Décision

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Décision

Ignelzi c. Girard

2019 QCRDL 13592

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

439677 31 20190124 G

No demande :

2676923

 

 

Date :

23 avril 2019

Régisseure :

Lise Gélinas, juge administrative

 

Dario Ignelzi

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Guylaine Girard

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande l'autorisation de reprendre le logement afin d'y loger son oncle âgé de 84 ans, et ce, à compter du 1er juillet 2019. L’âge du bénéficiaire n’a pas été contesté.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 670 $ par mois.

[3]      La preuve démontre que le locateur a acquis l’immeuble au mois d’août 2018. Il est copropriétaire indivis avec sa conjointe. Il est admis lors de l’audience que l’avis de reprise, le refus et le dépôt de la demande respectent les délais prescrits par la loi.

[4]      Le logement concerné est un 5 ½, au deuxième étage d’un duplex. La locataire y habite depuis plus de 20 ans. Elle habite avec son fils de 27 ans.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]      Le locateur peut-il reprendre le logement pour y loger son oncle dont il est le principal soutien?

[6]      Dans l’affirmative, le locateur rencontre-t-il son fardeau de preuve?

[7]      Quelle est l’indemnité à accorder à un locataire lors d’une reprise autorisée par le Tribunal?

ANALYSE ET DISCUSSION

[8]      L’article 1957 du Code civil du Québec stipule :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »


[9]      Le locateur est le seul membre vivant au Canada de la famille du bénéficiaire de la reprise, son oncle. Il n’a plus de frères, sœurs ou enfants. Le seul membre restant de sa famille ici est son neveu, le locateur, qui d’ailleurs porte le même nom que lui. Il est le fils de son frère.

[10]   Le locateur témoigne être le principal soutien de son oncle. Il est en fait le soutien psychologique, social et familial de son oncle. Il lui rend des services, le visite au moins deux fois par semaine, fait ses commissions à l’occasion, etc. Il témoigne aussi que « sa culture italienne » incite à l’entraide familiale. Il est donc le seul, ici au Canada, à pouvoir s’occuper de son oncle âgé de 84 ans qui ne peut compter que sur lui aujourd’hui.

[11]   Le Tribunal constate d’ailleurs du témoignage de l’oncle que cette solution est une avenue naturelle. Le degré de confiance et proximité avec son neveu est tel qu’il lui a donné une procuration générale lui permettant d’agir en tout temps, l’a nommé mandataire de son mandat de protection et nommé liquidateur de sa succession. Malgré ses 84 ans, l’oncle désire être le plus longtemps possible autonome et surtout, près de son neveu, son seul et principal soutien psychologique, social et familial.

[12]   La preuve ne démontre pas que le locateur est le principal soutien financier du bénéficiaire de la reprise et qu’il est un ascendant au premier degré. Si on adopte une interprétation restrictive dans la présente affaire de « principal soutien », le bénéficiaire désigné pour la reprise du logement ne répond pas aux conditions prévues à l'article 1957 du Code civil du Québec et le droit à la reprise devrait être écarté. Toutefois, la jurisprudence a élargi la notion de « principal soutien. »

[13]   Dans la cause Soon c. Benjamin[1], le juge administratif Jean-Claude Pothier conclut :

« En effet, le soutien financier n'est qu'une partie du soutien qu'un parent peut apporter à un autre. Le Petit Robert au mot soutien donne comme synonymes : "Aide, appui, protection, secours". La langue d'usage ne limite pas le mot « soutien » au soutien financier; l'article 1659 du Code civil non plus. »

[14]   Le Tribunal constate dans la présente affaire, que le locateur est le soutien, à la fois moral, psychologique, familial et social de son oncle.

[15]   De plus, le juge administratif Gérald Bernard, dans C. J. c. S. L. interprète le terme « principal soutien » de la façon suivante :

« La Régie interprète sans hésitation l'expression "principal soutien " utilisée par le législateur comme ayant une connotation très large; c'est une expression à nombreuses acceptions. D'ailleurs, le législateur ne restreint pas la signification de ce mot et ne le qualifie pas non plus. Il faut donner à ce terme le sens commun, large et général qui est sien.

Ainsi, la Régie interprète les mots "principal soutien " comme signifiant aussi aide, assistance morale ou psychologique. S.J. trouve chez son frère dévouement, encouragement, conseil et secours. En résumé, il recherche de son frère et trouve chez lui tout le secours dont il a besoin pour se sortir du carcan de la drogue en plus. Il bénéficie d'une sécurité psychologique et d'un appoint financier, si minime soit-il. »[2]

[16]   Le Tribunal est d’opinion que le sens à donner au mot « soutien » et à l'expression « principal soutien » doit être large et général, notamment dans le cas présent où le bénéficiaire de la reprise est âgé et dépend de son seul réseau familial, socialement et psychologiquement du locateur.

[17]   En vertu de l'article 1963 C.c.Q., le locateur doit démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.  

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[18]   Tel que l'écrivait le juge administratif Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[3] en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part, le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger le droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.  

[19]   Dans la décision Hajjali c. Tisiki[4] le juge Dortélus de la Cour du Québec analyse certaines décisions qui déterminent le fardeau de preuve applicable en matière de reprise. Il mentionne ce qui suit :  

« Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »  

[20]   Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[5], le Tribunal s'exprimait de la façon suivante :  

« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »  

[21]   En l'instance, le locateur a-t-il satisfait à son fardeau de preuve?

[22]   Le Tribunal juge sincères et crédibles les propos du locateur et croit que cette reprise exercée par le locateur a pour objectif d’y loger son oncle près de lui afin de subvenir à ses besoins au niveau moral, psychologique et familial et non pas dans un but d'évincer la locataire ou d’un prétexte pour atteindre d’autres fins.

[23]   Il appert également de la preuve que la relation entre le locateur et l’oncle est soutenue, réelle, non temporaire et qu’elle constitue pour le Tribunal un « principal soutien » du bénéficiaire de la reprise.

[24]   Le Tribunal autorisera la reprise.

[25]   Lorsque le Tribunal autorise une reprise de logement, il doit tenir compte de l’article 1967 C.c.Q. qui mentionne :

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[26]   Dans l'affaire Boulay c. Tremblay[6], la Cour du Québec précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement, de la façon suivante :

« Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive. 

Il ressort de la lecture des articles 1660.4, 1659.8 et 1659.7 que les conditions justes et raisonnables et l'indemnité que doit fixer le Tribunal doivent se limiter aux dépenses et inconvénients ayant trait directement à la reprise de possession, au départ du locataire et à son aménagement et son déménagement dans un autre logement ». 

[27]   Dans les circonstances, le Tribunal croit qu'un montant de 1 800 $ constitue une indemnité raisonnable pour couvrir les frais de déménagement pour le transport des biens garnissant le logement de la locataire et les frais de branchement aux services publics et les frais de suivis postaux.

[28]   En terminant, il convient par ailleurs de souligner que l'article 1968 C.c.Q. permet d'accorder des dommages-intérêts et même des dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi.

[29]   De plus, l'article 1970 C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une reprise ne peut, sans l'autorisation de la Régie, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]   AUTORISE le locateur à reprendre possession du logement de la locataire pour y loger son oncle, Dario Ignelzi, à compter du 1er juillet 2019;

[31]   ORDONNE à la locataire et tous les occupants de quitter les lieux à l'expiration du bail, soit au plus tard le 30 juin 2019 à minuit;

[32]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 1 800 $ à titre d'indemnité de départ. La locataire pourra opérer compensation pour les loyers à venir et s'il reste un solde à la journée où la locataire quitte, le locateur devra lui payer ce solde à cette date et, à défaut, la locataire aura droit de recevoir des intérêts légaux et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du jour où cette somme est due;

[33]   Le locateur assume les frais de la demande. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lise Gélinas

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Me Suzanne Guévremont, avocate de la locataire

Date de l’audience :  

12 avril 2019

 

 

 


 



[1] Soon c. Benjamin, [1981] D.R.L. 13 (R.L.).

[3] Dagostino c. Sabourin, R.D.L., 31-991119-037G, 26 janvier 2000, SOQUIJ AZ-50736447.

[4] Hajjali c. Tsikis [2008] QCCQ 16 (C.Q).

[5] Simard-Godin c. Gibeault, J.L. 87-82 (R.L.) p.40.

[6] Boulay c. Tremblay, [1994] J.L. 132, C.Q.

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