien de l'ordre.[18]

[57]        Elle plaide que les craintes de l’agent Berthiaume sont raisonnables dans les circonstances.

[58]        Qu’en est-il?

[59]        L’agent Berthiaume tĂ©moigne qu’après avoir menottĂ© le requĂ©rant, il a effectuĂ© une fouille par palpation pour des raisons de sĂ©curitĂ©. Il prĂ©cise qu’il ne cherchait pas de la preuve mais plutĂ´t des objets piquants ou tranchants qui pourraient constituer un danger pour la sĂ©curitĂ© des agents ou du requĂ©rant.

[60]        En l’espèce, la nature de l’appel et les renseignements que l’agent Berthiaume dĂ©tenait par rapport au requĂ©rant lui ont laissĂ© croire que ce dernier pouvait ĂŞtre en possession d’un objet qui pourrait constituer un danger pour sa sĂ©curitĂ© ou celle de son partenaire. De plus, les lieux n'Ă©taient pas sĂ©curisĂ©s et il ignorait s'il y avait une autre personne dans l'appartement. Dans l'esprit de l'agent, ceci augmentait le niveau de risque.

[61]        L’agent Berthiaume n’exĂ©cute pas des fouilles automatiquement chaque fois qu’il dĂ©tient quelqu’un aux fins d’enquĂŞte. Dans ce cas-ci, l’agent prĂ©cise qu’il procède Ă  une fouille par palpation mais qu’il se limite aux endroits accessibles aux mains de la personne menottĂ©e mais « pas plus que ça Â».

[62]        Le tĂ©moignage de l'agent Berthiaume dĂ©montre qu'il est (a) conscient que le requĂ©rant est menottĂ© (b) considère que nonobstant ce fait, il croit nĂ©cessaire de procĂ©der Ă  une fouille pour des motifs de sĂ©curitĂ©, mais (c) reconnaĂ®t que cette fouille doit se limiter Ă  rechercher des objets tranchants ou piquants au niveau des parties du corps qui sont accessibles Ă  une personne qui est menottĂ©e.

[63]        Tout comme le requĂ©rant, le Tribunal ne met pas en doute la sincĂ©ritĂ© des craintes subjectives de l’agent Berthiaume pour sa sĂ©curitĂ© et celle d'autrui. De plus, le Tribunal considère que les craintes de l'agent Berthiaume n’étaient pas « vagues»[19]  et qu’elles Ă©manaient « d'infĂ©rences raisonnables et prĂ©cises fondĂ©es sur les faits connus se rapportant Ă  la situation Â»[20].

[64]        Comme la Cour suprĂŞme le souligne dans Mann, « les policiers s'exposent quotidiennement Ă  de nombreux risques dans le cours de leurs fonctions de maintien de l'ordre, et ils ont droit d'accomplir leur travail en sachant que ces risques sont, dans toute la mesure du possible, rĂ©duits au minimum»[21] . La dĂ©cision d’effectuer une fouille comportant les limites dĂ©crites par l’agent Berthiaume Ă©tait raisonnable.

[65]         Cependant, cela ne rĂ©pond pas entièrement Ă  la question soulevĂ©e. Alors que l’agent Berthiaume procĂ©dait Ă  la fouille par palpation, un tĂ©lĂ©phone cellulaire s’est mis Ă  sonner. Madame Brunet avait mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment que le requĂ©rant avait un cellulaire sur lui qui lui appartenait. Le requĂ©rant indique Ă  l’agent que le tĂ©lĂ©phone se trouvant dans la poche droite de son pantalon Ă©tait celui de madame Brunet et que l’autre tĂ©lĂ©phone lui appartient. L’agent tĂ©moigne qu’il « dĂ©duit Â» que le requĂ©rant consent Ă  ce qu’il aille dans sa poche pour sortir le tĂ©lĂ©phone de madame Brunet.

[66]         L’agent met donc sa main dans la poche du pantalon du requĂ©rant. Son objectif n’est plus sa sĂ©curitĂ© mais plutĂ´t de remettre le tĂ©lĂ©phone Ă  madame Brunet. Alors qu’il sort le tĂ©lĂ©phone, apparaĂ®t alors un sac « ziploc Â» transparent contenant 6 balles de calibre .22 qui est « collĂ© Â» sur ce dernier.

[67]         Le requĂ©rant plaide que lorsque l'agent Berthiaume met sa main dans sa poche, il dĂ©passe largement le cadre d’une fouille accessoire Ă  une dĂ©tention aux fins d’enquĂŞte. En consĂ©quence, il soutient que l’exĂ©cution de la fouille n’était pas raisonnable.

[68]        Le Tribunal donne raison au requĂ©rant. Une fouille accessoire Ă  une dĂ©tention aux fins d'enquĂŞte est limitĂ©e par ce qui est nĂ©cessaire pour assurer la sĂ©curitĂ© des policiers ou d'autrui. Une telle fouille n'est pas autorisĂ©e pour d'autres objectifs, aussi bien intentionnĂ©s qu’ils puissent ĂŞtre. De plus, une renonciation Ă  un droit constitutionnel doit ĂŞtre explicite[22]. Dans le cas prĂ©sent, on ne peut prĂ©tendre que le requĂ©rant ait renoncĂ© Ă  son droit Ă  la protection contre les fouilles abusives, simplement en confirmant que le tĂ©lĂ©phone dans sa poche appartient Ă  madame Brunet.

[69]        Lorsque l’agent Berthiaume met sa main dans la poche du requĂ©rant, il effectue une fouille sans mandat qui n'est pas justifiĂ©e. En consĂ©quence, les droits constitutionnels du requĂ©rant protĂ©gĂ©s par l'article 8 de la Charte ont Ă©tĂ© violĂ©s.

[70]        Il est Ă  noter que le DPCP concède que l’agent Berthiaume a outrepassĂ© ses pouvoirs quand il a mis sa main dans la poche du requĂ©rant et il concède donc la violation de l’article 8 de la Charte. Cependant, il souligne la bonne foi de l’agent Berthiaume. Nous y reviendrons ci-après en discutant du remède appropriĂ©.


Le droit à l’avocat (article 10b))

[71]       Selon l’article 10b) de la Charte, « Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de dĂ©tention […] d’avoir recours sans dĂ©lai Ă  l’assistance d’un avocat et d’être informĂ© de ce droit Â». La Cour suprĂŞme dans Bartle rĂ©sume les obligations qui en dĂ©coulent comme suit :

L'alinéa 10b) impose trois obligations aux représentants de l'État: informer la personne détenue de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, lui donner la possibilité raisonnable d'exercer ce droit et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable.[23]

[72]       Le requĂ©rant soutient qu’après la dĂ©couverte des munitions, lorsque l’agent Berthiaume lui a demandĂ© s’il y avait une arme Ă  feu dans la rĂ©sidence, il a portĂ© atteinte Ă  son droit Ă  l'avocat. Il plaide qu'il y a eu une deuxième violation plus tard durant l'intervention, lorsque l'agent lui a demandĂ© si le cannabis qu'il avait vu dans la chambre lui appartenait.

[73]       On se rappellera que dès que l’agent Berthiaume met le requĂ©rant en dĂ©tention aux fins d'enquĂŞte, il lui donne ses droits, y compris le droit Ă  l'avocat. Mais le requĂ©rant n'a pas pu l’exercer jusqu’à son arrivĂ©e au centre opĂ©rationnel. En consĂ©quence, il plaide que les agents Ă©taient obligĂ©s de surseoir Ă  toute mesure visant Ă  soutirer des renseignements de nature incriminante.

[74]       Le DPCP plaide qu’il Ă©tait lĂ©gitime pour l’agent Berthiaume de demander au requĂ©rant s’il y avait des armes dans l’appartement. Il souligne que les policiers ont Ă©tĂ© appelĂ©s sur la scène d’un possible cas de violence conjugale. Ils n'ont pas encore tous les dĂ©tails concernant l’incident et le logement n'est pas encore sĂ©curisĂ©. De plus, l’agent trouve des munitions dans la poche du suspect.

[75]       Le Tribunal considère que d’autres options se prĂ©sentaient Ă  l’agent pour s’assurer de leur sĂ©curitĂ©. Par exemple, le requĂ©rant est menottĂ© et les agents ont pu sortir toutes les personnes prĂ©sentes de l’appartement. Ils auraient pu appeler une escouade spĂ©cialisĂ©e pour sĂ©curiser l’endroit. Dans les circonstances, l’agent Berthiaume aurait dĂ» s’abstenir de poser des questions au requĂ©rant[24], respectant ainsi son droit Ă  l’avocat.

[76]       Il est Ă  noter que mĂŞme s’il plaide que les questions ont Ă©tĂ© posĂ©es au requĂ©rant en toute lĂ©gitimitĂ©, le DPCP concède que les rĂ©ponses de l’accusĂ© aux questions sont inadmissibles en preuve[25]. En outre, la rĂ©fĂ©rence Ă  la dĂ©claration de l’accusĂ© qu’il avait une arme dans une taie d’oreiller dans la chambre devra, selon le DPCP, ĂŞtre supprimĂ©e de la dĂ©nonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition.

[77]       Le Tribunal ajoute qu’il y a clairement eu violation de droit Ă  l’avocat de l’accusĂ© plus tard dans l’intervention quand l’agent a demandĂ© au requĂ©rant si le cannabis lui appartenait.

Les fouilles sans mandat de la résidence (article 8)

[78]       Comme dĂ©jĂ  mentionnĂ© ci-dessus[26], une fouille effectuĂ©e sans mandat est prĂ©sumĂ©e abusive et contraire Ă  l’article 8 de la Charte, Ă  moins qu’elle ne puisse ĂŞtre justifiĂ©e. Il revient alors au ministère public d'Ă©tablir selon la prĂ©pondĂ©rance des probabilitĂ©s, que la fouille Ă©tait autorisĂ©e par la loi, que la loi n'est pas abusive et que la fouille n'a pas Ă©tĂ© effectuĂ©e de manière abusive[27].

[79]       En l’espèce, le requĂ©rant reconnaĂ®t que les policiers Ă©taient en droit d’entrer dans sa rĂ©sidence, en conformitĂ© avec les principes Ă©tablis par la Cour suprĂŞme dans Godoy[28]. Il allègue, toutefois, que les fouilles des deux chambres dĂ©passaient le cadre des principes Ă©tablis dans cet arrĂŞt.

[80]       Un petit rappel sur la chronologie des Ă©vĂ©nements: le requĂ©rant est dĂ©tenu et fouillĂ©. L’agent Proulx sĂ©curise la rĂ©sidence et s’assure que personne ne s’y trouve. L’agent Berthiaume sort le requĂ©rant de l’appartement, et il rencontre le tĂ©moin qui avait placĂ© l’appel 911. Suite aux rĂ©vĂ©lations du tĂ©moin, il met par la suite le requĂ©rant en Ă©tat d’arrestation pour avoir profĂ©rĂ© des menaces. Ce dernier est assis dans l’auto-patrouille.

[81]       L’agent Berthiaume retourne Ă  l’appartement pour rejoindre l’agent Proulx qui se trouve avec la prĂ©sumĂ©e victime. Elle accepte de les accompagner au poste pour faire une dĂ©claration mais veut amener avec elle son sac Ă  dos qui se trouve dans la chambre. Les agents la suivent. C’est lĂ  oĂą les choses se compliquent.

[82]       Le DPCP considère qu’il Ă©tait parfaitement lĂ©gitime pour les agents d’aller dans la chambre avec madame Brunet. Ils ne pouvaient pas l'empĂŞcher d’avoir accès Ă  ses effets personnels mais, sachant qu’une arme se trouvait dans la rĂ©sidence, ils ne pouvaient pas la laisser circuler seule dans l’appartement. N’eut Ă©tĂ© de sa demande de rĂ©cupĂ©rer son sac, les agents ne seraient pas allĂ©s dans la chambre.

[83]       Le requĂ©rant soutient de son cĂ´tĂ© que les agents n’avaient pas le droit d’accompagner madame Brunet Ă  la chambre. L’appartement est sĂ©curisĂ© et le requĂ©rant est dĂ©tenu dans l’auto-patrouille. La lĂ©gitimitĂ© de leur prĂ©sence sans mandat dans la rĂ©sidence se limite Ă  ce qui est nĂ©cessaire pour s’assurer de la vie et la sĂ©curitĂ© des personnes qui pouvaient ĂŞtre en danger[29].

[84]       Tout comme le requĂ©rant, le Tribunal estime qu’il faut s’attarder sur la justification de la prĂ©sence des policiers dans la rĂ©sidence. En effet, leur prĂ©sence sans mandat est circonscrite dans l’arrĂŞt Godoy comme suit :

[…] l'importance du devoir qu'ont les agents de police de protéger la vie justifie qu'ils entrent par la force dans une maison afin de s'assurer de la santé et de la sécurité de la personne qui a composé le 911. L'intérêt que présente pour le public le maintien d'un système d'intervention d'urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l'occupant. Cependant, j'insiste sur le fait que l'atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité. Les agents de police ont le pouvoir d'enquêter sur les appels au 911 et notamment d'en trouver l'auteur pour déterminer les raisons de l'appel et apporter l'aide nécessaire. L'autorisation donnée aux agents de police de se trouver dans une propriété privée pour répondre à un appel au 911 s'arrête là. Ils ne sont pas autorisés en plus à fouiller les lieux ni à s'immiscer autrement dans la vie privée ou la propriété de l'occupant.[30]

(Nos soulignements)

[85]       Le Tribunal comprend le dĂ©sir des agents d'accommoder la prĂ©sumĂ©e victime et de lui permettre d’aller chercher son sac Ă  dos. Cependant, si les considĂ©rants de sĂ©curitĂ© ne leur permettaient pas de la laisser aller Ă  la chambre seule, ils se devaient, soit de refuser sa demande d’aller chercher son sac Ă  dos ou d’obtenir son consentement Ă  ce qu’ils l’accompagnent. Une fois que la maison Ă©tait sĂ©curisĂ©e et la vie et la sĂ©curitĂ© des habitants n'Ă©taient plus en pĂ©ril, ils n'avaient aucune autorisation lĂ©gale de circuler dans le foyer.

[86]       Le Tribunal ouvre une parenthèse pour mentionner qu'il n'est pas sans prĂ©cĂ©dent pour les policiers de refuser l'accès par un citoyen Ă  leurs effets personnels. Lorsqu’une perquisition est en cours, les occupants du lieu perquisitionnĂ© ne peuvent gĂ©nĂ©ralement pas  y avoir accès mĂŞme si aucun soupçon ne pèse sur eux. Il en est de mĂŞme pour une scène de crime. Le Tribunal est conscient que les contextes sont très diffĂ©rents mais il fait allusion Ă  ces situations afin de dĂ©montrer que les policiers n’étaient pas obligĂ©s de permettre Ă  madame Brunet de rĂ©cupĂ©rer son sac. En l’espèce, le fait de la priver temporairement de son sac Ă  dos aurait Ă©tĂ© un moindre mal.

[87]       Il est utile de souligner que le DPCP n’a pas plaidĂ© que l’accusĂ© n’avait pas d’expectative de vie privĂ©e dans la chambre oĂą se trouvait le sac Ă  dos. Au contraire, mĂŞme si cela n’a pas Ă©tĂ© dit de façon explicite, l’audition s’est dĂ©roulĂ©e de façon Ă  sous-entendre que l’appartement perquisitionnĂ©e Ă©tait le domicile du requĂ©rant et de madame Brunet et que les deux y vivaient en couple et avaient une expectative de vie privĂ©e Ă  travers le logement.

[88]       Le requĂ©rant n’a clairement pas consenti Ă  la prĂ©sence des agents dans la chambre. De plus, on ne peut prĂ©tendre que madame Brunet a donnĂ© son accord non plus. On se rappellera que la prĂ©sence des agents dans la chambre constitue, prima facie, une perquisition sans mandat et est donc prĂ©sumĂ©e abusive. Il incombe au ministère public d'Ă©tablir, selon la prĂ©pondĂ©rance des probabilitĂ©s, que la fouille Ă©tait autorisĂ©e. En l’espèce, aucune preuve n’a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e pour permettre au Tribunal de conclure que madame Brunet a consenti Ă  la prĂ©sence des policiers dans la chambre. Le mieux que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne les a pas empĂŞchĂ©s de la suivre pour aller rĂ©cupĂ©rer son sac.

[89]       Les observations suivantes de la Cour suprĂŞme dans Silveira[31] sont applicables en l’espèce :

Il n'existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa "maison d'habitation". Même si la police pouvait avoir les meilleures intentions du monde lorsqu'elle est entrée dans la maison, cette entrée sans mandat portait atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'art. 8 de la Charte.[32]

[90]       MĂŞme si on retient, qu’en allant dans la chambre, la motivation des policiers Ă©tait bienveillante, leur prĂ©sence dans celle-ci violait les droits constitutionnels du requĂ©rant protĂ©gĂ© par l’article 8 de la Charte.

[91]       Une sĂ©rie d’évènements se dĂ©roulent en cascade après l’entrĂ©e illĂ©gale des agents dans la chambre oĂą se trouve le sac Ă  dos. L’agent Berthiaume voit « en plain view Â» du cannabis sur le bureau. Sur le lit, se trouve un sac noir dans lequel l’agent voit (toujours « en plain view Â») des roches de crack. Mais mĂŞme si ces items Ă©taient bien en vue, ils n’auraient pas Ă©tĂ© aperçus par les agents n’eut Ă©tĂ© de leur prĂ©sence non autorisĂ©e dans la pièce. Madame Brunet leur dit qu’elle ne sait pas Ă  qui appartient le cannabis mais que le crack appartient au requĂ©rant.

[92]       En fouillant le sac Ă  dos, les agents trouvent une quantitĂ© importante de billets de 100$[33].

[93]       Rien de cela ne serait produit si les droits constitutionnels du requĂ©rant prĂ©vus Ă  l’article 8 avaient Ă©tĂ© respectĂ©s.

[94]       Si on revient Ă  notre chronologie, tous ces Ă©lĂ©ments de preuve amènent l’agent Berthiaume Ă  retourner Ă  l’auto-patrouille pour mettre le requĂ©rant en Ă©tat d’arrestation pour possession en vue d’en faire le trafic de stupĂ©fiants.

[95]       Par la suite, il retourne Ă  l’appartement Ă  la recherche d’une arme Ă  feu. L’agent Berthiaume explique qu’il voulait confirmer l’emplacement de l’arme et s’assurer que personne ne se blesse. Pourtant, les lieux sont dĂ©jĂ  sĂ©curisĂ©s et d’autres agents sont en route. Comme le concède le DPCP, ceci constitue une violation de l’article 8 de la Charte.

Résumé

[96]       Ni la mise de menottes au requĂ©rant, ni le fait qu’il fut amenĂ© dans l’auto-patrouille n’étaient abusifs. Il n’y a eu aucune violation de l’article 9 de la Charte.

[97]       La dĂ©cision d’effectuer une fouille de sĂ©curitĂ© incidente Ă  la dĂ©tention aux fins d'enquĂŞte Ă©tait lĂ©gale mais l’agent Berthiaume a effectuĂ© une saisie illĂ©gale en mettant sa main dans la poche du requĂ©rant. Il y a eu violation de l’article 8. Cette violation a menĂ© Ă  la dĂ©couverte des munitions.

[98]       Il y a eu violation du droit Ă  l’avocat protĂ©gĂ© Ă  l’article 10b) de la Charte quand l’agent a interrogĂ© le requĂ©rant concernant l’arme Ă  feu et concernant le cannabis.

[99]       La fouille de la chambre oĂą les policiers ont dĂ©couvert les stupĂ©fiants et l’argent dans le sac Ă  dos Ă©tait abusive. De plus, la fouille de la pièce oĂą ils ont trouvĂ© l’arme Ă©tait illĂ©gale. Dans les deux cas, il y a eu violation de l’article 8.

L’incidence des violations sur la validité du mandat de perquisition

[100]    Lorsqu’un juge est appelĂ© Ă  dĂ©terminer si un mandat de perquisition aurait dĂ» ĂŞtre autorisĂ©, son travail consiste Ă  dĂ©terminer s'il existait suffisamment d'Ă©lĂ©ments de preuve crĂ©dibles et fiables pour permettre au juge de dĂ©livrer l'autorisation[34].

[101]    L'information contenue dans l'affidavit peut ĂŞtre complĂ©tĂ©e par la procĂ©dure de rĂ©vision incluant l'excision et l'amplification. Le juge rĂ©viseur doit retrancher de l'affidavit toute information obtenue en violation de la Charte[35].

[102]    En l’espèce, les passages suivants doivent ĂŞtre radiĂ©s de la dĂ©nonciation[36] :

« 8.    […] L’agent Berthiaume #7185 effectue une fouille par palpation et trouve dans la poche avant droite de pantalon un sac ziploc transparent contenant des munitions de calibre 22.

          (Dernière phrase du paragraphe 8)

9.       Suite à la découverte des munitions, l'agent Berthiaume #7185 demande PIERRE CLERMONT, DUCKENS où se trouve le gun, ce dernier lui déclare qu'il est dans la chambre dans l'oreiller. […]

         (Première phrase du paragraphe 9)

[…]

13.  […] Étant donné qu'il y a possibilité d'arme a feu, les policiers ouvrent le sac à dos de la victime et découvre une grosse somme d'argent canadiens dans le sac a dos. Sur la table de chevet se trouve 6 onces de marijuana a l'intérieur d'un sac ziploc transparent et sur le lit qui est constitué d'un drap contour se trouve un sac noir ouvert contenant plusieurs roches de crack. La victime déclare que les stupéfiants appartiennent PIERRE CLERMONT, DUCKENS. [Sic]

         (Les deuxième, troisième et quatrième phrases du paragraphe 13)

14.  Vers 05:40, Les policiers procèdent à l'arrestation de PIERRE CLERMONT, DUCKENS pour possession en but de trafic de stupéfiant.[37]

          (Paragraphe 14)

15.  Vers 05 :55, l'agent Berthiaume vérifie dans la tête d'oreiller afin de valider et de pouvoir sécurisé s'il y a présence d'arme à feu. Un pistolet de calibre .22 chargé a été trouvé, ce dernier a été sécurisé. [Sic]

         (Paragraphe 15)

[103]    Les trois premiers « considĂ©rants Â» qui se trouvent Ă  la page 3 de la dĂ©nonciation doivent Ă©galement ĂŞtre supprimĂ©s.

[104]    Après l'excision de tous ces Ă©lĂ©ments[38], il est inconcevable qu'un juge de paix magistrat ait pu accorder l'autorisation[39].

[105]    Le mandat est donc invalide et les items saisis ont Ă©tĂ© obtenus Ă  la suite d’une perquisition sans mandat. Il s’agit d’une arme Ă  feu, d’un chargeur contenant 9 munitions, de 10 munitions de calibre .22, de 8 000 $ en argent canadien, d’une balance noire, d’une preuve locative et de stupĂ©fiants[40].


L’effet des violations sur l’admissibilité de la preuve

[106]    Ayant conclu que les Ă©lĂ©ments de preuve furent obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertĂ©s garanties par les articles 8 et 10b) de la Charte, le Tribunal doit maintenant dĂ©terminer si l’utilisation de ces Ă©lĂ©ments est susceptible de dĂ©considĂ©rer l'administration de la justice et si, par consĂ©quent, la preuve doit ĂŞtre exclue suivant l'article 24(2) de la Charte.

[107]    R. c. Grant[41] est l'arrĂŞt de principe qui nous guide dans l'application de l'article 24(2). La Cour suprĂŞme y dĂ©crit trois critères dont il faut tenir compte: la gravitĂ© de la conduite attentatoire de l'État, l'incidence de la violation sur les droits de l'accusĂ© garantis par la Charte et l'intĂ©rĂŞt de la sociĂ©tĂ© Ă  ce que l'affaire soit jugĂ©e au fond. C’est la mise en balance de ses trois facteurs qui permettra aux juges de dĂ©terminer si l'admission de la preuve est susceptible de dĂ©considĂ©rer l'administration de la justice.

La gravité de la conduite attentatoire de l’État

[108]    Le premier volet de l’analyse requise par le paragraphe 24(2) de la Charte exige que le tribunal Ă©value si « l’utilisation d’élĂ©ments de preuve dĂ©considĂ©rerait l’administration de la justice en donnant Ă  penser que les tribunaux, en tant qu’institution devant rĂ©pondre de l’administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l’État au principe de la primautĂ© du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illĂ©gales Â»[42]. Plus une violation est grave, plus il est essentiel pour les tribunaux de s’en dissocier en excluant les Ă©lĂ©ments de preuve ainsi acquis. Aussi, le tribunal devra se dissocier de la conduite de la police lorsque celle-ci agit de mauvaise foi.

[109]    En l’espèce, le Tribunal ne considère pas que l’agent Berthiaume ait agi de mauvaise foi. Cependant, les multiples atteintes des droits constitutionnels du requĂ©rant dĂ©coulent d'une mĂ©connaissance troublante de l'Ă©tendue de son pouvoir[43].

[110]    La violation de l’article 8 qui s’est produite lorsque l’agent a mis sa main dans la poche du requĂ©rant pour remettre un tĂ©lĂ©phone cellulaire qui sonnait Ă  la victime n’est pas parmi les plus graves.

[111]    Cependant, les autres violations de l’article 8 ne peuvent ĂŞtre considĂ©rĂ©es pareillement.

[112]    L’agent aurait dĂ» ĂŞtre conscient des strictes limites qui gouvernaient sa prĂ©sence dans le domicile avant de suivre madame Brunet dans la chambre oĂą il a dĂ©couvert les stupĂ©fiants et l’argent. Selon son tĂ©moignage, il n’a mĂŞme pas considĂ©rĂ© d’autres options.

[113]    Les commentaires suivants de la Cour suprĂŞme dans R. c. Buhay[44] s’appliquent en l’instance :

Il convient de signaler tout d'abord que la croyance subjective de l'agent qu’il n'y avait pas d’atteinte aux droits de l'appelant ne diminue pas la gravité de l'atteinte, à moins que sa croyance n'ait été raisonnable.[45]

[114]    En effet, la fouille dans la pièce oĂą se trouvait l’arme dĂ©note non seulement une mĂ©connaissance de la loi, mais est une erreur dĂ©raisonnable. Ceci augmente la gravitĂ© de la violation.

[115]    Les violations du droit Ă  l’avocat Ă  deux reprises dĂ©montre une ignorance complète de l’obligation des autoritĂ©s de s’abstenir de poser des questions avant qu’un accusĂ© ou un dĂ©tenu ait la possibilitĂ© de consulter son avocat.

[116]    Comme la Cour suprĂŞme l’avait dit dans R. c. Clarkson[46], « [c]e droit enchâssĂ© Ă  l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s vise manifestement Ă  promouvoir le principe de l'Ă©quitĂ© dans le processus dĂ©cisionnel »[47] . Dans R. c. Hebert[48], cette mĂŞme Cour explique que « [l] a fonction la plus importante de l'avis juridique au moment de la dĂ©tention est d'assurer que l'accusĂ© comprenne quels sont ses droits dont le principal est le droit de garder le silence »[49]. Dans Grant[50], la Cour explique que « [l]es dĂ©clarations d’un accusĂ© mettent en jeu le principe interdisant l’auto-incrimination, "l’une des pierres angulaires de notre droit criminel" Â»[51].

[117]    Le DPCP plaide que la violation qui s’est produite lorsque l’agent a questionnĂ© le requĂ©rant sur le cannabis n’a eu aucune incidence en l’espèce parce que le cannabis avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©couvert. Il a raison. Mais cette violation fait partie d’une sĂ©rie de violations qui augmente la gravitĂ© gĂ©nĂ©rale de violations[52].

[118]    Le Tribunal ne peut que conclure que les violations du droit Ă  l’avocat en l’espèce sont d’une gravitĂ© Ă©levĂ©e.

[119]    L’analyse de l’ensemble des circonstances quant Ă  la gravitĂ© des multiples violations milite en faveur de l’exclusion de la preuve.


L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé

[120]    Comme l’a expliquĂ© la Cour suprĂŞme dans Grant, « l’examen de cette question met l’accent sur l’importance de l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis Ă  l’accusĂ©, et il impose d’évaluer la portĂ©e rĂ©elle de l’atteinte aux intĂ©rĂŞts protĂ©gĂ©s par le droit en cause Â»[53].

[121]    La violation du droit Ă  l’avocat « porte atteinte Ă  son droit de dĂ©cider utilement et de façon Ă©clairĂ©e s’il parlera aux policiers, Ă  son droit connexe de garder le silence et, plus fondamentalement, Ă  la protection contre l’auto-incrimination testimoniale dont il jouit. Ces droits protègent l’intĂ©rĂŞt qu’ont les individus d’être libres et autonomes […]»[54].

[122]    En l’espèce, la première violation du droit Ă  l’avocat du requĂ©rant engendre une cascade d’autres violations. L’incidence sur la violation sur les droits de l’accusĂ© est très importante.

[123]    L’article 8 quant Ă  lui, souligne l’importance que notre sociĂ©tĂ© accorde au respect de la vie privĂ©e. En l’absence d’une autorisation lĂ©gale, l’état n’a pas le droit de s'ingĂ©rer dans la vie privĂ©e ou la propriĂ©tĂ© des citoyens. L’expectative de vie privĂ©e est particulièrement Ă©levĂ©e sur notre personne et dans une maison.

[124]    Le Tribunal reconnaĂ®t qu’une fouille par palpation, comme celle effectuĂ©e en l’espèce, porte atteinte Ă  la dignitĂ© de façon beaucoup moins importante qu’une fouille corporelle. Mais l’entrĂ©e illĂ©gale des agents dans deux diffĂ©rentes pièces de l’appartement a une incidence importante sur la vie privĂ©e du requĂ©rant.

[125]    L’analyse de l’ensemble des circonstances quant Ă  l’incidence de la violation sur les droits de l’accusĂ© milite en faveur de l’exclusion de la preuve.

L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[126]    Dans Grant, la Cour suprĂŞme souligne que « la sociĂ©tĂ© s’attend gĂ©nĂ©ralement Ă  ce que les accusations criminelles soient jugĂ©es au fond […] Â»[55]. Le Tribunal observe Ă©galement que « l’exclusion d’élĂ©ments de preuve pertinents et fiables risque de compromettre la fonction de recherche de la vĂ©ritĂ© du système de justice et de rendre le procès inĂ©quitable aux yeux du public, ce qui dĂ©considĂ©rerait l’administration de la justice. »[56] 

[127]     Dans le cas prĂ©sent, les objets saisis sont fiables et essentiels au ministère public. et les accusations sont d’une gravitĂ© Ă©levĂ©e.

[128]     Ceci Ă©tant dit, la Cour suprĂŞme a souvent affirmĂ© que «(l)a clameur publique immĂ©diate exigeant une condamnation ne doit pas faire perdre de vue au juge appelĂ© Ă  appliquer le par. 24(2) la rĂ©putation Ă  plus long terme du système de justice. En outre, si la gravitĂ© d’une infraction accroĂ®t l’intĂ©rĂŞt du public Ă  ce qu’il y ait un jugement au fond, l’intĂ©rĂŞt du public en l’irrĂ©prochabilitĂ© du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusĂ© encourt de lourdes consĂ©quences pĂ©nales Â»[57]. Il faut donc « soupeser l’utilitĂ© des Ă©lĂ©ments de preuve obtenus en violation de la Charte pour faciliter la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ© et amener une dĂ©cision au fond par rapport aux facteurs tendant Ă  leur exclusion […].»[58]

[129]     En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’à la lumière de la fiabilitĂ© de la preuve et la gravitĂ© de l’infraction, ce troisième critère milite en faveur de l’admission des Ă©lĂ©ments de preuve.

Conclusion sur le paragraphe 24(2) de la Charte

[130]     Les deux premiers critères de l’arrĂŞt Grant militent en faveur de l’exclusion de la preuve. Lorsque tel est le cas, ce n’est que très rarement que le troisième critère puisse suffisamment avoir de poids pour faire pencher la balance en faveur de l’admissibilitĂ© de la preuve[59].

[131]     Après avoir soupesĂ© toutes les considĂ©rations pertinentes, le Tribunal estime que l’utilisation des Ă©lĂ©ments de preuve serait susceptible Ă  long terme de dĂ©considĂ©rer l’administration de la justice. La conduite attentatoire est grave et les intĂ©rĂŞts qui doivent ĂŞtre protĂ©gĂ©s sont des plus importants.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête pour l’exclusion de la preuve.

 

__________________________________

SUZANNE COSTOM, J.C.Q.

 

Me Éric Poudrier

Procureur du DPCP

 

Me Claude Berlinguette

Procureur de l’accusé

 

Dates des audiences :

 15 juillet et 27 août 2020


ANNEXE 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE 2

 

 

 



[1]      Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19).

[2]      Loi sur le cannabis (L.C. 2018, ch. 16).

[3]      Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[4]     Pièce R-1, page 3.

[5]     Ibid.

[6]     Pièce R-3.

[7]     Requête en exclusion de la preuve, paragr. 94.

[8]     Charte canadienne des droits et libertés, précité, note 3.

[9]     R. c. Le, 2019 CSC 34.

[10]    Ibid., paragr. 124.

[11]    De 5 h 20 à 5 h 40, selon la pièce R-1.

[12]    Pièce R-1, page 3.

[13]    Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71.

[14]    Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.

[15]    Wolfson c. R., 2020, QCCA 856.

[16]    Requête en exclusion de preuve, paragr. 54.

[17]    Sur ce point, le requĂ©rant cite R. v. Lee, 2017 ONCA 654, au paragr. 31 : “[…] the officer « is required to act on reasonable and specific inferences drawn from the known facts of the situation»”.

[18]    R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, paragr. 16.

[19]    R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, paragr. 41; R. c. Mann, précité, note 15, paragr. 40.

[20]    R. c. Mann, précité, note 18, paragr. 41 citant Terry c. Ohio, 392 U.S. 1(1968), p. 29 cité dans R. c. Wolfson, précité, note 12, paragr. 55.

[21]     R. c. Mann, précité, note 18, paragr. 43.

[22]     Dans R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, le juge en chef Lamer s’exprime sur ce point comme suit :

« Comme je l'ai fait remarquer dans l'arrĂŞt Korponay c. Procureur gĂ©nĂ©ral du Canada, 1 R.C.S. 41, Ă  la p. 49, pour qu'une renonciation Ă  un droit procĂ©dural soit valide, "… il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procĂ©dure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procĂ©dure vise Ă  protĂ©ger…"  Ce critère s'applique Ă©galement Ă  une renonciation aux droits garantis par la Charte […]. Â»

[23]    R. c. Bartle, précité, note 22.

[24]    La détermination à savoir si les policiers ont le droit de poser des questions avant que le droit à l’avocat soit exercé lorsque cela est nécessaire pour assurer leur sécurité est un élément qui pourrait être débattu éventuellement dans un autre dossier. Mais dans le présent cas, le Tribunal n’a pas à trancher sur cette question à la lumière de sa conclusion à l’effet que les questions n’étaient pas requises pour des raisons de sécurité en l’espèce.

[25]    L’avocat du DPCP s’inspire du paragr. 104 de l’arrêt R. v. Patrick, 2017 BCCA 57.

[26]    Voir le paragr. 53 du présent jugement

[27]    R. c. Nolet, 2010 CSC 24, paragr 21.

[28]    R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311. Cet arrêt confirme le droit des policiers d’entrer dans une maison d’habitation pour des raisons de sécurité.

[29]    R. c. Godoy, précité, note 28, paragr. 28.

[30]    Ibid, paragr. 22.

[31]    R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297.

[32]    Ibid., au paragr. 140.

[33]    Il est vrai, comme l’avait soulignĂ© le DPCP, que le requĂ©rant n'a pas l'intĂ©rĂŞt (« standing Â») pour se plaindre de la fouille dans le sac Ă  dos appartenant Ă  Madame. Mais la fouille dans le sac est intimement liĂ©e Ă  la prĂ©sence illĂ©gale des agents dans la chambre.

[34]    Cadet c. R., 2018 QCCS 4619, au paragr. 112.

[35]    Ibid., aux paragr. 123 et 124.

[36]    Pièce R-3 (Annexe 1).

[37]     N’eût été de la présence illégale des agents dans la chambre, ces derniers n’auraient jamais découvert les stupéfiants et l’argent qui leur ont permis d’acquérir les motifs pour arrêter le requérant pour possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic.

[38]     Au début de ses observations, l’avocat du DPCP a suggéré au Tribunal de supprimer le paragraphe 15 de la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition. Plus tard, à la suite des questions posées par le Tribunal, il a concédé que la dernière du paragraphe 8 et la première phrase du paragraphe 9 devraient également être rayées, et ce, parce que les informations avaient été obtenues en violation de l’article 8 ou 10b) de la Charte, ou étaient dérivées de ces violations. Le DPCP proposait de garder tous les autres paragraphes y compris les paragaphes13 et 14.

[39]     Voir R-3, annexe 1. Une copie caviardée qui contient uniquement le reliquat, après les excisions, est  attachée au présent jugement comme annexe 2.

[40]     Pièce R-4.

[41]     R. c. Grant, [2009] 2 R.C.S. 353.

[42]     Ibid., paragr. 72.

[43]     Voir Sopinka, John, Lederman, Sidney N. and Bryant, Alan W.:The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999 à la page 450 cité dans R. c. Buhay, 2003 CSC 30, au paragr. 59.

[44]    R. c. Buhay, précité, note 43.

[45]    Ibid., paragr. 59.

[46]    R. c. Clarkson, [1986] 1 R.C.S. 383.

[47]    Ibid., paragr. 17.

[48]    R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151.

[49]    Ibid., paragr. 52.

[50]    R. c. Grant, précité, note 41, paragr. 89.

[51]    Ibid,. paragr. 89.

[52]    R. v. Davidson, 2017 ONCA 257, paragr. 48.

[53]    R. c. Grant, précité, note 41, paragr. 76.

[54]    Ibid., paragr. 95.

[55]    Ibid., paragr. 79.

[56]    Ibid., paragr. 81.

[57]    R. c. Grant, précité, note 41 paragr. 84. Voir aussi R. c. Spencer, 2014 CSC 43, paragr. 79.

[58]    Ibid., précité, note 41, paragr. 82.

[59]    R. v. McGuffie, 2016 ONCA 365, paragr. 38

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