Toitures Nicolas Brunet et Nault |
2013 QCCLP 4478 |
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[1] Le 18 février 2013, Toitures Nicolas Brunet (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 15 janvier 2013 et déclare qu’il n’y a pas matière à consentir à la demande de l’employeur d’appliquer les dispositions prévues à l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue le 8 juillet 2013 à Saint-Jérôme en présence de monsieur Jean-Philippe Nault (le travailleur) et d’un représentant de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, en vertu de l’article 142 deuxième alinéa b) de la loi, et ce, du 9 janvier 2013 au 4 avril 2013.
LES FAITS
[5] Monsieur Nault occupe le poste de journalier pour le compte de l’employeur. Le 6 novembre 2012, il est victime d’un accident du travail alors qu’un clou pénètre son œil gauche.
[6] Le diagnostic retenu à la suite de cet incident est celui de perforation oculaire gauche qui nécessite de prime abord un arrêt de travail et des soins, dont une réparation de la cornée avec points de suture.
[7] Le 20 novembre 2012, le travailleur consulte le docteur Gagné à l’Institut de l’œil et apporte un formulaire d’assignation temporaire tel que requis par son employeur.
[8] Cet ophtalmologiste indique au document en question que le travailleur peut uniquement faire un travail en position assise. Il ne peut soulever des poids, faire des torsions répétées ou fournir un effort physique excessif, il ne peut marcher ou se tenir debout continuellement, demeurer en position statique, travailler dans des échelles ou des endroits élevés, se courber fréquemment, porter, pousser, tirer ou encore effectuer des mouvements répétitifs.
[9] Le 22 novembre 2012, le travailleur indique à son agente de la CSST que sa vue est floue comme un nuage, qu’il a de la difficulté lorsqu’exposé au soleil et qu’il a développé une cataracte. Il a aussi des maux de tête en fin de journée tous les jours et des étourdissements, ce que ne comprennent pas les médecins. Il doit porter des lunettes polarisées pour aller à l’extérieur. Il a de la difficulté à lire ou à faire le focus et est incapable « d’aller » à l’ordinateur.
[10] Compte tenu de la sévérité des restrictions, madame Aimée Belec, associée et administratrice de l’entreprise Toitures Nicolas Brunet, témoigne lors de l’audience ne pas être en mesure d’assigner le travailleur au type de tâches proposées. Elle rapporte obtenir le document signé par le docteur Gagné en se rendant directement chez le travailleur puisque ce dernier n’est pas en mesure de conduire en raison de sa blessure.
[11] Ce témoin ajoute que sa PME se trouve dans un petit village où tout le monde se connaît. Elle précise à cet égard que monsieur Nault habite à quelques rues seulement du contremaître de la compagnie, monsieur Pierre-Luc Lévesque, dont une partie de la maison est utilisée à titre d’entrepôt.
[12] De ce fait, madame Belec est mise au courant quelques jours plus tard que le travailleur se targue auprès de ses collègues de travail qu’il fera de la planche à neige tout l’hiver aux frais de la CSST et que ce sera « débile ».
[13] L’un des individus qui rapportent de tels propos est monsieur Lévesque. À l’audience il relate que le travailleur lui mentionne que la CSST est plus payante que le chômage et qu’il entend étirer ça le plus possible. Devant l’indignation de monsieur Lévesque, le travailleur ne lui répète plus de telles paroles.
[14] Afin de vérifier ces dires, madame Belec décide de faire quelques recherches. Elle consulte tout d’abord le site Facebook du Mont-Tremblant et constate qu’en première page la photo du travailleur apparaît alors que ce dernier mentionne qu’il sera présent pour l’ouverture de la montagne le 22 novembre 2012.
[15] Monsieur Lévesque témoigne également faire de la planche à neige avec le travailleur à cinq ou six reprises au cours de la saison 2012-2013 au parc à neige de Tremblant, notamment en décembre, de même que chez un des amis de monsieur Nault, sur une bute improvisée, vers la fin du mois de février ou au début mars.
[16] Il précise que dans le parc, le sport est un peu extrême. Il a d’ailleurs vu le travailleur tomber à quelques occasions. Dans la première semaine de mars, il voit même le travailleur se blesser après une première descente qui oblige ce dernier à rentrer chez lui.
[17] Le travailleur pour sa part explique à l’audience qu’il ne nie pas avoir fait de la planche à neige puisqu’il avait, selon lui, l’autorisation verbale de certains de ses médecins pour le faire. Il soumet toutefois n’avoir jamais indiqué qu’il était plus payant de demeurer sur la CSST.
[18] Il est cependant dans l’impossibilité de se souvenir du nom du ou des médecins lui ayant permis de pratiquer ce sport puisqu’il en a vu près de onze au cours de son suivi médical.
[19] Le 3 décembre 2012, l’employeur fait parvenir une lettre au docteur Gagné afin d’obtenir le consentement de ce dernier en regard d’un possible retour au travail. Il est signalé dans ce document que monsieur Nault a participé au party de Noël de la compagnie sans difficulté apparente et qu’il réalise des activités de plein air comme la planche à neige. Cette demande est réacheminée le 13 décembre suivant, mais demeure, tout comme la première, sans réponse.
[20] Le 13 décembre 2012, monsieur Nault rapporte à son agente de la CSST être tranquille à la maison, faire du ménage, l’épicerie et avoir repris des activités comme la planche à neige, mais avoir un peu de difficulté en raison de sa vision un peu floue.
[21] Le 8 janvier 2013, la CSST envoie à l’Institut de l’œil un formulaire intitulé Information médicale complémentaire écrite afin de faire un suivi du dossier du travailleur.
[22] Le 9 janvier 2013, l’employeur s’adresse à la CSST afin que cet organisme applique l’article 142 de la loi et suspende les indemnités de remplacement du revenu du travailleur puisqu’il fait de la planche à neige, ce qui aggrave sa lésion.
[23] Le 10 janvier 2013, la CSST indique qu’elle entend ajouter une question au formulaire Information médicale complémentaire écrite déjà acheminé afin de déterminer si les activités sportives comme la planche à neige empêchent ou retardent la guérison de la lésion.
[24] Le 14 janvier 2013, le travailleur est autorisé par la docteure Thyriar à utiliser une souffleuse à neige ou une pelle pour déneiger des toitures, de même qu’à utiliser une souffleuse électrique ou une pelle pour déneiger des balcons. L’employeur demande alors au travailleur de se présenter au travail, mais il semble, selon madame Belec, que ce dernier considère qu’il a le loisir d’entrer ou non au travail. Le travailleur pour sa part mentionne avoir accepté de travailler, mais attendait l’appel de monsieur Brunet qui n’est jamais venu.
[25] Ultérieurement, à la suite d’une demande de suspension des indemnités de remplacement du revenu par l’employeur au motif que le travailleur refuse d’exécuter son assignation temporaire sans motif valable, la CSST décide que les conclusions retenues par madame Thyriar sont inapplicables puisque signées par une optométriste plutôt que par un médecin. La demande d’application de l’article 142 de la loi est donc refusée.
[26] Le 15 janvier 2013, la CSST refuse également de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur en vertu du second alinéa b) de l’article 142 de la loi puisqu’il n’existe pas d’avis du médecin traitant ou du Bureau d’évaluation médicale que le travailleur empêche ou retarde sa guérison. Cette décision est maintenue lors de la révision administrative.
[27] Une autre demande d’assignation temporaire est, par conséquent, présentée lors de la visite médicale suivante du travailleur, soit le 15 janvier 2013. C’est l’ophtalmologiste Laurent Lalonde qui examine monsieur Nault à cette occasion. Il considère pour sa part que le travailleur ne peut monter sur une toiture, ne peut soulever des poids excédant 20 livres et ne peut être exposé à un soleil intense. Il précise que monsieur Nault ne peut monter sur les toits pour déneiger en raison d’étourdissements persistants.
[28] Encore une fois, l’employeur n’est pas en mesure d’offrir des travaux légers de cette nature.
[29] Le lendemain, le docteur Lalonde communique avec la CSST. On retrouve aux notes évolutives les mentions suivantes :
A vu travailleur hier.
Cicatrice sur la cornée avec cataracte, a aussi enlevé un point.
Médecin a demandé à travailleur s’il voulait reprendre le travail.
Travailleur ne devrait pas monter sur toit ou déneiger des balcons.
Travail clérical oui, pas de lecture longtemps, pas de travaux penchés.
Si travailleur lui prend l’initiative de faire de la planche à neige c’est contre l’avis du médecin.
Médecin ne recommande pas que travailleur fasse de la planche à neige ou d’activités sportives pour la même raison qu’il ne recommande pas le travail régulier ou ce qui requiert de l’effort.
Doit au moins attendre 6 mois de la date d’opération, plaie encore trop fragile. [sic]
[30] Le 23 janvier 2013, l’agente d’indemnisation de la CSST indique aux notes évolutives que si le travailleur exécute de la planche à neige ou ce type de sport, il pourra y avoir suspension des indemnités de remplacement du revenu compte tenu de l’avis du docteur Lalonde.
[31] Le même jour, le travailleur est informé de cette conséquence possible.
[32] Monsieur Nault témoigne ne pas faire de planche à neige à compter de ce moment jusqu’à ce qu’il obtienne à nouveau l’autorisation verbale d’un médecin. Une autorisation écrite ne lui semblait pas nécessaire.
[33] Il y a lieu de noter que le dossier soumis révèle qu’il n’y a pas de visite médicale entre le 23 janvier et le 13 février 2013.
[34] Madame Belec mentionne lors de son témoignage qu’elle repère sur YouTube quatre vidéos réalisées par le travailleur le montrant sur les pentes en planche à neige, culbutant à plusieurs reprises. Les dates de ces vidéos sont les 29 et 30 janvier et les 16 et 21 février 2013.
[35] Elle rapporte également qu’après vérification à Tremblant, elle apprend que le travailleur se rend 21 fois à cet endroit durant l’année 2012-2013, soit une fois en novembre, huit fois en décembre, quatre fois en janvier, quatre fois en février, une fois en mars et trois fois en avril.
[36] Le 14 février 2013, le travailleur revoit le docteur Gagné. Ce médecin autorise monsieur Nault à reprendre le travail et à faire du sport moyennant le port de lunettes de protection. L’employeur n’a toutefois pas de travail à offrir à cette date puisque ses activités reprennent en avril.
[37] Compte tenu des informations contradictoires entre les docteurs Lalonde et Gagné, la CSST décide de procéder à un bilan médical téléphonique avec l’un de ces médecins. Ce dernier a lieu le 14 mars 2013 avec le docteur Lalonde et il en ressort que le travailleur ne doit pas faire de planche à neige, de travail au soleil, de travail en hauteur ou manipuler de lourdes charges, et ce, afin d’éviter une réouverture de la plaie. Idéalement, il doit exécuter un travail clérical jusqu’à la consolidation de la lésion qui devrait avoir lieu six mois postchirurgie, soit vers le mois de mai 2013. Le docteur Lalonde mentionne ne pas être au courant de la pratique de la planche à neige par le travailleur.
[38] Le même jour, monsieur Nault est informé de ces consignes. Le travailleur dit alors ne plus rien comprendre et n’avoir jamais caché qu’il pratiquait ce sport. Il ajoute avoir informé au moins un médecin de ce fait et que ce dernier n’aurait rien dit, signifiant à son avis qu’il consentait à l’activité.
[39] Le 4 avril 2013, le travailleur est examiné par le docteur Boileau qui fait état sur une Attestation médicale d’une belle guérison et de la possibilité que monsieur Nault reprenne le travail.
[40] Aux notes évolutives de la CSST du 8 avril 2013, il est mentionné par le travailleur que l’employeur n’a pas de travail pour lui avant le mois de mai et qu’il contactera son agente dès qu’il aura l’accord de son employeur pour la reprise de ses fonctions.
[41] Madame Belec indique quant à elle qu’elle aperçoit le travailleur à la Place St-Bernard du Mont-Tremblant le 14 avril 2013. Il s’agit du dernier week-end où la montagne est opérationnelle. Elle ignore alors que monsieur Nault est apte à reprendre son travail.
[42] Il semble en effet que ce n’est que le 15 avril 2013 que le travailleur laisse l’Attestation médicale du docteur Boileau à son employeur dans la boîte aux lettres de l’entreprise. Entre le 15 et le 17 avril, madame Belec tente à deux reprises de rejoindre le travailleur pour lui annoncer sa date de retour au travail, soit le 22 avril.
[43] Elle apprend cependant dans les jours suivants que le travailleur est de nouveau blessé à la suite d’une chute dans un escalier et d’une chute en planche à neige le 13 avril 2013, ce que le travailleur ne lui a pas révélé. Elle exige conséquemment un billet médical afin de connaître l’état exact de sa condition et sa capacité à exécuter le travail requis.
[44] Monsieur Nault explique que sa blessure au poignet est récurrente et ne l’empêche absolument pas de travailler.
L’AVIS DES MEMBRES
[45] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de l’employeur et de suspendre les indemnités de remplacement du revenu de monsieur Nault à compter du moment où le docteur Lalonde spécifie que le travailleur ne doit pas faire de planche à neige, soit le 15 janvier 2012. Il estime que le travailleur est au fait de la contre-indication à compter de ce jour et qu’il met alors volontairement en péril la consolidation de sa lésion professionnelle.
[46] Le membre issu des associations syndicales croit au contraire qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’employeur dans la mesure où il n’existe aucune preuve concrète que la pratique de la planche à neige a empêché ou retardé la consolidation de la lésion professionnelle comme l’exige l’article 142 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[47] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur du fait qu’il pratique la planche à neige alors que sa lésion n’est pas consolidée, et il n’est pas autorisé à réaliser des efforts physiques importants au travail.
[48] C’est l’article 142 de la loi qui confère à la CSST le pouvoir de suspendre le paiement d’une indemnité:
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[49] Dans le présent dossier, c’est le deuxième alinéa b) qui est spécifiquement en cause. Le tribunal doit donc retrouver deux éléments :
1) un acte du travailleur;
2) un avis du médecin qui a charge ou du membre du Bureau d’évaluation médicale à l’effet que cet acte empêche ou retarde la guérison de la lésion.
[50] En ce qui concerne le premier point, il appert du dossier et du témoignage de monsieur Nault que ce dernier pratique à une vingtaine d’occasions la planche à neige au cours de la saison 2012-2013. Ceci est d’ailleurs corroboré par les données soumises par le Centre de neige Tremblant.
[51] La preuve de l’employeur permet quant à elle de cibler certaines dates ou périodes de manière plus spécifique.
[52] Le tribunal peut ainsi conclure sans l’ombre d’un doute que le travailleur fait de la planche à neige le 22 novembre 2012, les 29 et 30 janvier 2013, de même que les 16 et 21 février 2013 puisque ce dernier se manifeste alors publiquement sur Facebook et YouTube. Il est possible de retenir également la journée du 14 avril 2013 puisque le travailleur est alors aperçu par madame Belec.
[53] Monsieur Nault soumet toutefois que cet acte ne peut avoir empêché ou retardé la consolidation de sa lésion dans la mesure où il a été autorisé par certains médecins à le faire.
[54] À cet égard, la soussignée constate que la preuve au dossier ne correspond pas entièrement à cette affirmation.
[55] En effet, si le tribunal convient que le travailleur est peut-être autorisé verbalement à faire de la planche à neige avant le 15 janvier 2013, bien que la crédibilité du travailleur soit quelque peu douteuse sur certains aspects, il en va tout autrement à compter de cette date où le docteur Lalonde spécifie de manière non équivoque que ce sport est contre-indiqué avant un délai de six mois postopératoire en raison de la fragilité de la plaie. L’agente de la CSST informe même le travailleur le 23 janvier suivant des conséquences financières possibles advenant le non-respect de l’avis du médecin.
[56] Or, tel que spécifié précédemment, le travailleur se rend malgré tout au Mont-Tremblant les 29 et 30 janvier 2013 et contrairement à ce qu’il prétend, ne peut avoir obtenu l’autorisation d’un médecin à reprendre la planche à neige à cette époque puisque le rendez-vous suivant la visite du docteur Lalonde n’est que le 14 février suivant.
[57] À la lecture des notes évolutives, il semble toutefois qu’après le 14 février 2013 le docteur Gagné permet la pratique de ce sport moyennant certaines précautions. La confusion qui règne sur cette question entre les médecins consultés n’étant réglée que le 14 mars 2013 lors d’un bilan téléphonique, il n’est alors pas possible de reprocher au travailleur ses activités sportives du 16 et du 21 février 2013. Il en va de même en ce qui a trait à l’activité de planche réalisée chez un ami au début du mois de mars. Dans le même ordre d’idées, bien qu’il existe une preuve que le travailleur se rend à Tremblant deux autres fois en février et une fois en mars, dans la mesure où les dates ne sont pas connues avec exactitude, il est possible qu’elles se situent dans la période de flottement en cause et ne peuvent donc être retenues.
[58] Enfin, pour ce qui est du mois d’avril, la seule sortie connue se rapporte au dernier week-end d’ouverture de la station de ski, soit le 14 avril 2013. Or, puisqu’à cette date le travailleur détient un rapport médical de son médecin l’autorisant à reprendre son travail régulier, il est logique de penser qu’il pouvait aussi reprendre ses activités sportives. Au surplus, l’employeur ne réclame pas la suspension des indemnités de remplacement du revenu après le 4 avril.
[59] Ceci étant établi, le tribunal doit maintenant déterminer si la pratique de la planche à neige les 29 et 30 janvier 2013, malgré l’avis contraire du médecin qui a charge, répond aux exigences de la disposition légale concernée en ce qui a trait aux conséquences sur la guérison de la lésion professionnelle.
[60] Formulé autrement, le tribunal doit se questionner s’il doit rechercher une preuve concrète que l’acte posé, de l’avis du médecin qui a charge, a effectivement empêché ou retardé la guérison ou encore si la simple contre-indication du médecin permet d’inférer que la réalisation de l’activité emporte nécessairement une conséquence potentiellement défavorable sur la guérison.
[61] Pour répondre à cette interrogation, la Commission des lésions professionnelles se doit de rechercher l’intention du législateur en regard de la création de cette disposition.
[62] Dans l’affaire Boulard et Aéro Mécanique Turcotte inc.[2] le juge administratif Bouvier écrit ce qui suit sur la question :
[21] L’article 44 de la loi consacre donc le droit du travailleur à recevoir une indemnité de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer son emploi alors que l’article 142 permet à la CSST, dans certaines circonstances, de réduire ou suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu mais non pas de remettre en question le droit du travailleur à cette indemnité.
[22] Cet article 142 de la loi offre à la CSST la possibilité de remettre en question pour une période donnée ou encore d’amputer le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit le travailleur afin de le convaincre d’assumer ses obligations à l’égard notamment, de ses traitements, de sa réadaptation ou encore du processus d’évaluation médicale.
[23] Il s’agit donc d’une mesure incitative puisque l’article 143 de la loi prévoit que la CSST peut payer rétroactivement l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur lorsque la cause justifiant la suspension ou la réduction de l’indemnité n’existe plus. Or, n’eut été de cet article 143 de la loi qui permet à la CSST de rétablir le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, il aurait fallu considérer l’article 142 de la loi comme une mesure punitive visant à sanctionner un travailleur car il n’y aurait pas eu possibilité pour la CSST de payer au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu suspendue une fois disparue la cause de suspension.
[24] Dans cette perspective, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST ne peut appliquer rétroactivement les mesures de réduction ou de suspension prévues à l’article 142 puisqu’une telle façon de faire transforme l’article 142 en une mesure punitive plutôt qu’une mesure incitative. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles écrit dans l’affaire Berkline inc. et Hasler2 :
[25] L’analyse de la jurisprudence met en évidence une interprétation de l’article 142 qui est bien établie depuis le début des années 1990, selon laquelle la suspension du versement de l’indemnité ne peut avoir d’effet rétroactif parce que ce concept suppose l’existence d’un versement à faire et donc s’oppose à l’idée de la suspension d’une indemnité déjà versée. On retient également que le pouvoir conféré à la CSST par l’article 142 n’est pas de nature punitive, mais a pour but d’inciter le travailleur à remédier à une des situations visées par cet article6.
[26] La Commission des lésions professionnelles comprend que cette interprétation du pouvoir de la CSST peut conduire, dans certaines circonstances, à des résultats pratiques peu satisfaisants mais le présent tribunal estime qu’elle doit être retenue compte tenu du libellé de l’article 142.
[Références omises]
[63] Ainsi, puisque l’article 142 de la loi vise de toute évidence l’obtention de la collaboration du travailleur et du respect de ses obligations au cours de l’évolution de son dossier, que ce soit au niveau du suivi thérapeutique ou du processus de réadaptation, la soussignée estime qu’il y a lieu de retenir la seconde interprétation proposée n’exigeant pas une démonstration effective de la conséquence sur la guérison de la lésion.
[64] Le tribunal est d’avis non seulement que cette analyse respecte l’objectif recherché par le législateur, mais au surplus permet de donner un effet juridique à cette disposition.
[65] En effet, puisque dans la majorité des situations, il est impossible de déterminer l’impact d’un acte sur la guérison d’une lésion tant et aussi longtemps que la consolidation finale n’est pas atteinte et que la rétroaction d’une suspension n’est pas autorisée à la lumière de la jurisprudence précédemment énoncée, retenir la position exigeant une preuve concrète de conséquence négative sur la guérison rendrait pratiquement inopérant le deuxième alinéa b) de l’article 142.
[66] Considérant l’ensemble de ces éléments, le tribunal juge qu’il y a lieu de faire droit en partie à la demande de l’employeur et de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur les 29 et 30 janvier 2013.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de Toitures Nicolas Brunet, l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il y a lieu de suspendre les indemnités de remplacement du revenu de monsieur Jean-Philippe Nault, le travailleur, les 29 et 30 janvier 2013 en application de l’article 142, deuxième alinéa b) de la loi.
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Isabelle Piché |
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Me Benoît Labrecque |
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APCHQ |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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