Muir c. Magog (Ville de) |
2015 QCCQ 508 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
MAGOG |
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« Chambre civile » |
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N° : |
470-32-000078-137 |
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DATE : |
27 janvier 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GABRIEL DE POKOMÁNDY, J.C.Q. |
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DAVID MUIR |
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VIRGINIE POULIN |
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PARTIES DEMANDERESSES |
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c. |
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VILLE DE MAGOG |
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INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE |
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PARTIES DÉFENDERESSES |
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JUGEMENT |
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[1] Les demandeurs cherchent à être indemnisés pour les dommages par l’eau qui a pénétré au sous-sol de leur résidence le 2 septembre 2013.
[2] Ils poursuivent la Ville de Magog (ci-après Ville) qu’ils estiment responsable de ces dommages en tant que gardienne du réseau d’égout et d’évacuation des eaux pluviales dont elle doit avoir le contrôle et la surveillance. Selon eux, son réseau étant insuffisant, elle n’a pas pu prévenir son débordement dans les résidences, d’où les dommages aux demandeurs.
[3] Intact compagnie d’assurance (ci-après Intact), qui assure l’habitation des demandeurs contre tous risques de dommages, est poursuivie, car elle refuse de les indemniser.
[4] La Ville conteste la réclamation en alléguant ne pas être responsable des dommages subis par les demandeurs, car elle a rempli toutes les obligations qui pouvaient lui incomber, et le préjudice résulte d’une force majeure.
[5] Intact allègue dans sa contestation que la réclamation n’est pas recevable aux termes du contrat d’assurance, car les dommages d’eau causés directement ou indirectement aux biens, survenant avant, pendant ou après une inondation qui atteint les lieux assurés sont exclus de la couverture de la police d’assurance souscrite par les demandeurs.
LES FAITS
[6] Il est établi que les demandeurs sont propriétaires d’un immeuble situé au […], à Magog. La propriété est bornée sur un côté par le ruisseau Rouge.
[7] Le lundi 2 septembre 2013, vers 18 h, des averses torrentielles s’abattent sur la région de Magog. Les précipitations durent 5 h 30, avec une intensité de l’ordre de 15,9 millimètres l’heure.
[8] Vers 21 h, les demandeurs constatent que l’eau entoure la maison, sans cependant atteindre le bas des portes et fenêtres. Une heure plus tard, l’eau commence à refouler par le drain du plancher et au niveau des calorifères, à la base de la fondation.
[9] À la fin des précipitations, deux à trois pouces d’eau d’une odeur nauséabonde recouvrent le plancher du sous-sol où, entre autres, sont situées la chambre principale, une salle d’exercice, une salle de lavage et une salle de bain.
[10] David Muir appelle son assureur qui dépêche dès le lendemain une équipe de nettoyage qui procède à arracher tous les planchers flottants et le revêtement de caoutchouc sous les équipements de musculation, couper le bas des murs au sous-sol pour prévenir toute contamination par les bactéries d’égouts et la moisissure, et installer un énorme déshumidificateur industriel.
[11] Un expert en sinistre vérifie la situation et prend des photos, notamment de la trace laissée sur la maison indiquant jusqu’où l’eau a monté, c'est-à-dire à mi-chemin entre le sol et le bas des fenêtres, mais au-dessus du bas du revêtement extérieur.
[12] Bien que leur courtier ait affirmé aux demandeurs que les dommages sont couverts par la police d’assurance, l’expert en sinistres les informe qu’à son avis le sinistre tombe dans l’une des exclusions.
[13] Le refus d’indemniser sera confirmé par Martin Blanchet, analyste en indemnisation d’Intact.
[14] Le 9 septembre, les demandeurs informent la Ville qu’ils la tiennent responsable des dommages et comptent être indemnisés des dommages. (P - 5).
[15] Celle-ci accuse réception de la réclamation, tout en recommandant aux demandeurs de s’adresser à leur assureur, et les informe aussi que le gouvernement du Québec a établi un programme d’aide financière à la suite des pluies du 2 septembre 2013 (P-8).
[16] La compagnie d’assurance est aussi mise en demeure le 11 septembre 2013 (P-6), et dès le 18 septembre (P-7) elle nie toute couverture en invoquant spécifiquement l’exclusion générale de l’article 18 de la police d’assurance pour les dommages causés par une inondation.
[17] Dans la lettre à la Ville, David Muir écrit que le ruisseau Rouge a inondé son terrain et atteint sa maison. Il y mentionne aussi que c’est l’eau du ruisseau qui a pénétré dans le sous-sol.
[18] À l’audience, il nous explique qu’au moment d’écrire cette lettre, bien que l’eau n’a jamais pénétré par les portes, fenêtres et autres ouvertures de la maison, il avait l’impression que le refoulement par le drain et le pourtour du solage était causé par les eaux du ruisseau Rouge.
[19] Il a cependant appris plus tard que ses voisins qui n’ont pas été inondés par le ruisseau ont eu les mêmes dégâts. Il a aussi découvert que l’émissaire d’égout pluvial en amont de sa propriété ramassait l’eau de surface sur une superficie de près de 60 000 mètres carrés pour la déverser entre sa résidence et le ruisseau Rouge.
[20] Or les douze millimètres de pluie à l’heure qui sont tombés sur une telle superficie représentent près de 7 200 mètres cubes d’eau, soit l’équivalent d’environ 500 camions-citernes. Toute cette eau était dirigée vers les rives du ruisseau. Après avoir analysé soigneusement l’ensemble de la situation, il en a conclu que selon toute probabilité, c’est l’eau de l’égout qui a refoulé sur son terrain et touché sa maison, car elle ne pouvait pas s’écouler normalement dans le ruisseau déjà gonflé par la pluie.
[21] L’eau souillée et malodorante qui a pénétré dans sa résidence était plutôt la même eau que celle qui jaillissait de l’émissaire d’égout.
[22] C’est ce qui explique qu’aujourd’hui il se sent à l’aise de plaider que ses biens n’ont pas été endommagés par l’inondation du ruisseau, mais par le même refoulement d’égout que ses voisins.
[23] Dominic Traversy, dont la déclaration a été déposée en preuve pour valoir son témoignage, demeure sur la même rue en face de la résidence des demandeurs. Le 2 septembre 2013, le sous-sol de sa résidence a été endommagé par le refoulement d’égout, au point de devoir le refaire au complet. Son terrain situé à 150 pieds du ruisseau Rouge n’a pourtant pas été atteint par les eaux de celui-ci. Son assureur l’a indemnisé pour les dommages soufferts.
[24] Jonathan Nadeau, un autre voisin de l’autre côté de la rue, a subi les mêmes dommages par refoulement d’eau et a été indemnisé. Sa propriété non plus n’a pas été touchée par le ruisseau.
[25] Certes cela ne veut pas nécessairement dire que parce qu’ils ont été indemnisés par leur assureur, Intact doit indemniser aussi les demandeurs, car la couverture dépend des termes du contrat d’assurance.
[26] Cependant, le fait que les voisins, qui n’ont pas été touchés par les eaux du ruisseau Rouge, ont eu des dommages similaires et d’égale gravité lors du même sinistre tend à démontrer que le refoulement subi par les demandeurs n’a pas rapport avec la proximité, voire le débordement du ruisseau Rouge.
[27] Pierre L’Espérance, propriétaire d’un immeuble riverain du ruisseau Rouge en aval de celui des demandeurs, mais qui se trouve sur un autre réseau d’égout, a témoigné que ce ruisseau connaît des crues tous les printemps, car il sert d’exutoire et de fossé d’égouttement de la rue A. Or cela surcharge fréquemment ce petit ruisseau.
[28] Dès novembre 2006 (P-17), il a mandaté son frère Louis L’Espérance, ingénieur, pour étudier la problématique d’infiltrations d’eau dans le sous-sol et la problématique d’évacuation des eaux de surface à proximité du ruisseau Rouge.
[29] Dès lors (P-17), il prévient la Ville que la gestion des eaux pluviales générera de nouvelles séquences d’infiltrations d’eau et présente un risque sérieux pour les propriétaires avoisinants. Il recommande à la Ville de contrôler les débits d’eau du ruisseau Rouge afin de les rendre sécuritaires pour les riverains. Cette lettre confirme que le risque de débordement du ruisseau Rouge n’est pas une question nouvelle et que les débordements étaient prévisibles à cause de la surcharge que lui impose le réseau d’égout de la Ville.
[30] La Ville a déposé, pour valoir son témoignage, le rapport d’expert de Marcel Roy, ingénieur pour la firme JFSA, experts-conseils en ressources hydriques et en environnement.
[31] Son enquête et ses calculs lui permettent de conclure que la pluie du 2 au 3 septembre 2013 dans la région de Magog était d’une intensité dont la période récurrente est supérieure à 100 ans.
[32] Cela ne veut pas nécessairement dire que ce type d’événement ne devrait plus survenir avant 100 ans, mais plutôt indiquer que les chances qu’un tel événement survienne chaque année sont de moins de 1 %.
[33] La preuve a établi qu’une pluie de cette ampleur, comme l’expert le souligne, aura une répercussion directe sur les écoulements dans les rues, les fossés, les ponceaux, les ruisseaux, les rivières et les bassins de rétention. Il indique qu’il n’est pas surprenant dans ce contexte de constater des débordements de certaines des infrastructures généralement non conçues pour véhiculer des débits de périodes de retour supérieures à 100 ans. On fait référence à ce type d’événement météorologique en termes d’événement historique de pluie de force majeure ou d’une pluie extraordinaire.
[34] Paule Grand-Maison, témoignant pour la Ville, déclare que le réseau d’égout pluvial de la Ville est capable de gérer des événements de récurrence de 25 ans, dont les précipitations solliciteront alors 75 % de sa capacité. Elle nous affirme que le réseau est conçu selon les règles de l’art et les normes reconnues, mais n’est pas en mesure de répondre à toutes les précipitations.
[35] Il est établi que la Ville a un programme d’entretien de son réseau, avec un récurage annuel et des ajustements au besoin. Il y a un entretien général systématique par le service des travaux publics. Les environs de la rue A, les égouts et les émissaires à proximité ne sont pas ciblés comme problématiques.
[36] La Ville a déposé aussi une copie de l’arrêté ministériel 0059-2013 du ministre de la Sécurité publique du 9 septembre 2013 (DF-1) selon lequel, à cause des pluies abondantes survenues le 2 septembre, la Ville allait bénéficier de la mise en œuvre sur son territoire du Programme général d’aide financière lors de sinistres réels ou imminents établi par le décret 1271-2011 du 7 décembre 2011.
[37] Or ce programme prévoit l’aide financière pour des mesures préventives temporaires ou des mesures d’intervention ou de rétablissement ou dédommagement à la suite d’un sinistre réel ou imminent.
[38] La Ville a aussi déposé la Loi sur la sécurité civile[1] qui décrit comme « sinistre majeur » : un événement dû à un phénomène naturel,…, qui cause de graves préjudices aux personnes ou d'importants dommages aux biens et exige de la collectivité affectée des mesures inhabituelles, notamment une inondation, une secousse sismique, un mouvement de sol, une explosion, une émission toxique ou une pandémie (Art. 2.1).
[39] La Ville invoque en sa faveur l’article 1470 du Code civil du Québec[2] qui prévoit que toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d'une force majeure, à moins qu'elle ne se soit engagée à le réparer. Le deuxième paragraphe de ce même article définit la force majeure comme un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
[40] La Ville estime donc ne pas être responsable des dommages subis par les demandeurs qui, à son avis, sont attribuables à un cas de force majeure.
ANALYSE DE LA RESPONSABILITÉ DE LA VILLE
[41] Pour constituer une force majeure, un événement doit avoir été imprévisible, irrésistible et non imputable à celui qui l’invoque.
[42] La Ville doit donc établir que non seulement elle n’a pu prévenir la survenance, mais aussi qu’elle n’a pu l’empêcher[3].
[43] Plusieurs décisions ont qualifié de cas de force majeure une pluie d’une intensité dont la récurrence était d’autour de 100 ans[4].
[44] Par contre, des décisions concernant des pluies de récurrence de 100 ans ont aussi conclu au contraire qu’il ne s’agissait pas pour autant d’un cas de force majeure, notamment parce que le caractère d’imprévisibilité, qui est un critère fort exigeant, n’a pas été rencontré.
[45] Le climat de notre pays est sujet à des fluctuations qui causent de fortes pluies, et bien qu’une pluie puisse être d’une intensité très importante et créer une situation exceptionnelle, elle n’est pas pour autant imprévisible au point de pouvoir conclure qu’elle est totalement fortuite[5].
[46] Il faut se rappeler que la récurrence réfère précisément au fait qu’une pluie d’une telle intensité va survenir de nouveau. Il est statiquement prévisible qu’elle surviendra même à l’intérieur d’une période de 100 ans, ce qui fait qu’un tel événement ne peut pas nécessairement être qualifié d’un événement imprévisible au sens de la doctrine et d’une partie importante de la jurisprudence.
[47]
Il ne faut pas oublier qu’une partie qui invoque l’article
[48] S’il est juste de conclure qu’une ville n’a pas à engager des fonds publics pour parer à un phénomène naturel qui ne se produit que tous les 100 ans[6], il reste que dans les circonstances de la présente affaire il est établi que le ruisseau Rouge présentait des problèmes même lors d’événements de moindre envergure, et le système d’évacuation des eaux de précipitations de la Ville constituait une menace pour les résidants riverains de façon récurrente.
[49] Le Tribunal considère que la Ville aurait pu, sinon prévenir complètement, au moins minimiser les dommages subis par les demandeurs en remédiant à ce défaut de conception de son plan d’évacuation des eaux de surface et les égouts, notamment en prenant les moyens pour éviter la surcharge du ruisseau Rouge qui, comme dans la présente affaire, risque de provoquer son inondation sur les propriétés avoisinantes.
[50] La Ville est gardienne du réseau d’égout et d’évacuation des eaux pluviales. Elle a l’obligation d’en avoir le contrôle et la surveillance. Elle devait prendre des mesures raisonnables pour prévenir tout débordement de son réseau, y compris celui du ruisseau Rouge dont elle se servait comme fosse d’écoulement ou d’égouttement. Or la preuve de débordements récurrents, même en l’absence de pluies diluviennes ou relevant de la force majeure, permet de douter que la Ville a fait face à ses obligations à ce niveau.
[51] Une pluie n’est généralement pas un événement imprévisible ni irrésistible, à moins que la précipitation soit d’une telle intensité qu’une personne prudente et diligente, placée dans une situation semblable, ne serait pas capable d’y résister.
[52] Même si l’intensité de la précipitation rend l’exécution de l’obligation plus onéreuse, elle ne doit pas automatiquement être assimilée au critère d’irrésistibilité permettant de conclure à la force majeure.
[53] Le caractère irrésistible dont il est question dans la loi implique une impossibilité absolue[7].
[54] La preuve de refoulement des eaux dans des propriétés qui ne sont pas riveraines du ruisseau Rouge permet de conclure que le 2 septembre, on était dans cette situation.
[55] Cependant, pour les demandeurs la situation est quelque peu différente, car le débordement du ruisseau Rouge, qui selon la preuve est récurrent, est un phénomène prévisible et a été accentué par le système d’évacuation inadéquat de la Ville qui le surchargeait.
[56] On ne peut qualifier une pluie exceptionnelle d’irrésistible que si les moyens pour y résister ou en diminuer l’effet dévastateur sont pris.
[57] Force nous est donnée de constater que ce n’est pas le cas dans la présente instance.
[58] À notre avis, même les pluies exceptionnelles doivent être prévues, et des dispositions doivent être prises pour empêcher qu’elles ne causent des dommages inhabituels. Particulièrement, dans la présente instance, il aurait été possible pour la Ville de concevoir un système d’évacuation des eaux qui ne surchargent pas le ruisseau Rouge et pour le moins ne contribuent pas à ces déversements.
[59] La responsabilité de la Ville à notre avis ne peut donc être retenue que pour avoir contribué à la situation où les demandeurs se sont trouvés susceptibles d’être exclus de la couverture de la police d’assurance. Or il s’agit là de dommages indirects pour lesquels il est impossible de condamner la Ville.
LA RESPONSABILITÉ D’INTACT
[60] La défenderesse Intact refuse d’indemniser les demandeurs en invoquant l’exclusion prévue au paragraphe 18 des exclusions générales de la police d’assurance qui stipule :
18. Inondation
Les pertes, dommages ou frais occasionnés directement ou indirectement par une inondation qui atteint les lieux assurés. On entend par inondation notamment les vagues, la marée, le raz-de-marée, le tsunami, la crue des eaux, la rupture de barrage, le débordement de cours d’eau ou de toute étendue ou masse d’eau naturelle ou artificielle.
La présente exclusion s’applique sans égard à l’existence d’une autre cause ou d’un autre sinistre (couvert ou non) qui contribue simultanément ou dans n’importe quel ordre aux pertes, dommages ou frais. (D-1)
[61] Cette décision fut d’abord communiquée oralement aux demandeurs et par la suite confirmée par écrit le 18 septembre 2013 (P-7).
[62] Il est acquis que selon une jurisprudence constante et de longue date, un assureur qui invoque une clause d’exclusion contre une obligation d’indemniser doit prouver que la clause s’applique[8].
[63] C’est à l’assureur que revient de démontrer qu’une exclusion prévue au contrat doit recevoir application[9].
[64]
De plus, l’article
[65] Il est acquis que dans le cas d’une police d’assurance « tous risques », tous les risques pouvant directement atteindre le bien assuré sont couverts, sauf les exclusions énumérées. Dans un tel cas, il faut déterminer si l’exclusion invoquée par l’assureur trouve application, et c’est à celui-ci de démontrer par une preuve prépondérante les faits ou la situation donnant lieu à cette exclusion[10].
[66] En matière d’exclusion, l’interprétation de la clause doit se faire restrictivement, et lorsqu’il y a un doute, la couverture doit être favorisée.
[67] L’exception à l’exclusion doit au contraire être interprétée libéralement, car il faut favoriser la couverture plutôt que l’exclusion.
[68] Dans le cas d’une clause d’exclusion ambiguë, il est nécessaire de rechercher dans les clauses du contrat d’assurance la véritable intention des parties, et il faut donner effet aux attentes raisonnables des parties.
[69] Il faut donc procéder à une évaluation méticuleuse des clauses de la police à l’étude, mais également porter une grande attention à la preuve de la cause des dégâts d’eau à l’origine des dommages réclamés[11].
[70] S’il y a un quelconque doute quant au sens des termes d’une clause d’exclusion ou de limitation et au but recherché, l’ambigüité devra être résolue contre la partie qui l’a insérée dans le contrat et qui tente de s’appuyer dessus[12].
[71] En d’autres mots, les tribunaux devraient éviter une interprétation d’un contrat d’assurance qui permettrait à l’assureur de toucher la prime sans risque, ou à l’assuré d’obtenir une indemnité pour un risque qui ne pouvait être prévu ni anticipé au moment du contrat.
[72] En appliquant ces principes à la présente affaire, nous examinerons en premier lieu les termes mêmes du paragraphe 18 des exclusions générales.
[73] On y stipule qu’Intact ne couvre pas les pertes, dommages ou frais occasionnés directement ou indirectement par une inondation qui atteint les lieux assurés.
[74] La clause impose à l’assureur le fardeau de prouver non seulement qu’il y a eu une inondation qui a atteint les lieux assurés, mais aussi que les pertes, dommages ou frais ont été occasionnés directement ou indirectement par cette inondation.
[75] La preuve ne soutient pas cette prétention.
[76] Les lieux assurés sont définis au contrat comme étant les lieux se trouvant à l’intérieur des limites officielles du terrain de l’habitation principale désignée aux conditions particulières.
[77] Bien qu’il ait été prouvé que les lieux assurés ont été atteints par de l’eau, la preuve n’est pas prépondérante que cette eau venait du débordement du ruisseau Rouge. Il est plutôt établi qu’il est plus probable que cette eau venait de la bouche d’évacuation des égouts de la Ville qui devait évacuer une quantité très importante d’eau de pluie qui s’est abattue sur la région.
[78] Cette quantité et ce volume d’eau à évacuer étaient définitivement supérieurs à la quantité d’eau qui circulait dans le ruisseau.
[79] La preuve que les dommages par l’eau ont été causés aux biens des demandeurs par un refoulement d’égout est confirmée par les odeurs, mais aussi par le fait que les voisins qui n’étaient pas à proximité du ruisseau Rouge ont aussi essuyé de semblables dégâts.
[80] Il n’est donc pas établi que les pertes, dommages ou frais ont été directement ou indirectement occasionnés par l’inondation qui a atteint les lieux assurés.
[81] En conséquence, à notre avis, l’exclusion générale dont se réclame Intact pour ne pas couvrir le sinistre et payer l’indemnité ne s’applique pas à la présente situation.
[82] Cela suffirait pour disposer de la poursuite, mais lors de la révision de sa décision Intact a élargi les motifs du refus de payer en se rabattant sur l’exclusion de l’avenant dommages d’eau - eau du sol et égout de la police d’assurance souscrite par les demandeurs (D-1) pour lequel ils payaient une prime.
[83] Aux termes de cet avenant, Intact s’engageait à couvrir les dommages d’eau directement causés au bien assuré par :
1. La pénétration ou l’infiltration soudaine et accidentelle des eaux souterraines ou de surface, à travers les murs ou les ouvertures des caves, les fondations ou le sol des caves;
2. Une fuite, un refoulement ou un débordement soudain et accidentel de branchement d’égout, d’égout, de fossé, de puisard, de fosse septique, de champ d’épuration ou d’autres systèmes d’épuration des eaux usées, de fosse de retenue ou bassin de captation ou de drain français;
3. Le gonflement de la nappe phréatique.
[84] L’avenant comportait cependant une exclusion similaire à l’exclusion générale prévoyant que la compagnie ne couvre pas les dommages d’eau causés directement ou indirectement au bien par les risques mentionnés ci-dessus survenant avant, pendant ou après une inondation qui atteint les lieux assurés.
[85] Bien que cette exclusion soit beaucoup plus large que l’exclusion générale, Intact ne l’a évoquée qu’à la suite de la demande de révision de la décision de refus (D-2).
[86] Pour se réclamer de cette exclusion et détruire les garanties de l’avenant, l’assureur n’aurait à prouver que les dommages d’eau survenus avant, pendant ou après une inondation qui atteint les lieux assurés. La définition d’inondation comprend les vagues, la marée, le raz de marée, le tsunami, la crue des eaux, la rupture de barrage, le débordement de tout cours d’eau ou de toute étendue ou masse d’eau naturelle ou artificielle.
[87] Certes, il y a eu pour le moins une crue des eaux, sinon un certain débordement du ruisseau Rouge causé par la pluie et surtout par l’apport massif des eaux de pluie collectées par les égouts de la Ville qui pourrait justifier Intact de soulever l’exclusion.
[88] Cependant, le texte extrêmement large de l’exclusion, au point qu’il semble contrer les effets recherchés de l’avenant, justifie de l’examiner de plus près en recherchant l’intention des parties et vérifier son effet à la lumière des principes d’interprétation que nous avons cités.
[89] L’avenant, qui normalement devrait permettre aux demandeurs d’avoir une protection additionnelle par les termes utilisés et son libellé, leur donne en réalité moins de droits que les clauses générales du contrat.
[90] Alors que dans l’exclusion générale l’assureur devait prouver que l’inondation a causé les dommages, à cet avenant, il suffit la preuve qu’il y a eu inondation pour que les assurés soient privés de toute couverture relative aux dommages d’eau.
[91] L’application de la clause d’exclusion contenue à l’avenant amènerait le résultat qui ne nous semble pas conforme aux attentes raisonnables des demandeurs puisqu’ils seraient privés de couverture d’assurance pour tout dommage d’eau pour quelque raison que ce soit, par quelque cause que ce soit, dès qu’il survient avant, pendant ou après une inondation. Or leur propriété étant bornée par un ruisseau, les lieux assurés sont considérés aux termes de la police inondés à la moindre crue de ce cours d’eau.
[92] Une crue des eaux étant une élévation périodique ou anormale de son niveau, il fallait qu’Intact prouve que les eaux qui ont atteint la propriété des demandeurs étaient l’eau du ruisseau. La preuve n’est pas concluante à cet égard. Elle est plus prépondérante que ce sont les eaux déversées par l’émissaire pluviale de la Ville qui ont atteint la maison des demandeurs et s’y sont refoulées, tout comme chez leurs voisins.
[93] Il y a lieu de souligner, subsidiairement, que la présence de ces émissaires témoigne de l’utilisation du ruisseau Rouge par la Ville comme fossé d’égouttement des eaux. Or l’avenant couvre spécifiquement les refoulements et débordements soudains et accidentels d’égouts, de fossés, etc. La preuve est à cet effet.
[94] Toutes ces particularités nous apparaissent exiger un examen plus attentif de l’intention et des attentes des parties, car cela nous semblerait un non-sens que les demandeurs paient pour une couverture dont le contrat les prive.
[95] Dans la présente affaire, il nous apparaît que la compagnie d’assurance a perçu les primes relatives à l’avenant qui est complètement inutile aux assurés vu la clause d’exclusion beaucoup trop large qu’il contient.
[96] À notre avis, cela ne peut être ainsi, et ce n’était certainement pas conforme à l’intention et aux attentes des assurés.
[97] Nous sommes d’avis qu’Intact doit indemniser les demandeurs.
LES DOMMAGES
[98] Il est établi que des biens des demandeurs ont été endommagés par de l’eau qui a refoulé dans le sous-sol de leur résidence.
[99] Certains travaux nécessaires, pour d’abord assainir et ensuite réparer les aménagements endommagés de la résidence, ont été faits par les demandeurs eux-mêmes et d’autres par des entrepreneurs.
[100] Ainsi, ils ont établi avoir dû rencontrer les dépenses de 4 197,09 $ qui se détaillent comme suit :
- location d’équipement pour le séchage 193,53 $
- matériaux 2 859,44 $
- tirage des joints 1 144,12 $
[101] La compilation du temps consacré aux travaux qu’ils ont effectués eux-mêmes est de 227 heures qui, à 50 $ l’heure auxquels les demandeurs estiment leur temps, totalisent 11 350 $.
[102] Le Tribunal est d’avis que ce montant n’est pas exagéré ni quant à la durée des travaux ni quant à la rémunération, mais comprendra aussi les préjudices au niveau des inconvénients et pertes de temps.
[103] En ce qui a trait à la réclamation pour leur lit qu’ils ont acheté à 1 373,95 $ quatre ans auparavant et les équipements de musculation pour une valeur de plus ou moins 10 000 $, elle nous apparaît exagérée.
[104] Bien qu’il pût y avoir deux à trois pouces d’eau dans le sous-sol, le lit ne peut pas être considéré comme une perte totale, et à notre avis une indemnité de 500 $ permettrait de procéder à sa réparation.
[105] En ce qui a trait aux équipements de musculation, là encore bien qu’il soit possible que les pattes aient traîné dans l’eau, les équipements ne peuvent pas être considérés comme une perte totale, et le Tribunal est d’avis que 500 $ permettront de les réparer.
[106] De toute évidence, la couverture d’assurance prévoyait un remplacement à une valeur à neuf, mais les demandeurs ayant réduit leur réclamation à 7 000 $, la condamnation ne pourra dépasser ce montant.
[107] La preuve convainc le Tribunal que les dommages subis dépassent la limite de juridiction de la division des petites créances et que l’indemnité de 7 000 $ réclamée est justifiée. Cependant, les demandeurs ont convenu de payer une franchise de 500 $. Cette somme doit donc être retranchée du montant auquel ils ont réduit leur réclamation.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande contre la Ville de Magog, sans frais;
ACCUEILLE
la demande contre Intact Compagnie d’assurance et la CONDAMNE à payer
aux demandeurs Virginie Poulin et David Muir solidairement la somme de
6 500 $, avec intérêts au taux légal, augmentée de l’indemnité additionnelle
calculée suivant l’article
Et les frais de 167 $.
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__________________________________ GABRIEL DE POKOMÁNDY, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
14 octobre 2014 |
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[1] RLRQ, S-2.3
[2] (L.Q., 1991, c. 64.) CCQ-1991
[3] Vandry c. Quebec Railway Light, Heat and the Power Co. [1916] 53 R.C.S., 72
[4]
Bédard c. St-Tite (Corporation municipale de la Ville de),
Desrosiers-Charneau c. Ste-Catherine
(Ville de),
[5]
Gauthier c. Trois-Rivières (Ville de),
[6]
Rolland c. McMasterville (Municipalité de),
[7] Vincent KARIM, Les obligations, vol. 1, art. 1371 à 1496, 2e éd. Montréal, W&L, 2002
[8]
Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co.,
[9]
Sécurité (La), Cie d'assurances générales du Canada c. Filion,
Brunet c. Desjardins Assurances
générales,
[10]
Labelle c. Industrielle Alliance, compagnie d’assurances générales,
[11]
Morrissette c. Axa, Assurances inc.,
[12]
Allstate du Canada, Cie d'assurance c. Les Tapis Roger Papillon
inc.,
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