[1] L’appelant se pourvoit contre un verdict de culpabilité prononcé le 7 octobre 2014, au terme d’un procès devant jury présidé par l’honorable François Huot, de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Trois-Rivières, sur une accusation de meurtre au premier degré.
[2] Pour les motifs du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Marcotte, LA COUR :
[3] Rejette l’appel.
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MOTIFS DU JUGE ROCHETTE |
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[4] L’appelant soutient que ce verdict est déraisonnable. Il se pourvoit également contre un jugement sur voir-dire rendu le 12 septembre 2014[1] qui autorisait notamment le dépôt en preuve d’une déclaration audio-vidéo faite par lui le 16 juin 2011 à un enquêteur, soit le jour même de son arrestation. Selon l’appelant, le juge aurait erré en déclarant cette preuve admissible, sa déclaration ayant été obtenue à la suite de promesses, de menaces et en utilisant un subterfuge.
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[5] L’appelant a subi un second procès, entre le 3 septembre et le 7 octobre 2014, en lien avec le meurtre de Jean-Guy Frigon, tué par balle le 29 novembre 2009, alors qu’il bûchait sur sa terre à bois située à proximité de son domicile. Son gendre, Nicolas Bonamassa, a échappé à un deuxième coup de feu et réussi à regagner la résidence de monsieur Frigon.
[6] Il faut remonter à 2003, année où la victime et son épouse, Lise Alarie-Frigon, déménagent dans la maison d’enfance de cette dernière, chemin du Ruisseau-Plat, à Saint-Édouard-de-Maskinongé. La fille du couple, Geneviève Frigon, en est alors propriétaire depuis le décès du père de madame Alarie-Frigon, survenu dans l’année.
[7] Un conflit s’envenime rapidement entre le couple et leur voisine, Solange Alarie[2], au sujet d’une clôture délimitant une lisière de terrain dont les Frigon estiment être propriétaires. Madame Alarie-Frigon témoigne que son mari et elle sont victimes de harcèlement de la part de Solange Alarie qui profère insultes et menaces de mort à leur endroit. Ils la soupçonnent d’être à l’origine de plusieurs actes de vandalisme posés sur leur terrain.
[8] En 2004, le chien des Frigon revient à la maison avec une bouteille de bière vide dans la gueule sur laquelle on retrouve leur nom, des menaces et le dessin d’un monument funéraire. Excédé, le couple fait installer des caméras de surveillance sur la propriété, ce qui permettra d’identifier Solange Alarie lançant une bouteille de bière sur leur terrain. Par la suite, le nombre d’incidents et d’actes de vandalisme diminue significativement.
[9] En 2009, la Cour du Québec condamne Solange Alarie à payer aux Frigon et à leur fille Geneviève 51 000 $ pour les troubles et inconvénients découlant des méfaits dont ils ont été victimes. Cette somme demeurant impayée, un bref de saisie immobilière est signifié à Solange Alarie le 9 novembre 2009.
[10] La dernière fin de semaine de ce mois de novembre, les filles des Frigon[3] et leurs conjoints sont en visite à St-Édouard pour souligner l’anniversaire de la cadette de la famille, Caroline. Le dimanche 29 novembre, ne restent à la maison que Geneviève et son conjoint, Nicolas Bonamassa. Vers 15 h 30, Jean-Guy Frigon décide d’aller bûcher sur sa terre à bois et Nicolas lui propose de l’accompagner. Ils quittent.
[11] Alors qu’ils s’activent dans le bois, Nicolas Bonamassa entend un bruit fort. Il se retourne et voit M. Frigon tomber au sol. Après avoir déposé sa scie, il se dirige rapidement vers lui et constate qu’il est blessé à l’épaule. À ce moment résonne une seconde détonation à quelques pas de lui. Il lève les yeux et aperçoit un individu armé portant une cagoule. Affolé, il regagne le domicile des Frigon à la course.
[12] Le décès de Jean-Guy Frigon sera constaté à l’hôpital de Louiseville.
[13] L’appelant demeure également sur le chemin du Ruisseau-Plat. Dans le passé, il a cumulé divers emplois qu’il n’a pas conservés très longtemps. Il commence à effectuer quelques tâches rémunérées pour Solange Alarie en 1998 ou en 1999, dont des travaux manuels de toutes sortes. Il la véhicule de temps à autre.
[14] L’appelant connaît bien les Frigon. Lise Alarie-Frigon est sa cousine, mais ils ne se sont jamais fréquentés. En 2007, le couple l’emploie pour de la coupe de bois qui se poursuivra jusqu’en avril 2008. En 2009, l’appelant commence à faire de plus en plus de travaux pour Solange Alarie ainsi que des commissions. Il explique que ces tâches constituent une source de revenus notable, outre l’assurance-chômage et l’aide de dernier recours qu’il reçoit de temps en temps.
[15] Au terme d’une longue enquête, les policiers en viennent à relier Solange Alarie et l’appelant au meurtre de Jean-Guy Frigon. Le 16 juin 2011, ils se présentent au domicile de la première pour procéder à son arrestation. Ils la trouvent inconsciente et elle décédera quelques heures plus tard à l’hôpital. De son côté, l’appelant est amené au poste de police où il est interrogé par l’enquêteur Normand Lapointe pendant plusieurs heures. Son interrogatoire vidéo[4] et la transcription de celui-ci[5] ont été produits en preuve. Au cours de cet interrogatoire, l’appelant reconnaît qu’il était présent sur les lieux du crime.
[16] Au procès, il donne sa version. Il raconte avoir reçu un coup de téléphone de Solange Alarie le samedi 28 novembre 2009, alors qu’il se trouve chez sa conjointe, Patricia Beaudoin. Madame Alarie lui demande d’aller chercher des fruits à l’épicerie. Le lendemain matin, elle lui téléphone de nouveau pour qu’il rapporte les fruits achetés la veille.
[17] Lorsqu’il arrive chez Solange Alarie, vers 14 h 40, elle semble agitée et lui demande d’aller faire une promenade en automobile. Elle baisse le siège de l’auto pour ne pas être vue. Alors qu’ils passent devant le domicile des Frigon, elle lui demande s’il peut lui prêter une arme pour aller leur faire peur. L’appelant accepte et se rend à son domicile. Il se change et ressort avec deux armes de calibre 20 et 22. Lorsqu’il offre à Solange Alarie de choisir entre les deux armes, elle lui demande de l’accompagner dans le bois, ce qu’il accepte.
[18] Alors qu’ils marchent dans un sentier, Solange Alarie remet à l’appelant une cagoule et l’invite à la porter. Bien que Solange Alarie ait mentionné à plusieurs reprises, dans le passé, vouloir tuer les Frigon, il n’aurait été question, ce jour-là, que de leur faire peur avec les armes.
[19] Lorsqu’ils aperçoivent les deux individus travaillant dans la forêt, Solange Alarie mentionne que ce n’est pas Lise qui accompagne Jean-Guy, mais plutôt son gendre. Devant l’hésitation de l’appelant, elle lui dit « si tu tires pas, je fais les deux ». Elle se faufile alors dans leur direction, se penche et tire sur Jean-Guy Frigon. L’appelant tire ensuite en direction de Nicolas Bonamassa « pour lui faire peur, pour que je puisse retourner à la maison, parce que je venais d’en voir un qui était soit blessé ou mort, ça me tentait pas qu’il y en ait un deuxième ».
[20] De retour à la résidence de l’appelant, Solange Alarie lui remet ses vêtements pour qu’il s’en débarrasse, puis il la reconduit à son domicile. Telle est la version de l’appelant.
[21] Selon la thèse de la poursuite, l’appelant était au courant de l’intention de Solange Alarie de tuer Jean-Guy Frigon et il a posé plusieurs gestes pour l’aider à accomplir son dessein.
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[22] Le jugement sur voir-dire a déclaré admissibles en preuve trois déclarations écrites prises à l’occasion de l’enquête, de même que l’enregistrement vidéo de la déclaration faite par l’appelant le 16 juin 2011. Seule cette dernière déclaration est visée par l’appel.
[23] L’appelant plaide que l’enquêteur Lapointe lui a fait des promesses de peine plus clémente et lui reproche d’avoir eu recours à une ruse, soit de lui faire croire que Solange Alarie pourrait l’inculper alors qu’il savait que cette dernière était décédée. L’analyse du juge s’attarde au caractère volontaire de la déclaration. Il rejette ces prétentions.
[24] Par ailleurs, au terme de ses délibérations, le jury a déclaré l’appelant coupable du meurtre au premier degré de Jean-Guy Frigon et l’a acquitté de l’accusation de tentative de meurtre à l’endroit de Nicolas Bonamassa.
[25] Selon la thèse de l’appelant, le juge aurait commis une erreur mixte de droit et de fait en concluant à l’admissibilité de la déclaration du 16 juin 2011 et le verdict serait déraisonnable.
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[26] Une déclaration faite par un accusé à un policier ou à une personne en situation d’autorité n’est admissible en preuve que dans la mesure où elle est libre et volontaire. Ce principe de common law est par surcroît protégé à la Charte canadienne des droits et libertés[6], bien qu’il ne faille pas conclure, pour autant, que la règle des confessions doit être confondue avec les garanties offertes par la Charte, comme l’a expliqué la Cour suprême, sous la plume du juge Iacobucci pour la majorité, dans l’arrêt Oickle :
31 Ces différences illustrent bien le fait que la Charte n’englobe pas exhaustivement tous les droits. Au contraire, elle représente le strict minimum que le droit doit respecter. Le corollaire nécessaire de cette affirmation est que le droit peut établir, soit au moyen de dispositions législatives ou de règles de common law, d’autres garanties que celles prévues par la Charte. La règle des confessions de la common law constitue un tel principe, et il serait erroné de le confondre avec les garanties offertes par la Charte. Bien qu’il puisse certes être approprié, comme l’a fait notre Cour dans Hebert, précité, d’interpréter un ensemble de droits au regard de l’autre, il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre[7].
[27] La règle des confessions tire son origine de l’arrêt Ibrahim[8] dans lequel le Conseil privé enseigne qu’il revient à la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que la déclaration extrajudiciaire de l’accusé « n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensé ou promis par une personne ayant autorité »[9].
[28] Cette règle a été reprise et enrichie par la Cour suprême[10]. Plus récemment, dans l’arrêt Oickle, auquel je référais ci-haut, la Cour suprême, après avoir revu la jurisprudence pertinente, estime nécessaire de reformuler la règle :
68 Bien que ce qui précède puisse sembler indiquer que la règle des confessions comporte toute une panoplie de facteurs et critères, l’idée de base est en réalité assez simple. Premièrement, comme le souci premier du système de justice pénale est d’éviter qu’un innocent soit déclaré coupable, une confession ne sera pas jugée admissible si elle a été faite dans des circonstances qui soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire. Tant la règle étroite traditionnelle qui a été énoncée dans l’arrêt Ibrahim que la théorie de l’oppression reconnaissent ce danger. Si les policiers qui mènent l’interrogatoire soumettent le suspect à des conditions tout à fait intolérables ou s’ils lui donnent des encouragements assez importants pour qu’il fasse une confession non fiable, le juge du procès doit écarter cette confession. Entre ces deux extrêmes, l’existence d’une combinaison de conditions oppressives et d’encouragements peut également avoir pour effet d’entraîner l’exclusion d’une confession. Le juge du procès doit, lorsqu’il rend sa décision, tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles la confession a été faite.
69 […] Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions. Qu’il ait été question de menaces ou de promesses, de l’absence d’un état d’esprit conscient ou encore de ruses policières qui privent injustement l’accusé de son droit de garder le silence, la jurisprudence de notre Cour a invariablement protégé l’accusé contre l’admission en preuve d’une confession non volontaire. Si la confession est involontaire pour l’une ou l’autre de ces raisons, elle est inadmissible.
[…]
71 Encore une fois, je tiens à souligner que l’analyse qui doit être faite en application de la règle des confessions est une analyse contextuelle. […] Les tribunaux doivent plutôt s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession, en tenant compte de tous les aspects de la règle que j’ai déjà analysés plus tôt. En conséquence, un encouragement relativement faible, tels un mouchoir pour s’essuyer le nez ou des vêtements chauds, peut constituer un encouragement inadmissible si le suspect est privé de sommeil, de chauffage et de vêtements pendant plusieurs heures en plein milieu de la nuit durant un interrogatoire […] Par contre, dans les cas où le suspect est traité convenablement, il faudra un encouragement plus fort pour que la confession soit jugée involontaire. Si le tribunal de première instance examine comme il se doit toutes les circonstances pertinentes, une conclusion à l’égard du caractère volontaire est essentiellement de nature factuelle et ne doit être infirmée que si « e juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits » […].[11]
[Soulignement ajouté]
[29] Plus particulièrement en ce qui concerne l’usage de ruses policières, la Cour suprême aura rappelé, au préalable :
65 Le dernier élément dont il faut tenir compte pour déterminer si une confession est volontaire ou non est la question de savoir si les policiers ont utilisé des ruses en vue d’obtenir la confession. Contrairement aux théories qui ont fait l’objet des trois dernières rubriques, cette théorie établit une analyse distincte. Bien qu’elle soit elle aussi liée au caractère volontaire, elle vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale. Cette analyse a été introduite par le juge Lamer, dans les motifs concordants qu’il a exposés dans l’arrêt Rothman, précité. Dans cette affaire, la Cour a admis la déclaration qu’avait faite le suspect à un policier en civil qui partageait sa cellule. Dans ses motifs, le juge Lamer a souligné que la fiabilité n’était pas le seul aspect auquel s’attache la règle des confessions, car autrement la règle ne s’intéresserait pas à la question de savoir si l’encouragement a été donné par une personne en situation d’autorité. Il a résumé ainsi l’approche qu’il convient d’appliquer, à la p. 691 :
[A]vant de permettre au juge des faits d’en examiner la valeur probante, une déclaration doit être soumise au voir dire en vue d’établir non pas si la déclaration est digne de foi, mais si les autorités ont fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse. Il importe au plus haut point de se rappeler que l’enquête ne porte pas sur la fiabilité, mais sur la conduite des autorités relativement à la fiabilité.
66 Le juge Lamer s’est également empressé de souligner que les tribunaux doivent se garder de ne pas limiter indûment le pouvoir discrétionnaire des policiers (à la p. 697) :
[U]ne enquête en matière criminelle et la recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury. Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et d’autres formes de supercherie, et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application de la règle. Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une conduite qui choque la collectivité[12]. [Je souligne.]
À titre d’exemples de comportement susceptibles de « choquer la collectivité », le juge Lamer a mentionné un policier qui soit se ferait passer pour un aumônier ou un avocat de l’aide juridique, soit donnerait une injection de penthotal à un suspect diabétique en prétendant lui administrer de l’insuline. L’analyse du juge Lamer sur ce point a été adoptée par notre Cour dans l’arrêt Collins, précité, […]
67 Dans l’arrêt Hebert, précité, notre Cour a renversé le résultat de l’arrêt Rothman en se fondant sur le droit au silence garanti par la Charte. Toutefois, je n’estime pas que cela rende inutile la règle du « choc de la collectivité ». Il peut survenir des situations où, quoique la ruse utilisée par les policiers ne porte pas atteinte au droit au silence ni ne mine le caractère volontaire de la confession comme tel, elle soit si odieuse qu’elle choque la collectivité. Je suis donc d’avis que le critère énoncé par le juge Lamer dans Rothman et adopté par notre Cour dans Collins demeure un élément important de la règle des confessions.
[Références omises]
[30] L’auteur Yanick Laramée mentionne que « la nouvelle règle élargie fait appel à l’état d’esprit conscient au sens de l’arrêt Whittle », afin de déterminer si « les policiers ont subjugué la volonté de l’accusé »[13].
[31] Il ne fait pas de doute que l’enquêteur a eu recours à un subterfuge. Le juge écrit :
[81] L’existence du subterfuge n’est pas contestée. Le sergent Lapointe reconnaît avoir été informé de la mort de Solange Alarie « vers le milieu ou les trois quarts » de l’interrogatoire et confirme avoir délibérément choisi de ne pas divulguer ce renseignement à l’accusé, et ce, pour éviter que la version de celui-ci ne soit possiblement contaminée. Lapointe ajoute qu’il aurait fait le même choix stratégique s’il avait été avisé du décès avant que ne débute l’interrogatoire.
[82] Au cours de l’entrevue, l’enquêteur fait d’abord entendre à l’accusé des propos tenus en l’absence de ce dernier par Solange Alarie, lesquels furent enregistrés par une tierce personne. Le policier explique ensuite à Branconnier qu’Alarie a l’intention de « tout mettre ça sur [son] dos ». Il ajoute que l’accusé devra décider s’il se fait « organiser » ou « s’il s’organise ». Il lui réitèrera d’ailleurs le même conseil dans les minutes qui suivront.
[83] Le policier convient qu’il était déjà possiblement informé de la mort de madame Alarie lors de l’échange suivant :
« (NL) : [ … ] moi, je le prends le temps, de te laisser la chance d’expliquer qu'est-ce qui s’est passé. Parce que t’as aucune idée qu'est-ce que les autres peuvent faire. T’as-tu une idée jusqu’à où pourrait aller Solange?
(YB) : Ben, je sais qu’a m’a tout câlissé dessus.
(NL) : Yvan, je vais dire comme un de mes chums t’as déjà dit la dernière fois qu’on s’est rencontrés : allume… ».
[84] Lorsque contre-interrogé sur cet extrait, le sergent Lapointe confirme à nouveau avoir délibérément choisi de garder Yvan Branconnier dans l’ignorance du décès de sa présumée complice pour éviter qu’il ne déverse sa propre responsabilité sur cette dernière.
[85] Après avoir invité Branconnier à réfléchir sur « ce que pourrait… dire Solange », le policier évoque l’éventualité où cette dernière choisirait de mentir à la police. Il martèle en ces termes la possibilité que madame Alarie n’impute à l’accusé l’entière responsabilité du décès de monsieur Frigon :
« (NL) : Comme aujourd’hui, tu vas décider toi-même si t’as le goût de me dire qu’est-ce qui s’est passé au moment que t’as débarqué chez Solange jusqu’au moment où vous quittez le bois après que Jean-Guy soit tombé. C’est toi qui va falloir qui décide de ça. C’est toi qui va falloir qui pense : qu’est-ce que je fais, là? J’la laisse-tu conter l’histoire ou je conte mon histoire à moi? Fais juste te poser cette question-là, Yvan. Juste ça. Juste ça. Fais juste te dire : je fais-tu assez confiance à Solange, qu’a me trahira pas ou qu’a m’en mettra pas trop sur le dos ou si je fais confiance à la personne que j’ai le plus confiance au monde, moi-même. J’espère que t’as confiance en toi, hein?
(YB) : Oui.
(NL) : Pense à ça. Tu me promets que tu vas penser à ça?
(YB) : Oui.
(NL) : J’vas revenir, j’vas aller te chercher de l’eau. C’est juste ça que t’as à penser. Quand j’arrive, le vingt-neuf (29), vers trois heures (3h00) à peu près, chez Solange, jusqu’à tant qu’Yvan tombe - Yvan - jusqu’à tant que Jean-Guy tombe, je laisse-tu Solange conter l’histoire? Je laisse-tu… ».
[86] Quelques minutes plus tard, le policier incite à nouveau monsieur Branconnier à réfléchir sur le contenu d’un témoignage éventuel de Solange Alariie lui suggérant de ne pas laisser « les autres dessiner le portrait pour [lui]. »
[Références omises]
[32] Le juge retient que, grâce à ce subterfuge, l’appelant a finalement reconnu qu’il était aux côtés de Solange Alarie au moment de l’homicide, mais il conclut que cette ruse ne peut être qualifiée de « répréhensible et de nature à choquer la collectivité » :
[87] Dans les quelques instants qui suivent, l’accusé admet qu’il était en compagnie de Solange Alarie le 29 novembre 2009, et ce, dans l’heure précédant la commission de l’homicide. Après une brève pause pour aller aux toilettes, Yvan Branconnier procure finalement sa version des faits à l’enquêteur.
[88] Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que les aveux de l’accusé sont directement attribuables au subterfuge utilisé par le policier Lapointe. En laissant sous-entendre que Solange Alarie était toujours vivante, l’enquêteur souhaitait manifestement entretenir chez Branconnier la croyance qu’Alarie pourrait l’incriminer lors d’un éventuel témoignage.
[89] La Défense plaide que le fait, pour un policier, de suggérer qu’une personne proche de l’accusé (et un présumé complice) est toujours vivante alors qu’elle est en réalité décédée représente un subterfuge de nature à choquer la collectivité.
[90] Avec égard, le soussigné ne partage pas ce point de vue.
[91] Dans un premier temps, la proximité entre Solange Alarie et l’accusé est somme toute fort relative. Lorsqu’Yvan Branconnier apprend en fin d’interrogatoire le décès de madame Alarie, il ne manifeste aucune réaction trahissant une quelconque forme d’attachement pour cette dernière. Aucun autre élément de preuve n’étaie l’hypothèse d’un lien significatif entre ces deux individus.
[92] En outre, même si elle avait réellement existé, une telle proximité n’aurait rien changé à l’analyse.
[93] L’usage de subterfuges n’allant pas à l’encontre de la loi et ne constituant pas une atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte pour obtenir une déclaration ne doit pas entraîner l’exclusion d’une confession libre et volontaire, à moins que la ruse employée ne soit répréhensible et choque la collectivité. Comme l’explique l’honorable juge en chef Lamer dans l’arrêt Collins, il s’agit là d’un seuil « très élevé ».
[94] Dans la présente affaire, Yvan Branconnier n’invoque aucune contravention à son droit de garder le silence. Comme dans l’arrêt Rowe, la question en litige consiste à déterminer si l’utilisation de la ruse précédemment décrite correspond à un « dirty trick » au sens de l’arrêt Rothman. […]
[95] Dans R. v. Alward and Mooney, un policier avait faussement déclaré devant l’accusé que la victime avait repris conscience et serait en mesure d’identifier ses agresseurs. Sous la plume de l’honorable juge Limerick, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en vint à la conclusion suivante :
« The fact that Constable Munn said to Sergeant Scott in the presence of the appellant that the old man has regained consciousness and will be able to identify his assailants, - although untrue, and might induce a sense of fear in the appellant, would not render the statement inadmissible. The fear contemplated by the rule of evidence is not a fear of being caught or identified or a fear induced by the accused's guilty conscience but a fear of reprisal if he failed to talk or give the statement. »[14]
[Références omises]
[33] Le juge note également que « l’écoute de l’interrogatoire vidéo démontre que l’exercice fut tenu dans une atmosphère sereine, sans qu’Yvan Branconnier ne soit soumis à quelque forme d’oppression que ce soit »[15], que la volonté de l’appelant n’a pas été subjuguée par la ruse employée[16] et que la conduite du policier « n’est certainement pas de nature à choquer la collectivité »[17].
[34] Mentionnons que l’appelant n’invoque plus d’emblée, devant la Cour, le caractère choquant de la ruse, mais affirme plutôt que celle-ci, jumelée à des promesses et menaces, l’a « amené…à faire une confession »[18]. Il y a là une certaine confusion puisque la Cour suprême précise dans Oickle, et plus récemment dans Spencer, que la théorie des ruses policières « établit une analyse distincte », soit de savoir si le subterfuge est de nature à choquer la collectivité[19]. Il est vrai que, dans Oickle, la Cour suprême a aussi précisé que le subterfuge peut aussi être analysé en lien avec l’oppression, mais il n’y a rien de tel ici.
[35] À mon avis, le juge s’est bien dirigé en fait et en droit en concluant qu’il ne s’agissait pas d’une ruse répréhensible et choquante. Bien qu’elle eût un effet sur l’appelant, elle n’était pas de nature à subjuguer sa volonté. L’interrogatoire s’est déroulé calmement, l’appelant confirmant sa présence sur les lieux du crime à son retour d’une pause, tel qu’il appert de l’écoute de l’enregistrement vidéo mis en preuve.
[36] En somme, la ruse utilisée ne porte pas atteinte à l’intégrité du système de justice pénale. Les autorités n’ont jamais « fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse »[20]. Elle n’a pas le caractère odieux requis pour justifier l’intervention des tribunaux. Au surplus, l’appelant ne pointe pas une erreur manifeste et déterminante du premier juge en regard de ces déterminations essentiellement factuelles. Sous ce rapport, l’appelant ne soulève donc pas un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la déclaration.
[37] Le juge rejette également cet argument de l’appelant. Il est opportun de reproduire les passages de son jugement supportant son raisonnement :
[104] Rappelons que l’interrogatoire en question débuta à 12 h 02 pour se terminer à 17 h 53. L’accusé passa aux aveux à 16 h 31. Or, à 14 h 12, l’enquêteur lui avait tenu les propos suivants :
« (NL) : Toi, là, quand tu prends un… un dossier comme on a aujourd’hui puis que t’as des personnes qui sont impliquées de différentes façons à un meurtre, t’as une personne qui a préparé, puis qui a pensé à commettre le meurtre, puis qui a préparé le plan, puis qui a pensé à une façon de commettre l’irréparable, le meurtre en question, puis une personne qui a participé, qui a simplement participé au crime, tu penses-tu que ça mérite la même… la même punition, les mêmes reproches?
(YB) : Ben, les reproches, oui, mais… dans la balance, pas sûr.
(NL) : Qu’est-ce que tu veux dire par là?
(YB) : Ben, la personne qui l’a fait, c’est sûr qu’a… logiquement, faudrait que ça soit plus sévère que la personne qui a rien fait.
(NL) : C’est normal. Puis la façon de savoir ça, c’est de savoir vraiment qu’est-ce qui s’est passé là-bas. Vraiment… ».
[105] Immédiatement après cet échange, monsieur Lapointe insiste cependant à deux reprises sur le fait qu’il appartiendra à un juge ou à un jury de décider ultimement du sort de l’accusé.
[106] À 15 h, le policier réfère à nouveau en ces termes à la peine applicable à l’infraction de meurtre :
« (NL) : Je t’ai posé une question tantôt, là : celui qui organise le crime, qui pense à tuer quelqu’un, qui a un intérêt particulier, O.K., puis qui va chercher d’autres gens ou une personne pour l’aider ou pour l’assister, d’après toi, ça mérite-tu la même punition, les mêmes conséquences?
(YB) : Non.
(NL) : Bon. De quelle façon qu’on peut départager les choses? En connaissant le rôle de chacun.
(YB) : Hum.
(NL) : T’es-tu d’accord?
(YB) : Oui. »
[107] À 15 h 22, l’enquêteur invite finalement Yvan Branconnier à lui faire part du mobile de ses crimes en lui suggérant que cette démarche permettrait à un éventuel décideur de comprendre son passage à l’acte :
(NL) : Qu’est-ce qui pourrait être mieux? D’expliquer qu’est-ce qui s’est passé. Qu’est-ce qui pouvait être pire au jeune que d’avoir poignardé un bonhomme? Dans son cas, c’est qu’il serait mort. Mais admettons qu’il était mort, qu’est-ce qui aurait été le pire? Rien, rien de plus pire. C’est lui qui l’avait, qui l’a poignardé. Il a raconté qu’est-ce qui s’est passé, le mobile, la raison pourquoi qu’il a fait ça, pourquoi qu’il s’est retrouvé avec un couteau dans les mains, pourquoi qu’il l’a piqué.
Moi, je pense que, moi, si j’aurais à prendre une décision, si j’aurais à avoir un dossier comme ça, ça change ma perception du dossier. J’te dis pas que ça va tout changer, qu’on va oublier qu’est-ce qu’il a fait, non, mais ça t’aide à comprendre pourquoi qu’il l’a fait. Ça t’aide à comprendre que c’est pas nécessairement une personne que… qui va venir peut-être un jour à tuer cinq (5), six (6), douze (12) personnes en ligne. C’est qu’il avait… Il a posé un geste dû à des gestes passés graves puis il a mal réagi. Donc, c’est plus ses réactions vis-à-vis des choses qui ont été portées.
Toi, c’est peut-être une réaction vis-à-vis l’injustice, c’est peut-être… Parce qu’une petite madame qui se fait voler un bout de terrain, peut-être c’est ta réaction vis-à-vis une femme qui est très très imposante, ben manipulatrice. C’est peut-être ça. Mais c’est toi, ça, qui peux l’expliquer. » (Nos soulignements)
[108] Le procureur de la Défense soumet que les passages susmentionnés s’apparentent à des promesses ou menaces puisqu’on y traite davantage des conséquences légales que morales des crimes reprochées. On y réfère même au concept de « punition », ce qui ne pouvait manquer de susciter une crainte chez monsieur Branconnier. La notion de « promesse », quant à elle, doit être interprétée plus largement que l’exemple classique d’une personne en situation d’autorité laissant entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession.
[109] Les auteurs Bryant, Lederman et Fuerst résument ainsi les enseignements de la Cour suprême sur le concept de « promesses ou menaces » :
« [ … ] Justice Iacobucci recognized that few suspects spontaneously confess to committing a crime and the police somehow have to convince suspects that it is in their best interest to make a statement. Thus, police interrogation techniques that attempt to convince an accused to confess will not necessarily render a confession involuntary. Inducements only become improper when, standing alone or in combination with other factors, they are strong enough to raise a reasonable doubt whether the will of the suspect has been overborne. In the Court’s opinion, the most important consideration is whether a quid pro quo offer is made as part of the inducement. In cases of physical violence or clear offers of lenient treatment, one may be able to precisely identify the terms of a reciprocal bargain and its effect on the voluntary nature of a confession. Where a promise or threat is subtle or veiled, however, it may be difficult to say with confidence that the resulting confession is a quid pro quo of the police conduct, especially if the statement is made in the course of a lengthy interrogation. The majority in Oickle found that the accused’s statement was voluntary because there was no causal connection between the inducement offered by the police and the subsequent confession. (Nos soulignements)
[110] En l’espèce, le sergent Lapointe n’offre aucune contrepartie à l’accusé en échange de sa confession. Ce facteur démontre l’absence de promesse ou menace.
[111] Même si le Tribunal avait conclu en l’existence d’une telle contrepartie, il lui aurait fallu garder à l’esprit que c’est l’importance accordée par l’accusé lui-même aux encouragements qu’il faut apprécier dans l’examen contextuel global du caractère volontaire de la déclaration. Or, Yvan Branconnier a choisi de ne pas se faire entendre lors du voir-dire et rien n’indique, eu égard à la situation dans laquelle il se trouvait le 16 juin 2011, qu’il ait accordé aux propos susmentionnés l’importance que leur attribue aujourd’hui son procureur.
[112] Mais il y a plus.
[113] Les « promesses ou menaces » auxquelles réfère monsieur Branconnier ont été formulées plus d’une heure avant que l’accusé ne livre à l’enquêteur sa version des faits relativement aux événements du 29 novembre 2009, et ce, dans le cadre d’un interrogatoire d’une durée totale de près de six heures. Compte tenu de la longueur de cette entrevue, le soussigné ne croit pas que les verbalisations de l’accusé résultent d’une contrepartie aussi subtile ou voilée que celle invoquée par la Défense.
[114] En outre, le soussigné a déjà conclu que les aveux d’Yvan Branconnier découlent non pas d’une contrepartie quelconque, mais plutôt de la ruse policière précédemment décrite, laquelle n’est aucunement susceptible de choquer la collectivité.
[Références omises]
[38] Il va de soi que la « crainte d’un préjudice » ou « l’espoir d’un avantage » sont de nature à entacher le caractère libre et volontaire d’une déclaration. Ce sera le cas, par exemple, lorsque l’on promet à la personne interrogée une réduction de la peine ou une plus grande clémence de la part du tribunal, comme le précise la Cour suprême dans Oickle :
[…] L’exemple classique d’« espoir d’un avantage » est la perspective de clémence de la part du tribunal. Il est inacceptable qu’une personne en situation d’autorité laisse entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession. En conséquence, dans l’arrêt Nugent, précité, la cour a écarté la déclaration d’un suspect à qui l’on avait dit que, s’il faisait une confession, il serait accusé d’homicide involontaire coupable au lieu de meurtre. […] Aussi peu plausible que cela puisse intuitivement sembler, tant la jurisprudence que la doctrine confirment que la pression découlant d’un interrogatoire intense et prolongé peut convaincre un suspect que personne ne croira ses protestations d’innocence et qu’il sera inévitablement déclaré coupable. Dans de telles circonstances, faire miroiter à un suspect la possibilité d’une réduction de l’accusation ou de la peine en échange d’une confession soulèverait un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu qui s’ensuivrait. […][21]
[Soulignement ajouté - Références omises]
[39] Dans l’arrêt Spencer, la Cour suprême explique que l’analyse doit porter sur l’effet qu’a eu la promesse sur l’accusé et non simplement sur la nature de celle-ci :
[…] De plus, ce n’est pas la contrepartie, mais plutôt le caractère volontaire, qui occupe le « premier plan » — c’est l’objet déterminant de l’enquête, et il ne faudrait pas l’oublier dans l’analyse. Comme je l’ai mentionné, si l’offre d’une contrepartie peut établir l’existence d’une menace ou d’une promesse, c’est l’importance accordée à ce soi-disant encouragement qu’il faut prendre en considération dans l’examen contextuel global du caractère volontaire. [22]
[Soulignement ajouté]
[40] Récemment, la Cour d’appel du Manitoba s’est penchée sur une affaire qui présente des affinités avec la nôtre[23]. À l’occasion de l’interrogatoire d’un prévenu, l’intimé Coaster arrêté pour meurtre, les policiers affirment qu’ils ne savent pas quelles accusations seront portées contre lui. On lui mentionne que « which charge he faced could make a “big difference” in terms of when he would get out of jail »[24]. Les policiers ajoutent qu’il lui revient de définir son rôle face à l’inévitable : « Now is your chance, Charles, help yourself out »[25].
[41] Or, la Cour d’appel du Manitoba conclut que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en déclarant admissibles en preuve les aveux de l’accusé, compte tenu de sa maturité, de sa bonne connaissance du système judiciaire et des interrogatoires, du fait qu’il était calme et en contrôle et, enfin, de l’absence d’oppression de la part des policiers :
[24] While the officers did not provide misinformation to the appellant during the interrogation, I agree with the appellant that some of the officers’ comments involved risky language to the effect of “it will be better if you told the truth.” However, as the judge properly noted in her reasons, such language does not lead to automatic exclusion; context is the controlling consideration (Oickle at para. 54).
[…]
[26] It is conceded that the appellant was treated properly by the police; there was an absence of oppressive circumstances. In such a case, a strong inducement would be necessary to render his confession involuntary (Oickle at paras. 71, 87).
[27] While an implicit offer of lenient treatment and the possibility of a reduced charge may not have the same impact as an explicit offer of leniency, particularly in a situation such as this where the officers repeatedly made it clear that the Crown Attorney, not them, would decide the appellant’s charge, such an inducement is still, in my view, a significant one because, “[t]he classic ‘hope of advantage’ is the prospect of leniency from the courts” (Oickle at para. 49).
[28] That said, despite the strength of such an inducement, the judge concluded, based on her evaluation of the video-recording of the statement and the evidence on the voir dire from the officers and the appellant, that the appellant was quite capable of resisting the officers’ pressure. She found that the police tactics had no “coercive effect” on him (at para. 29). In my view, that finding was open to the judge. [26]
[Soulignement ajouté]
[42] Ces constats valent tout autant en l’espèce.
[43] Il est bon de reproduire ici l’avertissement donné par l’enquêteur et auquel se réfère le juge au paragraphe 105 de son jugement, sans cependant le reproduire :
N.L. |
[…] Parce que nous autre, notre travail, c’est juste d’amener le dossier à la cour. C’est pas moi qui va décider si vous êtes coupables ou pas. C’est pas moi, il y a un juge pour ça. Les policiers, on ramasse les éléments de preuve, on amène ça devant un procureur; lui, il juge s’il en a assez pour porter des accusations. Après ça, il amène ça à la cour puis ils vont juger s’il y a assez d’éléments pour aller en procès. […] Il y a un jury ou juge qui va prendre la décision. Ça fait que moi, mon travail, c’est ça. |
[44] À 16 h 28, l’appelant passe aux aveux.
[45] Le juge de première instance considère qu’il n’y a, d’une part, aucune promesse faite à l’appelant et que, d’autre part, les propos reprochés n’ont pas influencé sa décision de passer aux aveux, à la suite de ce qui a été qualifié de « ruse policière ». Il s’écoule plus d’une heure entre les « menaces ou promesses » alléguées et l’aveu de l’appelant. L’interrogatoire s’est déroulé dans une atmosphère sereine. L’appelant ne fait pas voir en quoi ces déterminations, qui découlent d’une analyse contextuelle de l’interrogatoire du 16 juin 2011, sont entachées d’une erreur manifeste et déterminante.
[46] Dès lors, la preuve administrée au stade du voir-dire ne soulevait pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu fait par l’appelant. Les commentaires de l’enquêteur n’étaient pas de nature à subjuguer la volonté de l’appelant.
[47] De l’avis de l’appelant, il ressort de son interrogatoire vidéo du 16 juin 2011 et de son témoignage qu’il n’a jamais eu la mens rea requise pour être condamné pour meurtre en vertu de l’article 21 C.cr. Il ignorait l’intention de Solange Alarie de tuer Jean-Guy Frigon, croyant qu’ils allaient simplement lui faire peur. Il rappelle qu’il a été acquitté de la tentative de meurtre à l’égard de Nicolas Bonamassa. L’absence de preuve d’intention rendrait le verdict de meurtre au premier degré déraisonnable.
[48] La Cour ne peut intervenir sous ce rapport « si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre » [27]. L’examen du caractère raisonnable du verdict demeure le même, que la condamnation repose sur une preuve circonstancielle ou une preuve directe[28]. La Cour « doit réexaminer l’effet de la preuve et aussi dans une certaine mesure la réévaluer » afin de déterminer si un tel verdict pouvait raisonnablement être rendu[29].
[49] Dans l’arrêt Biniaris, la Cour suprême précise ainsi la norme applicable :
Il ne suffit pas que la cour d’appel parle d’un vague malaise ou d’un doute persistant qui résulte de son propre examen de la preuve. Ce « doute persistant » peut être un puissant élément déclencheur d’un examen approfondi de la preuve en appel, mais il ne constitue pas, sans plus d’explications, une bonne raison de modifier les conclusions d’un jury[30].
[50] Cela dit, l’appréciation de la crédibilité des témoins est un exercice intrinsèquement factuel et il est bien établi que les tribunaux d’appel doivent « respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante »[31]. Suivant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt François, il revient au jury d’accepter ou non la version des faits de l’accusé :
Dans l'examen du caractère raisonnable du verdict du jury, la cour d'appel doit également tenir compte du fait que le jury peut raisonnablement et légitimement traiter de diverses façons les incohérences et la raison d'inventer. Le jury peut rejeter en entier la déposition du témoin, ou encore il peut accepter les explications du témoin en ce qui concerne les incohérences apparentes et le démenti du témoin que des pressions abusives ou des motifs erronés l'ont incité à témoigner. Enfin, le jury peut accepter une partie de la déposition du témoin tout en en rejetant d'autres parties; on dit habituellement aux jurés qu'ils peuvent accepter ou rejeter toute la déposition de chaque témoin ou en accepter une partie seulement. Il s'ensuit que nous ne pouvons pas conclure de la simple présence de détails contradictoires ou de raisons d'inventer que le verdict du jury est déraisonnable. Un verdict de culpabilité fondé sur un tel témoignage peut très bien être à la fois raisonnable et légitime.[32]
[Soulignement ajouté]
[51] Dans l’arrêt Grover, la Cour suprême enseigne qu’advenant le cas où un jury rejette l’explication fournie par l’accusé, un tribunal d’appel ne peut déclarer le verdict déraisonnable en invoquant une autre explication rationnelle[33].
[52] En matière de complicité en vue d’aider une personne à commettre une infraction[34], la poursuite doit prouver que l’accusé a l’intention d’aider l’auteur principal à perpétrer l’infraction tout en ayant la connaissance de l’intention de ce dernier d’agir ainsi[35]. Dans l’arrêt Briscoe, la Cour suprême précise que l’ignorance volontaire peut correspondre à la connaissance de l’intention de l’auteur principal :
[21] L’ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d’infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire. […] Comme l’a dit succinctement le juge Sopinka dans Jorgensen (par. 103), « [p]our conclure à l’ignorance volontaire, il faut répondre par l’affirmative à la question suivante : L’accusé a-t-il fermé les yeux parce qu’il savait ou soupçonnait fortement que s’il regardait, il saurait? ».[36]
[Référence omise]
[53] D’abord, le fait que le jury a acquitté l’appelant de l’accusation de tentative de meurtre n’a aucune pertinence. L’existence d’un doute raisonnable au sujet de l’intention de celui-ci de tuer Nicolas Bonamassa est conciliable avec le verdict de culpabilité prononcé. L’appelant a pu connaître l’intention de Solange Alarie de tuer Jean-Guy Frigon et poser des gestes en vue de l’aider à accomplir son dessein, sans avoir l’intention de tuer son gendre. Il ne s’agit ni des mêmes gestes ni de la même personne.
[54] Par ailleurs, l’appréciation judiciaire des faits pouvait valablement mener à la conclusion qu’a tirée le jury. Rappelons que les éléments de preuve suivants soutiennent la thèse selon laquelle l’appelant savait ou a choisi d’ignorer le fait que Solange Alarie voulait tuer Jean-Guy Frigon :
· Solange Alarie lui a mentionné à plusieurs reprises avoir l’intention d’assassiner le couple Frigon[37]. Lors de son interrogatoire en chef, l’appelant précise que, cinq, six ou sept mois avant le meurtre, elle lui a affirmé qu’elle aimerait voir les Frigon morts. En contre-interrogatoire, il dit que c’était prévu cinq ou six mois d’avance, mais que ce n’était pas censé être un meurtre :
Q. |
[…] La connaissance de ce plan-là, c’était supposé faire peur, vous saviez donc que c’était pas supposé être un meurtre? |
R. |
C’était pas supposé être un meurtre. |
Q. |
Donc ça, vous, vous saviez ça d’avance? |
R. |
Bien oui. |
Q. |
Cinq (5), six (6) mois d’avance? |
R. |
Bien disons qu’elle en avait parlé, mais la journée même, on[[38]] s’en souvenait pas. J’ai pas fait le lien, moé, là, là. |
[…]
Q. |
Mais cinq (5), six (6) mois avant, ce qu’on doit comprendre de votre déclaration au policier Lapointe « Elle m’en avait parlé cinq (5) ou six (6) mois avant », c’est de leur faire peur? |
R. |
Oui. |
· Pourtant, dans la déclaration à laquelle l’avocat fait référence, l’appelant mentionne qu’il a su cinq ou six mois avant le meurtre que Solange Alarie voulait « tirer » les Frigon :
N.L. |
Y a-tu quelqu’un d’autre qui était au courant de ses plans ou a l’a décidé ça comme ça? Quand est-ce qu’a l’a dit : j’vas faire ça de même, j’vas me cacher dans le bois puis j’vas attendre qu’il aille bûcher du bois. |
Y.B. |
Ben moi, a m’en avait parlé cinq (5), six (6) mois avant. |
N.L. |
Qu’est-ce qu’a t’a dit exactement? |
Y.B. |
Ben, la meilleure place, c’est… a dit : « y bûche à l’automne ». |
[…]
N.L. |
A l’avait-tu l’intention de tuer Lise aussi? |
Y.B. |
Oui. |
N.L. |
Ça, a t’a dit ça quand? |
Y.B. |
Avant. |
· Les propos qu’aurait tenus Solange Alarie correspondent exactement au scénario qui s’est concrétisé. De plus, ils se rendent dans le boisé le visage dissimulé par une cagoule, armés de fusils, munis de plusieurs cartouches de rechange. Dans sa déclaration vidéo, l’appelant mentionne :
N.L. |
Pourquoi vous aviez chacun une arme à feu? |
Y.B. |
Ben, chacun une arme; disons que… pour montrer que j’étais avec. |
N.L. |
Vous avez pas décidé : moi, je tire Lise, toi, tu tires Jean-Guy. |
Y.B. |
Non. |
N.L. |
Avez-vous parlé de ça? |
Y.B. |
A en a parlé, mais moi, j’ai pas… j’ai pas dit que j’en choisis un, moi là. |
N.L. |
Qu’est-ce qu’a t’a dit? A t’a parlé de quoi? |
Y.B. |
Ben, à dit : « Si tu tires pas - à dit - j’vas faire les deux (2) ». |
N.L. |
Si tu tires pas… |
Y.B. |
J’vas faire les deux (2). C’est pour ça qu’a voulait des cartouches en spare. |
· Lorsque questionné par l’enquêteur Lapointe au sujet de sa connaissance du plan de Solange Alarie, au moment où elle entre dans sa voiture, l’appelant répond :
N.L. |
Toi, quand tu… quand tu ramasses Solange, a l’embarque dans l’auto, abaisse son siège, vous vous en allez vers chez vous; à ce moment-là, a te dis-tu qu’est-ce qu’a s’en va faire? |
Y.B. |
Ben, j’avais une idée, oui. |
· Dans le cours de l’enquête, l’appelant a menti aux policiers en les dirigeant sur la piste d’un règlement de comptes lié au crime organisé. Interrogé à ce sujet, l’appelant explique qu’il voulait « se protéger ».
· Dans sa déclaration vidéo, l’appelant relate que, lorsqu’il arrive chez Solange Alarie, le jour du meurtre, elle est en colère en raison du fait « qu’elle se fait saisir la maison ». Au procès, il contredit cette affirmation, affirmant qu’il n’a eu connaissance des procédures judiciaires qu’en mars 2010. Confronté à sa déclaration vidéo, il expliquera avoir commis une « erreur » à ce sujet dans son témoignage.
[55] En somme, l’appelant ne fait pas la démonstration du caractère déraisonnable du verdict.
[56] Pour ces motifs, je conclus au rejet du pourvoi.
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LOUIS ROCHETTE, J.C.A. |
[1] Ce jugement a été rendu oralement, motifs à suivre. Le 22 octobre 2014, un jugement écrit a été déposé au dossier de la Cour.
[2] Elle n’a pas de parenté connue avec Lise Alarie-Frigon, mais elles se connaissent depuis l’enfance.
[3] Geneviève et Caroline.
[4] Pièce VD-1(D).
[5] P-32 (B) et P-32 (A).
[6] Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, art. 7 [Charte].
[7] R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3.
[8] Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.Priv).
[9] Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599, 609 (C.Priv).
[10] R. c. Erven, [1979] 1 R.C.S. 926; R. c. Horvath, [1979] 2 R.C.S. 376; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; R. c. Whittle, [1994] 2 R.C.S. 914.
[11] R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3.
[12] R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38.
[13] Yanick Laramée, « L’admissibilité des confessions : common law versus Charte », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, vol. 264, Développements récents en droit criminel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, à la p. 29, p. 30, citant : R. c. Whittle, [1994] 2 R.C.S. 914, 939.
[14] Le juge se réfère ici à l’arrêt R. v. Alward, 32 C.C.C. (2d) 416, 432, confirmé par [1978] 1 R.C.S. 559.
[15] Au paragr. 99.
[16] Ibid.
[17] Au paragr. 101.
[18] Au paragr. 44 de son exposé.
[19] R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, paragr. 65; R. c. Spencer, 2007 CSC 11, [2007] 1 R.C.S. 500, paragr. 12.
[20] Selon les termes du juge Lamer dans R. c. Rothman, [1981] 1 R.C.S. 640, 698.
[21] R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, paragr. 49.
[22] R. c. Spencer, 2007 CSC 11, [2007] 1 R.C.S. 500, paragr. 19, par la juge Deschamps.
[23] R. v. Coaster, 2014 MBCA 108.
[24] R. v. Coaster, 2014 MBCA 108, paragr. 14.
[25] R. v. Coaster, 2014 MBCA 108, paragr. 15.
[26] R. v. Coaster, 2014 MBCA 108, paragr. 24-28.
[27] Art. 686 (1)a)(i) C.cr.; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168.
[28] R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, 186.
[29] R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, 186; R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, 131.
[30] R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, paragr. 38. Voir aussi : Pardi c. R., 2014 QCCA 320, paragr. 28; Richard c. R., 2015 QCCA 1523, paragr. 25.
[31] R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621, paragr. 20; Voir également : R. c. W.H., 2013 CSC 22, [2013] 2 R.C.S. 180, paragr. 2.
[32] R. c. François, [1994] 2 RCS 827, 837.
[33] R. c. Grover, 2007 CSC 51, [2007] 3 R.C.S. 510, paragr. 2.
[34] Art. 21(1)b) C.cr.
[35] R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, paragr. 16.
[36] R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, paragr. 21; Voir également : R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 84.
[37] Voir par exemple la pièce P-32(B), Transcription de l’interrogatoire vidéo d’Yvan Branconnier (P-32(A)).
[38] L’appelant s’exprime à la troisième personne.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.