Guérin et Boiseries Signées (1993) inc. |
2014 QCCLP 3733 |
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[1] Le 19 février 2013, monsieur Denis Guérin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 janvier 2013 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 7 novembre 2012, dans le cadre de son emploi chez Les Entreprises Régis Gagnon inc. (l’employeur).
[3] Une audience est tenue à La Malbaie le 9 juin 2014, en présence du travailleur, de son procureur, de l’employeur, de son procureur et de la procureure de L’Intendant inc., de Menuiserie D. Pouliot inc. et de 9014-2050 Québec inc., autres parties intéressées. Le délibéré débute le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a été victime, le 7 novembre 2012, d’une maladie professionnelle en lien avec le diagnostic d’épicondylite gauche, laquelle a été suivie d’une épicondylite droite par compensation.
LES FAITS
[5] Dans le cadre de la réclamation qu’il dépose à la CSST le 16 novembre 2012, le travailleur allègue être victime d’une épicondylite au coude gauche en lien avec son travail de contremaitre dans le domaine de la construction. Il est alors âgé de 48 ans.
[6] Dans une déclaration qu’il fait à l’agente d’indemnisation le 8 janvier 2013, le travailleur mentionne que ses douleurs ont débuté en septembre 2012 et qu’aucun fait accidentel ou d’événement particulier n’est survenu. Il indique qu’il s’agit plutôt d’une douleur progressive et que devant l’augmentation des symptômes, il a décidé d’aller consulter un médecin, qui lui a procédé à une infiltration en novembre 2012.
[7] Il ajoute qu’il n’y a eu aucun changement au niveau de ses tâches. Il travaille 40 heures par semaine et bénéficie de deux pauses de 15 minutes chaque jour en plus d’une pause de 30 minutes pour le diner. Le travailleur occupe le même poste chez l’employeur depuis 17 ans et il œuvre dans le domaine de la construction depuis 1980. Il est gaucher.
[8] Il doit utiliser divers outils comme des scies circulaires, des marteaux, des marteaux-piqueurs (plus rarement), des scies à béton, des perceuses, etc. Son travail consiste à construire des maisons, presque du début à la fin. Même s’il est contremaitre, il travaille physiquement autant que les autres. Il peut donc couper du bois, du béton, clouer des planches, etc.
[9] Sur l’attestation médicale initiale du 7 novembre 2012, le médecin qui rencontre le travailleur diagnostique une épicondylite au coude gauche, diagnostic repris sur les rapports médicaux des 6 décembre 2012 et 3 janvier 2013.
[10] À l’audience, le travailleur spécifie qu’il saisit ses outils de la main gauche et qu’il se sert presqu’exclusivement du membre supérieur gauche.
[11] Le 22 janvier 2013, la docteure Catherine B. Bélanger indique que l’épicondylite au membre supérieur gauche du travailleur est attribuable à du travail répétitif chez un gaucher.
[12] Le 14 février 2013, la docteure Bélanger reconduit le diagnostic d’épicondylite gauche.
[13] Le 6 mars 2013, la docteure Bélanger écrit à la CSST pour confirmer qu’elle est la médecin traitante du travailleur et que son épicondylite gauche est une lésion d’origine professionnelle.
[14] Dans une note consignée à l’urgence de l’Hôpital de Baie-Saint-Paul le 27 mai 2013, il est question de l’apparition d’une douleur au niveau de l’épicondyle droit.
[15] Un document émis le 19 juin 2013 par la Commission de la construction du Québec indique que 27 514,20 heures sont enregistrées auprès de cette organisation au nom du travailleur. Ce dernier précise à l’audience qu’il a travaillé plus d’heures comme charpentier-menuisier, puisque pendant cinq ans, les cartes de compétences n’étaient pas requises, de sorte que de 1990 à 1995 il a effectué 1 000 à 1 500 heures par an non comptabilisées.
[16] Le 18 octobre 2013, la docteure Bélanger émet un diagnostic d’épicondylite gauche plus importante qu’à droite.
[17] Le 30 octobre 2013, l’orthopédiste Bernard Laliberté rencontre le travailleur et diagnostique une épicondylite bilatérale gauche plus importante qu’à droite. Il inscrit que l’épicondylite est habituellement une pathologie auto-limitante qui, avec le temps, devient asymptomatique. Il n’a rien à ajouter aux traitements déjà prodigués. Une radiographie pratiquée dans le cadre de cet examen indique qu’il n’y a aucune calcification dans les tissus mous ni autre anomalie radiologique au niveau des deux coudes. Selon lui, il n’y a pas de chirurgie à offrir au travailleur.
[18] Le 19 mai 2014, la docteure Bélanger indique que le travailleur est porteur d’un diagnostic d’épicondylite bilatérale réfractaire aux traitements médicaux et aux thérapies conventionnelles. Il n’a jamais pu récupérer de ce problème, puisque la CSST n’a jamais accepté son diagnostic et qu’il a dû continuer à travailler malgré ses douleurs. Sa condition s’est donc chronicisée et il est actuellement invalide.
[19] Dans le cadre de son témoignage, le travailleur mentionne qu’il a construit des maisons pour des dizaines d’employeurs différents. Les tâches sont les mêmes d’un employeur à l’autre.
[20] Lorsqu’il arrive sur un chantier, le solage est déjà coulé. Au départ, il doit défaire des paquets de bois à l’aide d’un marteau.
[21] Il doit vérifier si le solage est bien droit en tirant un « trait carré ».
[22] Les poutrelles sont transportées « à bras » une par une et il en va de même des plaques de contreplaqué (« veneer »).
[23] Il y a généralement trois ouvriers sur un chantier incluant lui-même.
[24] Il doit se servir d’un outil « RAM-7 » pour fixer des pièces sur du béton ou du métal. Il s’agit d’un outil de 10 livres utilisé de la main gauche. Cet outil se manipule comme un fusil et il lui faut entre une heure et deux heures pour effectuer les tâches jusqu’à ce stade.
[25] Ensuite, il doit fixer des « lisses » de contour pendant une heure. Il les transporte sur des distances de 50 à 100 pieds, chacune pesant environ 10 livres. Il effectue un mouvement de préhension pour chaque planche avant de la mettre sur son épaule.
[26] Une poutre maitresse qui pèse généralement une centaine de livres doit être ensuite manipulée avec l’aide de deux collègues.
[27] Après avoir défait le paquet de poutrelles, celles-ci sont transportées une par une, initialement avec les mains, puis transférées sur l’épaule. Il faut environ une journée pour effectuer cette tâche.
[28] Il faut ensuite installer un échafaud dans le sous-sol, lequel mesure 5 pieds x 5 pieds x 10 pieds et contient plusieurs madriers de 60 à 70 livres qu’il doit également manipuler. Les poutrelles sont montées sur l’échafaud puis installées à une distance de 16 pouces les unes des autres, à bout de bras avec préhension, surtout de la main gauche.
[29] Les poutrelles sont clouées au marteau ordinaire qu’il manipule de sa main gauche. Lorsqu’il se sert d’un fusil à clous, il utilise aussi sa main gauche.
[30] De la colle est appliquée à l’aide d’un fusil manipulé de la main gauche et il faut encore manipuler et installer des planches de contreplaqué de 2 x 8 x ¾ de pouces d’épais pour faire le plancher. Chaque planche pèse environ 60 livres. Le travailleur tire et tient les planches de contreplaqué surtout avec une préhension de sa main gauche.
[31] Il faut ensuite embouter les feuilles les unes avec les autres avec une masse de trois pieds, manipulée de la main gauche ou parfois à deux mains.
[32] Le plancher est donc collé puis vissé. Il faut encore une journée pour ce travail. La visseuse, qui pèse 15 ou 20 livres, est manipulée de la main gauche.
[33] Les planches de contreplaqué sont ensuite découpées avec une scie circulaire qui pèse 15 livres.
[34] Pour monter les quatre murs, il faut environ deux jours.
[35] Ensuite, des planches 2 x 6 sont transportées manuellement. Il faut marquer les endroits où seront situées les portes et les fenêtres.
[36] À cette étape, un fusil à charpente ou parfois un marteau ordinaire est utilisé pour clouer. Il y a une planche de 2 x 6 à chaque espace de 16 pouces.
[37] Les murs sont donc construits sur le plancher, puis l’isolation et la styromousse sont posées.
[38] Le mur est ensuite levé à l’aide d’une barre à clous pour donner un effet de levier. Tous les employés sont là pour cette étape. Un lève-mur est utilisé et une manivelle doit être tournée.
[39] Il faut ensuite attacher les murs, ce qui nécessite encore l’utilisation d’un marteau ou d’une cloueuse.
[40] Ensuite un échafaud est érigé autour de la maison puis déplacé le à chaque 10 pieds. Les fermes de toit sont alors installées. La structure du toit prend environ deux ou trois jours à installer incluant les bardeaux. Encore une fois, des dizaines de madriers sont transportés et manipulés.
[41] Une ferme de toit est installée à chaque 2 pieds, puis clouée. Il faut ensuite poser de 50 à 100 feuilles de contreplaqué de 60 livres chacune, lesquelles sont clouées manuellement puis avec une cloueuse.
[42] Le bardeau, ou plus rarement de la tôle, est ensuite installé. Le travailleur doit souvent manipuler des sacs de bardeau qui pèsent chacun 70 livres à l’aide d’un mouvement de préhension de la main gauche, puis les dépose sur son épaule.
[43] Les bardeaux sont posés avec une cloueuse qui pèse de 5 à 10 livres. Il faut 6 clous par feuille de bardeau et une maison normale nécessite environ 80 paquets de bardeau.
[44] Il faut ensuite enlever les échafauds et manipuler à nouveau les madriers.
[45] Il faut ensuite une journée pour la pose des fenêtres. Le travailleur aide le sous-contractant à manipuler les fenêtres pour les apporter à la maison. Il y a généralement 10 à 12 fenêtres ou portes par maison. Le travailleur les manipule avec un mouvement de préhension de ses deux mains.
[46] Les fenêtres sont posées alors que le travailleur les tient avec un mouvement de préhension de la main gauche et un autre les visse avec une visseuse à batterie. Il faut parfois réinstaller des échafaudages à ce stade.
[47] Il faut ensuite procéder à l’isolation intérieure du contour des fenêtres. Une préhension de la main gauche est encore nécessaire lors de certains mouvements.
[48] Il faut ensuite installer des lattes de bois avec un fusil à charpente pour permettre de recevoir le gypse ultérieurement.
[49] Il faut ensuite une journée pour réaliser les divisions intérieures. Encore une fois, il y a manipulation de bois, puis construction des murs intérieurs, de la même façon que les murs extérieurs. Les murs sont montés manuellement.
[50] Pour le revêtement extérieur, il faut 7 à 10 jours. Encore une fois, il faut monter des échafaudages. Le revêtement le plus courant est le Can-Excel, qui est le plus pesant.
[51] À l’aide d’une corde à tracer, une ligne est dessinée sur le mur, puis les feuilles doivent être levées à la bonne hauteur pour être ensuite clouées, puis emboitées les unes par-dessus les autres.
[52] Plusieurs scies sont nécessaires pour couper le matériel.
[53] Il faut également construire un patio, ce qui nécessite la pose de 400 à 500 vis à l’aide d’une perceuse.
[54] Habituellement, la pose des feuilles de gypse, l’électricité et les autres travaux du genre sont donnés à sous-contrat.
[55] Le témoignage du travailleur, selon lequel il a à peu près toujours quelque chose dans les mains, sans période de repos sauf pour les arrêts statutaires, n’a pas été contredit.
[56] Le travailleur rappelle que les douleurs sont apparues insidieusement et ont augmenté à force de travailler.
[57] Avant septembre 2012, il n’avait jamais éprouvé de douleur au coude gauche ni droit.
[58] Il a été placé en arrêt de travail le 26 novembre 2012, mais y est retourné un peu entre janvier et avril 2013, soit pour une ou deux semaines.
[59] Il est retourné au travail pratiquement à temps plein en avril 2013 et se trouvait dans un pire état qu’auparavant. Son médecin lui prescrivait des travaux légers, mais il n’en existait pas chez l’employeur, de sorte que le travailleur effectuait son travail normal.
[60] Comme loisir, le travailleur pratique la chasse à l’orignal une semaine par année, la chasse au petit gibier, la pêche en été, la raquette et la motoneige.
[61] Il a conduit un véhicule quatre-roues, mais a roulé seulement 500 km en 4 ans.
[62] À sa connaissance, un autre employé prénommé Sébastien a éprouvé des problèmes avec un coude.
[63] Les mouvements les plus douloureux sont ceux qu’il effectue lorsqu’il utilise un marteau, un fusil à charpente, ou une masse, lorsqu’il doit monter dans des échelles, lorsqu’il manipule des outils, etc. Il travaille de 8 à 9 heures par jour à raison de 10 mois par année.
[64] Lorsqu’il est retiré du travail, ses douleurs diminuent, mais augmentent dès qu’il y retourne.
[65] Contre-interrogé par le procureur d’un des employeurs, il mentionne que son témoignage s’applique généralement à toutes ses années de service, puisque les mouvements effectués sont à peu près les mêmes partout.
[66] Chez l’employeur actuel, il travaille environ entre 1 200 et 1 600 heures par an et construit entre 15 et 20 maisons annuellement.
[67] Il porte des gants de construction l’hiver, au printemps et à l’automne.
[68] Le travailleur dépose de la littérature médicale[1].
[69] On y apprend que la tendinopathie est l’affection la plus fréquente du coude. On la retrouve fréquemment chez le travailleur manuel.
[70] Elle fait généralement suite à des sollicitations excessives et répétitives des muscles extenseurs du poignet et des doigts et touche davantage le membre dominant chez les sujets âgés de 35 à 54 ans. Son étiologie précise serait en lien avec des activités d’hyper-sollicitation de nature professionnelle, sportive ou récréative.
[71] L’épicondylite affecte principalement le court-extenseur radial du carpe et l’extenseur commun des doigts. Le court-extenseur radial du carpe ne serait pas actif uniquement pendant l’extension du poignet et des doigts, mais également lors de la flexion et des déviations ulnaires et radiales du poignet, ainsi que lors des activités de préhension et de pince digitale.
[72] Les activités dans lesquelles on retrouve la combinaison de facteurs biomécaniques tels que la force, les postures contraignantes et la répétition de mouvements seraient particulièrement à risque.
[73] Le travail manuel, principalement celui qui exige des efforts, les métiers de la construction, les secteurs de la plomberie, de la transformation des viandes et du textile ont souvent été associés à cette lésion.
[74] Selon le tableau 12.3 contenu dans cet extrait de littérature, les principaux facteurs de risque professionnels associés à la tendinopathie des épicondyliens latéraux sont les mouvements avec efforts effectués lors d’une tâche répétitive pouvant inclure, mais non de façon limitative, la flexion et l’extension du poignet, la pronation et la supination du poignet, la pronation et la supination de l’avant-bras, particulièrement lorsque le coude est en extension, les activités de manutentions avec efforts et les combinaison de facteurs biomécaniques, soit la force, la posture et la répétition.
L’AVIS DES MEMBRES
[75] Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête du travailleur. Il est d’avis qu’il y a présence de facteurs de risque comme la force et la répétition de mouvements pouvant justifier la reconnaissance d’une maladie professionnelle sous les dispositions de l’article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi). Les mouvements effectués par le travailleur sont de nature à solliciter les structures épicondyliennes. La lésion du côté droit est acceptable, puisque les structures ont été utilisées par compensation.
[76] La membre issue des associations d’employeurs rejetterait plutôt la requête du travailleur. Il n’y a pas de preuve médicale au dossier pour permettre d’établir un lien entre les épicondylites du travailleur et son travail. Ce travail n’est pas excessif ni répétitif. Il est varié, de sorte qu’il ne peut être la source d’une maladie professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[77] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 7 novembre 2012, et si les épicondylites dont il souffre sont d’ordre professionnel.
[78] La notion de lésion professionnelle est ainsi définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[79] Il n’est aucunement allégué qu’un accident du travail soit survenu en novembre 2012 dans ce dossier, ni qu’on doive conclure à la présence d’une récidive, rechute ou aggravation.
[80] C’est à la notion de maladie professionnelle à laquelle réfère le travailleur, est également définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[81] En cette matière, le législateur a prévu une présomption à l’article 29 de la loi, complété par une annexe.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL
|
1. […] |
[…] |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite) : |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
______________
1985, c. 6, annexe I.
[82] En cas de non-application de cette présomption, l’article 30 prévoit ce qui suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[83] Comme aucune référence au Bureau d’évaluation médicale n’a été demandée dans ce dossier, le ou les diagnostics du médecin qui a charge lient le présent tribunal, tout comme la CSST, tel que prévu à l’article 224 de la loi :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[84] Or, le diagnostic d’épicondylite au coude gauche est maintenu depuis le début, et s’est ajouté celui d’épicondylite au coude droit.
[85] Ces deux diagnostics doivent donc être retenus.
[86] Or, l’épicondylite n’est pas un diagnostic prévu à l’annexe I.
[87] Il y a maintenant 20 ans, une importante décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[3] déterminait que l’énumération contenue à l’annexe I est exhaustive et qu’à moins d’être en présence d’un diagnostic de bursite, de tendinite, ou de ténosynovite, la présomption ne s’applique pas.
[88] La jurisprudence majoritaire du tribunal a suivi les enseignements de cette décision[4].
[89] Le tribunal n’est pas sans savoir qu’une jurisprudence minoritaire applique la présomption de l’article 29 en présence d’une d’épicondylite. Toutefois, le tribunal estime que cette question a été réglée à la suite d’un débat exhaustif s’étant étendu sur plusieurs semaines d’audience et couronné par une décision de plus de 300 pages. Ce n’est pas à la légère que les principes retenus dans l’affaire Grégoire-Larivière doivent être remis en question. Si une partie veut contredire les enseignements de cette décision, le tribunal estime qu’il faudrait refaire l’exercice de façon aussi méthodique et exhaustive, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier.
[90] La présomption prévue à l’article 29 de la loi ne peut donc s’appliquer.
[91] Reste à savoir si la preuve des éléments prévus à l’article 30 de la loi a été apportée.
[92] Le tribunal ne croit pas avoir en sa possession la preuve que l’épicondylite soit caractéristique du travail de charpentier-menuisier.
[93] Pour établir qu’une maladie est caractéristique du travail, on doit démontrer qu’un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables en sont également affectées ou que la maladie est plus présente chez ce type de travailleurs que dans la population en général ou dans un groupe-témoin. En somme, il s’agit de démontrer que le type de travail effectué a cette particularité que la maladie s’y trouvera présente plus fréquemment qu’ailleurs. Cette preuve peut être effectuée de plusieurs façons, notamment par des études statistiques et épidémiologiques, mais elle doit nécessairement porter sur un nombre significatif de personnes tendant ainsi à éliminer une simple association fortuite[5].
[94] Cette preuve est absente du dossier. Seul le cas d’un autre travailleur est évoqué, sans autres précisions.
[95] Même si la littérature médicale déposée en preuve indique que des épicondylites se retrouvent chez des travailleurs de la construction, cela n’est pas assez pour pouvoir conclure qu’il s’agit d’une lésion caractéristique de ce travail.
[96] Reste à savoir si l’épicondylite gauche est liée aux risques particuliers du travail de charpentier-menuisier.
[97] Il y a lieu de parler de risques particuliers lorsque l’exercice d’un travail fait encourir à celui qui s’en charge en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d’exercice, un risque particulier de développer une maladie précise[6].
[98] Le tribunal note que l’employeur n’a pas fait entendre de témoin pour contredire le travailleur. Ce dernier a rendu un témoignage crédible et sincère que le tribunal retient sans hésitation.
[99] De ce témoignage, le tribunal retient que le travailleur effectue des mouvements de préhension avec force, (par exemple : tenir un marteau, tenir une planche de bois, tenir une cloueuse, etc.), et ce, des centaines de fois chaque jour, c’est-à-dire de façon répétée.
[100] Il s’agit de facteurs de risque importants.
[101] Il y a aussi certains mouvements du poignet, le port de gants et le travail au froid qui entrent en ligne de compte.
[102] L’employeur mentionne que le travailleur effectue des tâches variées. Même s’il y a effectivement une certaine variété dans les tâches du travailleur, elles sollicitent en bonne partie et de manière très importante les mêmes structures épicondyliennes[7].
[103] L’usage des outils tels fusil à l’air, couteau à bardeaux, scie portative, etc., impliquent un mouvement de préhension pleine main associé à une pression ou à un effort[8].
[104] La littérature médicale déposée par le travailleur appuie l’acceptation de sa réclamation.
[105] En effet, il s’agit d’un travailleur manuel qui, dans le cadre de son travail, doit subir des sollicitations excessives des structures épicondyliennes. Le membre dominant est affecté et le travailleur se situe dans la tranche d’âge identifiée dans l’extrait de littérature qu’il a présenté. Les métiers de la construction sont associés à cette lésion et il y a combinaison de force, de postures contraignantes et de répétition de mouvements dans les tâches du travailleur.
[106] Le fait de monter dans des échelles et dans des échafauds amène également une préhension avec force avec le membre supérieur gauche et il en va de même du montage et du démontage des échafauds.
[107] Le travailleur doit manipuler des poids importants dans le cadre de son travail, que ce soit des sacs de bardeau de 70 livres, ou des planches de 60 livres, qui nécessitent toujours une préhension et des mouvements du poignet.
[108] La manipulation des planches nécessite aussi toujours initialement une pince digitale.
[109] Rien ne sert d’élaborer plus longtemps, puisque la quasi-totalité des tâches du travailleur impliquent l’un ou l’autre ou une combinaison des facteurs de risque identifiés par la littérature.
[110] Le fait que la lésion se trouve du côté gauche et que le travailleur soit gaucher est également éloquent.
[111] Il en va de même du fait que les douleurs augmentent au travail et diminuent lorsqu’il ne travaille pas.
[112] Le tribunal estime que la docteure Bélanger a raison lorsqu’elle indique que la lésion du travailleur est d’origine professionnelle.
[113] Dans l’affaire Durand et Entreprises Boily et Fils[9], la Commission des lésions professionnelles acceptait une réclamation pour une épicondylite chez un menuisier. Le tribunal s’exprimait notamment comme suit en référant aussi à des décisions antérieures et en s’exprimant sur les niveaux de preuve scientifique et juridique :
[24] Il faut donc examiner si l’épicondylite bilatérale est reliée aux risques particuliers du travail.
[25] À cet égard, les décisions soumises par le représentant du travailleur sont intéressantes; l’affaire Marcoux concerne un menuisier exerçant son métier depuis vingt-huit ans et qui a développé une épicondylalgie souvent confondue par les médecins avec l’épicondylite et qui signifie :
Un article écrit par le docteur André Canakis au sujet d'un mouvement répétitif énonce ce qui suit en regard d'une épicondylalgie :
[...]
Épicondylalgie: Il s'agit d'une enthésopathie c'est-à-dire d'une pathologie d'insertion osseuse dans laquelle sont impliqués les fibres de Sharpey. Pour une raison qui nous échappe encore, toute tension des fibres de Sharpey, dans ces cas d'épicondylalgie, est perçue douloureuse par le patient. D'où la logique chirurgicale que la désinsertion des épicondyliens, grâce à la solution de continuité, empêche la transmission de la tension vers les fibres de Sharpey et la douleur disparaît effectivement dans 80% des cas.
Une épicondylalgie n'est pas une tendinite et ne se traite pas comme cette dernière.
Des études anatomo-pathologiques (Uhthoff) ont démontré qu'il ne s'agit pas d'une condition inflammatoire et qu'il y a absence de cellules inflammatoires aiguës ou chroniques.
Il faut noter aussi que 3% de la population en général souffrent d'épicondylalgie peu importe l'occupation.
Cette pathologie, lorsque présente, causera plus de troubles chez un travailleur manuel et chez le joueur de tennis car les ondes de choc transmises par le poignet vers l'épicondyle vont être perçues douloureuses par le patient qui en est affligé. Les mouvements répétitifs ne sont pas la cause. Mais on peut considérer vraisemblable que la répétition de chocs violents puisse être la cause de micro-déchirure au niveau de l'ancrage osseux.
[…]
En ce qui concerne la question sur le fond, l'employeur prétend que le travailleur n'a pas présenté des éléments précis et clair pour soutenir sa prétention. Il est vrai que son témoignage était vague sur les tâches, sur les dates et il n'a pas présenté de preuve quant au rythme de travail ni à la cadence. Cependant, il est clair que le mouvement allégué par le travailleur était un mouvement répété et comprenait une préhension de l'instrument utilisé et les mouvements d'implanter les clous est un mouvement qui implique une extension du poignet et qu'au surplus, à chaque coup, donne un contrecoup aux structures musculo-tendineuses de l'avant-bras.
Ces éléments correspondent à la répétition de chocs violents pouvant causer une micro-déchirure au niveau de l'ancrage osseux, tel qu'énoncé dans l'article du docteur Canakis.
[26] Dans l’affaire Gravel4, il s’agit d’un réparateur d’appareils ménagers :
[…] l'épicondylite prend son origine au 4 octobre 1996. Le docteur Claude Lamarre, chirurgien orthopédiste, conclut de son expertise, après avoir examiné et traité le travailleur, que l'épicondylite est reliée au travail, «à la suite d'efforts excessifs au niveau du tendon épicondylien du coude droit […] ses problèmes sont le résultat d'une modification de son travail causée par le fait qu'il y avait de très nombreuses ruptures des dessus de cuisinières ce qui a occasionné un vissage difficile qui n'existait pas auparavant parce qu'il n'y avait aucun taraudage des trous [...] ce qui nécessitait un effort vraiment excessif au niveau du coude. Même au niveau de la main, il développait « ampoules » à ce moment-là. Il y a eu aussi une modification au niveau du travail [...] en regard des transmissions de laveuse [...]
61. D'autre part, pour la CSST, la docteure Michèle Darveau écarte toute relation avec le travail aux motifs qu'il n'y a pas comme tel de mouvements répétitifs, que le vissage des vis est de courte durée, qu'il y a des temps de repos, une diversité de mouvements et qu'il n'y a pas de force indue.
62. Quant au docteur Asselin, pour l'employeur, il écarte également toute relation avec le travail, parce qu'il n'y a pas de mouvements répétitifs comme tels dans les différentes tâches du travailleur. Et, même si les vis dont il a été question devaient prendre une minute à être vissée, ce n'est pas encore là du travail répétitif. Au surplus, il considère que la façon de visser du travailleur démontre une position neutre de l'avant-bras et sans mouvement de pronation ou de supination. De plus, des efforts de vingt minutes par jour au total ne sauraient être qualifiés d'efforts excessifs comme le prétend le docteur Lamarre. L'oedème au coude du travailleur ne serait pas dû aux efforts au travail mais aux infiltrations. Bien qu'il admette que les différents mouvements exécutés par le travailleur pouvaient rendre symptomatique son épicondylite et réveiller la douleur, il considère que ce n'est pas le travail qui a occasionné l'épicondylite.
64. Quant à la doctrine médicale à laquelle a référé le docteur Asselin, plus particulièrement le livre sur les lésions attribuables au travail répétitif auquel il a participé, produit par l'Institut de Recherche en santé et sécurité au travail, elle semble effectivement conclure que «la documentation épidémiologique n'établit pas de lien convainquant entre le travail et l'épicondylite (tennis elbow)» (page 66). Il faut toutefois ici être très prudent puisque l'épicondylite, nous le verrons un peu plus loin, n'est pas identifiable qu'au Tennis Elbow ou à l'épicondylite du joueur de tennis. De plus malgré cette conclusion, les chercheurs ne peuvent faire autrement que de souligner que «les tendinites localisées à l'épaule, au coude (épicondylite) au poignet et dans une moindre mesure à la main (maladie de Dupuytren) et aux chevilles (tendinite achiléenne) ont été associées à des expositions en milieu de travail. » Ce sont surtout les tendinites de l'épaule et les tendinites de poignet-main qui, selon la documentation épidémiologique, démontrent le lien le plus convaincant avec le travail.
65. Ceci étant dit, même si les chercheurs affirment que la «pathogenèse de l'épicondylite demeure inconnue», il existe une hypothèse prédominante à l'effet que «des micro-ruptures se créeraient là où le muscle se rattache à l'os [...] »
66. Sans vouloir insister sur l'état des connaissances médicales relativement à l'épicondylite, il existe certaines généralités bien reconnues au Québec avec lesquelles bon nombre de médecins travaillent et témoignent régulièrement devant la Commission des lésions professionnelles, notamment certaines données que l'on retrouve chez les auteurs Dupuis et Leclaire, dans leur volume Pathologie médicale de l'appareil locomoteur. Ainsi, on peut lire à la rubrique « épicondylalgie » :
[...]
L'épicondylalgie est assurément l'affectation du coude la plus fréquente. Ce terme regroupe plusieurs affections (Tableau 23-1) constituant un syndrome clinique caractérisé par une douleur au niveau de l'épicondyle et des structures anatomiques avoisinantes. Les termes épicondylite, épicondylalgie, « tennis elbow » et bursite radio-humérale sont souvent utilisés à tort comme synonymes; chacun de ces termes a sa signification propre. Le terme épicondylalgie devrait être réservé au syndrome douloureux local, épicondylite, à la réaction inflammatoire de l'insertion tendineuse des muscles épicondyliens; « tennis elbow », à l'affection survenant chez un joueur de tennis.
[...] (page 514)
67. Un peu plus loin, les auteurs expliquent :
[...]
Les épicondylalgies primaires (provenant du coude) sont, comme la plupart des tendinopathies, attribuables à des traumatismes.
Le traumatisme peut être unique, mais le plus souvent l'affection est en relation avec des microtraumatismes répétés durant les activités de la vie quotidienne, le travail et le sport.
[...]
(Nos soulignés)
68. Enfin, comme tableau clinique, les auteurs rapportent notamment :
[...]
L'épicondylalgie est plus fréquente au membre dominant et, comme les autres ténopathies, se manifeste surtout entre 35 et 50 ans. La douleur est habituellement graduelle, localisée au début à l'épicondyle pour irradier par la suite au tiers supérieur de l'avant-bras, rarement à la main et aux 2e et 3e doigts.
L'épicondylalgie est reproduite par la mise en tension des extenseurs du poignet et des doigts.
- long et court extenseur radial du carpe et extenseurs communs des doigts lors du mouvement de préhension,
- long et court supinateurs lors des mouvements de rotation.
[...]
74. Ceci étant dit, et ce bien respectueusement, il faut ici s'attarder aux faits car certains d'entre eux sont suffisamment graves, précis et concordants pour entraîner une présomption quant à la relation probable entre l'épicondylite au coude droit du travailleur et son travail.
75. D'abord, contrairement à ce qu'affirme le docteur Asselin, la Commission des lésions professionnelles ne peut écarter l'importance de l'effort exécuté par le travailleur lorsqu'il prend plus de trente secondes pour visser une vis d'à peine un demi pouce, et ce dans un trou où les filets ne sont pas faits. Il ne faut pas oublier que même une perceuse électrique ou à batteries, d'usage courant, ne pouvait faire le travail. Même si le bras du travailleur était au neutre, appuyé, lorsqu'il vissait, le tournevis, tel que décrit par le travailleur, était saisi à pleine main et obligeait un mouvement forcé contre résistance d'extension du poignet pour tenter de faire pénétrer la vis. Prendre trente secondes et plus pour chacune de la dizaine de vis constitue un effort que ne semble pas avoir apprécié le docteur Asselin et que ne semble pas non plus avoir apprécié la docteure Darveau, de la CSST. Cette dernière n'a d'ailleurs pas examiné le travailleur et ne l'a pas vu non plus mimer la position utilisée lors de ses efforts pour visser des vis dans des trous non filetés. Le mouvement de préhension avec force, répété pour chacune des vis nécessitant trente secondes et plus, selon les versions, sollicite les extenseurs; l'extension du poignet, quant à lui, est également assimilable à un effort de supination. Chaque effort est-il excessif, comme l'affirmait le docteur Bellemarre? Ce qu'on peut indéniablement affirmer c'est que chacun des efforts sollicitait de façon importante et inhabituelle, contre résistance, les muscles extenseurs du poignet droit du travailleur. Chacun des efforts était également plus important que la normale. La position du poignet n'était pas non plus des plus confortables puisque l'avant-bras, au neutre, ne secondait pas les efforts du poignet.
[...] (page 343)
80.
Plus près de nous, dans l'affaire Nicole Laferrière c. Docteur Ray Lawson
[...]
Les
affaires où la preuve est mince ou apparemment peu concluante présentent la
plus grande difficulté. Il vaut peut-être la peine de redire qu'un juge sera
influencé par les avis d'experts scientifiques exprimés sous forme de
probabilités statistiques ou d'échantillonnages, mais il n'est pas lié par ce
genre de preuve. Les conclusions scientifiques ne sont pas identiques aux conclusions
juridiques. Récemment, notre Cour a dit clairement dans l'arrêt Snell c.
Farrell
[...]
81. Dans la présente cause, le travailleur a senti au travail, le 4 octobre 1996, une douleur à son coude droit, douleur qui se reproduisait particulièrement lorsqu'il devait visser dans des trous non filetés, avec un effort soutenu, chaque fois de plus trente secondes, et dans une position qui sollicitait ses muscles épicondyliens, une douleur qui se manifestait également au moment où il sortait les cuves des laveuses. Cette épicondylalgie, cette douleur fugace, s'est aggravée avec les jours de travail et la reproduction des différents gestes qui, sinon causaient, à tout le moins reproduisaient les mêmes douleurs à son coude droit jusqu'au point où il a dû arrêter quelques semaines plus tard de faire son travail. La douleur a diminué avec les traitements et avec le travail allégé. Il y a eu reprise du travail régulier.
82. Le témoignage du travailleur est crédible. Le témoignage constitue un moyen de preuve important. Dans la présente cause, il est capital et non contredit quant aux faits.
83. Les efforts particuliers que le travailleur a dû exécuter dans le cours de l'année 1995 et 1996 sollicitaient de façon inhabituelle, par rapport au travail qu'il exécutait depuis près de vingt-cinq ans, les muscles épicondyliens de son coude droit. À l'occasion de l'un de ces efforts particuliers, une bosse est même apparue à son coude et ce, en présence de son chef de service, monsieur Bertin.
84. Il
n'y a pas eu d'événement précis, imprévu et soudain survenu à une date ou à une
heure précises, mais plutôt une série d'efforts particuliers survenus dans des
circonstances bien déterminées sur une période de plusieurs mois. Ces efforts
particuliers sollicitant les muscles épicondyliens reliés au coude droit du
travailleur sont suffisants pour entraîner la possibilité de « micro-ruptures »
ou de « micro-traumatismes » dont il est question tant dans la
littérature médicale que dans la jurisprudence de la CALP et avant elle de la
Commission des affaires sociales.(1) (
85. Dans le présent contexte, compte tenu de l'ensemble de la preuve, cette possibilité de lésion par micro-traumatismes constitue dans les faits la balance des probabilités. À défaut d'une « certitude médicale... »
86. Il s'agit donc ici d'un accident de travail : l'événement imprévu et soudain apparaissant plutôt sous la forme de micro-traumatismes plutôt que comme la conséquence d'un acte ou un geste précis posé à un moment donné par le travailleur.
(…)
88. Rappelons que même si le docteur Lamarre n'a pas utilisé comme telle l'expression de micro-ruptures ou de micro-traumatismes, il a de façon très claire parlé « d'efforts excessifs » suite auxquels le travailleur «a développé des problèmes d'épicondylite. » « Des efforts excessifs à répétition lente » responsables « de l'apparition de cette réaction d'épicondylite »
89. Enfin, bien que la présomption de maladie professionnelle (article 29) ne trouve pas ici application, rien n'empêcherait de conclure de la preuve que l'épicondylite dont le travailleur a souffert était « reliée directement aux risques particuliers de ce travail » comme le prévoit la dernière partie de l'alternative décrite à l'article 30 de la loi :
[…]
[27] Dans le cas qui nous occupe, il y a lieu d’abord de se demander si les muscles épicondyliens sont sollicités dans les tâches exécutées par le travailleur. Ils sont au nombre de quatre: 1. tout d'abord l'extenseur commun des doigts; 2. l'extenseur propre du cinquième doigt; 3. le deuxième radial situé à la face externe de l'avant-bras, lequel est l'abducteur et l'extenseur de la main; 4. l'anconé situé à la face postérieure du coude, lequel est l'extenseur accessoire du coude.
[28] En d’autres termes, les muscles épicondyliens servent aux mouvements de pronation radiale du poignet accompagnée d’une extension; extension ferme du poignet; supination et pronation répétées; mouvements saccadés ou mouvements avec chocs : extension ferme du poignet accompagnée d’une pronation de l’avant-bras (Pièce T-1).
[29] Les principaux facteurs de risque affectant ces structures peuvent être d’ordre biomécanique, physique, environnemental et organisationnel.
[30] Les facteurs biomécaniques sont la posture, l’effort fourni et la répétitivité. Le témoignage du travailleur nous apprend qu’il prenait des postures contraignantes (pronation-supination) dans les mouvements de vissage avec l’une ou l’autre main selon l’endroit, avec force aussi pour visser dans le ciment et de façon générale pour assembler les modules ou fixer les pièces métalliques des plafonds suspendus. Postures contraignantes aussi (déviation du poignet, flexion, extension, déviation radiale/cubitale) lors de l’utilisation de la masse et du marteau, ce dernier étant son principal outil de travail avec le tournevis et la ponceuse. Lors de l’utilisation du marteau-piqueur également avec une préhension pleine main droite et gauche avec force pour manipuler l’outil.
[31] Les mêmes structures sont sollicitées de façon variable mais répétées de longues heures par jour et par semaine, ce qui donne à penser qu’il s’agit de répétitions de mêmes mouvements. Le temps de récupération étant de toute évidence insuffisant pour permettre à ces mêmes structures de se reposer, d’autant plus que les heures travaillées étaient très élevées laissant peu de place au repos. Toutefois, comme l’indique le Docteur Canakis dans l’affaire Marcoux déjà citée, ce n’est pas tant les mouvements répétitifs qui importent que la répétition de chocs violents causant des micro-déchirures au niveau de l’ancrage osseux.
[32] Les facteurs physiques sont les pressions locales et les vibrations/impacts. Les vibrations du marteau-piqueur dont il se servait avec ses deux mains pendant une trentaine d’heures par mois en moyenne et l’impact sur les épicondyliens et leur point d’insertion constitue un facteur de risque. Même chose pour le marteau et la masse provoquant autant d’impacts ou de chocs sur les attaches épicondyliennes.
[33] Les facteurs environnementaux : les facteurs d’ambiance, tel le froid et le contexte de travail telle la surface de travail, sont inexistants selon la preuve soumise.
[34] Enfin, les facteurs organisationnels sont les facteurs temporels, tels les horaires de travail, le temps supplémentaire et les facteurs dits de modifications, tels le travail inhabituel et les changements d’outils. Les facteurs organisationnels prennent une grande importance en l’occurrence. En effet, le travailleur occupait de nouvelles fonctions depuis 1998 comme menuisier sur des chantiers à l’extérieur de la région. Il travaillait de longues heures par jour, sept jours par semaine jusqu’à quatre-vingts heures par semaine parfois. Ses nouveaux outils fréquemment utilisés étaient le marteau, la masse, le marteau-piqueur, les tournevis.
[35] Aucune activité sportive ne peut expliquer une telle dégradation de sa condition. De même, aucun antécédent médical ou condition personnelle connu.
[36] C’est dans ce contexte que le travailleur a développé au cours des deux années d’exercice du métier de menuisier, un malaise aux deux avant-bras et particulièrement aux épicondyles, avec lequel il a travaillé sans se plaindre et surtout sans se faire soigner; jusqu’au jour où il est devenu incapable de forcer et c’était devenu dangereux pour sa propre sécurité et celle des autres et a dû se résigner à se faire traiter.
[37] Il est possible qu’il y ait une composante personnelle inconnue qui pourrait expliquer la lésion; toutefois, il ne fait aucun doute dans l’esprit du tribunal que le travail a contribué largement à rendre symptomatique cette condition. De plus, le fait que l’atteinte soit bilatérale n’écarte en rien la relation causale, car le travailleur utilisait indifféremment les deux mains pour visser notamment selon l’endroit où visser. D’ailleurs, le repos et les traitements ont permis à son côté gauche non dominant de s’améliorer nettement et il est normal que le côté non dominant soit plus fragile dans de pareilles circonstances. La chronicité de la condition constatée du côté droit est davantage reliée au fait que le travailleur a trop attendu pour se faire traiter.
[38] En cette matière, le tribunal cherche une prépondérance de preuve et non une certitude médicale. C’est ainsi qu’en a décidé le tribunal à plusieurs reprises dont le cas Gravel déjà cité. Dans une autre affaire, le commissaire Robert Daniel s’exprime ainsi5 :
Il y a
également lieu de souligner que tout en recherchant un certain degré de
certitude scientifique, la preuve requise en est une de prépondérance de preuve
et non pas de certitude médicale, comme l'exprime la Commission des lésions
professionnelles dans la cause Bauer inc. et St-Hilaire(19) : (C.L.P.
108541-64-9812 et 111738-64-9903, le 12 août 1999 (
[…] la Commission des lésions professionnelles estime que, si les gestes posés par la travailleuse entraînent la manifestation de ladite condition personnelle, cette lésion peut être indemnisable et ce, tel que le reconnaît la jurisprudence de la Commission d'appel notamment dans la cause Produits chimiques Expro et Commission d'appel et Richer déjà citée.
Par ailleurs, la Commission d'appel retient, notamment dans la cause Corriveau et Modes D'Allairds11, que tout en recherchant un certain degré de certitude scientifique, la preuve requise en est une de prépondérance de preuve et non pas d'une certitude médicale. Ainsi s'exprime la Commission d'appel dans cette cause :
« […] À ce sujet, la Commission d'appel se réfère au propos instructif de la Cour Suprême du Canada, sous la plume de l'honorable Sopinka, qui dit ceci dans l'affaire Snell vs Farrel :
The legal or ultimate burden remains with the plaintiff, but in the absence of evidence to the contrary adduced by the defendant, an inference of causation may be drawn although positive or scientific proff of causation has not beeen adduced. If some evidence to the contrary is adduced by the defendant, the trial judge is entitled to take account of Lord Mansfield's famous precept. This is, I believe, what Lord Bridge had in mind in Whisler when he referred to a « robust and pragmatic approch to the facts. (p.569).
It is not therefore essential that the medical experts provide a firm opinion supporting the plaintiff's theory of causation. Medical experts ordinarily determine causation in terms of certainties whereas a lesser standard is demanded by the law. As pointed out in Louisell, Medical Malpractice, vol. 3, the phrase « in your opinion with a reasonable degree of medical certainty, which is the standard form of question to a medical expert, is often misunderstood. The author explains, at p. 35-37, that :
Many doctors do not understand the phrase as they usually deal in « certainties » that are 100% sure, whereas « reasonable » certainties which the law requires need only by more probably so, i.e., 51%.
In Harvey, Medical Malpractice (1973), the learned author states at p. 169 :
Some courts have assumed an unrealistic position in requiring that the medical expert state conclusively that a certain act cause a given result. Medical testimony does not lend itself to precise conclusions because medecine is not an exact science.
La Commission des lésions professionnelles note également que c'est la position défendue dans l'affaire Mills et Bombardier et C.S.S.T.12 alors qu'il est spécifié, en référence à l'affaire Chiasson et C.A.L.P. et C.S.S.T. et Reitmans
[39] Dans les circonstances, le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur a subi une maladie professionnelle et qu’il ne s’agit pas d’une simple manifestation d’une condition personnelle au travail.
__________________
4 Déjà citée para. 60 et ss.
5 Société canadienne des postes et André Drouin, C.L.P.
[114] Il est vrai que dans la note évolutive du 10 janvier 2013, l’agente d’indemnisation de la CSST indique que considérant l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale selon lequel la répétition et la posture de façon isolée ne représentent pas un facteur de risque dans le cas de l’épicondylite, lorsqu’il n’y a pas de combinaison avec la force et des amplitudes à risque. Le tribunal ne retrouve cette note médicale nulle part au dossier.
[115] De toute façon, le tribunal retient de la preuve administrée à l’audience qu’il y a bel et bien dans les tâches du travailleur une combinaison de force et d’amplitudes à risque.
[116] Le tribunal estime donc que l’épicondylite gauche du travailleur est une maladie professionnelle.
[117] Cependant, le tribunal ne peut pas conclure qu’il en va de même de l’épicondylite du coude droit, ni qu’il s’agisse d’une lésion par surutilisation. En effet, la preuve démontre que le travailleur se sert essentiellement, et de façon plus importante, de son membre supérieur gauche dans le cadre de son travail normal.
[118] Au surplus, à nulle part dans son témoignage ni au dossier il ne mentionne avoir utilisé son membre supérieur droit à partir d’avril 2013. Aucune preuve médicale au dossier ne milite non plus en ce sens.
[119] En matière de surutilisation, un lien de causalité doit être établi entre un nouveau diagnostic et la lésion professionnelle initialement diagnostiquée, et une preuve médicale prépondérante est requise[10].
[120] La notion de surutilisation par compensation implique la preuve d’une telle sollicitation suffisamment importante des structures du site anatomique lésé pour expliquer la nouvelle pathologie qui s’y est développée, mais aucune preuve n’existe en ce sens au dossier[11].
[121] Dans ces circonstances, l’épicondylite droite ne peut être reconnue comme ayant un caractère professionnel.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Denis Guérin, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une maladie professionnelle le 7 novembre 2012, en lien avec un diagnostic d’épicondylite gauche;
DÉCLARE que l’épicondylite droite diagnostiquée chez le travailleur n’est pas d’origine professionnelle;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Jean-François Clément |
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Me Antoine Berthelot |
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F.N.C.M. (LOCALE 9) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Benoît Labrecque |
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A.P.C.H.Q. - BOIVIN & ASSOCIÉS |
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Représentant de Les Entreprises Régis Gagnon inc. |
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Me Monica Vallée |
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LEBLANC, LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Représentante de L’Intendant inc., Menuiserie D. Pouliot inc. et 9014-2050 Québec inc. |
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[1] Martin LAMONTAGNE et al., chap. 17, dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE (dir.), Pathologie médicale de l'appareil locomoteur,2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, p. 648 et suivantes.
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] Société canadienne des postes et Grégoire-Larivière,
[4] Isabelle et Imprimerie World Color inc.,
[5] Hébert et SNOC (1992) inc., C.L.P.
[6] Société canadienne des postes et Côté, C.L.P.
[7] Légaré et Construction C.R. Bolduc inc., C.L.P.
[8] Précitée, note 7.
[9] C.L.P. 147888-09-0010, 14 février 2001, Y. Vigneault.
[10] Fréchette et Barrick Gold Corp., Soc. Aur. Barrick,
C.L.P.
[11] Synnott et Construction Garnier ltée, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.