Décision

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COUR D'APPEL

 

2014 QCCA 1048

 

Robert Fer et métaux, s.e.c. c. L. Bélanger Métal inc.

 

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No:

500-09-024366-148

 

(500-17-081478-144)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

Le 9 mai 2014

 

 

L’HONORABLE CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 

PARTIE REQUÉRANTE

AVOCATS

ROBERT FER ET MÉTAUX S.E.C.

Ronald Audette

Charles Daviault

GOWLING LAFLEUR HENDERSON S.E.N.C.R.L

(absents)

 

PARTIES INTIMÉES

AVOCATS

L. BÉLANGER MÉTAL INC.

 

 

GUY BÉLANGER

Claude A. Roy

ROY GERVAIS BEAUREGARD

(absent)

Serge Létourneau

LÉTOURNEAU GAGNÉ AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

(absent)

Guy Paquette

PAQUETTE GADLER INC.

(absent)

 

REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER D'UN JUGEMENT ANNULANT DES SAISIES AVANT JUGEMENT

(Art. 26, 494 et 511 Code de procédure civile)

 

Greffière d'audience : Asma Berrak

Salle : RC.18

 


 

 

AUDITION

 

 

Suite de l'audition du 6 mai 2014.

Jugement-voir page 3.

 

 

Asma Berrak

Greffière d'audience

 


 

 

JUGEMENT

 

[1]          La requérante, Robert Fer et Métaux S.E.C., demande la permission d’appeler d’un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Michel Yergeau), rendu le 11 avril 2014. Ce jugement annule, au stade de la suffisance, des saisies avant jugement pratiquées par la requérante à l’encontre des actifs des intimés, L. Bélanger Métal inc. et Guy Bélanger. L’honorable Marc-André Blanchard avait autorisé l’émission des brefs de saisies avant jugement sous l’article 733 C.p.c. le 21 mars 2004, sur la foi des déclarations assermentées souscrites par MM. Pierre Robert et Herbert Black à l’appui des réquisitions présentées.

[2]          Dans sa requête, la requérante demande également de suspendre l’ordonnance d’exécution du jugement nonobstant appel décrétée par le juge.

[3]          La demande de permission d’appeler est assujettie aux conditions du paragraphe 2 du second alinéa de l’article 26 C.p.c. :

26. [….]

Peuvent aussi faire l'objet d'un appel, sur permission d'un juge de la Cour d'appel, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour d'appel, ce qui est notamment le cas s'il est d'avis qu'une question de principe, une question nouvelle ou une question de droit faisant l'objet d'une jurisprudence contradictoire est en jeu:

[…]

 2. le jugement qui prononce sur la requête en annulation d’une saisie avant jugement;

[…]

[4]          Il est acquis que les exigences que pose le législateur à ce second alinéa sont sévères et rigoureuses[1]. Il appartient au requérant de convaincre le juge autorisateur que la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour.

[5]          Cela dit, en matière de permission d’appeler d’un jugement qui se prononce sur une requête en annulation d’une saisie avant jugement, un courant de jurisprudence des juges uniques de la Cour atténue quelque peu la rigueur de cette exigence et préconise une certaine souplesse, et ce, lorsque se soulève « une question de justice » et que le jugement entrepris présente une faiblesse apparente ou une erreur qui fait douter de la justesse de la décision[2].

[6]          L’argument de la requérante pour établir que se soulève ici une question qui devrait être soumise à la Cour se résume essentiellement à deux paragraphes de sa requête. Je les reproduis intégralement :

34. L’Appelante soumet respectueusement que le juge de première instance a erré en droit en interprétant de façon trop restrictive les dispositions de l’article 733 C.p.c. et en ne retenant pas que la conduite malhonnête persistante des Intimés, l’ampleur de la fraude ainsi que la répétition des actes de recels des Intimés étaient suffisants pour justifier l’émission de Brefs de saisie avant jugement;

[…]

42. Or, l’honorable Michel Yergeau, j.c.s., a interprété de façon trop restrictive les dispositions de l’article 733 C.p.c. en limitant le droit à la saisie avant jugement au seul cas de disposition d’actifs ou de la preuve de l’existence d’un stratagème des Intimés visant à protéger leurs actifs de l’exécution d’un jugement éventuel.

[7]          Pour la requérante, compte tenu que les intimés auraient recelé à trente-deux reprises des biens volés sur une période de près de deux ans pour une valeur d’environ 1,5 million de dollars, une personne prudente et diligente ne pourrait qu’entretenir une crainte que sa créance soit en péril dès que les intimés sont informés d’une procédure intentée contre eux.

[8]          Cela étant, la requérante estime que le juge aurait erré en énonçant ceci aux paragr. [9] et [14] de son jugement :

[9]     Cela dit, inutile de reprendre en détail les paramètres législatifs et jurisprudentiels en matière de saisie avant jugement qui sont bien connus. Schématisons :

[…]

h)   les agissements malhonnêtes d’un défendeur ne suffisent pas à eux seuls à justifier une telle mesure conservatoire (Comco Roots Compressor Canada Inc. c. Aerzener Maschinenfabrik, C.A. Montréal, 500-09-001274-885, 27 janvier 1989);

i)    par contre, une conduite déviante récurrente couplée à des faits ou initiatives à première vue neutres permet au juge d’apprécier la portée de ceux-ci à la lumière de celle-là (Griffis c. Grabowska, 2009 QCCA 2421; Toledo Engine Rebuilders inc. c. Lefort, [1977] C.A. 558; 127798 Canada inc. c. Les Placements G.D.A. ltée, C.A. Montréal, 500-09-001058-841, 22 février 1985);

[…]

[14]   Même en prenant pour avéré que les défendeurs ont concouru pendant une période de temps prolongée à des actes de nature criminelle, dont la preuve restera à faire au procès civil, ces allégations de malhonnêteté persistante ne permettent pas à elles seules au Tribunal de maintenir les saisies avant jugement. Il faut plus, puisque ces dernières ne sont pas des mesures punitives non plus qu’elles ne sont des mesures visant à garantir la solvabilité des débiteurs du jugement au mérite.

[9]          Aux yeux de la requérante, ces affirmations du juge seraient contraires aux enseignements de la Cour, d’où la justification d’accorder sa permission d’appeler.

[10]       Avec égards, la lecture du jugement entrepris et des déclarations offertes par la requérante au soutien de ses réquisitions pour l’émission des brefs de saisies ne me convainc pas qu’il y a lieu, en l’espèce, d’accorder cette permission. Contrairement aux jugements sur lesquels insiste la requérante pour m’inviter à faire preuve de souplesse dans l’analyse des critères du second alinéa de l’article 26 C.p.c., je ne peux conclure à l’existence de faiblesse apparente ou d’erreur flagrante dans le jugement entrepris.

[11]       Au contraire, le juge a, à mon avis, bien cerné les règles de droit applicables, en référant précisément aux enseignements de la Cour en matière de suffisance des allégations à l’appui d’une saisie avant jugement effectuée dans des situations d’agissements malhonnêtes ou frauduleux d’un défendeur. À ce chapitre, dans les arrêts Griffis c. Grabowska[3], Comco Roots Compressor Canada Inc. c. Aerzener Maschinenfabrik GmbH[4] et Toledo Engine Rebuilders Inc. v. Lefort[5] auxquels réfère justement le juge dans ses motifs, on peut lire notamment ceci :

Griffis c. Grabowska

[15]           L'allégation du demandeur voulant qu'il ait été victime d'une fraude ne suffit donc pas, à elle seule, pour justifier la saisie avant jugement.  Le demandeur doit alléguer des faits précis - une allégation générale ne suffit pas! - le justifiant de craindre que sans cette mesure provisionnelle, le recouvrement de sa créance sera mis en péril.  S'agissant d'une conduite malhonnête persistante (ou caractérisée), le juge pourra cependant apprécier la portée de ces faits à la lumière de cette conduite.   C'est ainsi qu'un geste, un comportement ou une initiative, quoique neutre à première vue, pourra tout de même justifier le demandeur de craindre que sans la saisie avant jugement des biens du défendeur le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.

[…]

[18]           En l'espèce, l'appelant affirme avoir appris de son ami et partenaire en affaires Frank Marzoli, que l'intimé Bonifarth ne lui a toujours pas remboursé les sommes qu'il lui doit, et ce, même si, en février 2008, l'appelant a remis à l'intimée Grabowska un chèque de 30 000 $ à cette fin précise.   Dans l'affidavit de Marzoli, joint à celui de l'appelant comme pièce P-41, on apprend également que, le 19 janvier 2009, Marzoli a rencontré Bonifarth et Grabowska pour discuter du remboursement du prêt de 25 000 $ contracté en juillet 2007. Les intimés se seraient alors engagés à le rembourser dès que leur résidence de la rue Houde, à Kirkland, serait vendue.  Or, la vente a eu lieu le 30 juin 2009 et Marzoli n'a toujours pas été payé quand il signe l'affidavit, le 27 juillet 2009.  Au surplus, tous ces efforts pour rejoindre l'intimé Bonifarth depuis qu'il a eu vent de la vente seraient demeurés vains.

[…]

[22]           Après tout, l'incident laisse à penser que les intimés vendent des actifs, mais que, contrairement aux engagements qu'ils prennent, ils n'acquittent pas leurs dettes (et ce, sans compter que, dans ce sas précis, selon l'affidavit de l'appelant, ils ont, depuis février 2008, les fonds requis pour rembourser Marzoli).   L'incident est étranger, et postérieur, à la fraude dont l'appelant allègue avoir été victime de l'automne 2007 jusqu'au mois de mai 2009.

Comco Roots Compressor Canada Inc. c. Aerzener Maschinenfabrik GmbH        

Si donc il ne suffit pas que le recours lui-même soit fondé sur des agissements malhonnêtes du défendeur pour que le demandeur puisse saisir avant jugement, des reproches de malhonnêteté persistante - persistent conduct - peuvent venir étayer les soupçons que font naître des initiatives qui, quoique neutres en elles-mêmes, pourraient fort bien mettre les biens du défendeur à l'abri d'un jugement éventuel. […]

Toledo Engine Rebuilders Inc. v. Lefort

However, even though the remarks which follow are obiter, I do want to say that I would not wish to close the door to the possibility of a seizure before judgment in cases where the defendant, by persistent conduct, has given rise to fear that he will put the debt in jeopardy. In other words - to borrow a term from the common law - similar acts may have their relevance in application of this kind, but even then (more so, perhaps, than in “ordinary” cases) the affidavit, to be adjudged “sufficient”, must set out fully and clearly the reasons why the plaintiff fears for this debt.

This, as indicated above, cannot be done by a simple allegation that the debt a quo is the result of the defendant's fraud. To permit this as the basis of a seizure before judgment would be tantamount to saying that the defendant is dishonest and that, in all probability, he will try and arrange his affairs in such a way as to avoid the consequences of a judgment. No doubt, in some cases, perhaps even many, that will be so. But the Code is much more specific than that, and had the legislature wanted to include that type of situation in the “provisional remedies” set out in Title One of Book Five, it would have had to do so in very clear language.

[12]       Le juge a procédé à l’analyse des déclarations assermentées sur la foi des enseignements de ces arrêts. Il a conclu qu’au regard de l’intimé Bélanger, les déclarations n’indiquaient aucune manœuvre visant à soustraire ses biens aux effets d’un jugement à venir. Il a, entre autres, précisé ceci au paragr. [29] de ses motifs :

[29]      Affirmer, comme le fait Black, que le fait d’avoir concouru au stratagème démontre que Guy Bélanger, au même titre que Guy Charest, Steve Larrivée et Métaux Boni, tenterait ipso facto de se mettre è l’abri du jugement n’est rien d’autre que de formuler une conclusion au lieu et place de faits, même d’allure neutre, permettant de conclure dans le sens que le souhaite le déclarant. Celui-ci affirme, au paragraphe 2.18, qu’il est urgent que les biens de Guy Bélanger soient saisis avant jugement, sans justifier de son intérêt è conclure de la sorte.

[13]       Quant à l’intimée L. Bélanger Métal inc., dans l’analyse des déclarations pertinentes, le juge a par ailleurs souligné ce qui suit au paragr. [36] de son jugement :

[36]      Alléguer qu’une hypothèque de 1 275 000 $ a été enregistrée contre l’immeuble de Trois-Rivières de Bélanger Métal évalué è 1,1M $ par Gestion Guy Bélanger 1996 inc. pourrait constituer une manœuvre pour permettre à Bélanger Métal de se soustraire à ses obligations. Mais le dossier nous apprend, par l’index des immeubles, que cette hypothèque a été consentie le 16 août 20112 pour permettre l’achat par Bélanger Métal de l’immeuble de la rue Sidbec Nord à Trois-Rivières le même jour. Aucune saisie avant jugement n’a été pratiquée sur des biens de Gestion Guy Bélanger 1996inc. Le Tribunal ne peut inférer de cette transaction la conclusion que suggère d’en tirer le déclarant puisque Bélanger Métal n’a alors ni enrichi, ni grevé son capital.

[14]       Le juge a estimé que les allégations des déclarations souscrites étaient plutôt ténues pour justifier le remède d’exception que constitue la saisie avant jugement sous l’article 733 C.p.c. Il les a jugées insuffisantes selon son analyse. À la lecture de ces déclarations, je ne peux conclure qu’il a eu tort. Contrairement à ce que les trois arrêts déjà cités ont tous retenu, il y avait ici absence de tout incident, initiative ou démarche de quelque nature, neutre ou pas, autre que les reproches de malhonnêteté persistante alléguée.

[15]       Ce que soulève la requérante ne saurait, à mon avis, se qualifier de question de droit nouvelle ou controversée ou de question de principe ou de portée générale. Le juge a essentiellement appliqué des règles connues à une situation de faits précise propre à ce dossier et apprécié les déclarations souscrites en conséquence. De ce point de vue, je considère que la requête ne satisfait pas aux critères rigoureux et sévères du second alinéa de l’article 26 C.p.c., ce qui en entraîne le rejet.


[16]       Vu cette conclusion, je n’ai pas à statuer sur la demande de suspension de l’exécution provisoire décrétée par le juge. Je soulignerai cependant que cet aspect de son jugement n’était pas, en l’espèce, à l’abri de reproche vu l’absence de quelque motif en expliquant la justification[6].

POUR CES MOTIFS, LE SOUSSIGNÉ :

[17]       REJETTE la requête pour permission d’appeler, avec dépens.

 

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 



[1]     Voir notamment, en matière de permission assujettie au paragraphe 2 du second alinéa de l’article 26 C.p.c., Banque Royale du Canada c. Bideri, 2013 QCCA 1172, paragr. [3]; Association des citoyens et citoyennes pour un environnement sain de Fatima inc. c. Bois & placages généraux ltée, 2008 QCCA 1715, paragr. [1].

[2]     Voir, sur ce point, Fédération des caisses Desjardins du Québec c. Edenair Distribution inc., 2010 QCCA 560, paragr. [8] et [9]; Lynch Suder Logan c. Wilson Logan, 2009 QCCA 1167, paragr. [2] et [4]; Noble Securities Holding Ltd. c. Tremblay, 2006 QCCA 311, p. 2; Visimax c. Verreault, J.E. 2001-25 (C.A.), paragr. [8] et [9]; Corp. de l’École des hautes études commerciales de Montréal c. Lacombe, J.E. 98-931 (C.A.), p. 5 et 6.

[3]     2009 QCCA 2421.

[4]     [1989] R.D.J. 106 (C.A.).

[5]     [1977] C.A. 558.

[6]     Voir, sur ce point, Adoption - 094, 2009 QCCA 622, paragr. [10]; Wang c. Deng, 2006 QCCA 1630, paragr. [9]; Duguay c. Productions Aventure Inc., AZ-86011281, 1986-10-16, p. 2 et 3 (C.A.).

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