Décision

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Ordre des optométristes du Québec c. Coastal contacts inc.

2014 QCCS 5886

JM2232

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-055516-101

 

 

 

DATE :

Le 3 décembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

ORDRE DES OPTOMÉTRISTES DU QUÉBEC

DEMANDEUR

 

c.

 

COASTAL CONTACTS INC.

9130-4329 QUÉBEC INC. (faisant affaires sous la raison sociale

  de GESTION PROGEX)

DÉFENDERESSES

 

et

 

OKTANE DESIGN INC.

MISE EN CAUSE

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]           La requête en jugement déclaratoire de L’Ordre des optométristes du Québec (« l’Ordre ») soulève une question d’actualité importante et d’intérêt public, puisqu’elle met en cause un mode de commerce extrêmement répandu à l’ère de l’Internet.

[2]           L’Ordre cherche à faire déclarer que Coastal Contacts Inc. (« Coastal ») et 9130-4329 Québec Inc. (« Progex ») contreviennent à la Loi sur l’optométrie[1] (la « LSO ») et au Code des professions[2] (le « Code ») puisqu’elles exercent de l’optométrie en vendant des lentilles ophtalmiques au Québec par l’entremise de leurs sites Internet sans être inscrites à l’Ordre.  Le demandeur soutient que les défenderesses se livrent à des activités professionnelles réservées aux membres de l’Ordre ou qu’elles agissent de manière à donner lieu de croire qu’elles en sont.

2.         CONTEXTE FACTUEL

2.1       Les parties

[3]           L’Ordre est un ordre professionnel créé en vertu de la LSO et désigné comme tel au Code.

[4]           Coastal est une société commerciale ayant son siège social et un établissement à Vancouver, Colombie-Britannique.  Elle n’a pas de places d’affaires au Québec.  Elle opère sous les noms de domaine « www.coastalcontacts.com » et « www.clearlycontacts.ca », des sites Internet par lesquels elle annonce afin de vendre et vend des lentilles ophtalmiques (verres de contact et lunettes d’ordonnance).

[5]           Les activités de vente de lentilles ophtalmiques de Coastal sont assujetties et conforme à la législation en vigueur en Colombie-Britannique, soit entre autres, la Health Profession Act[3], les Optometrists Regulation[4] et Opticians Regulation[5].

[6]           Les lentilles ophtalmiques annoncées et mises en vente par l’entremise des sites Internet de Coastal peuvent être achetées par des résidents du Québec.

[7]           Progex est une société commerciale ayant son siège social et un établissement au Québec.  Elle est détentrice du nom de domaine « www.verredecontact.com » et « www.lunettesrabais.com ».  Cette entreprise se spécialise dans les achats au rabais de produits optiques par Internet.  Une fois qu’un produit est choisi sur ses sites Internet, les clients sont redirigés vers le site de Coastal qui se charge de la commande, du paiement et de la livraison.

[8]           La mise en cause, Oktane Design Inc. est une société commerciale ayant son siège social et un établissement au Québec.  Elle est le propriétaire d’un serveur informatique hébergeant les noms de domaine « www.verredecontact.com » et « www.lunettesrabais.com » dont Gestion Progex est détentrice.

[9]           Gestion Progex et Coastal sont liées par un contrat de service aux termes duquel Gestion Progex relie ses sites à ceux détenus par Coastal.

2.2       Les ventes de verres de contact et de lunettes en l’espèce

[10]        Le 13 octobre 2009, monsieur Steve Moscovitch, agissant sous le nom fictif de « Steve Cann », s’est procuré des verres de contact sur prescription portant la date du 7 mai 2009[6], le tout en négociant à partir de Montréal par l’entremise du site Internet « www.clearlycontacts.ca »[7].  Cette même journée, une confirmation de la commande lui est transmise[8].  Les verres de contact ont été livrés à son adresse à Montréal.

[11]        Le 29 octobre 2009, M. Moscovitch, agissant sous le nom fictif de « Michael Morin », s’est procuré des verres de contact sur prescription portant la date du 7 mai 2009[9], le tout en négociant à partir de Montréal par l’entremise des sites Internet « www.verredecontact.com » et « www.coastalcontacts.com »[10].  Le même jour, une confirmation de la commande lui est transmise[11].  Les verres de contact ont été livrés à son adresse à Montréal.

[12]        Le 12 novembre 2009, M. Moscovitch, agissant sous le nom fictif de « Michael Morin », s’est procuré des lunettes sur prescription portant la date du 14 janvier 2009[12], le tout en négociant par l’entremise des sites Internet « www.lunettesrabais.com » et « www.coastalcontacts.com »[13].  Le même jour, une confirmation de la commande lui est transmise[14].  Les lunettes ont été reçues par lui à son adresse à Montréal.

3.         POSITIONS DES PARTIES

3.1       L’Ordre

[13]        L’Ordre soutient que Coastal et Progex ne sont pas membres de l’Ordre ou de l’Ordre des opticiens du Québec et qu’elles n’ont pas le droit d’exercer la profession d’optométriste ou d’opticien d’ordonnances dans la Province de Québec.

[14]        L’article 16 de la LSO se lit ainsi :

« 16. Constitue l'exercice de l'optométrie tout acte autre que l'usage de médicaments qui a pour objet la vision et qui se rapporte à l'examen des yeux, l'analyse de leur fonction et l'évaluation des problèmes visuels, ainsi que l'orthoptique, la prescription, la pose, l'ajustement, la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques. »

« 25. Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d'autres professionnels, nul ne peut poser l'un des actes décrits à l'article 16, s'il n'est pas optométriste. »[15] […]

[nos soulignés]

[15]        L’Ordre plaide que l’expression « tout acte […] qui a pour objet […] la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques. » a pour effet, en combinaison avec l’article 25, d’interdire à Coastal de vendre ses produits à des résidents du Québec.

[16]        L’Ordre affirme notamment que la définition de la vente en droit civil et les conclusions du droit international privé relativement au droit applicable au contrat ne sont pas déterminantes aux fins du droit professionnel. Le caractère d’ordre public de la LSO, combiné à la formulation large de l’article 16, ferait en sorte que les activités de Coastal seraient visées par l’interdiction. Au soutien de cette position, l’Ordre invoque notamment les arrêts Celgene Corp. c. Canada (Procureur général)[16] de la Cour suprême du Canada et Ordre des pharmaciens du Québec c. Meditrust Pharmacy Services inc.[17] de la Cour d’appel.

3.2       Coastal

[17]        Pour sa part, Coastal soutient qu’elle exerce ses activités commerciales conformément aux lois en vigueur dans la Province de la Colombie-Britannique, tant en matière de vente, de remplacement ou de renouvellement de lentilles ophtalmiques.  Les ventes, décrites dans la requête de l’Ordre, entre Coastal et les clients québécois, ont été conclues en Colombie-Britannique et sont régies par le droit applicable dans cette province.

[18]        Selon elle, on ne peut étendre la portée territoriale de la LSO de manière à réglementer les activités de Coastal en raison du manque de lien réel et substantiel suffisant entre le Québec et celle-ci.  Elle est d’avis que l’existence de régimes comparables au Québec et en Colombie-Britannique, en matière de réglementation professionnelle de l’optométrie et de l’optique d’ordonnances, permet de limiter la portée territoriale de la LSO.

3.3       Progex

[19]        Progex soutient qu’elle n’est pas partie aux ventes intervenues.  Elle relate que dans le cadre d’un contrat de service publicitaire, elle ne fait qu’agir comme une vitrine pour Coastal en redirigeant les clients aux sites web de Coastal.

4.         QUESTION EN LITIGE

[20]        Les activités de vente de lentilles ophtalmiques de Coastal et Progex sont-elles assujetties aux lois professionnelles du Québec et plus particulièrement, à la LSO et la Loi sur les opticiens d’ordonnances[18] (la « Loi Op.o »)?

5.         LE DROIT

[21]        Les dispositions législatives pertinentes à l’examen de la question en litige se retrouvent à la LSO, la Loi Op.o et au Code.

·                     La LSO :

« 16.  Constitue l'exercice de l'optométrie tout acte autre que l'usage de médicaments qui a pour objet la vision et qui se rapporte à l'examen des yeux, l'analyse de leur fonction et l'évaluation des problèmes visuels, ainsi que l'orthoptique, la prescription, la pose, l'ajustement, la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques. »

« 25.  Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d'autres professionnels, nul ne peut poser l'un des actes décrits à l'article 16, s'il n'est pas optométriste. »

[nos soulignés]

·                     La Loi Op.o :

« 8.  Constitue l'exercice de la profession d'opticien d'ordonnances tout acte qui a pour objet de poser, d'ajuster, de remplacer ou de vendre une lentille ophtalmique. »

« 15.  Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d'autres professionnels, nul ne peut poser l'un des actes décrits à l'article 8, s'il n'est pas opticien d'ordonnances. »

[nos soulignés]

·                     Le Code :

« 23.  Chaque ordre a pour principale fonction d'assurer la protection du public.

À cette fin, il doit notamment contrôler l'exercice de la profession par ses membres. »

« 26.  Le droit exclusif d'exercer une profession ne peut être conféré aux membres d'un ordre que par une loi; un tel droit ne doit être conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu'en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cet ordre. »

« 32.  Nul ne peut de quelque façon prétendre être avocat, notaire, médecin, dentiste, pharmacien, optométriste, médecin vétérinaire, agronome, architecte, ingénieur, arpenteur-géomètre, ingénieur forestier, chimiste, technologue en imagerie médicale, technologue en radio-oncologie ou technologue en électrophysiologie médicale, denturologiste, opticien d'ordonnances, chiropraticien, audioprothésiste, podiatre, infirmière ou infirmier, acupuncteur, huissier de justice, sage-femme, géologue ou comptable professionnel agréé ni utiliser l'un de ces titres ou un titre ou une abréviation pouvant laisser croire qu'il l'est, ou s'attribuer des initiales pouvant laisser croire qu'il l'est, ni exercer une activité professionnelle réservée aux membres d'un ordre professionnel, prétendre avoir le droit de le faire ou agir de manière à donner lieu de croire qu'il est autorisé à le faire, s'il n'est titulaire d'un permis valide et approprié et s'il n'est inscrit au tableau de l'ordre habilité à délivrer ce permis, sauf si la loi le permet.

L'interdiction d'utiliser les titres ou les abréviations ou de s'attribuer les initiales mentionnées au premier alinéa ou dans une loi constituant un ordre professionnel s'applique à l'utilisation de ces titres ou abréviations ou à l'attribution de ces initiales au genre féminin. »

[nos soulignés]

6.         ANALYSE ET DÉCISION

[22]        Le cœur du litige est de savoir si l’article 16 de la LSO prohibe la vente de lentilles ophtalmiques par une personne située hors de la province à des résidents québécois.

[23]        Pour les motifs ci-après exprimés, le Tribunal est d’avis que la LSO ne peut s’appliquer aux ventes effectuées par Coastal au Québec et que le recours en jugement déclaratoire présenté par l’Ordre doit être rejeté.

[24]        Afin d’expliquer cette décision, le Tribunal traitera d’abord du droit professionnel et contractuel applicable à la relation entre un professionnel et son client en droit québécois. Puis, il analysera plus en détail l’impact de la présence d’un vendeur provenant d’une autre province dans la relation. Il regardera ensuite les enjeux constitutionnels relatifs au partage des compétences et à la portée extraterritoriale des lois. Finalement, il traitera des arguments soumis par Coastal relativement à l’applicabilité de l’Accord sur le commerce intérieur canadien aux faits en litige.

6.1    Le droit applicable au contrat de vente de lunettes ou de verres de contacts dans un contexte québécois

[25]        Il y a lieu de qualifier les obligations créées par ce contrat car elles sont nombreuses.  Leur qualification déterminera l’effet du droit international privé dont nous traiterons ci-après.

[26]        La relation typique qu’un client à la recherche de lunettes entretient avec le professionnel qui l’aide est le suivant : le client passe d’abord un examen de la vue avec un professionnel qualifié, puis choisit un style de lunettes qui lui convient - parfois avec l’aide du professionnel ou d’un styliste à son emploi. Il commande ensuite des verres qui sont fabriqués sur mesure pour sa prescription, puis enchâssés dans la monture choisie pour donner un objet unique et personnalisé.

[27]        Ce processus peut aussi être divisé entre plusieurs professionnels. Il est par exemple fréquent que le professionnel qui fait l’examen de la vue est différent de celui qui assemble et vend les lunettes.

[28]        Ce que l’on désigne généralement comme un « achat » ou une « vente » de lentilles ophtalmiques est en fait un contrat comportant plusieurs caractéristiques d’un contrat de services en plus de celles relatives à la vente de la lentille à proprement parler. La question de savoir s’il s’agit d’un contrat de consommation est cependant plus épineuse.

[29]        La jurisprudence et la doctrine affirment toutefois que les professionnels ne doivent pas être considérés comme des commerçants[19]

[30]        La qualification comme contrat de consommation a des effets importants sur la qualification de la relation contractuelle. Le Tribunal est d’avis que le contrat de vente de lunettes ou de verres de contact au Québec ne peut être qualifié comme tel.

6.2       Le contrat de vente par internet

[31]        La vente de produits par internet n’implique pas, en soi, l’application d’un régime juridique différent de celui applicable à une vente faite en personne.

[32]        En l’espèce, le contrat de vente est à la fois conclu à distance et interprovincial. Il est donc nécessaire d’analyser la mécanique offre-acceptation et le droit international privé pour préciser où le contrat a été conclu et le droit qui lui est applicable.

6.2.1    Le contrat de vente à distance

[33]        Le contrat est formé au lieu où l’offrant reçoit l’acceptation de son offre par son cocontractant[20]. Dans ce cas-ci, l’offrant est Coastal.  L’acceptation est reçue à son siège social de Colombie-Britannique.

[34]        En effet, Coastal est considéré comme ayant fait une offre sur son site, à laquelle le client répond en choisissant un produit, en confirmant les informations contenues sur sa prescription et en envoyant son paiement.

[35]        Un autre scénario plus complexe en arrive au même résultat : le site de Coastal peut être considéré comme une invitation à contracter, qui est acceptée par le client lorsqu’il transmet des informations au site pour obtenir une soumission pour un modèle de lunettes et un type de verres précis et selon sa propre prescription. Coastal revoie alors une offre incluant toutes les informations et un prix pour les lunettes telles que commandées. Le client accepte et transmet son acceptation à Coastal, et le contrat est formé.

[36]        Il en est autrement si le contrat est qualifié de contrat de consommation. En effet, dans ce cas, le contrat est réputé conclu à l’adresse du consommateur.[21]

[37]        Coastal invoque le lieu de conclusion du contrat en Colombie-Britannique comme un argument pour repousser l’application du droit québécois.

[38]        Le lieu de conclusion du contrat n’est pas un facteur de rattachement en droit international privé, il est donc sans effet sur le droit applicable au contrat.

[39]        Néanmoins, cet argument peut être pertinent du point de vue de la compétence territoriale des autorités québécoises au point de vue constitutionnel. Il y a donc lieu de déterminer le lieu de conclusion du contrat.

6.2.2    Le droit international privé

[40]        Le livre X du Code civil du Québec établit les règles applicables aux conflits de lois et de juridiction qui doivent être appliquées par les tribunaux québécois lorsqu’ils sont confrontés à une situation présentant un élément d’extranéité.

[41]        L’existence d’un contrat conclu entre des acteurs provenant de deux provinces constitue un élément d’extranéité. Il est donc nécessaire d’appliquer les règles de conflit de loi en matière d’obligations[22] pour trouver le droit applicable au contrat.

[42]        L’article 3111 C.c.Q. prévoit les règles applicables à tout contrat :

« 3111. L'acte juridique, qu'il présente ou non un élément d'extranéité, est régi par la loi désignée expressément dans l'acte ou dont la désignation résulte d'une façon certaine des dispositions de cet acte.

Néanmoins, s'il ne présente aucun élément d'extranéité, il demeure soumis aux dispositions impératives de la loi de l'État qui s'appliquerait en l'absence de désignation.

On peut désigner expressément la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement d'un acte juridique. »

[nos soulignés]

[43]        Les dispositions spécifiques à la vente sont au même effet.[23]

[44]        Le droit désigné dans le contrat de vente entre Clearly Contacts inc. et ses clients est présentement le droit de la Colombie-Britannique. Certains documents du dossier semblent cependant indiquer le droit des Pays-Bas; il est donc possible que le changement pour le droit de la Colombie-Britannique soit récent. Dans les deux cas, le droit désigné est celui qui doit être appliqué par le tribunal compétent pour décider de tout litige relié au contrat.

6.3.      Le partage des compétences et le lien réel et substantiel

[45]        Coastal invoque au soutien de sa défense que la LSO ne lui est pas applicable car elle est hors de la compétence territoriale du Québec et qu’elle est soumise à un régime comparable par la province de la Colombie-Britannique.

[46]        Qu’en est-il?

[47]        La compétence législative des provinces est constitutionnellement limitée à leur territoire[24], seul le Parlement fédéral étant habilité à adopter des lois ayant une portée ou des effets extraterritoriaux[25].

[48]        Cette limite s’explique par le fait que, malgré le statut de fédération du Canada, seul le gouvernement fédéral sera tenu responsable de ses actes par les autres nations si les lois qu’il adopte ont des effets indésirables sur leur territoire. Cette responsabilité à l’égard des autres nations est à l’origine de celui de la courtoisie internationale, sur lequel est notamment fondé le droit international privé[26].

[49]        Les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet indiquent que la détermination de la validité des lois ayant une portée extraterritoriale suit le même test que celui applicable au partage des compétences dans son ensemble :

« Pour la détermination de la constitutionnalité des lois provinciales ayant virtuellement une portée extraterritoriale, les tribunaux ont raisonné de la même façon que pour les autres questions concernant le partage des compétences. Il faut, comme lorsqu’il s’agit du partage des compétences matérielles, rechercher le caractère véritable de la loi afin de voir si cette portée extraterritoriale est le but visé ou seulement un effet accessoire : Re Upper Churchill Water Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297. »[27]

[50]        Dans la cause Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, la Cour suprême souligne qu’il faut d’abord identifier le caractère véritable de la loi en question.[28]

[références omises]

[51]        En l’espèce, le but de la LSO est de protéger le public en s’assurant que les professionnels qui pratiquent l’optométrie possèdent une formation adéquate et respectent des normes minimales d’exercice de la profession.

[52]        Pour ce faire, la LSO énumère une série d’actes qui constituent la pratique de l’optométrie, et réserve ces actes à des personnes qui sont membres de l’Ordre et qui détiennent un permis de pratique valide. Parmi ces actes se trouvent les actes qui relèvent de la portion « service » du contrat entre l’optométriste et son client.

[53]        Le législateur réserve aussi aux membres de l’Ordre tout acte « ayant pour objet […] la vente [de lentilles ophtalmiques] ». Cette réserve semble avoir un lien moins clair avec la protection du public que la portion service et semble plutôt viser à conférer un monopole économique aux professionnels.

[54]        Le Tribunal est d’avis que ces objectifs économiques et de protection du public sont distincts et dissociables.

[55]        Le caractère véritable de la LSO vise donc un chef de compétence valide de la province, En effet, les provinces peuvent adopter des lois en matière de règlementation des ordres professionnels en vertu de leur compétence sur la propriété et les droits civils dans la province. Le Tribunal est donc d’avis que la LSO est à la fois valide et applicable à toutes les situations à l’intérieur de la province.

6.4       La courtoisie entre les états

[56]        Un certain nombre de nouveaux facteurs entre en ligne de compte lorsque l’on traite de l’applicabilité de la LSO hors du territoire québécois.

[57]        Le professeur Côté résume le problème de la territorialité en ces termes :

« 782. Il est difficile d’établir avec certitude le champ d’application spatiale d’un texte législatif en raison des problèmes que suscite la localisation des personnes, des biens, des actes ou des faits que la loi prétend régir. D’une part, le lieu physique où se trouve une personne ou un bien, où se conclut un acte, où se produit un fait ne coïncide pas nécessairement avec le situs, le lieu, que lui assigne le droit. D’autre part, des considérations liées aux exigences de la courtoisie entre États influent sur la qualification de l’effet territorial d’un texte.

783. Un État peut juger inopportun ou contraire à la courtoisie entre États (un principe de droit international public) de régir des personnes ou des biens qui, matériellement situés à l’intérieur de ses frontières, n’entretiennent cependant avec lui que des liens superficiels ou accidentels. Ainsi, le Code civil du Québec, à l’article 3083, prévoit-il que les lois québécoises sur l’état et la capacité́ des personnes physiques ne s’appliquent pas aux personnes qui se trouvent au Québec, mais qui sont domiciliées ailleurs.

784. Un État peut, au contraire, étendre l’effet de ses lois à des personnes ou à des biens qui, même s’ils sont situés physiquement à l’étranger, ont ou conservent avec lui un lien important. Ainsi, l’article 3083 du Code civil du Québec édicte-t-il que le droit québécois concernant l’état et la capacité́ suit une personne physique qui est domiciliée au Québec lors que celle-ci se rend à l’étranger.

785. Il en découle qu’aux yeux du droit, une loi n’a pas d’effet extraterritorial simplement parce qu’elle prétend régir une personne, un bien, un acte ou un fait physiquement situés à l’étranger. C’est le situs aux yeux du droit qui doit être pris en considération. […]

786. En résumé, et en simplifiant, on peut dire que la loi d’un État a un effet extraterritorial lorsqu’elle entend régir des personnes, des biens, des actes ou des faits juridiques qui n’ont pas un « lien réel et important » avec cet État.

787. Quand peut-on dire qu’un tel lien existe? Pour répondre à cette question, les tribunaux feront appel principalement (mais non exclusivement) aux méthodes de rattachement développées par le droit international privé. La localisation d’une personne, d’un bien, d’un acte ou d’un fait juridiques exigera la qualification du problème juridique et l’application de diverses règles de rattachement qui indiquent le système juridique qui doit régir la situation.

788. Le résultat de ce processus de localisation devra être à son tour apprécié à la lumière des exigences de la courtoisie entre États développés en droit international public. Mentionnons qu’entre provinces canadiennes, ces exigences peuvent prendre une forme différente de celle qu’elle empruntera dans les relations entre États pleinement souverains. »[29]

[références omises, nos soulignés]

[58]        Le Tribunal retient de cet exposé qu’une loi doit s’appliquer à toute situation qui présente un lien réel et substantiel avec la province. Néanmoins, même s’il existe un lien réel et substantiel entre un sujet et le Québec, des principes constitutionnels pourraient commander que le tribunal refuse d’appliquer cette dite loi

[59]        Cet équilibre entre le critère du lien réel et substantiel et la constitution est au cœur de l’arrêt Morguard de la Cour suprême :

« Quant à moi, je préfère de beaucoup la formulation plus complète de la notion de courtoisie adoptée par la Cour suprême des États - Unis dans l'arrêt Hilton v. Guyot, 159 U.S. 113 (1895), aux pp. 163 et 164, dans le passage suivant que cite le juge Estey dans Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S 278, à la p. 283: 

[TRADUCTION]  La "courtoisie" au sens juridique n'est ni une question d'obligation absolue d'une part ni de simple politesse et de bonne volonté de l'autre.  Mais c'est la reconnaissance qu'une nation accorde sur son territoire aux actes législatifs, exécutifs ou judiciaires d'une autre nation, compte tenu à la fois des obligations et des convenances internationales et des droits de ses propres citoyens ou des autres personnes qui sont sous la protection de ses lois .

Comme le juge Dickson l'a dit, dans l'arrêt Zingre c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 392, à la p. 401, en citant le juge en chef Marshall dans l'arrêt The Schooner Exchange v. M'Faddon, 11 U.S. (7 Cranch) 116 (1812), "l'intérêt commun incite les souverains aux relations mutuelles" entre États souverains.  En un mot, les règles du droit international privé sont fondées sur la nécessité qu'impose l'époque moderne de faciliter la circulation ordonnée et équitable des richesses, des techniques et des personnes d'un pays à l'autre.  Von Mehren et Trautman font remarquer dans "Recognition of Foreign Adjudications:  A Survey and A Suggested Approach" (1968), 81Harv. L. Rev. 1601, à la p. 1603 que [TRADUCTION] "La justification ultime d'accorder une certaine mesure de reconnaissance tient à ce que, dans notre monde extrêmement complexe et intimement lié, si on laissait chaque société épuiser toutes les possibilités de faire valoir ses intérêts purement locaux, il en résulterait des injustices et une perturbation des modes de vie normaux". […]

De toute façon, les règles anglaises me semblent absolument contraires à l'intention manifeste de la Constitution d'établir un seul et même pays.  Cela présuppose un objectif fondamental de stabilité et d'unité où de nombreux aspects de la vie ne sont pas confinés à un seul ressort.  La citoyenneté commune assure aux Canadiens la mobilité d'une province à l'autre, ce qui est aujourd'hui renforcé par l'art. 6  de la Charte ; voir l'arrêt Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591.  Plus précisément, d'importantes mesures ont été prises pour favoriser l'intégration économique.  L'un des principaux éléments des arrangements constitutionnels incorporés dans la Loi constitutionnelle de 1867  était la création d'un marché commun.  L'article 121  a écarté les obstacles aux échanges interprovinciaux. Dans l'ensemble, les échanges et le commerce interprovinciaux étaient considérés comme un sujet qui intéressait le pays dans son ensemble; voir le par. 91(2)  de la Loi constitutionnelle de 1867. »[30]

[nos soulignés]

[60]        Dans la présente instance, l’Ordre propose d’appliquer le droit québécois à un contrat mixte de vente et de services professionnels. Or, les services professionnels sont rendus sur le territoire de la Colombie-Britannique et le droit québécois considère que la vente y a été conclue. Le seul lien entretenu avec le Québec est que le client y a reçu le produit fini.

[61]        Par conséquent, la situation ne présente pas le lien réel et substantiel avec le Québec qui permettrait de donner raison à l’Ordre. Même si c’était le cas, le Tribunal est d’avis que plusieurs arguments fondés sur les principes constitutionnels cités plus haut s’opposent à ce que le droit du Québec s’applique en l’instance.

[62]        Tout d’abord, rien dans la LSO n’indique d’intention législative claire de donner à la LSO la portée que l’Ordre souhaite lui donner. Au contraire, le Tribunal est d’avis qu’en l’absence de marques de cette intention, la seule interprétation possible de la LSO est une qui présume qu’elle a été édictée en conformité avec les limites territoriales aux pouvoirs législatifs de l’Assemblée nationale.

[63]        De plus, l’existence d’un ordre professionnel en Colombie-Britannique chargé d’une mission similaire à celle de l’Ordre assure que le public est protégé par des normes de pratique et qu’un recours existe en cas de faute professionnelle. Cet ordre professionnel a par ailleurs agi en justice contre Coastal par le passé pour faire respecter les normes alors en vigueur[31].

[64]        Finalement, les principes d’intégration économique et de libre-circulation des biens énoncés à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 et réaffirmés à de nombreuses reprises par la Cour suprême[32] militent en faveur d’une interprétation de la disposition en cause qui soit limitée au territoire du Québec.

6.5       L’Accord sur le commerce intérieur

[65]        Selon Coastal, l’existence de l’Accord sur le commerce intérieur[33] comporte des exigences d’ordre et d’équité permettant de limiter la portée territoriale de la LSO.

[66]        Le site internet du Secrétariat du commerce intérieur présente ainsi l’Accord sur le commerce intérieur :

« L'accord sur le commerce intérieur est un accord intergouvernemental commercial signé par les premiers ministres canadiens et qui est entré en vigueur en 1995. Son but est de favoriser un commerce interprovincial amélioré en traitant des obstacles liés à la libre circulation des personnes, des produits, des services et des investissements à l'intérieur du Canada, et d'établir un marché intérieur ouvert, performant et stable. »[34]

[67]        L’Accord établit un système fondé sur les mêmes principes que ceux qui ont amené à la signature des traités du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) et de l’Organisation mondiale du Commerce[35]. Ces principes sont, notamment, l’égalité de traitement des entreprises locales et provenant de l’extérieur, l’élimination de barrières à la libre circulation des biens et des personnes, la tenue d’appels d’offres équitables et la facilitation des investissements.

[68]        Cet Accord est de la nature d’un traité entre états-nations, il n’a donc pas en lui-même la force obligatoire d’une loi adoptée par le Parlement fédéral ou d’une province. Le respect des obligations qui y sont contenues relève plutôt du monde politique.

[69]        Pour ce faire, l’Accord crée son propre mécanisme de règlement des différends à son chapitre dix-sept. Ce chapitre est divisé en deux parties, la partie A traitant du règlement de différends entre États et la partie B traitant du règlement de différends entre une personne et un gouvernement.

[70]        Le Tribunal est donc d’avis que les arguments soulevés par Coastal voulant que les dispositions réservant les actes de vente de lentilles ophtalmiques à des membres d’un ordre professionnel constituent des restrictions non justifiées au commerce devraient d’abord être soumises à cet organe de règlement des différends.

6.6       Les conclusions déclaratoires à l’égard de Gestion Progex

[71]        Dans sa requête introductive d’instance, l’Ordre demande que la publicité faite par Gestion Progex soit déclarée un « acte ayant pour objet la vente » de lentilles ophtalmiques au sens de la LSO.

[72]        Le Tribunal est d’avis que cette demande doit être rejetée. En effet, même si le client trouve Coastal par le truchement de la publicité sur le site de Progex, la vente finale intervient tout de même sur le site de Coastal et selon les modalités qui y sont décrites.

[73]        En ce sens, la publicité faite par Progex n’est pas différente de l’achat de publicité dans un journal ou dans les transports en commun. Il semble au Tribunal que de qualifier la simple publicité comme « acte relatif à la vente » serait donner une portée beaucoup trop large à la LSO.

[74]        Par ailleurs, les membres de l’Ordre ont des obligations déontologiques relatives à la publicité qu’ils peuvent faire dans le cadre de leurs activités. Comme ni Coastal ni Progex ne sont membres de l’Ordre, ces obligations ne s’appliquent pas à elles. Par ailleurs, le fait que des obligations existent pour les membres de l’Ordre n’a pas, à notre avis, pour effet de qualifier ces gestes comme « actes ayant pour objet la vente » au sens de la LSO.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[75]        REJETTE la requête en jugement déclaratoire;

[76]        LE TOUT AVEC FRAIS.

 

 

__________________________________

Paul Mayer, j.c.s.

Me Marc Simard

Bélanger, Sauvé, s.e.n.c.r.l.

Procureurs du demandeur

Me Sylvain Poirier et Me Patrick A. Molinari

Lavery, De Billy, s.e.n.c.r.l.

Procureurs des défenderesses

Me Stéphane Reynolds

Monty Coulombe, s.e.n.c.

Procureurs de la mise en cause

Dates d’audiences : Les 25 et 26 septembre 2014

 



[1]     RLRQ, c. O-7.

[2]     RLRQ, c. C-26.

[3]     [RSBC 1996] Chapter 183.

[4]     B.C. Reg. 200/2012.

[5]     B.C. Reg. 118/2010.

[6]     Pièce P-9.

[7]     Pièce P-10.

[8]     Pièce P-11.

[9]     Pièce P-15.

[10]    Pièce P-16.

[11]    Pièce P-17.

[12]    Pièce P-19.

[13]    Pièce P-20.

[14]    Pièce P-21.

[15]    Loi sur l'optométrie, RLRQ c. O-7, art. 16 à 25.

[16]    2011 CSC 1.

[17]    Ordre des pharmaciens du Québec c. Meditrust Pharmacy Services Inc., [1994] R.J.Q. 2833 (C.A.).

[18]    L.R.Q., c. O-6.

[19]    Voir notamment : Express Finance RG inc. c. Farsi, 2010 QCCS 2137, Pacific National Leasing Corp. c. Rose, [1997] R.J.Q. 480 (C.S.), appel rejeté, Drake Personnel c. Normandin, [1991] R.J.Q. 1789 (C.Q.), voir aussi : Claude Masse, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon-Blais, 1999, p. 28 et 76.

[20]    1387. Le contrat est formé au moment où l'offrant reçoit l'acceptation et au lieu où cette acceptation est reçue, quel qu'ait été le moyen utilisé pour la communiquer et lors même que les parties ont convenu de réserver leur accord sur certains éléments secondaires.

[21]    Loi sur la protection du consommateur - RLRQ c. P-40 - 54.1. Un contrat conclu à distance est un contrat conclu alors que le commerçant et le consommateur ne sont pas en présence l'un de l'autre et qui est précédé d'une offre du commerçant de conclure un tel contrat.

Le commerçant est réputé faire une offre de conclure le contrat dès lors que sa proposition comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé, qu'il y ait ou non indication de sa volonté d'être lié en cas d'acceptation et même en présence d'une indication contraire.

54.2. Le contrat conclu à distance est réputé conclu à l'adresse du consommateur.

[nos soulignés]

[22]    Articles 3109-3131 C.c.Q.

[23]    3114.  En l'absence de désignation par les parties, la vente d'un meuble corporel est régie par la loi de l'État où le vendeur avait sa résidence ou, si la vente est conclue dans le cours des activités d'une entreprise, son établissement, au moment de la conclusion du contrat. Toutefois, la vente est régie par la loi de l'État où l'acheteur avait sa résidence ou son établissement, au moment de la conclusion du contrat, dans l'un ou l'autre des cas suivants:

1° Des négociations ont été menées et le contrat a été conclu dans cet État;

2° Le contrat prévoit expressément que l'obligation de délivrance doit être exécutée dans cet État;

3° Le contrat est conclu sous les conditions fixées principalement par l'acheteur, en réponse à un appel d'offres.

En l'absence de désignation par les parties, la vente d'un immeuble est régie par la loi de l'État où il est situé.

[nos soulignés]

[24]    Loi constitutionnelle de 1867, art. 92.

[25]    Statut de Westminster, art. 3.

[26]    Peter HOGG, Constitutional Law in Canada, 5e éd., Toronto, Carswell, 2007, sur feuilles mobiles, a jour en 2012, p. 13-2.

[27]    Henri BRUN, Guy TREMBLAY et Eugénie BROUILLET, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 602.

[28]    2007 CSC 22, par. 25 à 27 : [25] Il est maintenant bien établi que la résolution d’une affaire mettant en cause la validité constitutionnelle d’une législation eu égard au partage des compétences doit toujours commencer par une analyse du « caractère véritable » de la législation contestée. L’analyse peut porter sur la législation prise dans son ensemble ou seulement sur certaines dispositions de celle ci.

Cette première analyse consiste dans une recherche sur la nature véritable de la loi en question afin d’identifier la « matière » sur laquelle elle porte essentiellement.  […] Si le caractère véritable de la législation contestée peut se rattacher à une matière relevant de la compétence de la législature qui l’a adoptée, les tribunaux la déclareront intra vires.  Cependant, lorsqu’il est plus juste d’affirmer qu’elle porte sur une matière qui échappe à la compétence de cette législature, la constatation de cette atteinte au partage des pouvoirs entraînera l’invalidation de la loi.

[26] Le caractère véritable de la loi doit être déterminé sous deux aspects : le but visé par le législateur qui l’a adoptée et l’effet juridique de la loi.  Dans l’analyse du but visé, les tribunaux peuvent examiner tant la preuve intrinsèque, tels le préambule ou les dispositions de la législation énonçant ses objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le hasard ou les comptes rendus des débats parlementaires.  Ce faisant, les tribunaux doivent toutefois rechercher l’objectif réel de la législation, plutôt que son but simplement déclaré ou apparent. De même, les tribunaux peuvent tenir compte des effets de la législation.  Par exemple, dans l’arrêt Attorney General for Alberta c. Attorney General for Canada, [1939] A.C. 117 (« Alberta Banks »), le Conseil privé a invalidé une loi provinciale imposant une taxe aux banques pour le motif que les effets de cette loi sur les banques étaient si importants que son objet véritable ne pouvait pas être (comme le prétendait la province) le prélèvement de deniers par l’imposition d’une taxe (ce qui en aurait fait une loi intra vires), mais qu’il était la règlementation des opérations bancaires (ce qui la rendait ultra vires et donc l’invalidait).

[27] Le corollaire fondamental de cette méthode d’analyse constitutionnelle est qu’une législation dont le caractère véritable relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée pourra, au moins dans une certaine mesure, toucher des matières qui ne sont pas de sa compétence sans nécessairement toucher sa validité constitutionnelle.  À ce stade de l’analyse de sa constitutionnalité, l’« objectif dominant » de la législation demeure déterminant.  Ses buts et effets secondaires n’ont pas de conséquence sur sa validité constitutionnelle : « de simples effets accessoires ne rendent pas inconstitutionnelle une loi par ailleurs intra vires ».  Par « accessoires », on entend les effets de la loi qui peuvent avoir une importance pratique significative mais qui sont accessoires et secondaires au mandat de la législature qui a édicté la loi.

[références omises}

[29]    Pierre-André CÔTÉ, avec la collaboration de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation des lois, 4e édition, Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, par. 782 à 788.

[30]    Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077.

[31]    College of Opticians of British Columbia c. Coastal Contacts Inc. and Clearly Contacts Ltd., 2009 BCCA 459.

[32]    Voir notamment à cet effet : Burns Foods Ltd. et al. c. Procureur general du Manitoba et al., [1975] 1 R.C.S. 494, Hunt c. T&N PLC., [1993] 4 R.C.S. 289, Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40.

[33]    Voir la Loi concernant la mise en œuvre de l’Accord sur le commerce intérieur, c. M-35.1.1.

[34]    Secrétariat du commerce intérieur, Introduction, en ligne : http://www.ait-aci.ca/index_fr.htm.

[35]    C’est la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Northrop Grumman Overseas Services Corp. c.Canada (Procureur général), 2009 CSC 50.

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