Roy c. Proulx |
2015 QCCS 71 |
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JD3065 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-017582-123 |
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DATE : |
9 janvier 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DANIEL DUMAIS, j.c.s. |
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FRANÇOIS ROY -et- CHANTALE OUELLET Demandeurs |
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c.
STEVE PROULX -et- GUYLAINE GIGAULT |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Au mois de juin 2012, les demandeurs achètent la résidence des défendeurs, sise sur la rue Belliard à Québec.
[2] À la suite de problèmes rencontrés avec la présence d'ocre ferreuse sur le terrain et dans les drains, ils s'adressent à la Cour afin d'obtenir l'annulation de cette transaction. De façon subsidiaire, ils requièrent une diminution du prix payé pour cet immeuble.
[3] Les défendeurs s'opposent à cette demande.
[4] Les défendeurs forment un couple. En 1998, ils se portent acquéreurs d'une résidence familiale située au […] dans la Ville de Québec. Il y résident jusqu'en juin 2012, alors que la propriété est vendue aux demandeurs.
[5] Les défendeurs ajoutent un garage à la propriété en 2000. L'année suivante, ils font boucher un drain de ce garage. Celui-ci n'aurait aucune utilité.
[6] Les années passent. En décembre 2008, le défendeur Proulx note la présence d'humidité le long de la fondation du sous-sol de la maison, en y passant la main.
[7] Il contacte Excavation Garco inc. (ci-après « Garco ») Le représentant de cette dernière vient sur place et procède à une expertise du drain qui entoure la maison. Il constate la présence d'un bas fonds et conclut à la nécessité d'une correction à l'avant, de vérifications et de nettoyages périodiques. C'est ce qu'il inscrit sur la facture qu'il remet aux défendeurs[1]. Il prépare de plus un document intitulé Plan et devis des travaux qui réfère à la présence de boue ferreuse. Cependant, il ne semble pas que ce document, daté du 1er décembre 2008, soit remis aux défendeurs.
[8] Ces derniers contactent leur assureur, La Personnelle, considérant le coût des travaux correctifs évalués à 2 400 $.
[9] En mai 2009, Garco se présente sur les lieux, à la demande de l'assureur, et procède aux réparations requises. Le drain de fondation est alors remplacé sur trois côtés (façade, gauche, arrière). Il n'y a pas d'intervention du côté droit soit celui du garage.
[10] Deux factures sont émises en relation avec ces travaux. D'abord, la facture 6807, datée du 29 mai 2009, est adressée au défendeur Proulx. Elle s'élève à 903,00 $ et couvre le coût de matériaux pour le remplacement du drain. Quant à la seconde facture, portant le numéro 6808, elle est faite à l'ordre de l'assureur. Elle totalise 7 788,38 $ pour les travaux de remplacement du drain. On y retrouve la mention suivante:
note importante:
le drain doit être nettoyé au besoin car boue ferreuse.[2]
[11] L'entrepreneur accuse réception du paiement effectué par M. Proulx et lui remet un document où il est écrit:
le drain doit être nettoyé au besoin si boue ferreuse.[3]
[12] Trois ans plus tard, en février 2012, les défendeurs décident de mettre en vente leur propriété par l'entremise de Du Proprio.com.
[13] Intéressés par cette maison, les demandeurs effectuent une première visite des lieux le 18 février 2012. Les quatre parties sont présentes. On fait le tour de la propriété, ce qui dure environ une heure.
[14] Quelques semaines plus tard, les demandeurs reviennent pour une seconde visite, plus complète. Les défendeurs y mentionnent notamment que la toiture a été récemment refaite et que le drain a été remplacé en 2009, par Garco, vu un problème de vallonnement et de niveau.
[15] Les demandeurs possèdent alors chacun une résidence. Celle de la demanderesse est mise en vente et trouve preneur rapidement.
[16] Le 28 mars 2012, les demandeurs complètent une offre d'achat[4]conditionnelle à la vente de la maison de M. Roy. Les défendeurs l'acceptent la journée même et complètent un document intitulé: « Déclaration du vendeur »[5]. Cette déclaration consiste à répondre à une liste de questions, adressée aux vendeurs. L'une de ces questions se lit ainsi:
3. À votre connaissance, y a-t-il ou y a-t-il déjà eu:
(…)
3.6 présence d'ocre ferreuse dans le sol?
Les défendeurs répondent « non ».
[17] L'offre d'achat acceptée est établie à 330 000 $. Aucune date n'est précisée quant à la prise de possession et quant à la signature de l'acte de vente.
[18] Le 20 avril 2012, les défendeurs appellent Excavation Garco inc. et font nettoyer le drain de fondation. Ils paient la facture de 344,93 $[6].
[19] Au début mai 2012, le demandeur Roy n'a toujours pas vendu sa propriété. De leur côté, les défendeurs reçoivent une nouvelle offre d'achat, au montant de 329 500 $, de la part de M. Éric Gosselin[7]. Ils contactent alors les demandeurs afin de fixer une date limite à la première offre, soit le 1er juillet 2012.
[20] Puis, les demandeurs confient un mandat à M. Jean-Yves Labbé, inspecteur en bâtiments réalisant des inspections pré-achat. Celui-ci visite les lieux, en compagnie de ses clients.
[21] Lors de sa visite, il note la présence de cheminées d'accès permettant de nettoyer les drains. Il vérifie la présence d'ocre dans les regards et n'en voit pas. Il ne localise pas le regard « clean out ». M. Proulx dit ignorer où il se trouve. M. Labbé questionne le défendeur Proulx relativement à la présence d'ocre ferreuse, lequel répond qu'il n'y en a pas à sa connaissance. M. Labbé conclut à l'absence de problèmes significatifs, à la suite de cet examen visuel.
[22] M. Labbé produit le 10 mai 2012 un rapport d'expertise écrit[8]. À l'item 15G, il note qu'il s'agit d'un « quartier où il existe potentiellement de l'ocre rouge ». Il recommande, à l'item 19, de nettoyer le drain de fondation aux 2-3 ans.
[23] M. Roy vend sa propriété, ce qui mène à l'achat de la maison de la rue Belliard. Cette transaction intervient le 28 juin 2012. Le demandeur Roy remet une liste de factures[9] dont il veut obtenir copie. Cette liste inclut les factures relatives au drain.
[24] Après avoir signé l'acte de vente, M. Roy réitère sa demande de copie de factures. Il en obtiendra seulement quelques-unes. M. Roy entreprend certains travaux d'amélioration, notamment au niveau du plancher.
[25] Il découvre le regard « clean out » et voit que c'est « coloré orange ». Il appelle M. Labbé et lui rapporte cette constatation.
[26] M. Roy se rend chez Garco et obtient copie des factures concernant sa maison. Il met la main sur la facture 6808, adressée à l'assureur, et faisant état de boue ferreuse.
[27] Il appelle M. Proulx et lui demande s'il y avait de la boue ferreuse lors du nettoyage du 20 avril 2012. Celui-ci répond par la négative. M. Roy se rend chez M. Proulx. Il ne lui mentionne pas ce que dit la facture 6808 adressée à l'assureur, soit la présence de boue ferreuse.
[28] Le 9 août 2012, les demandeurs font venir un représentant de Garco aux fins d'une inspection du drain par caméra. Le rapport de cette visite indique que le « drain est beau mais qu'il y a un peu de boue ferreuse, qu'on aperçoit aussi au clapet anti-retour [10]». On recommande un nettoyage du drain mais pas à court terme.
[29] Le 26 octobre 2012, les demandeurs transmettent une mise en demeure[11] aux défendeurs. Ils dénoncent la présence d'ocre ferreuse dans le sol et alléguent que les défendeurs en avaient connaissance et l'ont délibérément cachée.
[30] Le défendeur Proulx répond à cette lettre de mise en demeure et réitère qu'à leur connaissance (sa femme et lui), il n'y avait pas d'ocre ferreuse dans le sol.
[31] Le 12 avril 2013, M. Proulx fait analyser son eau par Environex, un laboratoire environnemental. Celui-ci trouve de l'ocre ferreux[12] et mentionne que, selon l'échantillon, le potentiel de colmatage du drain français est moyen[13].
[32] Le 26 juin 2013, les défendeurs obtiennent un rapport de TechnoDrain suite à sa visite des lieux. Celle-ci procède à une expertise par excavation du drain de fondation[14].
[33] Elle y inscrit que la maison a été construite « dans un secteur ou le développement de l'ocre ferreux est fréquent ». Elle relève aussi « un léger dépôt d'ocre ferreux dans la partie inférieure du drain » et « un liquide très oppact[sic] orangé ». Aucune défaillance du drain n'est constatée. On recommande un nettoyage préventif du drain de fondation aux trois ans.
[34] Trois mois plus tard, les demandeurs engagent Expert Drainage Québec. Son représentant, M. Richard Ouellet, procède à une excavation et note la présence de beaucoup de boue ferreuse ayant colmaté le drain, en totalité ou en partie, à plusieurs endroits[15]. Il rédige une soumission[16] qui recommande de refaire tout le drain, selon une méthode développée par eux lorsqu'un drain est enfoui dans un sol où il y a de la boue ferreuse. Ces travaux s'élèvent à 32 009,04 $.
[35] Le 29 novembre 2013, TechnoDrain évalue, à son tour, les coûts requis pour remplacer le drain. Selon son calcul[17], il en coûterait 16 911,00 $, en plus des taxes. Sa méthode diffère de celle de Expert Drainage Québec et s'appuie sur la norme BNQ-3661-500/2012[18].
[36] TechnoDrain revient sur les lieux en avril 2014 afin d'effectuer une nouvelle inspection par caméra mais ne réussit pas à passer son instrument. Un des bouchons des cheminées d'accès est alors brisé. Présent sur les lieux, M. Ouellet, de Expert Drainage Québec, réussit à faire passer partiellement sa caméra, qui est ensuite bloquée.
[37] Une nouvelle inspection est faite en juin 2014 par les experts. De la boue ferreuse est à nouveau notée. M. Beaulieu, de TechnoDrain, produit un rapport qui reprend plusieurs affirmations du rapport effectué l'année précédente, mais ajoute qu'il n'a pas pu inspecter le secteur des cheminées d'accès, vu la présence de sable et d'un joint défectueux[19].
[38] Dans leur requête, les demandeurs allèguent que les défendeurs connaissaient la présence de d'ocre ferreuse et qu'ils l'ont cachée délibérément. Si les demandeurs l'avaient su, ils n'auraient pas acheté. Ils demandent donc l'annulation de la vente, le remboursement du prix payé de même que certains déboursés accessoires s'élevant à 18 239,72 $, et des dommages estimés à 25 000 $.
[39] Ils invoquent de plus la garantie légale relative à la présence de vices cachés. Si l'annulation n'est pas prononcée, ils désirent obtenir une diminution du prix de vente de 100 000 $.
[40] De leur côté, les défendeurs nient avoir fait de fausses représentations. Ils plaident de plus que la présence d'ocre ferreuse ne constitue pas un vice caché qui justifie l'annulation de la transaction ou la réduction du prix, ni la condamnation à payer des dommages.
[41] Ce litige soulève donc les questions suivantes:
i) Y a-t-il eu fausses représentations des défendeurs quant à la présence d'ocre ferreuse?
ii) Y a-t-il preuve de l'existence de vices cachés?
iii) Dans l'affirmative, quel est le remède approprié?
i) Y a-t-il eu fausses représentations des défendeurs quant à la présence d'ocre ferreuse?
[42] Les demandeurs plaident qu'il y a eu dol (ou fausses représentations) de la part des défendeurs. Ceux-ci, d'après eux, savaient ou ne pouvaient ignorer la présence d'ocre ferreuse sur leur propriété.
[43] Ne l'ayant pas dénoncé, ils ont vicié le consentement des acquéreurs, lesquels soutiennent qu'ils n'auraient pas acheté s'ils avaient été informés de la situation.
[44] Mentionnons d'emblée que les défendeurs ont expressément nié, le 28 mars 2012, qu'il existe ou qu'il y ait eu, à leur connaissance, la présence d'ocre ferreuse dans le sol[20].
[45] Ils ont témoigné dans le même sens au procès.
[46] Il faut donc déterminer s'ils ont menti ou, à tout le moins, s'ils ne pouvaient ignorer la présence d'ocre ferreuse.
[47] Les demandeurs réfèrent au texte de la facture 6808 datée du 21 mai 2009. On y indique la nécessité de nettoyer le drain au besoin « car boue ferreuse ». Cette mention est plutôt claire.
[48] Le problème vient de ce que cette facture n'est pas adressée aux défendeurs mais à leur assureur. M. Sirois, représentant de Garco, a mentionné qu'il envoyait aux assurés, de façon habituelle, copie de factures destinées à leur assureur. Cette preuve n'est pas convaincante dans le présent cas. On ne dispose d'aucune mention ou preuve d'envoi soutenant que les défendeurs ont effectivement reçu, avant la vente, une copie de cette facture. Rien dans le dossier de l'assureur, produit sous la cote P-15, ne démontre un tel envoi.
[49] M. Sirois le fait possiblement de façon générale, mais cela ne suffit pas à contredire les affirmations sous serment des défendeurs, qui disent ne l'avoir pas reçue.
[50] Relativement au témoignage de M. Sirois, à l'audience, il faut reconnaître qu'il n'avait guère de souvenirs du problème survenu à l'époque. Il dit avoir averti M. Proulx de la présence d'ocre ferreuse mais n'a aucun souvenir quant au reste. Cette preuve n'est pas assez convaincante pour permettre d'écarter la dénégation de M. Proulx.
[51] Si on ne peut retenir de la preuve que les défendeurs avaient été informés expressément de ce qui en était, peut-on conclure qu'il existait suffisamment d'indices les empêchant d'ignorer la situation?
[52] À ce sujet, le procureur des demandeurs invoque les éléments suivants:
§ Le bon de travail D-1 contient la mention « le drain doit être nettoyé au besoin si ocre ferreuse »;
§ Les plans et devis (P-17) indiquent: boue ferreuse;
§ On a installé des cheminées d'accès;
§ Le nettoyage du drain fait en avril 2012, après l'offre d'achat acceptée mais avant l'inspection, ne peut se justifier que par une connaissance de la problématique;
§ Le défendeur Proulx nie qu'il y ait eu infiltration d'eau, ce qui est inexact puisque son assureur ne serait pas intervenu en l'absence d'un sinistre couvert. Or, ce sinistre ne peut être qu'une infiltration d'eau au sous-sol. De plus, Garco réfère à une infiltration d'eau dans son rapport d'expertise du 6 janvier 2009 transmis à l'assureur[21];
§ Un des drains du sous-sol était caché par le plancher, alors que le drain du garage était bouché;
§ Les défendeurs ne se sont pas montrés intéressés aux travaux et inspections.
[53] Pour les demandeurs, les éléments ci-haut rapportés contredisent la réponse suivante donnée par M. Proulx à son interrogatoire au préalable:
Q.- OK. De façon plus large, parce que là, on voit, bon, c'est le vingt-neuf (29) mai deux mille neuf (2009), mais aller jusqu'à la vente de votre maison, là, est-ce que vous diriez que jamais, jamais, au grand jamais vous n'avez soupçonné la présence d'ocre ferreuse ou que vous auriez eu un quelconque indice vous permettant de soupçonner qu'il y aurait de l'ocre ferreuse au 505, Belliard?
R.- J'avais aucun indice, je n'ai pas eu d'infiltration d'eau. Une personne qui peut se douter, j'imagine, qu'il peut y avoir de l'ocre «ferreux», c'est parce qu'il y a eu de l'infiltration d'eau; sinon, je vais pas mettre le nez dans le trou, moi, là. J'ai jamais été voir dans les cheminées qu'ils ont posées à savoir s'il y avait de l'ocre ferreuse, je les ai jamais ouverts. Il y a des bouchons qui ont été mis, justement, parce qu'il me dit: «Faut pas que des balles…des enfants mettent des balles là-dedans»; ç'a[sic] été bouché puis je l'ai jamais ouvert.[22]
[54] Les demandeurs soulèvent que les faits ci-haut énumérés permettent de rejeter la version du défendeur Proulx puisque, par présomptions[23], il se devait de connaître la présence de l'ocre ferreuse. Bref, à défaut de retenir une preuve directe, on soulève des présomption de faits.
[55] Ce sont les demandeurs qui assument le fardeau de prouver ces allégations. En effet, l'article 2803 du Code civil du Québec énonce:
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[56] La Cour retient que les défendeurs savaient qu'il y avait de l'ocre ferreuse dans leur secteur. Cela semble assez connu et l'inspecteur Labbé en traite lui-même dans son rapport pré-achat. Il écrit « Quartier où il existe potentiellement de l'ocre rouge »[24].
[57] Par contre, la Cour ne peut conclure, selon la balance de probabilités, que les défendeurs auraient dû savoir ou ne pouvaient ignorer qu'il y avait de l'ocre ferreuse chez eux.
[58] D'abord, le bon de travail D-1 ne dit pas qu'il y a ocre ferreuse. On indique si ocre ferreuse.
[59] Deuxièmement, il n'est pas en preuve que les plans et devis P-17 aient été remis aux défendeurs. Il peut très bien s'agir d'un document de travail interne de Garco, remis ou non à l'assureur.
[60] Troisièmement, la pose de cheminées d'accès ne signifie pas qu'il y ait nécessairement de la boue ferreuse. C'est une mesure de prévention à utiliser dans un quartier où on risque d'en retrouver. Cela ne prouve pas la présence d'ocre ferreuse en soi.
[61] Quatrièmement, le nettoyage fait en avril 2012 ne veut pas dire qu'il y avait de l'ocre ferreuse. D'ailleurs, la facture des travaux n'en fait pas mention[25]. On parle d'un nettoyage, sans conclure à quoi que ce soit.
[62] Cinquièmement, l'existence ou non d'une infiltration d'eau en mai 2009 ne peut permettre de conclure ce que savait, ou non, M. Proulx quant à l'ocre ferreuse. La facture de l'investigation réalisée en décembre 2008[26], et remise aux défendeurs, ne fait aucune référence à une infiltration.
[63] Quant au drain du sous-sol qu'on dit caché, la preuve n'est pas plus convaincante. L'inspecteur Labbé n'a pas été en mesure d'identifier ce dont il était question. On ne peut pas non plus inférer la présence d'ocre ferreuse du fait que le drain du garage ait été bouché, ou du fait que les défendeurs ne se soient pas beaucoup intéressés aux travaux et inspection effectués.
[64] En conclusion, la Cour ne retient pas que les défendeurs savaient, lors de la vente, qu'il y avait de l'ocre ferreuse sur leur propriété, ni qu'ils ne pouvaient l'ignorer. L'allégation de dol est généralement associée à un comportement malhonnête visant à provoquer une erreur chez autrui. La Cour ne peut conclure en ce sens dans la présente affaire.
ii) Y a-t-il preuve de l'existence de vices cachés?
[65] Suivant l'article 1726 du Code civil du Québec et la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans ABB inc. c. Domtar inc.[27], quatre critères sont requis pour qu'on puisse conclure à l'existence d'un vice caché à savoir:
§ Le vice doit être caché;
§ Le vice doit avoir une certaine gravité et requiert un déficit d'usage;
§ Le vice doit exister antérieurement à la vente;
§ Le vice doit être inconnu de l'acheteur.
[66] Il n'est par ailleurs pas nécessaire que le vendeur ait connaissance lui-même de ce vice. Une telle connaissance ajoute à la compensation que peut lui demander l'acheteur[28].
[67] La présence d'ocre ferreuse dans le sol ne constitue pas, en soi, un défaut caché. Il faut qu'elle se manifeste, par exemple, en bouchant un drain[29]. En effet, il existe de nombreuses résidences construites dans des quartiers où on retrouve de l'ocre ferreuse, et on ne peut affirmer qu'elles sont toutes affectées de vices cachés.
[68] De plus, il est assez fréquent que l'on construise de nouvelles résidences dans de tels secteurs. C'est ce qui ressort de la norme BNQ-3661-500 intitulée: Dépôts d'ocre dans les systèmes de drainage de bâtiment[30], qui prescrit les mesures à prendre dans de tels cas.
[69] Ici, la preuve démontre par prépondérance l'existence d'un vice caché qui rencontre les quatre critères ci-haut énumérés[31].
[70] La présence d'ocre ferreuse dans les drains de fondation n'est pas vraiment contestée. Selon l'expert de la demande, M. Richard Ouellet, les drains sont fortement colmatés par du sable et de la boue ferreuse. À certains endroits, il parle d'une contamination de 100%[32].
[71] De même, Madame Mélissa Cloutier, auteure du rapport d'expertise D-3, déclare que le drain est non conforme et doit être refait, s'il est entouré d'une gaine et qu'il y a de l'ocre ferreuse. Or, tel est précisément le cas pour la portion du drain du côté du garage.
[72] Ajoutons à cela que la facture 6808 de mai 2009 notait déjà la présence de boue ferreuse. Certes, la Cour n'a pas retenu que les défendeurs en avaient connaissance, mais ce n'est pas une condition nécessaire à l'existence du vice caché.
[73] Bref, le vice était caché et ne pouvait être découvert facilement. L'inspecteur Labbé ne l'a pas noté. Ce vice est suffisamment grave, compte tenu de l'état du drain et de sa non-conformité. Cette situation était inconnue des acheteurs et elle existait au moment de la vente.
[74] Les défendeurs soutiennent que le vice était apparent et que la situation avait été largement dénoncée aux acheteurs, avant la vente, notamment, par leur inspecteur Labbé et la présence de cheminées d'accès.
[75] Cette prise de position des défendeurs est passablement contradictoire avec leur affirmation voulant qu'eux-mêmes ne connaissaient ni ne pouvaient connaître la présence d'ocre ferreuse.
[76] On ne peut avoir deux poids deux mesures en la matière. Si ce n'est pas connu pour l'un, comment est-ce que ce peut être apparent pour l'autre?
[77] Les demandeurs ont retenu les services de M. Labbé, qui leur a dit que c'était un achat recommandable. Ils ont posé des questions, demandé copie des factures. On ne pouvait leur demander raisonnablement d'en faire plus.
[78] Quant à l'argument de la défense à l'effet qu'il n'y aurait pas de déficit d'usage, la Cour ne peut y faire droit. Le déficit est établi puisque le drain, non-conforme, est bouché à plusieurs endroits. Il ne s'agit pas d'un défaut sans conséquence, contrairement à ce que plaide la défense.
[79] Qu'il n'y ait pas eu d'infiltration d'eau ne change pas le fait que le drain doit être remplacé. C'est beaucoup plus que du nettoyage.
[80] En conclusion sur ce point, le Tribunal retient l'existence d'un vice caché, soit la présence d'ocre ferreuse dans le sol, combinée à un drain qui ne rencontre pas les exigences des règles de l'art dans une telle situation.
iii) Quel est le remède approprié?
[81] Lorsqu'un vice caché est établi, le Code civil du Québec accorde deux recours à l'acheteur. Soit qu'il demande l'annulation de la vente, soit qu'il requiert une diminution du prix qu'il a payé.
[82] Vu les difficultés qu'entraîne la résolution de la transaction (remboursement des sommes payées et du coût des améliorations apportées, remise en état du bien, compensation pour la période écoulée, etc.), les tribunaux hésitent souvent à la prononcer. Ils optent plus fréquemment pour une condamnation monétaire visant à compenser les coûts de réparation du vice.
[83] C'est d'ailleurs ce qu'écrivent les auteurs qui traitent de la situation.
[84] Ainsi, Jeffrey Edwards écrit:
« Ainsi, la résolution de la vente en vertu de la garantie reste subordonnée à la preuve selon laquelle le vice possède une gravité exceptionnelle entravant l'usage entier ou principal du bien ou occasionnant une baisse importante ou très significative de la valeur. »[33]
[85] Les professeurs Jobin et Cumyn abondent dans le même sens:
« La loi réserve le recours en résolution aux vices dont la gravité ou l'importance, par rapport à l'ensemble de la vente, justifie une sanction aussi sévère. »[34]
[86] Le recours en annulation nécessite donc la preuve d'un vice grave, ou qui entraîne une perte de valeur substantielle pour le bien.
[87] Ces éléments doivent être considérés de façon objective. On ne peut s'en remettre à une simple déclaration de l'acheteur, informé de la situation après le fait.
[88] Dans ce dossier, on n'a pas fait la preuve d'une perte de valeur pour la propriété et si oui, pour combien. Lorsque le drain sera réparé et fonctionnel, on ne peut présumer que la propriété aura perdu de la valeur.
[89] D'ailleurs si la présence d'ocre ferreuse est aussi grave qu'on le prétend en demande, personne ne s'établirait ou ne construirait de résidence dans un secteur où on en retrouve. De même, on n'établirait pas une norme BNQ pour de telles constructions.
[90] Il faut rappeler que les acheteurs ont été informés, par leur inspecteur, qu'ils achetaient une maison située dans un « quartier où il existe potentiellement de l'ocre rouge ». Cela ne les a pas empêchés d'acquérir la propriété. Si personne ne savait s'il y avait réellement de l'ocre dans le sol de la propriété acquise, cette option ne pouvait être écartée.
[91] Les experts entendus ont présenté leurs solutions respectives pour corriger le problème de drain, et ni l'un ni l'autre n'ont déclaré qu'il n'y avait rien à faire. Le vice n'est pas aussi grave qu'on le prétend.
[92] Les correctifs requis varient entre 16 911,00 $ (taxes en sus), pour l'expert de la défense[35], et 27 840,00 $ (taxes en sus), pour l'expert de la demande[36]. Cela représente moins de 10% du prix payé pour la maison et devrait régler le problème pour longtemps, surtout si on achète la garantie offerte par M. Ouellet.
[93] Les demandeurs ont cité l'affaire Myrand et Laflamme c. Cyr[37], où M. le juge Pronovost a accueilli la demande d'annulation d'une vente de maison où on avait trouvé, après coup, de l'ocre ferreuse et un drain français installé à l'encontre des règles de l'art.
[94] Dans cette affaire, on avait établi que deux acheteurs potentiels avaient retiré leur offre d'achat suite à la remise en vente de la propriété, lorsqu'informés de la problématique d'ocre ferreuse[38]. De plus, la courtière en immeubles avait témoigné que le demandeur lui avait dit qu'il n'achèterait pas s'il y avait de l'ocre ferreuse et ce, lors de l'inspection pré-achat.
[95] Ce sont des éléments qui se distinguent du dossier sous étude.
[96] Cela amène la Cour à discuter des mesures réparatrices proposées. Doit-on retenir la solution de TechnoDrain ou celle d'Expert Drainage Québec?
[97] Chaque expert semble convaincu que sa méthode est meilleure que l'autre. La preuve permet difficilement de se prononcer à ce sujet.
[98] Vu les positions adoptées par chacune des parties et la confiance manifeste envers leurs experts respectifs, il apparaît plus raisonnable et logique que les demandeurs puissent travailler avec leur expert et la méthode qu'il propose, même si le coût est plus élevé.
[99] On ne peut ignorer que ce sont les demandeurs qui doivent subir ce problème et qui doivent le solutionner. Il semble inapproprié de les forcer à traiter avec l'expert de la partie adverse. D'autant plus que l'estimé ne leur est pas adressé, qu'il comporte des items exclus ou indéterminés et qu'on ne connaît pas le coût final.
[100] La Cour retient donc la soumission du 25 septembre 2013 de Expert Drainage Québec afin d'établir les coûts de corrections nécessaires. Cela représente 27 840,00 $, en plus des taxes, soit un total de 32 009,04 $.
[101] Vu les conclusions quant à l'existence d'un vice caché, les frais d'expertise de Expert Drainage Québec sont accordés, en plus des dépens.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[102] ACCUEILLE partiellement la requête introductive d'instance;
[103] CONDAMNE les défendeurs à payer aux demandeurs la somme de 32 009,04 $, avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec à compter de l'assignation;
[104] LE TOUT avec dépens, incluant les frais d'expertise d'Expert Drainage Québec.
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________________________________ DANIEL DUMAIS, j.c.s. |
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Me Steve Demers Quessy Henry St-Hilaire |
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(casier 68) |
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Pour les demandeurs |
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Me Hugo Lafrenière Bédard Poulin |
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(casier 207) |
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Pour les défendeurs |
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Dates d’audience : |
17, 18, 19 septembre 2014 et 2 octobre 2014 |
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[1] Voir la pièce P-17.
[2] Voir la pièce P-4.
[3] Voir la pièce D-1.
[4] Voir la pièce P-2.
[5] Voir la pièce P-3.
[6] Voir la pièce P-5.
[7] Voir la pièce D-8.
[8] Voir la pièce P-7.
[9] Voir la pièce P-8.
[10] Voir la pièce P-6.
[11] Voir la pièce P-10.
[12] Les divers témoins et documents réfèrent à de l'ocre ferreux, de l'ocre ferreuse ou de la boue ferreuse. Ces appellations visent la même chose.
[13] Voir la pièce D-2.
[14] Voir la pièce D-3.
[15] Voir la pièce P-13.
[16] Voir la pièce P-14.
[17] Voir la pièce D-11.
[18] Voir la pièce D-6 A intitulée: Dépôts d'ocre dans les systèmes de drainage des bâtiments.
[19] Voir la pièce D-5.
[20] Voir la réponse à la question 3.6 de la pièce P-3.
[21] Voir la pièce P-15.
[22] Voir la transcription de l'interrogatoire au préalable du défendeur Steve Proulx, 6 septembre 2013, pages 50-51.
[23] Devault c. Tremblay EYB 1956-62418 (C.A.)
[24] Voir la pièce P-7 à l'article 15g.
[25] Voir la pièce P-5.
[26] Voir la pièce P-17.
[27] (2007) 3 RCS 461.
[28] Voir l'article 1728 C.c.Q.
[29] Lefebvre et Picard c. Rousseau et al 2014 QCCS 4208, paragraphes 214 et suivants.
[30] Voir la pièce D-6-A.
[31] Voir Lefebvre c. Rousseau, note 29.
[32] Voir la pièce P-13.
[33] Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, 2008 Wilson et Lafleur, no 546, p. 262.
[34] Pierre, GABRIEL JOBIN et Micheline CUMYN, La vente, 3e éd., Éditions Yvon Blais 2007, p. 234. Voir aussi Martel c. Desbiens, 2000 AZ-50187660.
[35] Voir la pièce D-11.
[36] Voir la pièce P-14.
[37] 2012 QCCS 4614.
[38] Ibid, paragraphes 131 et 150.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.