Ville de Montréal c. Abenson | 2022 QCCM 8 |
COUR MUNICIPALE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 306-812-170 | |||||
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DATE : | 22 février 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | RANDALL RICHMOND | ||||
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VILLE DE MONTRÉAL | ||||||
Poursuivante | ||||||
c. | ||||||
DAVID ABENSON | ||||||
Défendeur | ||||||
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MOTIFS D’UN JUGEMENT RENDU LE 18 FÉVRIER 2022 | ||||||
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[1] Même si, en général, le droit réglementaire permet les inspections sans mandat et sans préavis, il y a certaines situations où un préavis est indiqué. Les tribunaux ont maintes fois reconnus aux autorités chargées de l’application du droit réglementaire des vastes pouvoirs qui dépassent souvent ceux des policiers. Mais, lorsque la loi accorde à une personne de grands pouvoirs, elle doit les exercer avec discernement, c’est-à-dire en distinguant les choses lorsque c’est approprié. Il n’est pas déraisonnable de lui demander d’utiliser son jugement et de constater les nuances.
[2] Certes, il y a beaucoup de situations où la seule façon efficace d’assurer le respect d’une loi réglementaire est de faire une inspection sans préavis. Mais, il y a d’autres situations où cette nécessité n’est pas du tout évidente. D’autres considérants peuvent être pertinents pour décider si la remise d’un préavis d’inspection est appropriée. C’est surtout le cas lorsque le pouvoir d’inspection entre en conflit avec des droits fondamentaux qui sont reconnus par la loi. Un inspecteur peut et doit réfléchir.
[3] Ainsi, il y a des situations où la remise d’un préavis d’inspection est préférable. Si un inspecteur ne réfléchit pas aux facteurs pertinents et ne fait pas preuve de discernement, il me semble injuste d’appliquer au citoyen affecté une norme de conformité qui, elle non plus, n’utilise le discernement.
[4] Monsieur David Abenson fait face à une amende minimale de mille dollars, réclamée par la Ville de Montréal, parce qu’il a exigé un préavis avant de laisser entrer dans sa maison une inspectrice de l’arrondissement Côte-des-Neiges―Notre-Dame-de-Grâce (CDN‑NDG). Plus tard, lorsqu’un tel avis fut donné, il l’a laissée entrer. Dans les circonstances très particulières de cet événement, il m’est impossible de conclure que l’exigence faite par M. Abenson était déraisonnable et qu’il a commis une infraction.
[5] Le 29 janvier 2021, le bureau de l’arrondissement CDN-NDG reçoit une plainte anonyme alléguant des travaux de construction sans permis en cours depuis l’été précédant.
[6] Selon le compte foncier, l’adresse visée par la plainte correspond à un immeuble résidentiel unifamilial avec un seul logement. Son propriétaire est M. David Abenson, qui réside à la même adresse.
[7] Le 1er février 2021, une inspectrice de l’arrondissement se présente sur les lieux. Il n’y a personne. Elle ne voit ni travaux ni conteneur à déchets. Elle ne constate aucune infraction. Elle retourne à son bureau sans laisser de note ou d’avis sur les lieux.
[8] Le 8 février 2021, le plaignant fait une nouvelle plainte « anonyme ».
[9] Le 10 février 2021, vers 14 h 15, l’inspectrice retourne à l’adresse et sonne à la porte. Monsieur David Abenson lui ouvre la porte et la laisse entrer dans le portique. Elle lui annonce qu’elle doit faire des vérifications à la suite d’une plainte pour « possiblement » des travaux réalisés. Elle doit vérifier « si les travaux nécessitaient un permis ». Il lui demande de s’identifier. Elle lui montre une carte de la Ville. Elle porte un manteau de la Ville et un véhicule de la Ville est stationné devant la maison.
[10] Monsieur Abenson demande à l’inspectrice d’attendre pendant qu’il consulte un membre de sa famille. Il quitte le portique pour faire un appel téléphonique. Lorsque l’appel est terminé, il retourne au portique et dit à l’inspectrice qu’elle doit envoyer un avis écrit avant de pouvoir accéder au reste de la maison. Elle insiste qu’il doit la laisser entrer immédiatement, sinon, dit-elle, elle va appeler la police. Il ne change pas d’idée.
[11] Elle retourne à son véhicule et appelle son superviseur. Celui-ci se rend sur les lieux et, ensemble, ils sonnent à la porte. Cette fois-ci, personne ne répond. Le superviseur appelle donc la police. Les inspecteurs attendent la police dans le véhicule devant la maison.
[12] Après avoir attendu la police une dizaine de minutes, le superviseur décide que cela prend trop de temps. Il rappelle la police pour annuler l’appel et les deux inspecteurs retournent à leur bureau.
[13] Malgré cela, environ trente minutes après l’appel, des policiers se rendent à la maison de M. Abenson. Quand ils arrivent, les inspecteurs ne sont plus là. Les policiers rencontrent David Abenson et son fils, Moche Abenson, sans incident.
[14] Le 11 février 2021, l’inspectrice fait signifier à M. Abenson un avis de rendez-vous afin de planifier une visite. Le jour même, Moche Abenson appelle les inspecteurs et prend rendez-vous pour le lendemain à 10 h. Moche Abenson confirme qu’il sera présent à la maison à la place de ses parents pour ouvrir la porte.
[15] Le 12 février 2021, l’inspectrice retourne à la maison. Accès lui est donné et elle inspecte l’intérieur de toute la maison. Elle constate qu’il y a des rénovations en cours dans la cuisine. Elle informe le fils que ces travaux nécessitent un permis. Les travaux sont suspendus le temps d’obtenir un permis.
[16] Éventuellement, la Ville octroie le permis à M. Abenson et les travaux sont complétés dans la légalité et sans qu’il soit nécessaire d’émettre un constat d’infraction pour travaux sans permis.
[17] Le seul constat d’infraction émis à la suite de cet incident est celui pour lequel M. David Abenson répond maintenant, soit une accusation d’avoir enfreint l’article 3 du Règlement RCA19 17315 : « étant propriétaire du lieu visité en n’ayant pas laissé pénétrer un fonctionnaire ou employé de l’arrondissement » le 10 février 2021.
[18] Le Règlement RCA19 17315 est intitulé Règlement concernant le droit de visite et d’inspection sur le territoire de l’arrondissement de Côte-des-Neiges―Notre-Dame-de-Grâce (ci-après : « le Règlement »). Adopté par le conseil de l’arrondissement en avril 2019, il autorise tous les fonctionnaires et employés de l’arrondissement à visiter et à examiner toute propriété pour constater le respect des règlements. Je le reproduis dans son entièreté :
SECTION I
DÉFINITIONS
« fonctionnaire ou employé » : désigne tous les fonctionnaires et employés de l’arrondissement, ainsi que toute personne chargée de l’application des règlements.
SECTION II
VISITE DES PROPRIÉTÉS
1° constater si les règlements sont respectés;
2° vérifier tout renseignement ou pour constater tout fait nécessaire à l’exercice par l’arrondissement du pouvoir de délivrer un permis, d’émettre un avis de conformité d’une demande, de donner une autorisation ou toute autre forme de permission, qui lui est conféré par une loi ou un règlement.
Le fonctionnaire ou employé doit, sur demande, s’identifier au moyen d’une pièce d’identité attestant sa qualité.
SECTION III
OBLIGATION DU PROPRIÉTAIRE OU OCCUPANT
3. Tout propriétaire ou occupant du lieu visité doit laisser pénétrer le fonctionnaire ou employé, communiquer tout renseignement qu’il requiert relativement à l’application des règlements et ne doit nuire d'aucune manière à l'exercice de ses fonctions.
SECTION IV
DISPOSITIONS PÉNALES
4. Quiconque contrevient au présent règlement commet une infraction et est passible :
1° s’il s’agit d’une personne physique :
a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000 $;
b) pour toute récidive, d’une amende de 2 000 $;
2° s’il s’agit d’une personne morale :
a) pour une première infraction, d’une amende de 2 000 $;
b) pour toute récidive, d’une amende de 4 000 $.
SECTION V
DISPOSITIONS FINALES
5. Le présent règlement abroge et remplace le Règlement sur les inspections (6678) à l’égard du territoire de l’arrondissement de Côte-des-Neiges—Notre-Dame-de-Grâce.
[19] Le pouvoir d’adopter ce règlement est donné au conseil d’arrondissement par l’article
411. Le conseil peut faire des règlements:
1° pour autoriser les fonctionnaires ou employés de la municipalité à visiter et à examiner, à toute heure raisonnable, toute propriété immobilière ou mobilière, ainsi que l’intérieur ou l’extérieur des maisons, bâtiments ou édifices quelconques, pour constater si les règlements du conseil y sont exécutés, pour vérifier tout renseignement ou pour constater tout fait nécessaire à l’exercice par la municipalité du pouvoir de délivrer un permis, d’émettre un avis de conformité d’une demande, de donner une autorisation ou toute autre forme de permission, qui lui est conféré par une loi ou un règlement et pour obliger les propriétaires ou occupants de ces propriétés, bâtiments et édifices, à y laisser pénétrer les fonctionnaires ou employés de la municipalité;
[…]
Sur demande, les fonctionnaires ou employés qui procèdent à une inspection doivent établir leur identité et exhiber le certificat, délivré par la municipalité, attestant leur qualité.
[20] Le litige actuel ne concerne pas la légalité du Règlement, mais plutôt la manière de l’appliquer, à la lumière des droits protégés par les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. Les articles pertinents de celles-ci sont les suivants :
Charte des droits et libertés de la personne[3]
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
7. La demeure est inviolable.
8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.
24.1. Nul ne peut faire l'objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives.
Charte canadienne des droits et libertés[4]
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
[21] Dès 1984, la Cour suprême du Canada énonce dans Hunter c. Southam Inc.[5] que l’article
[22] Elle statue aussi qu'une perquisition sans mandat est à première vue « abusive » et que la partie qui veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif.
[23] En 1987, dans Collins[6], la Cour suprême déclare que, pour respecter l’article
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive. En l'espèce, la poursuite a soutenu qu'il s'agissait d'une fouille pratiquée en vertu du par.
[Soulignements ajoutés]
[24] La Cour suprême réitère ce principe en 1989 dans R. c. Genest[7] et en 2010 dans R. c. Cornell[8].
[25] En 1994, la Cour suprême reconnaît dans l’arrêt Potash[9] qu’en droit réglementaire, les pouvoirs d’inspection qui supposent la visite des lieux sont sans conteste une intrusion de l’État dans la vie privée et sont assimilables à une perquisition au sens de l’article 8 de la Charte. Par conséquent, l’inspection réglementaire n’est pas soustraite à l’examen judiciaire de sa validité constitutionnelle. Par contre, cela ne veut pas dire que l’inspection réglementaire est assujettie aux mêmes exigences qu’une perquisition faite dans le cadre d’une enquête criminelle.
[26] Dans Potash, la Cour suprême déclare constitutionnellement valide une loi québécoise qui autorise des inspections réglementaires sans autorisation judiciaire préalable, c’est-à-dire sans mandat. Elle souligne l’importance des inspections pour assurer le respect de nombreuses lois règlementaires. Mais, elle ne les dispense pas de tout contrôle judiciaire :
Si l'importance de l'objectif et la nécessité des pouvoirs d'inspection ne font aucun doute, ceux-ci doivent néanmoins être balancés avec les attentes des particuliers en matière de vie privée. Je souligne en passant que le libellé de l'art. 8 de la Charte n'interdit pas l'inspection sans autorisation préalable. Il pose simplement un critère de « raisonnabilité ». […][10]
[27] L’inspection réglementaire n’exige donc pas un mandat ou une autorisation judiciaire préalable. Mais, elle n’est pas dispensée de toute obligation de respecter les droits prévus par les chartes et elle n’est pas à l’abri de tout contrôle judiciaire. L’inspection réglementaire doit être effectuée d’une manière raisonnable[11]. Et cette « raisonnabilité » s’évalue dans le contexte :
Notre Cour a fait valoir à plusieurs reprises que la portée d'une garantie constitutionnelle, tout comme l'équilibrage des droits collectifs et individuels qui la sous-tend, variait en fonction du contexte. […][12]
[28] Il est incontestable que, bien souvent, les inspections à l’improviste (sans préavis) sont essentielles pour assurer le respect des normes et l’efficacité d’une loi réglementaire. Ce principe est reconnu par la Cour suprême dans Potash. Mais, la Cour suprême ne dit pas que l’absence de préavis est nécessaire dans tous les cas et dans toutes les situations. Elle nous invite à considérer le contexte et à faire un équilibrage des droits collectifs et individuels.
[29] Dans Robidoux c. Sherbrooke (Ville de)[13], la Cour supérieure reconnaît que les inspections réglementaires ne répondent pas aux mêmes exigences constitutionnelles que les perquisitions faites dans le cadre d’une enquête criminelle. Mais, elle affirme que ces inspections sont néanmoins soumises à la Charte canadienne et que les tribunaux doivent déterminer l’étendue des exigences constitutionnelles en faisant une évaluation de plusieurs facteurs, dont le contexte, l’importance de l’intrusion et le degré d'expectative de vie privée rattaché aux lieux :
[34] Plus on s'éloigne de l'enquête criminelle traditionnelle, plus les tribunaux toléreront que l'on s'écarte des exigences rigoureuses en matière de perquisitions et saisies. Tel est le cas des inspections en matière d'activités réglementées.
[35] Une inspection demeure soumise aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Tribunal jaugera plusieurs facteurs comme l'importance de l'intrusion, la méthode de surveillance et le degré d'expectative de vie privée rattaché aux lieux perquisitionnés. Comme les lieux inspectés consistent en un magasin ouvert au public et une usine de fabrication, l'expectative de vie privée est minimale, particulièrement pour une personne morale.
[36] Par ailleurs, les tribunaux ont souligné à plusieurs reprises que la portée d'une garantie constitutionnelle varie en fonction du contexte ainsi que des droits collectifs et individuels.[14]
[Soulignements ajoutés]
[30] Ces principes ont été réitérés par la Cour d’appel du Québec dans Ville de Montréal c. Constructions Fédérales inc.[15] :
[26] La Cour a eu l’occasion de traiter de la légalité, sous l’angle des articles 8 et 24.1 des chartes canadienne et québécoise, d’inspections effectuées en application de règlements municipaux rédigés en des termes similaires, sinon identiques, à ceux du Règlement 6678 de l’espèce. Il en ressort que de telles inspections sont soumises aux exigences de la Charte canadienne, mais selon un standard moindre, comme le souligne la Cour d’appel de l’Ontario :
[…] a lower standard applies to a search conducted to enforce regulatory standards than to a search conducted to enforce the criminal law. There is not the same stigma involved and the penalty attached to regulatory searches is less. People in today's society are accustomed to regulation and it is generally accepted that it is necessary for the state to ensure that an individual's activities are compatible with the common good of the community
[27] Afin d’établir si l’intrusion est contraire aux chartes, le Tribunal jaugera plusieurs facteurs comme son objet, son importance, la méthode de surveillance et le degré d'expectative de vie privée rattaché aux lieux perquisitionnés.
[Références omises; soulignements ajoutés]
[31] Le défendeur, David Abenson, ne conteste pas la constitutionalité du Règlement. Mais, cela ne l’empêche pas de soulever comme moyen de défense la manière d’effectuer l’inspection. Si l’inspection était une perquisition au sens des Chartes et si la manière de l’effectuer était abusive, cela peut constituer une justification pour son comportement.
[32] L’inspection au domicile de David Abenson était une perquisition au sens des Chartes et le contexte n’exigeait pas une inspection à l’improviste. En effet, plusieurs facteurs militaient en faveur d’un préavis.
[33] D’abord le lieu. Ce n’était pas une usine, une fabrique ou un immeuble industriel. C’était une maison unifamiliale habitée par son propriétaire. Aucun lieu ne crée une expectative de vie privée aussi élevée[16]. Dans Genest[17], la Cour suprême a endossé les propos suivants :
Le caractère sacré du foyer est profondément ancré dans nos traditions. Il sert à assurer la sécurité de la personne et la vie privée de l'individu. La même idée a été exprimée dès 1604, dans le style du temps, dans la première proposition du célèbre arrêt Semayne (1604), 5 Co. Rep. 91 a, à la p. 91 b, 77 E.R. 194, à la p. 195 de la façon suivante:
[TRADUCTION] 1. Que la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse, tant pour se défendre contre l'injure et la violence que pour son repos . . .
Dans son livre intitulé The Law of Search and Seizure in Canada (2nd ed. 1984), James A. Fontana affirme, à la p. 44:
[TRADUCTION] Traditionnellement, l'obligation de procéder régulièrement semble être plus grande dans le cas d'un agent qui va perquisitionner dans une maison d'habitation que dans celui d'un agent qui va le faire dans d'autres locaux, tels que des entrepôts, des dépôts, des garages et des édifices publics.
[34] Deux. Rien ne suggérait que la maison de M. Abenson était utilisée pour une activité commerciale réglementée. Par conséquent, l’expectative de vie privée n’était pas réduite.
[35] Trois. La plainte était anonyme et la première visite de l’inspectrice sur les lieux (le 1er février 2021) n’a rien confirmé. L’inspectrice n’a trouvé personne sur les lieux. Elle n’a vu aucun signe de travaux ni de conteneur à déchets. Elle n’a constaté aucune infraction et elle est retournée à son bureau sans laisser de note ou d’avis sur les lieux.
[36] Quatre. L’inspection n’était pas urgente. La preuve ne mentionne aucun enjeu relatif à la santé, à la salubrité ou à la sécurité. L’inspectrice voulait vérifier s’il y avait des travaux sans permis. Le plaignant alléguait des travaux en cours depuis l’été précédant. Puisque le plaignant avait attendu plusieurs mois avant de porter plainte, on peut conclure que ce n’était pas urgent pour le plaignant. On peut conclure que la Ville et son service d’inspection en bâtiment ne voyaient pas d’urgence non plus, car l’inspectrice n’est retournée sur les lieux que le 10 février.
[37] Cinq. Contrairement à beaucoup d’activités qui sont réglementées par des lois, les travaux de construction ou de rénovation laissent des traces et ça ne prend pas un expert pour les voir. Si une cuisine ou une salle de bain est rénovée, ça va paraître ― même lorsque les outils sont rangés. Par conséquent, la Ville n’aurait subi aucun préjudice en donnant à M. Abenson un préavis de son inspection.
[38] Donc, rien dans le contexte de M. Abenson n’exigeait la surprise et tout suggérait l’à-propos d’un préavis.
[39] Pourtant, les inspecteurs de la Ville de Montréal auraient dû savoir qu’en l’absence d’une urgence, ils doivent donner un préavis raisonnable avant de s’introduire dans la résidence privée de quelqu’un sans son consentement. En 2004, la Cour supérieure a condamné la Ville de Montréal à payer 7 000$ en dommages-intérêts parce que ses inspecteurs avaient omis de le faire. Dans Laferrière c. Montréal (Ville de)[18], la Cour a reconnu que l’intervention de la Ville était justifiée, mais lui a reproché l’absence d’un préavis raisonnable :
[69] Bien que l'intervention de la ville soit justifiée, la façon de faire n'est pas sans reproche.
[70] Jusqu'à l'avis de 25 octobre 2000, la veille de l'intervention des préposés de la ville, les avis sont donnés à madame par huissier, avec un délai raisonnable pour obtempérer.
[71] Voilà que le 25 octobre, elle reçoit un avis manuscrit pour l'intervention des préposés de la ville le lendemain. La ville plaide qu'il était urgent d'agir. Pourtant, de 1996 à 2000, la ville n'a pas jugé qu'il fallait à tout prix intervenir. Subitement, fin octobre 2000, on est pressé d'agir. Rien dans la preuve n'établit que la situation s'était aggravée et qu'il fallait agir d'urgence.
[72] Comme par le passé, pour l'intervention du 26 octobre 2000, la ville aurait dû signifier un avis en bonne et due forme avec un délai raisonnable. Sauf un cas d'urgence caractérisé, un avis manuscrit déposé dans la boîte aux lettres la veille n'est pas une façon de faire acceptable. D'autant plus que, comme en témoignent les préposés, la mise en place d'une opération de désencombrement suppose un certain temps à organiser, vu que plusieurs services sont appelés à intervenir.
[73] Le tribunal conclut qu'il a eu faute de la part de la ville de ne pas avoir donné un avis suffisant pour l'intervention du 26 octobre.
[Soulignements ajoutés]
[40] Le règlement dans Laferrière ressemblait à celui que la Ville invoque maintenant contre M. Abenson et ne mentionnait pas formellement qu’un préavis était nécessaire. Mais, Mme Laferrière a invoqué avec succès les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne et la Cour supérieure a décidé qu’un préavis raisonnable aurait dû être donné. Même un avis manuscrit déposé dans la boîte aux lettres la veille n’a pas été jugé suffisant.
[41] Dans le cas de M. Abenson, qui n’a reçu aucune forme de préavis, l’insistance de l’inspectrice à pénétrer dans sa maison malgré son refus a rendu l’intervention abusive.
[42] La situation s’est empirée lorsque l’inspectrice a menacé d’appeler la police et davantage lorsque la police a effectivement été appelée. Ces actions étaient excessives dans les circonstances. Monsieur Abenson n’était pas violent; il ne demandait qu’un préavis. Logiquement, la menace et l’appel à la police ne pouvaient avoir autre objectif que de faire croire à M. Abenson que s’il persistait dans son refus, la force serait utilisée. Mais, un tel recours à la force aurait été illégal.
[43] La Cour d’appel du Québec a déclaré dans Amzallag[19] que l’usage de la force pour pénétrer dans une maison d’habitation requiert un texte de loi clair qui l’autorise. Des inspecteurs de la Ville de Sainte-Agathe-des-Monts étaient entrés de force dans une maison d’habitation en invoquant un règlement municipal semblable à celui de CDN-NDG. La Cour d’appel a conclu que l’inspection, comme menée, était contraire à l’article
[44] Si, en l’absence d’un danger ou une urgence, les inspecteurs ne sont pas autorisés par la loi à pénétrer de force dans une maison d’habitation, quelle est l’utilité d’appeler la police ? Pourquoi menacer d’appeler la police ? Dans le cas de M. Abenson, les inspecteurs sont allés trop loin. Ils ont surestimé l’étendu des pouvoirs que le règlement leur accordait. Ils ont manqué de jugement.
[45] En résumé, rien dans le contexte particulier n’exigeait une visite surprise et un accès immédiat. La demande de préavis de M. Abenson n’avait rien de déraisonnable. Par contre, l’insistance de l’inspectrice pour un accès immédiat dans la maison et la menace d’appeler la police ainsi que l’appel fait à la police étaient, elles, déraisonnables dans les circonstances.
[46] Je reconnais d’emblée qu’il existe des inspections pour assurer le respect de certaines lois ou certains règlements, où la visite surprise et sans préavis est nécessaire pour assurer l’efficacité de la législation. Mais, celle qui a eu lieu chez M. Abenson n’en était pas une. Du moins, la preuve ne l’a pas démontré.
[47] Certes, les normes applicables aux inspections réglementaires sont plus souples que celles d’une enquête criminelle. Mais, cela ne veut pas dire que tout est permis. Les tribunaux doivent reconnaître l’importance des pouvoirs d’inspection en matière réglementaire et soutenir leur efficacité, mais ils doivent aussi reconnaître et protéger les droits des citoyens de ne pas faire l’objet de fouilles ou de perquisitions abusives.
[48] Il y a donc un équilibre à rechercher entre les besoins de l’État et les droits des individus. Cet équilibre doit considérer l’objet de la règlementation et les faits particuliers de la cause.
[49] Je conclus que l’inspection du 10 février 2021 au domicile de M. Abenson n’a respecté ni la Charte canadienne ni la Charte québécoise parce que la manière dont elle a été effectuée était déraisonnable dans les circonstances. Elle est devenue déraisonnable lorsque l’inspectrice n’a pas respecté la demande d’un préavis et a menacé d’appeler la police. L’appel subséquent à la police a aggravé la situation.
[50] La demande de M. Abenson pour un préavis n’était pas déraisonnable dans les circonstances. Par contre, la menace d’appeler la police et l’appel fait à la police par les inspecteurs étaient, dans les circonstances, déraisonnables. Ajouter à tout cela une contravention qui réclame 1 300 $, cela ressemble à de l’acharnement.
[51] Qualifier le comportement de M. Abenson d’infraction et le condamner me paraîtraient injustes. Je crois que son explication est une défense à l’accusation dans les circonstances très précises de cette affaire.
[52] Par conséquent, j’acquitte M. Abenson de l’accusation.
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| __________________________________ RANDALL RICHMOND, J.C.M. | |
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Me Paule Portugais-Poirier | ||
Procureure pour la poursuivante | ||
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M. David Abenson pour son propre compte | ||
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Dates d’audience : | 30 septembre, 29 octobre 2021, 12 janvier et 18 février 2022 | |
[2] RLRQ, c. C-19.
[3] RLRQ, c. C-12.
[4] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11
(R.-U.)] (ci-après « Charte canadienne »).
[5] Hunter et autres c. Southam Inc.,
[6] R. c. Collins,
[7] R. c. Genest,
[8] R. c. Cornell,
[9] Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Potash; Comité paritaire de l'industrie de la chemise c. Sélection Milton,
[10] Ibid., p. 419.
[11] Au même effet, voir : Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts,
[12] Potash, préc., note 9, p. 420.
[13]
[14] Ibid., par. 34-36.
[15]
[16] R. c. Tessling,
[17] Genest, préc., note 7,
[18] Laferrière c. Montréal (Ville de), 2004 CanLII 6608 (QC CS).
[19] Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts, préc., note 11.
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