Turcotte et CHUS- Hôpital Fleurimont |
2013 QCCLP 1547 |
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[1] Le 8 mai 2012, madame Pierrette Turcotte (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 27 avril 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST confirme sa décision initiale du 6 mars 2012 en déclarant qu’elle n’est pas tenue de cotiser à un régime de retraite.
[3] Le 10 janvier 2013, en présence de la travailleuse et de son procureur, l’audience se tient à Sherbrooke. Les représentants des autres parties sont absents.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de déclarer que la CSST doit payer une partie des cotisations de son régime de retraite.
LA PREUVE
[5] La travailleuse est née en 1944 et est au service du C.H.U.S. (Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke) - Hôpital de Fleurimont (l’employeur) lorsqu’elle est victime de la lésion professionnelle à l’origine du litige. Cet événement se produit le 14 janvier 1986 lorsqu’elle se blesse au dos et au cou en glissant sur un plancher pendant l’exercice de son emploi d’aide en alimentation. À cette époque, elle participe au régime de retraite offert dans l’établissement de l’employeur et administré par la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (la CARRA).
[6] Après l’événement du 14 janvier 1986, la travailleuse ne retournera jamais sur le marché de l’emploi.
[7] En 1994, à la suite de chirurgies à la région cervicale et dorsale, la lésion professionnelle de 1986 est consolidée avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 45,65 % et des limitations fonctionnelles.
[8] Le 25 janvier 1995, la CSST accorde à la travailleuse le droit à la réadaptation en lui indiquant :
Malheureusement, il s’avère que le retour au travail chez votre employeur ne peut être envisagé puisque vous êtes incapable de reprendre votre emploi ou un emploi équivalent en raison de vos limitations fonctionnelles. De plus, aucun emploi convenable disponible n’a pu être identifié.
Nous devons donc maintenant déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. […]
[9] Après avoir été contestée, il est opportun de signaler que cette décision sera confirmée par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[1].
[10] Le 6 décembre 1996, la CSST identifie l’emploi convenable de caissière de billetterie et la travailleuse est jugée capable de l’exercer à compter du 9 décembre 1996. L’emploi retenu n’étant pas disponible, elle continue à recevoir une pleine indemnité de remplacement du revenu durant un an et a droit à une prestation réduite par la suite.
[11] Le 18 avril 2001, la travailleuse est victime d’une première récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle du 14 janvier 1986[2].
[12] L’année suivante, la Régie des rentes du Québec la reconnaît invalide au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec[3].
[13] Le 16 juin 2006, en entérinant un accord[4], la Commission des lésions professionnelles déclare particulièrement la lésion professionnelle de 2001 consolidée depuis le 10 août 2005, hausse le taux de l’atteinte permanente de 18,95 %, identifie de nouvelles limitations fonctionnelles et juge la travailleuse capable d’exercer, à compter du 30 novembre 2005, son emploi convenable de caissière de billetterie à raison d’environ 27 heures par semaine.
[14] En 2009, ayant atteint l’âge de 65 ans, la travailleuse fait le nécessaire pour bénéficier du régime de retraite auquel elle a cotisé durant ses années de service pour l’employeur. Pour augmenter le montant de sa rente de retraite, elle effectue aussi le rachat d’années de service en versant la somme de 3 849,87 $. Selon ce qu’elle dit à l’audience, ce rachat touche les années 1986 à 1990 et représente exclusivement sa part de cotisation. Toute cette démarche lui permet de retirer une rente de retraite annuelle d’environ 3 000,00 $.
[15] La même année, en invoquant l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi), la travailleuse demande à la CSST d’assumer la part de cotisations de l’employeur. Il est utile de préciser dès maintenant que les dispositions pertinentes prévoient :
93. Une personne atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.
Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
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1985, c. 6, a. 93.
116. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235 .
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1985, c. 6, a. 116.
[16] Ayant essuyé un refus de la CSST, la travailleuse s’adresse à la Commission des lésions professionnelles pour obtenir gain de cause.
[17] Le 19 mars 2010, la position de la CSST est confirmée[6]. En rappelant que la travailleuse a été jugée en mesure de continuer à occuper son emploi convenable malgré les séquelles découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 18 avril 2001, la Commission des lésions professionnelles expose :
[49] Partant de cette reconnaissance de la capacité à exercer un emploi rémunérateur à compter du 30 novembre 2005, le tribunal constate que la CSST était justifiée de ne pas appliquer l’article 116 puisque la travailleuse ne peut être atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la loi tout en étant capable de détenir une occupation rémunératrice comme il a été décidé le 16 juin 2006.
[18] Le 2 juin 2010, la travailleuse est victime d’une seconde récidive, rechute ou aggravation[7] qui entraîne une augmentation substantielle de son atteinte permanente et de ses limitations fonctionnelles. Compte tenu de la sévérité de celles-ci, la CSST conclut que la travailleuse est devenue inemployable.
[19] Le 14 juillet 2011, la CSST signifie à la travailleuse :
Comme il est actuellement impossible de déterminer un emploi que vous seriez capable d’exercer à temps plein, nous continuerons à vous verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que vous ayez 68 ans.
Cependant, comme vous avez 67 ans, votre indemnité est versée à 25 %, tel que la loi le prévoit.
[20] Le 10 novembre 2011, la travailleuse demande à nouveau à la CSST « de statuer sur l’application des articles 93 et 116 » de la loi.
[21] Le 6 mars 2012, la CSST juge l’article 116 inapplicable puisqu’au moment de la récidive, rechute ou aggravation du 2 juin 2010, la travailleuse « était âgée de 66 ans et elle était sans emploi ». Insatisfaite, cette dernière conteste.
[22] Le 27 avril 2012, après une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale du 6 mars précédent, d’où le dépôt de la requête qui nous occupe.
L’AVIS DES MEMBRES
[23] Parce qu’elle n’était plus à l’emploi de l’employeur lorsqu’elle a subi la lésion professionnelle qui l’a rendue inemployable, les membres issus des associations syndicales et d’employeurs considèrent que la travailleuse ne peut bénéficier de la mesure qu’elle recherche.
[24] Pour ces raisons, ils jugent la décision en litige correcte.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] En vertu de l’article 116 de la loi, il s’agit de décider si la CSST est tenue de payer une cotisation au régime de retraite de la travailleuse.
[26] Pour commencer, il importe d’observer que la situation de la travailleuse a changé depuis la décision[8] du 19 mars 2010 de la Commission des lésions professionnelles. À cette époque, elle était toujours capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en raison de son aptitude à exercer son emploi convenable. Par contre, à cause des limitations fonctionnelles associées à la récidive, rechute ou aggravation du 2 juin 2010, la CSST a jugé qu’elle était devenue inemployable. Selon la jurisprudence, ce constat permet habituellement de conclure à une invalidité au sens de l’article 93 de la loi[9].
[27] Malgré cet élément, la Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse n’a pas droit à la mesure qu’elle revendique. Pour conclure en ce sens, il est nécessaire de rappeler que l’article 116 prévoit :
116. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235 .
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1985, c. 6, a. 116.
[28] Suivant le libellé de cette disposition, pour avoir « droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion », il est nécessaire que cette même lésion fasse en sorte que le travailleur soit atteint d’une invalidité visée à l’article 93 de la loi. C’est seulement « dans ce cas » que la CSST peut être appelée à payer la cotisation d’un employeur. Tel que précisé dans l’affaire Demers et Centres Jeunesse de Montréal[10] :
[17] L’article 116 de la loi prévoit qu’un travailleur qui subit une lésion professionnelle entraînant une invalidité grave et prolongée a le droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion. Pour avoir le droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion, le travailleur doit démontrer avoir été victime d’une lésion professionnelle et démontrer que celle-ci a entraîné une invalidité au sens de l’article 93 de la loi.
[notre soulignement]
[29] Or, lorsque la travailleuse a subi la lésion professionnelle qui l’a rendue invalide au sens de l’article 93, elle ne travaillait plus pour l’employeur depuis plusieurs années.
[30] Une fois la lésion professionnelle initiale du 14 janvier 1986 consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, la CSST a accordé le droit à la réadaptation. Au cours du processus, plus spécifiquement le 25 janvier 1995, elle a signifié à la travailleuse :
Malheureusement, il s’avère que le retour au travail chez votre employeur ne peut être envisagé puisque vous êtes incapable de reprendre votre emploi ou un emploi équivalent en raison de vos limitations fonctionnelles. De plus, aucun emploi convenable disponible n’a pu être identifié.
Nous devons donc maintenant déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. […]
[notre soulignement]
[31] Le 6 décembre 1996, la CSST a alors identifié l’emploi convenable de caissière de billetterie.
[32] Bref, quand la travailleuse fut victime de la récidive, rechute ou aggravation du 2 juin 2010 qui l’a rendue inemployable et par ricochet invalide au sens de l’article 93, il y a bien longtemps qu’elle avait cessé de participer au régime de retraite offert dans l'établissement où elle travaillait avant de subir sa première lésion professionnelle du 14 janvier 1986.
[33] Dans ces circonstances, l’article 116 ne s’applique pas et le fait que la travailleuse a eu le loisir de procéder au rachat de quelques années de service en 2009 n’y change rien.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Pierrette Turcotte;
CONFIRME la décision rendue le 27 avril 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’est pas tenue de verser une quelconque cotisation au régime de retraite de la travailleuse.
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François Ranger |
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Me François Fisette |
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Gérin, Leblanc & Associés |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Isabelle Vachon |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Turcotte et C.H.U.S., C.A.L.P. 66237-05-9501, 20 février 1997, B. Roy.
[2] Turcotte et C.H.U.S. - Hôpital Fleurimont, C.L.P. 231733-05-0404, 18 octobre 2004, L. Boudreault.
[3] L.R.Q., c. R-9.
[4] Turcotte et C.H.U.S. - Hôpital Fleurimont, C.L.P. 280775-05-0601, 16 juin 2006, F. Ranger.
[5] L.R.Q., c. A-3.001.
[6] Turcotte et C.H.U.S. - Hôpital Fleurimont, C.L.P. 387619-05-0908, 19 mars 2010, M.-C. Gagnon.
[7] Turcotte et C.H.U.S. - Hôpital Fleurimont, C.L.P. 418960-05-1009, 10 janvier 2011, M. Allard.
[8] Turcotte et C.H.U.S. - Hôpital Fleurimont, précitée, note 6.
[9] Guilbault et CH - CLSC - CHSLD des Forestiers, C.L.P. 225409-07-0401, 20 mai 2004, S. Lemire; Barber et Peintre & Décorateur HW inc. et CSST-Montréal-1, C.L.P. 254505-72-0502, 21 avril 2006, S. Arcand; Roberge et Marché Lafrance inc. et CSST, C.L.P. 244533-05-0409, 28 juin 2007, L. Boudreault; Demers et Centres Jeunesse de Montréal, C.L.P. 305083-61-0612, 12 septembre 2007, S. Di Pasquale; Dumont et Cégep Lévis-Lauzon et CSST-Chaudière-Appalaches, C.L.P. 329479-03B-0710, 31 mars 2009, R. Savard.
[10] Précitée, note 9.
AVIS :
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