Commission municipale du Québec ______________________________ |
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Date : |
19 juillet 2016 |
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Dossier : |
CMQ-65417 (29379-16) |
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Juges administratifs : |
Thierry Usclat, vice-président |
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Martine Savard
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Personne visée par l’enquête : WINSTON BRESEE Conseiller de la Ville de Sutton
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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE
DÉCISION SUR UNE DEMANDE EN REJET
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LA DEMANDE D’ENQUÊTE
[1] La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire le 21 mai 2015, conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM).
[2] La demande d’enquête allègue que le 2 mars 2015, monsieur Winston Bresee, membre du conseil de la Ville de Sutton, étant propriétaire directement ou indirectement des parties du lot 27, s’est placé en situation de conflit d’intérêts et a manqué aux obligations des articles 4.3.1 et 5.3.7 de la section 4.3 du Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Sutton[2] en votant sur l’adoption de la résolution no 2015-03-094 - Premier projet du règlement numéro 254 intitulé « Règlement de zonage » et sur la résolution no 2015-03-095 - Premier projet du règlement numéro 256 intitulé « Règlement de lotissement », favorisant ainsi ses intérêts personnels.
[3] Aux fins de la présente demande, les procureurs ont déposé de consentement les pièces suivantes :
· Demande d’enquête et documents qui l’accompagnent (la demande d’enquête ou la plainte);
· Règlement n° 238 intitulé « Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Sutton » (le Code d’éthique);
· Résolution 2015-02-060 : Avis de motion pour l’adoption du Premier projet du règlement n° 254 intitulé « Règlement de zonage » (l’avis de motion du nouveau Règlement de zonage);
· Premier projet du règlement n° 254 intitulé « Règlement de zonage », 2 mars 2015 (le projet de Règlement de zonage);
· Règlement de zonage numéro 115-2, 4 novembre 2010 (le Règlement de zonage existant);
· Résolution 2015-02-061 : Avis de motion : Règlement n° 256 intitulé « Règlement de lotissement » (l’avis de motion du nouveau Règlement de lotissement);
· Règlement n° 256 intitulé « Règlement de lotissement », 2 mars 2015 (le projet de Règlement de lotissement);
· Règlement de lotissement numéro 116-1, 18 juin 2009 (le Règlement de lotissement existant);
· Procès-verbal (extraits) de la séance du 2 novembre 2015 (résolutions 2015-11-481 et 2015-11-482) (les résolutions d’adoption des nouveaux règlements de zonage et de lotissement).
Admissions
[4] Le conseiller Bresee admet qu’il est propriétaire des parties du lot 27 (les terrains) mentionnées dans la demande d’enquête, directement ou par l’intermédiaire de la compagnie 9246-7307 dont il est l’actionnaire principal.
LA DEMANDE EN REJET
[5] La procureure indépendante de la Commission demande le rejet de la demande d’enquête au stade préliminaire car, même en tenant pour avérés les faits allégués et au regard de la preuve documentaire déposée, monsieur Bresee n’a pas d’intérêt personnel ou pécuniaire particulier dans les projets de règlements de zonage et de lotissement.
[6] Monsieur Bresee n’est donc pas en conflit d’intérêts puisque son intérêt dans les projets de règlements de zonage et de lotissement, qui remplaceront les règlements de zonage et de lotissement existants, n’est pas distinct de l’intérêt général. Les citoyens de la Ville sont tous touchés par les avantages et les inconvénients de la nouvelle réglementation et l’élu l’est au même titre.
[7] La procureure de l’élu appuie la demande de rejet.
[8] La demande d’enquête est déposée en vertu de la LEDMM. Dans l’exercice de cette compétence, le mandat de la Commission est de déterminer si un élu a commis ou non un manquement à son code d’éthique et de déontologie et, le cas échéant, de le sanctionner.
[9] La Commission a récemment rappelé que, dans l’intérêt public, le rejet d’une demande d’enquête à un stade préliminaire est assujetti à des critères rigoureux[3].
[10] Elle a le pouvoir de rejeter celle-ci à un stade préliminaire si, en tenant pour avérés les faits énoncés, elle est convaincue qu’il n’y a aucune chance de conclure que l’élu a commis un acte dérogatoire et qu’il est donc inutile de tenir une enquête :
« [8] La
Commission a le pouvoir de rejeter des plaintes à un stade préliminaire, même
si elles ont passé le test de l’examen préalable du ministre des Affaires
municipales et de l’Occupation du territoire, selon l’article
[9] Toutefois, elle doit être convaincue, à la lecture des plaintes, que celles-ci n’ont aucune chance de succès et qu’il est inutile de tenir une enquête. […] »[4]
[11] La procédure en matière d’éthique et de déontologie s’apparente à une procédure disciplinaire, un droit sui generis qui emprunte des notions à la fois au droit civil et au droit criminel[5].
[12] En matière disciplinaire, le Conseil de discipline du Barreau du Québec[6] précise que pour rejeter une plainte au stade préliminaire, il faut conclure à la lecture de celle-ci, qu’elle est abusive, frivole ou manifestement mal fondée :
« [63] L’exercice doit être accompli de manière restrictive, à l’avantage, s’il le faut, du plaignant. »
[13] La plainte soutient que les modifications règlementaires semblent permettre au conseiller Bresee d’augmenter les bénéfices pécuniaires qu’il pourra retirer de la vente de ses terrains car les projets de règlements de zonage et de lotissement doubleront les densités maximum des constructions autorisées et les augmenteront aussi pour les lots en forte pente. Tous ces changements favoriseraient monsieur Bresee compte tenu des caractéristiques de ses terrains.
[14] Les dispositions pertinentes du Code d’éthique sont les suivantes :
« 4.3.1 Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux d’une autre personne.
[…]
5.3.7 Le membre qui est présent à une séance au moment où doit être prise en considération une question dans laquelle il a directement ou indirectement un intérêt pécuniaire particulier doit divulguer la nature générale de cet intérêt, avant le début des délibérations sur cette question. Il doit aussi s’abstenir de participer à ces délibérations, de voter ou de tenter d’influencer le vote sur cette question. »
[15] En vertu du Règlement de zonage existant, les terrains du conseiller Bresee sont situés en partie dans la zone d’affectation rurale RUR-06 et en partie dans la zone de protection (altitude moyenne) PAM-11.
[16] La plainte mentionne que le projet de Règlement de zonage supprime la zone PAM-11 et insère la partie des terrains qui s’y trouvait dans la zone RUR-06. Dans une zone PAM, la superficie minimale pour construire est du double de celle en zone RUR.
[17] La zone PAM-11 n’est pas la seule à être supprimée; le projet de Règlement de zonage fait aussi disparaitre cinq autres zones situées dans d’autres secteurs de la Ville, soit les zones PAM-01, PAM-02, PAM-03, PAM-06 et PAM-08.
[18] Le projet de Règlement de zonage fait aussi dorénavant coïncider les limites des zones avec les limites des lots, changements qui sont appliqués sur tout le territoire de la Ville. Le lot 27 n’est donc pas le seul visé par ce changement.
[19] Il ressort des documents déposés, par la comparaison des projets de règlements avec les règlements existants, que les modifications ne visent pas un secteur en particulier. Elles constituent une révision globale des règlements de zonage et de lotissement existants.
[20] Si un élu profite de nouvelles dispositions d’un règlement d’intérêt général, cela ne signifie pas automatiquement qu’il ait un intérêt personnel ou un intérêt pécuniaire particulier dans la question.
[21] Dans le présent cas, les modifications apportées aux normes de lotissement, aux superficies minimales pour construire, aux marges de recul et à la méthode de calcul des pentes s’appliquent non seulement aux terrains du conseiller Bresee, mais aussi à l’ensemble de la zone dans laquelle ses terrains sont situés ainsi qu’à la totalité ou une grande partie des zones rurales RUR ou de protection PAM du territoire. Ainsi l’intérêt de monsieur Bresee n’est pas distinct de celui des autres citoyens.
[22] Les avis de motion des nouveaux règlements de zonage et de lotissement mentionnent d’ailleurs que les nouveaux règlements de zonage et de lotissement ont « pour objet de remplacer » les règlements de zonage et de lotissement existants.
[23]
Les auteurs et la jurisprudence nous enseignent que pour être
particulier, l’« intérêt pécuniaire particulier » de l’article
[24] C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en est venue la Commission lorsqu’elle a examiné la notion d’« intérêt personnel » dans la décision Grimaudo[8] :
« [95] Lorsqu’on analyse la situation pour déterminer si une personne a voulu favoriser dans l’exercice de ses fonctions son intérêt personnel, il est nécessaire d’analyser la situation sous un angle plus large que le seul intérêt pécuniaire.
[96] Dans ce cas-ci, la preuve démontre que monsieur Grimaudo n’avait aucun intérêt personnel, pécuniaire ou non, dans les questions soumises au conseil municipal ou dans le projet du Lac des Dunes. L’intérêt de monsieur Grimaudo n’était pas distinct de l’intérêt général.
[98] La Commission est donc d’avis que monsieur Grimaudo n’a pas favorisé son intérêt personnel lorsqu’il a participé aux délibérations et discussions entourant le projet du Lac des Dunes. »
[25] Selon les auteurs Hétu et Duplessis, l’intérêt d’un élu dans l’adoption de nouveaux règlements de zonage et de lotissement n’est pas distinct de l’intérêt général[9].
[26] Cette opinion est citée par L’Honorable Robert Dufresne, juge à la Cour supérieure, dans le jugement Paradis c. Simard, confirmé en appel[10] :
« [65] Le Tribunal cite ici à nouveau et avec approbation les auteurs Hétu et Duplessis :
[3.221] (…), nous sommes d’avis qu’un élu qui vote pour l’adoption d’un nouveau plan d’urbanisme et des nouveaux règlements de zonage, de construction et de lotissement n’a qu’un intérêt général dans la question même s’il peut profiter comme d’autres contribuables de ces changements.
[66] Le Tribunal n’écarte pas la possibilité d’exception à cette règle. En effet, un plan d’urbanisme, un règlement de zonage de construction et de lotissement s’applique à tout le territoire. Ces règlements forment un ensemble indissociable, un tout enchevêtré.
[67] Monsieur Simard n’avait pas à s’exclure de la réunion du comité d’orientation du 19 avril 2004. Son compte-rendu mentionné plus avant démontre cependant l’ampleur du travail que représente l’adoption d’un nouveau plan d’urbanisme et autres règlements connexes. Tous les sujets municipaux y sont pratiquement abordés. »
[27] Dans le présent dossier, la Commission conclut qu’à sa face même, la demande d’enquête n’est pas fondée parce que même si les faits allégués étaient tenus pour avérés, la Commission conclurait que l’élu n’a commis aucun manquement. Les projets de règlements de zonage et de lotissement visent l’ensemble du territoire, le conseiller Bresee ne bénéficie d’aucune disposition particulière et il n’a pas un intérêt distinct de l’intérêt général.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- ACCUEILLE la demande préliminaire en rejet.
- MET FIN à l’enquête en éthique et déontologie en matière municipale dans le présent dossier.
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[1]. RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.
[2]. Règlement 238 adopté le 3 février et entré en vigueur le 12 février 2014.
[3]. Jolin, CMQ-65314, 19 mai 2015, par. 27.
[4]. Dépatie, CMQ-65090 et 65091, 30 septembre 2014.
[5]. Jolin, préc. note 3.
[6]. Bérubé
c. Panet-Raymond, Conseil de discipline, Barreau du Québec, 2008 QCCDBQ148.
Voir également Association provinciale des constructeurs d’habitation
du Québec inc. c. Société d’habitation et de développement de Montréal,
[7]. Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, DROIT
MUNICIPAL : Principes généraux et contentieux, 2e éd.,
Brossard, CCH, 2002, p. 3419; Leclerc c. Poirier, C.S. Longueuil,
[8]. Grimaudo, CMQ-64858, 28 novembre 2014.
[9]. Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, DROIT MUNICIPAL : Principes généraux et contentieux, 2e éd., Brossard, CCH, 2002, à la p. 3420.
[10]. Paradis c. Simard,
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