Décision

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Système intérieur GPBR inc. c. Agence du revenu du Québec

2013 QCCQ 12689

COUR DU QUÉBEC

«  Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

LOCALITÉ DE

LAVAL

« Chambre Civile »

N° :

540-80-003438-105

 

 

 

DATE :

15 octobre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

SYSTÈME INTÉRIEUR GPBR INC.

Partie appelante

c.

L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Système d'Intérieur GPBR inc. (« GPBR ») se pourvoit à l'encontre du refus de l'Agence du revenu du Québec (« Revenu Québec ») de lui reconnaître des remboursements de taxes sur intrants (« RTI ») par l'émission de la cotisation numéro 9190141 du 20 novembre 2008 au montant de 79 133,17 $.

[2]           Revenu Québec plaide que GPBR n'a pas droit aux RTI demandés parce qu'elle a fait affaires avec des compagnies émettrices de « factures de complaisance » et qu'elle ne satisfait pas aux exigences légales pour l'obtention de ces RTI.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]           Les questions principales soulevées par le présent litige fiscal sont les suivantes:

a)    Quelles sont les exigences légales auxquelles une entreprise comme l'appelante GPBR devait se conformer pour avoir droit au remboursement de taxes sur intrants (« RTI »)?  GPBR s'y est-elle conformée?

b)    Quelles sont les conséquences pour l'appelante GPBR d'avoir fait affaires avec des entreprises qui lui ont « fourni des factures de complaisance » (« FFC ») en regard de ses demandes de RTI ?

LES FAITS

[4]           GPBR est une compagnie familiale incorporée en 2003 qui se spécialise dans l'installation de systèmes d'intérieur: pose de gypse et tirage de joints.

[5]           À compter de l'automne 2003, elle sous-traite habituellement la pose de gypse et effectue elle-même le tirage de joints.  Il arrive également qu'elle sous-traite le tirage de joints en période de plus grande activité.

[6]           Ses actionnaires et employés sont monsieur Gilles Picotte, (plâtrier/tireur de joints - compagnon) et son beau-fils, monsieur Robert Marineau, (tireur de joints-apprenti 2e année).  Y travaille en plus à temps partiel André Marineau (tireur de joints-apprenti 1ère année), beau-fils de monsieur Picotte et frère de Robert, qui étudie aussi en comptabilité et travaille à temps partiel pour la Banque Nationale.

[7]           En plus du tirage de joints, monsieur Picotte s'occupe aussi de la réception et de la livraison du matériel nécessaire aux travaux sur les chantiers: ciment à joints, coins de fer, rubans à joints, vis, etc.

[8]           Pour sa part, en plus du tirage de joints, Robert Marineau s'occupe de l'administration de GPBR: soumissions, contacts avec les clients, engagements des sous-traitants, commandes de matériel, gestion administrative, facturation, paiement des factures, etc.

[9]           GPBR opère jusqu'en 2007, au moment où elle est saisie par Revenu Québec.  Celui-ci la soupçonne d'être impliquée dans un stratagème de facturation de complaisance avec des compagnies oeuvrant dans le domaine de l'installation de systèmes d'intérieur.  Plusieurs de ces compagnies ont été confirmées comme étant des fournisseurs de factures de complaisance (« FFC ») par Revenu Québec suite à des vérifications fiscales.

[10]        GPBR est elle-même vérifiée en 2008 par Monsieur Richard Houde, vérificateur à Revenu Québec.

[11]        Dans le cadre de sa vérification, monsieur Houde rencontre les dirigeants de GPBR, des clients, des sous-traitants et collige des informations sur ses activités auprès de différentes instances: données fiscales de Revenu Québec sur GPBR et ses actionnaires, rapports de la Commission de la construction du Québec (« CCQ »), etc.

[12]        À l'issue de sa vérification, monsieur Houde émet un rapport le 5 novembre 2008 dans lequel il conclut ce qui suit [1]:

« Système Intérieur GPBR Inc a fait affaires avec des sous-traitants problématiques pour une très grande partie de sa main d'œuvre. 75 % dans l'année financière terminée le 2005-06-30 et plus de 60 % de ses fournisseurs de services de pose et tirage de joints sont des fournisseurs de factures de complaisance pour la durée de la période de vérification. Une même personne peut apporter des factures de plus de 7 entreprises différentes. Ceci fait en sorte que les actionnaires de Système Intérieur GPBR Inc ont agit avec aveuglement volontaire. Une personne avisée se serait posé des questions face à une telle situation. Selon les clients de GPBR, la pose est souvent faite par les sous traitants. Le tirage de joints est très majoritairement fait par M. Picotte et M. Marineau. Certains sous traitants ont facturé du tirage de joints sur des projets alors que les clients nous ont informés que les joints avaient été tirés par M. Picotte et M. Marineau. L'analyse de l'équivalent en heures de la facturation vs l'équivalent en heures sur les achats nous démontre que M. Picotte et M. Marineau auraient pu faire plus d'heures sur les projets. Pourquoi engager des sous traitants alors qu'ils auraient pu réaliser les travaux eux-mêmes. Nous avons pu déceler de la facturation pour la pose de gyproc par deux fournisseurs différents pour le projet situé au 676 Cortina, Laval. L'entreprise Cie Gypse.com ont facturé beaucoup de tirage de joints à GPBR alors que les clients de GPBR qui ont réalisé ces projets affirment que les joints étaient toujours tirés par M. Picotte et M. Marineau.

Un fournisseur est totalement inexistant dans les banques du ministère ainsi qu'à la CCQ ou au RBQ.  Il s'agit de Les Constructions Dagenais 2000. M. Picotte et M. Marineau nous avaient affirmé, lors de notre rencontre, qu'ils s'assuraient que les numéros de taxes et de CCQ étaient valides sur les factures ce qui n'est pas le cas avec Les Constructions Dagenais 2000.

II est à noter que le délai le plus long entre la date d'émission d'une facture et la date d'émission du chèque émis est de 17 jours pour les fournisseurs considérés comme des FFC alors qu'il est de 31 jours pour les autres. (Voir onglet «Achats 2007O630»).

On peut se demander pourquoi autant de sous traitants ont été engagés alors que M. André Marineau ne travaillait que 2 jours en moyenne par semaine.

La facture no. 1192 du 06-08-01 concerne la pose de gypse au […] par Métalix qui est considéré comme un FFC alors que la facture no. 218 de Construction Bruno Lafond Inc, qui lui n'est pas considéré comme un fournisseur de factures de complaisance, concerne le même projet. Voir 6.3-19 ci-haut.

De plus quelques chèques ont été émis au nom d'un centre d'encaissement directement plutôt qu'au nom de l'entreprise qui a effectué la facturation. Cette situation s'est présentée avec l'entreprise Cie Gypse.com dont les chèques no. 0342 du 05-10-21, 401 du 2004-12-09, 365 du 04-11-11, 342 du 04-10-21 ont été libellés au nom de Crédit Fonds Lanaudière Inc qui est le nom d'un centre d'encaissement.

Les particularités des fournisseurs considérés comme étant des factures de complaisances sont les suivantes :

- Déclarations taxes, impôts ou ras généralement non produites,

- Vérification qui a pu déterminer que le fournisseur était considéré comme étant un fournisseur de factures de complaisances.

- Chèques généralement encaissés dans un centre d'encaissement.

- Fournisseur non déclaré à la CCQ lors des demandes de lettres d'état de situation.

Tous les CTI cotisés 37140.41$ et RTI 42634.99$ le sont en vertu de l'article LTA 169(4) et TVQ 201. »

(reproduit intégralement)

[13]        Lorsque GPBR demande le remboursement des taxes sur intrants (« RTI ») en litige, Revenu Québec refuse.

[14]        Le 20 novembre 2008, Revenu Québec émet la cotisation numéro 9190141 au montant de 79 133 $ ventilée comme suit [2]:

- droits exigibles:                                          43 503 $

- pénalités:                                                     20 796 $

- intérêts:                                                        14 883 $

[15]        Cette cotisation couvre la période du 1er octobre 2003 au 30 juin 2007.

[16]        Le 12 janvier 2009, GPBR fait opposition à cette cotisation [3].  En substance, GPBR nie avoir participé à un stratagème de facturations de complaisance et prétend avoir toujours agi en toute légalité et de manière prudente et avisée.  De même, les factures produites sont conformes aux exigences de la Loi [4].  En conclusion, elle a droit aux RTI demandés.

[17]        Par sa décision du 13 mai 2010, Revenu Québec maintient intégralement sa cotisation [5].

[18]        Le 9 septembre 2010, après permission, GPBR interjette appel de cette cotisation.  L'affaire vient en audition pour une durée de cinq jours dans la semaine du 23 septembre 2013.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

            A)        Système intérieur GPBR inc.

[19]        GPBR soutient qu'elle a toujours agi dans le cours normal des affaires.  Tous les ouvriers avec qui elle a fait affaires en sous-traitance ont réellement fourni tous les services demandés.  Ces services lui ont été facturés et elle les a dûment payés.

[20]        À la lumière de vérifications effectuées par Revenu Québec, il appert que plusieurs compagnies qui l'ont facturée étaient des fournisseurs de factures de complaisance (« FFC »).  Elle plaide que cela était à son insu, qu'elle n'a jamais bénéficié de quelque avantage illégal que ce soit en traitant avec ces compagnies et que les travaux qui lui étaient facturés ont été réellement exécutés.

[21]        Pour GPBR, les compagnies en question doivent être considérées comme des «intermédiaires» des travailleurs qui étaient les « fournisseurs de services » au sens de la LTVQ et de son Règlement d’application (201R4a.).  Il n'est pas nécessaire que la compagnie qui facture les travaux soit celle qui effectue les travaux.  Ils peuvent être exécutés par quelqu'un d'autre, comme cela a été le cas à maintes occasions dans la présente affaire.

[22]        En bref, les fournitures taxables sont réelles, elle a dûment payé les taxes sur ces fournitures, elle a rempli les exigences légales pour avoir droit à ses RTI (article 201 LTVQ et 201R) et, en conséquence, la cotisation doit être annulée, à l'exception de certains cas qui font l'objet d'admissions: les factures de Les Constructions Dagenais 2000 inc. (compagnie non inscrite), celles de Les Constructions GSB inc. (factures 0099 à 0113 seulement) (numéro de TVQ erroné), la facture 1173 de Gestion Simon Duclos inc. (pièce D-19) (description des travaux non conforme) et un montant de 791,02 $ en taxes de vente dues par GPBR.

[23]        Enfin, elle plaide qu'une portion de la cotisation est prescrite (du 1er octobre 2003 au 20 septembre 2004).

B)        Revenu Québec

[24]        Pour Revenu Québec, le sous-traitant qui facture des travaux doit être celui qui exécute les travaux.  Il ne peut lui-même sous-traiter l'exécution à des tiers ou facturer pour des travailleurs, comme cela a été le cas pour 21 des 33 compagnies avec lesquelles GPBR a fait affaires de 2003 à 2007 et qui se sont révélés être des « fournisseurs de factures de complaisance » («FFC» ou «accommodateurs»; GPBR était l'«accommodée»).

[25]        De plus, GPBR a été négligente en traitant avec de telles compagnies sans faire au préalable les vérifications appropriées sur leur véritable statut: consulter le Registre des entreprises du Québec (« REQ »), obtenir des états de situation de la Commission de la construction du Québec (« CCQ »), vérifier la validité des numéros de taxes TPS/TVQ et le numéro de la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ »), vérifier si elles ont une existence réelle en communiquant avec leurs dirigeants, examiner les factures pour détecter celles qui pourraient être des fausses factures, relever les chèques de paiements déposés dans des centres d'encaissements, etc.

[26]        Ainsi, Revenu Québec a accepté les demandes de RTI de GPBR pour les factures qui émanaient d'entreprises qui n'ont pas été identifiées comme des FFC et refusé celles d'entreprises considérées comme FFC, ces factures étant qualifiées de «fausses» et de factures d'«accommodation» (par. 22 de la défense amendée).

[27]        De même, plusieurs factures en litige ne satisfont pas aux exigences prévues à la Loi (articles 201 LTVQ et 201R) pour avoir droit à des RTI.

[28]        Enfin, la prescription invoquée ne s'applique pas vu les fausses représentations des faits par GPBR (article 25.1 de la Loi sur l'administration fiscale).

LE FARDEAU DE LA PREUVE

[29]        En vertu de l'article 1014 de la Loi sur les impôts (L.I.) [6], les cotisations ainsi émises par Revenu Québec sont présumées valides, jusqu'à preuve du contraire.  Cet article se lit comme suit:

1014. Sous réserve des modifications ou de l'annulation résultant d'une opposition, d'un appel ou d'un appel sommaire et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée valide et tenante nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission qui s'y trouve ou qui se trouve dans toute procédure s'y rattachant.

(soulignements ajoutés)

 

[30]        Cette présomption s'applique en matière de taxes de vente [7].

[31]        Quel est le fardeau de preuve que le contribuable doit assumer lorsqu'il conteste une cotisation qui bénéficie de cette présomption de validité?

[32]        Il convient de rappeler à ce sujet les propos de la Cour d'appel tel qu'énoncés dans l'arrêt St-Georges [8]:

[8] « L'article 1014 L.I. établit la présomption de validité des cotisations fiscales.

[9] Dans 9027-5967 Québec inc. (Sous-Ministre du Revenu), J.E. 2007-223 (C.A.), la Cour rappelle les conséquences de cette présomption sur le fardeau de la preuve, aux paragr. 13 et 14 :

[13]      Dans l'arrêt Durand c. Québec (sous-ministre du Revenu), la Cour a réitéré les règles relatives à la présomption de validité de la cotisation fiscale et des fardeaux de preuve qui en découlent.  Reprenant les principes énoncés par la Cour suprême dans Hickman Motors Ltd. c. Canada, la Cour dit :

La cotisation fiscale jouit d'une présomption de validité (art. 1014 Loi sur les impôts), qui peut être repoussée par le contribuable.

Le fardeau initial du contribuable consiste à « démolir » l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie.

Lorsque le contribuable présente une telle preuve, il y a renversement du fardeau de la preuve.

Le fisc doit alors réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption.

[14]      Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu'à preuve du contraire.  Dans Stewart c. M.R.N., le juge Cain mentionne qu'«une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé ».

[10] Dans Capobianco c. Québec (Sous-ministre du Revenu), J.E. 2007-1837 aux paragr. 12 à 14 (C.A.), la Cour précise que le contribuable n'a pas à établir le montant exact de son revenu imposable.   Cet enseignement met définitivement fin au flottement entourant la question du fardeau de preuve du contribuable qui s'oppose à l'avis de cotisation parce que le montant de son revenu imposable établi par le ministère du Revenu serait inexact.  Le contribuable doit seulement démolir l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie de son inexactitude.

[11] La preuve du contribuable doit toutefois comporter un certain degré de précision et de probabilité en sa faveur par opposition à des allégations vagues et ambiguës.  Règle générale, la simple affirmation du contribuable ne suffit pas; elle aura avantage à être soutenue par une preuve documentaire ou circonstancielle.

[12] La thèse voulant qu'une simple négation de la part du contribuable puisse contrer la présomption de validité de l'article 1014 L.I. reviendrait à priver cet article de tout son sens.

[13] Dans Hickman Motors Ltd. V. R., [1997] 2 R.C.S. 336, la preuve se limitait à un témoignage, mais il s'agissait, selon madame la juge l'Heureux-Dubé, d'un témoignage clair, non ébranlé en contre-interrogatoire et offert par un témoin dont la crédibilité n'avait pas été mise en doute, alors qu'aucune preuve contraire n'avait été présentée par le fisc (paragr. 91)….»

(soulignements ajoutés)

[33]        Ce dernier extrait du jugement de Madame la juge l'Heureux-Dubé dans l'arrêt Hickman Motors a récemment été repris avec approbation par monsieur le juge Nadon pour la Cour d'appel fédérale dans l'affaire House c. R [9]:

[57] « À mon avis, le juge en chef adjoint a commis deux erreurs de droit. Premièrement, il a confondu la charge initiale qui incombait à l'appelant de « démolir » les hypothèses du ministre avec le fardeau général qui incombait aux parties de présenter leur preuve respective. Deuxièmement, il a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de M. Cole. S'il avait tenu compte du témoignage de M. Cole, comme il aurait dû le faire, il aurait nécessairement conclu, à mon avis, que l’appelant avait présenté une preuve prima facie « démolissant » les hypothèses du ministre. Dans l'arrêt Amiante Spec Inc. c. Canada, 2009 CAF 239, 2009 ACF n603 (QL), la Cour a expliqué comme suit, au paragraphe 23, ce qu'était une preuve prima facie :

[23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

[64] Je passe maintenant à la deuxième erreur du juge en chef adjoint. À mon avis, celui-ci a commis une erreur de droit en faisant abstraction du témoignage de M. Cole. Cette erreur repose sur l’idée erronée que le témoignage de M. Cole ne pouvait pas, sans l'appui de documents-source, aider l'appelant à établir le bien-fondé de sa demande.

[65] Le juge en chef adjoint mentionne très brièvement le témoignage de M. Cole à la page 116 de la transcription 2 (dossier d'appel, vol. 2, p. 391). Dans cette partie de ses motifs, que j'ai déjà reproduite au paragraphe 25 des présents motifs, il explique simplement que M. Cole, en qualité de comptable agréé, [traduction] « […] aurait dû [...] savoir mieux que quiconque » que les documents-source auraient dû être produits, ajoutant qu’[traduction] « […] il est possible qu’une erreur d'écritures ait été commise, mais cela n’est pas suffisant pour conclure, sans autre preuve permettant de réfuter les hypothèses, que l'appelant a reçu l'argent en 2003 ».

[66] Voilà comment le juge en chef adjoint a analysé le témoignage de M. Cole. À mon avis, il est manifeste qu’il n’a aucunement tenu compte de ce témoignage parce qu’il estimait que des documents-source auraient dû être produits. Cette idée est, selon moi, erronée. Comme je l'ai dit au paragraphe 57 des présents motifs, la juge L’Heureux-Dubé, a clairement indiqué au paragraphe 87 de l'arrêt Hickman, qu'un témoignage crédible n'a besoin d’aucun document d'appui pour établir un point.

[70] En résumé, je suis convaincu que le témoignage de M. Cole était suffisant pour « démolir » les hypothèses du ministre et que si le juge en chef adjoint en avait tenu compte, il aurait conclu que l'appelant avait présenté une preuve prima facie qui « démolissait » les hypothèses du ministre.

(soulignements ajoutés)

[34]        Ainsi, un témoignage crédible du contribuable peut parfois suffire à combattre l'exactitude de la présomption avec succès.

[35]        Par ailleurs, si une cotisation est en totalité ou en partie prescrite et que c'est en raison de fausses représentations des faits par incurie ou omission volontaire ou fraude [10] que Revenu Québec a cotisé, celui-ci doit prouver ces éléments pour passer outre à la prescription acquise.

[36]        Ce sont là les principales règles à suivre en matière de fardeau de preuve.

 

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

A) Quelles sont les exigences légales applicables aux remboursements de taxes sur intrants (RTI)?

[37]        Les parties ne s'entendent pas sur les exigences légales applicables.

[38]        C'est l'article 199 de la LTVQ qui contient la réglementation générale en matière de RTI:

199. Le montant déterminé selon la formule suivante correspond à un remboursement de la taxe sur les intrants d'une personne à l'égard d'un bien ou d'un service dont elle reçoit la fourniture, ou qu'elle apporte au Québec, pour une période de déclaration de la personne durant laquelle elle est un inscrit et durant laquelle la taxe à l'égard de la fourniture ou de l'apport devient payable par la personne ou est payée par celle-ci sans qu'elle soit devenue payable:

A × B.

Pour l'application de cette formule:

1° la lettre A représente la taxe à l'égard de la fourniture ou de l'apport qui devient payable par la personne durant la période de déclaration ou qu'elle a payée durant la période sans qu'elle soit devenue payable;

2° la lettre B représente le pourcentage qui correspond:

a)  dans le cas où, en vertu de l'article 252, la taxe est réputée avoir été payée à l'égard du bien le dernier jour d'une année d'imposition de la personne, à la mesure dans laquelle la personne a utilisé le bien dans le cadre de ses activités commerciales pendant cette année d'imposition par rapport à l'utilisation totale du bien dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises durant cette année d'imposition;

b)  dans le cas où le bien ou le service est acquis ou apporté par la personne pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une de ses immobilisations, à la mesure dans laquelle la personne utilisait son immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après qu'elle l'a acquis ou apporté, la dernière fois, en tout ou en partie;

c)  dans tout autre cas, à la mesure dans laquelle la personne acquiert ou apporte le bien ou le service pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

Malgré le premier alinéa, le remboursement de la taxe sur les intrants d'une personne à l'égard d'un véhicule automobile dont elle reçoit la fourniture par vente au détail correspond au montant déterminé en application de l'article 199.0.1.

(soulignements ajoutés)

[39]        L'article 201 LTVQ prescrit les exigences documentaires pour obtenir un remboursement de taxes sur intrants (« RTI »):

201. Un inscrit ne peut demander le remboursement de la taxe sur les intrants pour une période de déclaration, à moins qu'avant de produire la déclaration dans laquelle le remboursement est demandé:

1° il obtienne une preuve suffisante dans une forme contenant les renseignements permettant de déterminer le montant de ce remboursement, y compris tout renseignement prescrit;

2° dans le cas où le remboursement de la taxe sur les intrants est relatif à un bien ou à un service qui lui est fourni dans des circonstances telles qu'il est tenu de faire rapport de la taxe payable à l'égard de la fourniture dans une déclaration produite au ministre en vertu du présent titre, il fasse ainsi rapport de cette taxe dans une déclaration ainsi produite.

De plus, dans le cas où le remboursement de la taxe sur les intrants est relatif à un véhicule automobile dont l'inscrit a reçu la fourniture par vente au détail, il doit obtenir un document délivré par la personne tenue de percevoir la taxe payable à l'égard de cette fourniture attestant que cette taxe a été payée par l'inscrit.

(soulignements ajoutés)

[40]        Ces renseignements prescrits sont précisés dans les articles 201R1 à 201R5 du Règlement.  Ainsi, l'article 201R2 déclare ce qui suit:

201R2. Pour l'application de l'article 201 de la Loi, les articles 201R3 à 201R5 énumèrent les renseignements qui constituent les renseignements prescrits.

(soulignements ajoutés)

[41]        Lorsque les fournitures sont de 150 $ ou plus, ce qui est le cas de la totalité des factures en cause, ces renseignements sont les suivants:

201R5. Dans le cas où le montant total payé ou payable qui est indiqué sur la pièce justificative à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus, les renseignements prescrits sont les suivants:

les renseignements requis à l'article 201R4;

2° soit le nom de l'acquéreur ou celui sous lequel il fait affaires, soit le nom de son mandataire autorisé ou de son représentant autorisé;

3° les modalités de paiement;

4° une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

(soulignements ajoutés)

 

[42]        Les « renseignements requis à l'article 201R4 » sont les suivants:

201R4. Dans le cas où le montant total payé ou payable qui est indiqué sur la pièce justificative à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $, les renseignements prescrits sont les suivants:

le nom du fournisseur ou de l'intermédiaire à l'égard de la fourniture ou celui sous lequel il fait affaires et le numéro d'inscription attribué au fournisseur ou à l'intermédiaire conformément à l'article 415 de la Loi, selon le cas;

2° les renseignements requis aux paragraphes 2 à 7 de l'article 201R3.

(soulignements ajoutés)

[43]        Le mot «intermédiaire» est défini ainsi à l'article 201R1:

«"intermédiaire" d'une personne signifie, à l'égard d'une fourniture, un inscrit qui, agissant à titre de mandataire de la personne ou en vertu d'une convention conclue avec la personne, lui permet d'effectuer la fourniture ou en facilite la réalisation; »

(soulignements ajoutés)

[44]        Les « renseignements requis aux paragraphes 2 à 7 de l'article 201R3 » sont les suivants:

201R3. Dans le cas où le montant total payé ou payable qui est indiqué sur la pièce justificative à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $, les renseignements prescrits sont les suivants:

si une facture est délivrée à l'égard de la ou des fournitures, la date de la facture;

3° si aucune facture n'a été délivrée à l'égard de la ou des fournitures, la date à laquelle il y a une taxe payée ou payable à l'égard de celles-ci;

le montant total payé ou payable pour la ou les fournitures;

5° sous réserve du paragraphe 6, la taxe payée ou payable ou le taux de la taxe à l'égard de chaque fourniture;

6° si un montant constitué à la fois de la taxe payée ou payable et de la taxe sur les produits et services payée ou payable est indiqué sur la pièce justificative, le total de la taxe payée ou payable et de la taxe sur les produits et services payée ou payable à l'égard de chaque fourniture taxable, ainsi qu'une déclaration selon laquelle ce total comprend la taxe payée ou payable;

une description suffisante pour identifier chaque fourniture si la pièce justificative, en l'absence de cette description, ne permet pas de déterminer avec certitude le remboursement de la taxe sur les intrants demandé.

(soulignements ajoutés)

[45]        Pour plus de clarté, la lecture conjuguée de ces dispositions réglementaires nous amène à conclure que, pour avoir doit à un RTI, un inscrit doit fournir les documents et renseignements suivants:

1-    soit le nom de l'acquéreur ou celui sur lequel il fait affaires, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé (201R5 2o);

2-    les modalités de paiement de ces fournitures (201R5 3o);

3-    une description suffisante de chaque fourniture (201R5 4o);

4-    le nom du fournisseur ou de l'intermédiaire à l'égard de la fourniture ou celui sous lequel il fait affaires et le numéro d'inscription attribué à un fournisseur ou à l'intermédiaire conformément à l'article 415 de la Loi, le cas échéant (201R4 1o);

5-    la date de la facture (201R4 2o et 201R3 2o) lorsqu'il y en a une ou la date à laquelle la fourniture est payée ou payable, s'il n'y en a pas (201R3 3o);

6-    le montant payé ou payable pour la fourniture (201R4 2o et 201R3 4o);

7-    la taxe payée ou payable ou le taux de la taxe, sous réserve de 201R3 6o (201R4 2o et 201R3 5o);

8-    si la facture est «taxes incluses», une mention à cet effet (201R4 2o et 201R3 6o);

9-    une description suffisante pour identifier chaque fourniture si la pièce justificative ne permet pas de déterminer avec certitude le RTI demandé (201R4 2o et 201 R3 7o).  À noter que l'article 201R1 contient une définition de ce qui constitue une « pièce justificative » (facture, reçu, etc.).

 

 

[46]        Dans la présente affaire, deux sujets opposent les parties quant aux exigences applicables aux demandes de RTI:

1)    Quel nom doit apparaître sur la facture d'une fourniture?  Celui du fournisseur de services ou celui sous lequel il «fait affaires»? Celui d'un «intermédiaire» du fournisseur (article 201R4) ?

2)    Mises à part les exigences documentaires énumérées aux articles 201R1 à 201R5 du Règlement, y a-t-il d'autres exigences que doit remplir celui qui veut éventuellement réclamer des RTI (ex: vérifications au Registre des entreprises, au RBQ, à la CCQ, etc.)?

[47]        Il convient de disposer de ces questions.

1o Quel nom doit apparaître sur la facture d'une fourniture?  Celui du fournisseur de services ou celui sous lequel il fait affaires? Celui d'un intermédiaire du fournisseur (article 201R4) ?

[48]        Le débat sur ce point concerne l'item 4 ci-dessus, à savoir l'identité de la personne dont le nom doit apparaître sur la facture des services.

[49]        Revenu Québec soutient que seul le fournisseur de services qui a réellement exécuté le travail pour lesquels on demande un RTI peut légalement les facturer.

[50]        L'avocate de Revenu Québec plaide qu'un « intermédiaire » est le mandataire de l'État qui perçoit des taxes pour ce dernier. Par exemple, si j'achète du linge, les taxes vont être remises à l'État par le vendeur qui est un intermédiaire.  De la même façon, une agence de voyages est un intermédiaire pour la perception des taxes sur la vente du billet d'avion émis par Air Canada.

[51]        Elle s'appuie également sur le jugement de la Cour canadienne de l'impôt rendu séance tenante dans Présentoir Filotech inc. c. R [11] dans laquelle la cour ne reconnaît pas que l'entreprise qui a facturé la fourniture était l'«intermédiaire» du fournisseur réel car cela aurait dû être mentionné sur la facture.

[52]        Enfin, les FFC n'ont pas de véritable organisation interne et ne peuvent donc pas être des intermédiaires au sens de la Loi.

[53]        À l'opposé, l'avocate de GPBR plaide plutôt que l'article 201R4 1o du Règlement exige de fournir le nom du fournisseur « ou de l'intermédiaire » et que, par conséquent, il peut y avoir deux personnes différentes pour la prestation du service et pour sa facturation.  Ce serait le cas ici alors que les « fournisseurs » de services sont les poseurs de gypse et tireurs de joints qui les ont exécutés en sous-traitance pour GPBR (ex: Réginald Hallée, Mario Savard, Sylvain Dagenais, etc.) alors que les «intermédiaires» sont les compagnies qui ont facturé ces services à GPBR.

[54]        L'avocate de GPBR base son argument sur la règle que le législateur ne parle jamais pour ne rien dire et que s'il a prévu qu'on devait fournir le nom du fournisseur «ou de l'intermédiaire», ce dernier est nécessairement une personne différente du «fournisseur» et, en l'occurrence dans le présent cas, la personne qui a facturé les services rendus.  Cela réduirait à néant l'équation proposée par Revenu Québec à l'effet que celui qui facture des services doit obligatoirement et exclusivement être celui qui exécute ces services.

[55]        Selon l'appelante, toutes les compagnies qui l'ont facturée sont des inscrits qui ont agi à titre d'«intermédiaires» pour les personnes qui ont réellement exécuté les travaux sur les chantiers.  Par conséquent, les factures émises au nom de ces compagnies satisfont à l'exigence réglementaire prescrivant la divulgation d'un nom à l'article 201R4 1o.

[56]        Dans la présente affaire, les poseurs de gypse ou tireurs de joints engagés en sous-traitance par GPBR et qui ne sont pas eux-mêmes des «inscrits» ont fait facturer leurs services par ces compagnies qui sont des inscrits au sens de la Loi et qui étaient leurs «mandataires» ou leurs cocontractants en vertu d'une convention intervenue entre eux (art. 201R1).  Cela leur aurait permis d'«effectuer la fourniture» ou, à tout le moins, en «faciliter la réalisation» en leur permettant notamment de facturer leurs travaux.

[57]        Les deux avocates conviennent en plaidoirie que, selon leurs recherches poussées, la jurisprudence en droit fiscal n'aurait pas discuté du sens à donner au mot «intermédiaire» et encore moins accordé ou refusé des RTI alors  qu'on aurait été en présence d'un tel intermédiaire dans le cadre d'une prestation de services rendus.

[58]        Avant de disposer de la question, il convient tout d'abord de souligner que les dispositions de la législation québécoise (« LTVQ ») et du Règlement en matière de RTI (article 201) sont similaires à celles de la législation fédérale (article 169 (4) de la Loi sur la taxe d'accise [12] (« LTA ») et article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit sur les intrants.  Le mot «intermédiaire» est employé dans les deux législations [13]:

 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :

(4) L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

b) dans le cas où le crédit se rapporte à un bien ou un service qui lui est fourni dans des circonstances où il est tenu d’indiquer la taxe payable relativement à la fourniture dans une déclaration présentée au ministre aux termes de la présente partie, il indique la taxe dans une déclaration produite aux termes de la présente partie.

RÈGLEMENT

 Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

a) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire,

(ii) si une facture a été remise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

(iii) si aucune facture n’a été remise pour la ou les fournitures, la date à laquelle il y a un montant de taxe payée ou payable sur celles-ci,

(iv) le montant total payé ou payable pour la ou les fournitures;

b) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

(ii) les renseignements visés aux sous-alinéas a)(ii) à (iv),

(iii) dans le cas où la taxe payée ou payable n’est pas comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures :

(A) ou bien, la taxe payée ou payable pour toutes les fournitures ou pour chacune d’elles,

(B) ou bien, si une taxe de vente provinciale est payable pour chaque fourniture taxable qui n’est pas une fourniture détaxée, mais ne l’est pas pour une fourniture exonérée ou une fourniture détaxée :

(I) soit le total de la taxe payée ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour chaque fourniture taxable, ainsi qu’une déclaration portant que le total pour chaque fourniture taxable comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

(II) soit le total de la taxe payée ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour toutes les fournitures taxables, ainsi qu’une déclaration portant que ce total comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

(iv) dans le cas où la taxe payée ou payable est comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures et que l’une ou plusieurs de celles-ci sont des fournitures taxables qui ne sont pas des fournitures détaxées :

(A) une déclaration portant que la taxe est comprise dans le montant payé ou payable pour chaque fourniture taxable,

(B) le total (appelé « taux de taxe total » au présent alinéa) des taux auxquels la taxe a été payée ou était payable relativement à chacune des fournitures taxables qui n’est pas une fourniture détaxée,

(C) le montant payé ou payable pour chacune de ces fournitures ou le montant total payé ou payable pour l’ensemble de ces fournitures auxquelles s’applique le même taux de taxe total,

(v) dans le cas où deux fournitures ou plus appartiennent à différentes catégories, une mention de la catégorie de chaque fourniture taxable qui n’est pas une fourniture détaxée;

c) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(i) les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii) les modalités de paiement,

(iv) une description suffisante pour identifier chaque fourniture

(soulignements ajoutés)

[59]        Par conséquent, les autorités tant fédérales que provinciales sont d'intérêt pour trancher les questions soulevées.

[60]        Avant d'en entreprendre l'analyse de ces questions, le soussigné constate également que l'article 201R4 mentionne que la pièce justificative peut contenir non seulement le nom du «fournisseur» ou celui de l'«intermédiaire» mais aussi « celui sous lequel il fait affaires », ce qui ajoute une troisième dimension aux questions soulevées.  Cette dernière expression n'a pas été débattue par les parties mais on ne peut évidemment l'ignorer en disposant de ces questions.

[61]        Tel que déjà mentionné, le mot «intermédiaire» est défini à l'article 201R1 du Règlement comme suit:

«intermédiaire» d'une personne signifie, à l'égard d'une fourniture, un inscrit qui, agissant à titre de mandataire de la personne ou en vertu d'une convention conclue avec la personne, lui permet d'effectuer la fourniture ou en facilite la réalisation.»

[62]        Selon cette définition, l'«intermédiaire d'une personne» est:

-         un inscrit

-         qui agit à titre de mandataire de cette personne ou

-         qui agit en vertu d'une convention conclue avec cette personne et

-         qui lui permet d'effectuer la fourniture ou

-         en facilite la réalisation

[63]        À mon avis, la position de GPBR doit prévaloir.

[64]        En effet, lorsqu'il s'agit de divulguer un nom sur une facture pour la fourniture d'un service rendu en vertu de l'article 201R4, ce nom peut être soit celui du «fournisseur» lui-même, soit celui d'un «intermédiaire», soit celui «sous lequel le fournisseur fait affaires».

[65]        C'est ce qui est écrit en toutes lettres à l'article 201R4 du Règlement.

[66]        La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Placer Dome Canada Ltd [14], affirme que lorsqu'un texte de la loi fiscale est clair et précis, le tribunal doit l'appliquer (Monsieur le juge Lebel):

[21] « Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, notre Cour a rejeté l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d’interprétation moderne s’applique autant à ces lois qu’aux autres lois.  En d’autres termes, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50.  Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11.  Les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires.  Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.

[22] Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada, par. 10.  De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [même lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. »  La Juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».

[23]  Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétationLorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer.  La mention de l’objet de la disposition [traduction] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question.  Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë. »

[67]        Ici, il est clair que la loi n'exige pas que la pièce justificative soit exclusivement libellée au nom du fournisseur de services, comme le prétend Revenu Québec.

[68]        Au contraire, le législateur fait preuve de souplesse dans ses exigences documentaires pour l'obtention d'un CTI ou d'un RTI en mentionnant que la facture contenant la description des services et leur prix peut être aussi bien libellée au nom d'un intermédiaire ainsi qu'au nom sous lequel le fournisseur fait affaires.

[69]        Revenu Québec le reconnaît d'ailleurs au moins en partie dans ses pages d'informations diffusées sur le Web portant sur le sujet sous la rubrique «Préparation des factures» [15]:

« Comme vous, votre client peut avoir à demander des crédits de taxe sur les intrants (CTI) et des remboursements de taxe sur les intrants (RTI).  Vous devez donc lui fournir certains renseignements qui pourront lui permettre de le faire. »

[70]        Concernant le nom, il est écrit ce qui suit:

« Nom du fournisseur (il peut s'agit d'un intermédiaire) ou de sa dénomination sociale. »

(soulignements ajoutés)

[71]        Lorsqu'un entrepreneur général facture son client pour la construction d'une maison, il facture pour et au nom de tous les sous-traitants qui ont œuvré dans la construction de cette maison.  Il n'est donc pas celui qui a exécuté les travaux en sous-traitance mais il devient l'intermédiaire des sous-traitants auprès du client en facturant leurs services en son nom, en percevant le paiement et en remettant leur dû à chacun des sous-traitants.

[72]        Il est donc faux de prétendre que le fournisseur d'un service doit le facturer uniquement à son nom propre pour que l'acquéreur de la fourniture ait droit à ses RTI.  D'ailleurs, dans le présent dossier, les travailleurs n'étaient pas des inscrits.

[73]        Les entreprises qui facturent les travailleurs ayant œuvré en sous-traitance pour GPBR sont des inscrits qui leur permettent d'effectuer les fournitures et de les facturer au donneur d'ouvrage, en l'occurrence à GPBR.

[74]        On peut également conclure que ces mêmes travailleurs, fournisseurs de services, « font affaires » sous le nom des entreprises qui facturent leurs services au sens de 201R4 du Règlement.

[75]        Quant au jugement rendu dans Présentoir Filotech inc. c. R [16] invoqué par Revenu Québec, je suis d'avis, avec respect, qu'on ne peut exiger que la qualité d'«intermédiaire» du facturant doive apparaître sur la facture pour donner droit au RTI, ce qui n'est pas requis dans la réglementation applicable.

[76]        En conclusion, que la facture soit faite au nom du fournisseur de services, au nom sous lequel il fait affaires ou au nom de son intermédiaire, celle-ci satisfait aux exigences documentaires prévues par la loi.

2o Mises à part les exigences documentaires énumérées aux articles 201R2 à 201 R5 du Règlement, y a-t-il d'autres exigences que doit remplir celui qui veut éventuellement réclamer des RTI (ex: vérifications au Registre des entreprises, au RBQ, à la CCQ, etc.)?

[77]        Tout au long de l'audition, les témoins produits par Revenu Québec, des vérificateurs ou des spécialistes en factures de complaisance, ont dressé une liste assez longue des exigences qu'une compagnie comme GPBR devrait remplir avant d'accorder un contrat en sous-traitance à des entreprises pour être admissible à des RTI ou des CTI:

-       vérifier la validité des numéros TPS/TVQ des entreprises des sous-traitants engagés;

-       vérifier leur existence légale auprès du Registre des entreprises du Québec (« REQ »);

-       vérifier la validité des numéros de la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ »);

-       vérifier l'identité des dirigeants ou administrateurs de l'entreprise, établir des contacts avec eux et se rendre au siège social de l'entreprise lorsque cela est possible pour voir s'il y a de véritables activités commerciales;

-       échanger avec eux des documents contractuels;

-       vérifier les données disponibles à la Commission de la construction du Québec (« CCQ ») sur la main-d'œuvre de l'entreprise, les heures déclarées, les cartes de compétence des travailleurs et/ou à la Commission de la santé et sécurité au travail (« CSST »);

-       obtenir des « états de situation » de la CCQ;

-       analyser les endos des chèques émis en paiement pour découvrir ceux qui ont été négociés dans des centres d'encaissement;

-       vérifier le respect de la suite numérique des factures d'une même entreprise;

-       tenter de dépister les délinquants fiscaux;

-       analyser les écarts de prix facturés pour discriminer les «faux» sous-traitants des «vrais»;

-       porter attention à la calligraphie sur les factures pour tenter de détecter des différences entre celles d'un même sous-traitant;

-       ne pas faire affaires directement avec un travailleur sur le chantier.

-       etc.

[78]        Remplir de telles exigences supplémentaires équivaudrait, selon Revenu Québec, à agir de manière responsable, prudente et diligente afin de se protéger contre les fraudeurs.

[79]        Ces vérifications seraient justifiées par le devoir de prudence et de diligence dont doit faire preuve toute entreprise dans le cours normal de ses affaires et la nécessité de détecter les entreprises illégales tels les fournisseurs de factures de complaisance (« FFC »).  Le manquement à plusieurs de ces devoirs disqualifierait l'entreprise qui demande des CTI ou des RTI.

[80]        L'avocate de GPBR s'oppose à cette façon de voir les choses.  Un contribuable, pour avoir droit à des CTI ou des RTI, ne devrait être tenu qu'aux exigences prescrites dans la loi et à rien d'autre.  Si d'autres exigences que celles-ci devraient être remplies, il faudrait les ajouter dans les législations applicables.

[81]        Encore là, je suis d'avis que la prétention de GPBR à ce sujet est essentiellement bien fondée.

[82]        Il est une règle bien établie en droit fiscal qu'on ne peut exiger des contribuables plus que ce que la loi leur impose comme obligations.

[83]        Bien plus, les tribunaux doivent éviter de « créer » des règles judiciaires et se contenter d'appliquer la législation existante.  C'est au législateur qu'il appartient de légiférer en matière fiscale.  S'il omet de le faire ou de corriger une législation déficiente, ce n'est pas aux tribunaux de le faire à sa place.

[84]        La Cour suprême s'est maintes fois prononcée sur le sujet.  Citons les exemples suivants :

- Stubart Investments Ltd c. R 1984 1 SCR 536 par. 29:

« Le législateur a défini des normes de procédures d'évitement inacceptables et, puisque la loi n'impose pas d'autre limite, la Cour a conclu qu'elle n'a elle-même ni le devoir, ni même la compétence d'imposer de nouvelles limites. »

- Steward c. R 2002 Carswell Nat 1071 (RCS) par. 4 et 42:

« À notre avis, l'analyse de l'expectative raisonnable de profit ne saurait être maintenue comme critère indépendant pour déterminer l'existence d'une source de revenus, car cela irait à l'encontre du principe selon lequel les tribunaux doivent éviter d'innover et d'établir des règles en matière de droit fiscal. »

- Canderel Ltd c. R. 1998 Carswell Nat. 81 par. 41:

« En matière d'impôt sur le revenu, le droit est suffisamment compliqué sans que les tribunaux fassent inutilement des incursions dans le domaine de la création des lois.  En tant que ligne de conduite et par respect pour le rôle même du législateur, c'est un lieu commun que de dire que la promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit être laissée au législateur. »

- Ludmer c. Ministre du Revenu National 2001 SCC  62 par. 38 et 39:

[38] « Par ailleurs, les tribunaux appelés à interpréter la Loi de l’impôt sur le revenu doivent se rappeler qu’ils jouent un rôle distinct de celui du législateur. En l’absence d’un texte législatif clair, il n’est pas souhaitable que les tribunaux innovent : Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 112. La promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt être laissée au législateur : Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, par. 41. Comme l’a récemment expliqué le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 43:

La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d’établir un équilibre entre d’innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi, une intention non explicite [. . .] En concluant à l’existence d’une intention non exprimée par le législateur sous couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, l’on risque de rompre l’équilibre que le législateur a tenté d’établir dans la Loi. [Références omises.]

Voir également l’arrêt Antosko, précité, p. 328. Cela étant dit, il ressortit à la compétence des tribunaux d’interpréter les règles adoptées par le législateur, notamment d’éclaircir des notions par ailleurs non définies comme celles de « revenu » ou de « bénéfice » : voir Canderel, précité, par. 42.

[39] En outre, étant donné que la Loi de l’impôt sur le revenu comporte de nombreuses dispositions et règles anti-évitement particulières, lorsque des inquiétudes sont exprimées concernant l’évitement de l’impôt, les tribunaux ne doivent pas s’empresser de renforcer ces dispositions de la Loi alors qu’il est loisible au législateur d’être précis quant aux méfaits à prévenir : voir l’arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, par. 63, le juge Iacobucci. S’ils le faisaient, ils n’accorderaient pas l’importance voulue au principe bien établi que, sauf disposition contraire, le contribuable a le droit d’organiser ses affaires dans le seul but de se trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal : voir les arrêts Stubart, précité, p. 540, le juge Wilson, et p. 557, le juge Estey; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, par. 8, le juge McLachlin; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, par. 88, le juge Iacobucci; Neuman, précité, par. 63, le juge Iacobucci; Shell Canada, précité, par. 46, le juge McLachlin. »

[85]        Les contribuables ont donc un droit strict à s'en remettre à la loi telle qu'elle existe pour mener leurs affaires en matière de taxes et d'impôt:

- Imperial Oil Ltd c. R 2006 SCC 46 par. 26:

[26] « Malgré cette approbation de la méthode moderne, la nature particulière des lois fiscales et les caractéristiques de leurs structures souvent complexes expliquent pourquoi on a toujours mis l’accent sur la nécessité d’examiner attentivement le texte même de la LIR, de manière à permettre aux contribuables de se fonder sur celui-ci, sans risque d’erreur, pour exploiter leur entreprise et organiser leurs affaires fiscales. On ne devrait pas permettre que des considérations générales touchant l’objet de la loi se substituent aux termes précis employés par le législateur (Ludco, par. 38-39). »

[86]        Si la Cour suprême s'abstient de «légiférer» dans ses arrêts, la règle est d'autant plus impérative pour les tribunaux inférieurs.

[87]        Le soussigné comprend très bien la volonté légitime de l'état québécois de lutter contre l'évasion fiscale et, plus particulièrement dans le cas à l'étude, de contrer le stratagème de plus en plus répandu des «factures de complaisance» ou «d'accommodation».

[88]        Toutefois, on ne saurait imposer au contribuable de bonne foi des obligations en matière de RTI ou de CTI que le corpus législatif ne contient pas.

[89]        Dans l'étude d'impact qui a accompagné le Règlement modifiant le règlement fédéral sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxes sur les intrants [17] lors de l'instauration de la TPS, on peut lire qu'il faut qu'il y ait «une activité commerciale», qu'une «taxe ait été payée» et que les renseignements requis «sont les mêmes que ceux que les entreprises conservent déjà afin de pouvoir justifier leurs déductions d'impôt»:

«L'un des principes fondamentaux de la TPS est qu'aucune taxe ne doit être incorporée aux coûts des intrants utilisés pas un inscrit dans le cadre d'une activité commerciale afin de produire une fourniture taxable (y compris une fourniture détaxée).  Afin que la TPS ne s'applique pas aux intrants utilisés dans des activités commerciales, les inscrits pourront demander un crédit entièrement remboursable appelé «crédit de taxe sur les intrants», pour la TPS payée ou payable sur ces intrants.  Dans la mesure où un intrant taxable est utilisé dans le cadre d'une activité commerciale, la taxe payée ou payable donne droit à un crédit de taxe sur les intrants.

Le paragraphe 169(4) de la Loi stipule qu'un inscrit ne peut demander un crédit de taxe sur les intrants s'il ne dispose pas au préalable de renseignements suffisants à l'appui de sa demande, y compris les renseignements visés par règlement.  Les présents jugements visent à déterminer les renseignements nécessaires à la demande d'un crédit de taxe sur les intrants.

On prévoit un impact mineur puisque, en général, les documents justifient les demandes de crédit pour taxe sur intrants seront les mêmes que ceux que les entreprises conservent déjà afin de pouvoir justifier leurs déductions de dépenses en vertu de la Loi sur l'impôt sur le revenu.  La période de conservation des documents à l'appui sera la même pour la TPS que pour la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire six ans

(soulignements ajoutés).

[90]        Depuis l'instauration de la TPS et de la TVQ, il n'y a pas lieu d'ajouter des exigences autres que celles prévues à la Loi pour avoir droit à des RTI ou des CTI.

[91]        Les dispositions de la TVQ et son Règlement d'application que nous venons d'examiner énumèrent en détail les renseignements prescrits pour l'obtention d'un CTI ou d'un RTI.  Rien d'autre.

[92]        Par conséquent, en conformité avec la règle prohibant la création des règles fiscales par les tribunaux, c'est au législateur d'amender les lois et règlements pour y ajouter des exigences supplémentaires auxquelles devront se soumettre les demandeurs de CTI ou de RTI pour les obtenir si telle est sa volonté.

[93]        Le contribuable est en droit de savoir clairement à quoi s'en tenir pour se conformer à ses droits et obligations fiscales.

[94]        Or, tel que mentionné en plaidoirie par l'avocate de GPBR, il existe actuellement beaucoup de confusion et d'incertitude en droit fiscal quant à savoir ce qu'une entreprise oeuvrant par exemple dans le domaine de la construction doit faire pour se conformer à ses devoirs en matière de taxes:

- Stephane Marcassa [18]:

« Dans le cas d'un stratagème de fausse facturation, il est tout à fait normal et justifié que Revenu Québec cotise et poursuive en justice quiconque participe à ce genre de stratagème et qui aurait réclamé indûment des CTI/RTI auxquels il n'avait pas droit.  Or, il s'avère que Revenu Québec cotise également plusieurs inscrits qui n'ont jamais participé ou eu connaissance de ces stratagèmes et qui, en toute bonne foi, ont payé la TPS/TVQ sur leurs achats de biens et services et ont réclamé des CTI/RTI.

La position prise par Revenu Québec pour refuser les demandes de CTI/RTI de ces inscrits semble être à l'effet qu'ils auraient dû savoir que les fournisseurs en question étaient des fraudeurs et que les taxes payées ne seraient jamais remises par ces derniers aux autorités fiscales.  La bonne foi du contribuable et un minimum de diligence raisonnable ne semblent donc plus être suffisants aux yeux du fisc.  Revenu Québec semble maintenant imposer un fardeau supplémentaire aux inscrits qui réclament des CTI/RTI en leur exigeant des devoirs de vérification et d'enquête beaucoup plus importants auprès de leurs fournisseurs afin de s'assurer que ces derniers ne sont pas des fraudeurs.  C'est un peu comme si Revenu Québec transférait son rôle de police fiscale aux inscrits et mandataires du gouvernement.  Selon moi, ce fardeau additionnel semble aller au-delà de ce que la loi exige. »

(soulignements ajoutés)

- Martin Delisle [19]:

« Par sa volonté à vouloir combattre le phénomène de la fausse facturation et les stratagèmes de complaisance, Revenu Québec prend depuis quelques années une position visant à tenir responsables et à sanctionner les entreprises qui malgré leur bonne foi ont fait affaire avec des sociétés fiscalement délinquantes et participantes à de tels stratagèmes (bien que ces dernières soient généralement inscrites aux taxes).

Dans la pratique, cette position de Revenu Québec surprend (et parfois choque) autant les contribuables que leurs représentants compte tenu du fait que les entreprises de bonne foi sont fréquemment tenues dans l'ignorance et/ou induites en erreur en ce qui a trait au dossier fiscal de leur fournisseur ou de leur sous-traitant. Est-ce aux contribuables/entreprises de bonne foi («Donneurs d'ouvrage») à supporter le fardeau économique qui résulte de la délinquance fiscale de leurs sous-traitants/fournisseurs?

(soulignements ajoutés)

[95]        Paradoxalement, Revenu Québec a abrogé en juin 2010 le seul Bulletin d'interprétation portant sur les RTI et la fausse facturation en se fondant sur la justification suivante [20]:

« Le bulletin d'interprétation TVQ 201-1, dans toutes ses versions, est annulé compte tenu de la jurisprudence qui énonce l'état du droit en ce qui concerne la fausse facturation et les exigences documentaires en matière de remboursement de la taxe sur les intrants. »

 

 

[96]        De la même manière, dans un compte-rendu du 9 octobre 2012 contenant les demandes du comité de liaison de l'APFF à Revenu Québec [21], on peut lire ce qui suit aux pages 6 et 7:

« a) Est-ce que Revenu Québec a l'intention de publier un guide permettant aux entreprises de savoir quels éléments vérifier pour démontrer leur absence de collusion et ainsi pouvoir réclamer les crédits auxquels elles ont droit?

Les termes de la législation et de la réglementation sont clairs quant aux conditions à remplir pour demander un CTI/RTI. Aussi, la jurisprudence a établi que ces conditions sont obligatoires et que les renseignements fournis doivent être valides pour que la demande de CTI/RTI soit acceptée. Cette position découle du fait qu'il s'agit de sommes appartenant au Trésor public et que ce faisant, elles doivent être protégées contre les violations tant frauduleuses qu'innocentes.

Dans ce contexte, les entreprises doivent mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu'avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis peuvent nécessiter qu'elles fassent des recherches plus approfondies. La jurisprudence a également énoncé des indices qui permettent d'identifier les situations de facturation de complaisance.

Considérant la jurisprudence récente quant à la facturation de complaisance, il n'est présentement pas requis d'élaborer un document administratif à ce sujet.

Revenu Québec sensibilise les entreprises afin de les mettre en garde contre l'utilisation de divers stratagèmes d'évasion fiscale. À cette fin, Revenu Québec procède à l'envoi de lettres aux clientèles ciblées.

Dans son Discours sur le budget 2012-2013, le gouvernement du Québec a annoncé des efforts supplémentaires pour limiter l'évasion fiscale dans le domaine des agences de placement.

Revenu Québec a intensifié ses interventions de vérification auprès des agences de placement et auprès des entreprises avec lesquelles elles font affaire.

Parallèlement à l'intensification des interventions de vérification dans ce secteur d'activité, un groupe de travail dirigé par Revenu Québec, en collaboration avec Emploi Québec, la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail, analyse différents moyens pour permettre notamment de mieux cibler les entreprises faisant usage de stratagèmes d'évasion fiscale. »

(soulignements ajoutés)

[97]        Or, la jurisprudence est loin d'être constante sur les exigences que doit remplir une entreprise en matière de RTI/CTI.  Comment un contribuable ordinaire qui n'est pas habituellement au fait de cette jurisprudence peut-il connaître clairement ses obligations fiscales avec un tel raisonnement?  Poser la question, c'est y répondre.

[98]        En conclusion sur ce point, les tribunaux doivent se garder d'imposer au contribuable des obligations qui ne sont pas prescrites par la loi et de juger de ses droits et obligations à partir d'une telle approche.

[99]        Ils doivent se contenter d'appliquer avec rigueur les exigences prescrites dans la loi (201LTVQ et 201R), comme l'ont fait par exemple la Cour canadienne de l'impôt et la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Systematix [22], rien de plus.

[100]     Ce sont là les principales règles de droit applicables dans un litige comme celui à l'étude.

B)        GPBR s'est-elle conformée aux exigences légales applicables dans ses demandes de RTI?

[101]     En tenant compte des paramètres établis précédemment, la facturation soumise par GPBR au soutien de ses demandes de RTI satisfait aux exigences documentaires de la Loi, ce qui n'est pas sérieusement contesté.  Le vérificateur de Revenu Québec, monsieur Daniel Houde, reconnaît dans son interrogatoire préalable [23] que, hormis les factures qui font l'objet d'admissions de l'appelante, la plupart des autres sont correctes.

[102]     Hormis les quelques factures admises par l'appelante, les autres contiennent les renseignements prescrits aux articles 201R1 à 201R5 du Règlement: nom des acquéreurs et fournisseurs des fournitures (ou de leurs intermédiaires, le cas échéant), descriptions suffisantes des services rendus, dates, montants des services et des taxes, modalités de paiement, numéros de TPS/TVQ des inscrits, etc.

[103]     De plus, le Tribunal ne doute pas que les fournitures pour lesquelles GPBR réclame des RTI dans le présent dossier ont réellement eu lieu, ce dont il sera traité plus en détail sous la question C).  Les services facturés ont réellement été exécutés, ce qui est rarement le cas lorsqu'une entreprise participe à un stratagème de fausses factures ou de factures de complaisance ou d'accommodation [24].

[104]     Cela ne veut pas dire qu'une entreprise ne doit pas procéder à certaines vérifications si elle veut se protéger contre les fraudeurs, mais on ne peut ériger ces vérifications en exigences légales pour l'obtention des RTI si elle ne sont pas prévues à la Loi.

[105]     Cela amène le Tribunal à conclure que l'appelante GPBR a démontré avoir fourni à Revenu Québec les renseignements prescrits par la Loi pour avoir droit à ses RTI [25].

[106]     .Il s'agit alors de se demander si GPBR doit être disqualifiée de ses demandes de RTI du fait qu'elle ait traité avec des entreprises qui se sont révélées être des fournisseurs de factures de complaisance (« FFC »).

C)  Quelles sont les conséquences pour l'appelante GPBR d'avoir fait affaires avec des entreprises qualifiées de FFC?

[107]     Revenu Québec soutient qu'au-delà de la question du respect des exigences documentaires prescrites par la Loi, GPBR n'a pas droit à ses RTI parce qu'elle a, en partie du moins, participé à un stratagème de factures de complaisance.  Cela la disqualifie de son droit à ses RTI dans tous les cas où les entreprises qui ont émis des factures à GPBR ont été qualifiées de FFC.

[108]     D'entrée de jeu, la preuve démontre effectivement que plusieurs entreprises qui ont émis des factures à GPBR opéraient illégalement: travail au noir, fournisseurs de factures de complaisance (FFC), dossiers fiscaux déficients, peu ou pas d'existence réelle.  Celles-ci ont également fait défaut de remettre à l'État les taxes qu'elles ont perçues.

[109]     Revenu Québec a fait défiler à l'audition 12 vérificateurs, chefs de service, agents de recherche, agents de gestion qui sont venus déposer et illustrer leurs rapports de vérification concluant clairement que les 21 entreprises suivantes sont des FFC qui ont exercé des activités illégales, voire frauduleuses [26].  Ces 21 entreprises sont les suivantes:

1)      Acoustique Clapton inc.

1)       Acoustiplus Claudel inc.

2)       Alfa.com

4)      Cie Gypse.com (9137-6483 Québec inc.)

5)      Construction Aspro Inc.

6)      Les Constructions Dagenais 2000

7)      Construction Decor Moderne Inc.

8)      Construction Dubel Inc. (9151-5296 Québec inc.)

9)      Les Constructions G.S.B Inc.

10)   Construction Guy Thériault Inc.

11)    Construction Lido Inc.

12)   Constructions Lubac Inc.

13)   Construction Pascal Inc.

14)   Les Entreprises Pro Plus Inc.

15)   Finition Pro-Techni Inc.

16)   Gestion Simon Duclos Inc.

17)   J  C.M.J. Rénovation Inc.

18)   Système Intérieur Dinar (9031-4410 Québec inc.)

19)   Système interieur Metalix Inc.

20)   Système Interieur Rastel Inc.

21)   Systèmes Interieurs Rocky Inc.

[110]     Il y a lieu de mentionner que l'appelante ne conteste pas ces rapports de vérification et les conclusions qui y sont tirées quant à ces entreprises.  Elle plaide plutôt que, malgré ses propres vérifications, elle ignorait tout des activités illégales de ces entreprises au moment où elle a traité avec celles-ci et qu'elle n'a aucunement participé à un stratagème de fausses facturations avec elles.  Elle a fait affaires avec des travailleurs en « chair et en os », soit les poseurs de gypse et les tireurs de joints qui exécutaient les travaux qu'elle leur a confiés en sous-traitance.

[111]     Messieurs Picotte, Robert et André Marineau ont témoigné de l'organisation du travail chez GPBR.  Gilles Picotte faisait du tirage de joints et la livraison des matériaux aux chantiers.  Robert Marineau s'occupait de l'administration et faisait aussi du tirage de joints.  André Marineau faisait du tirage de joints à temps partiel en suppléance de son frère Robert.  Robert Marineau, l'administrateur de GPBR, n'avait que 22 ans au début des activités de l'entreprise en 2003.

[112]     Lors de leurs témoignages, ils ont «rattaché» à divers contrats les équipes de poseurs de gypse (Réginald et Sylvain Hallée, Mario Savard, Carl Beaulieu, Gaétan Lepage, Gino Lapointe, Gaétan Goyette, etc.) et de tireurs de joints (Sylvain, Luc et Christian Dagenais, Carl Beaulieu, Jonathan Hallée, le couple Daniel Longpré, etc.) engagés en sous-traitance par GPBR.  Leurs témoignages sont appuyés sur les documents contractuels liés à ces contrats (pièces P-5, P-6, D-5 et D-21).

[113]     Par conséquent, les travaux de sous-traitance pour lesquels GPBR a été facturée et pour lesquels elle demande des RTI ont réellement été exécutés.

[114]     Le vérificateur Houde reconnaît lui-même dans son interrogatoire préalable qu'il y a au moins une portion des services qui ont été rendus [27].

[115]     Toutes les diverses constructions dans lesquelles les services de pose de gypse et de tirage de joints ont été facturés sont existantes et ces services ont nécessairement été rendus puisqu'on peut y voir les murs de gypse posés et les joints tirés.

[116]     Ces travailleurs travaillaient bien.  Tel que mentionné par monsieur Patrick Giardetti de Peinture Qualité Express, il y a un net avantage à s'entourer autant que possible des mêmes travailleurs qualifiés d'un contrat à l'autre pour éliminer les incompétents.

[117]     Les nouveaux sous-traitants étaient recrutés par le bouche à oreille sur les chantiers, par des annonces dans le Journal de Montréal ou dans des annuaires de main-d'œuvre spécialisée.

[118]     Parmi les plus gros contrats, il y a ceux effectués pour l'entrepreneur général Construction Gab (projets Caisse Populaire, rue St-Antoine, Panneton, Dagenais, Maheu), qui sont parmi ceux qui ont généré le plus de sous-traitance.

[119]     En analysant la pièce P-10, on peut constater qu'à certaines périodes (ex: avril-mai 2004, septembre 2004, mai-juin 2005), GPBR avait à remplir plusieurs contrats en simultané et qu'il lui était impossible de les exécuter sans faire appel à beaucoup de sous-traitance.  La pose de gypse et le tirage de joints prennent généralement de 8 à 9 jours par unité.

[120]     Par ailleurs, Robert Marineau a été limité dans ses activités par un problème de nerf sciatique de juin 2004 à novembre 2005 et son frère André ne travaillait qu'à temps partiel.

[121]     GPBR a engagé temporairement deux compagnons (Yves Bonafos et Michel Mc Donald) mais l'expérience s'est avérée dispendieuse et non concluante.

[122]     GPBR a fait affaires en sous-traitance avec beaucoup d'entreprises dont plusieurs n'ont pas été trouvées problématiques par la suite [28].

[123]     Quant aux entreprises problématiques, monsieur Picotte et Robert Marineau témoignent qu'il était courant pour les travailleurs oeuvrant dans le domaine de l'installation de systèmes d'intérieur de changer souvent d'employeurs, ce qu'ils ont fait eux-mêmes à quelques reprises avant de fonder GPBR et après la fin des activités de GPBR.  Pour cette raison, Robert Marineau n'était pas surpris outre mesure lorsqu'un travailleur lui transmettait des factures émises à des noms différents d'une fois à l'autre.

[124]     Ils ne connaissaient pas personnellement tous les employeurs des poseurs de joints et de tireurs de joints qui se sont avérés plus tard être problématiques, traitant le plus souvent avec ces travailleurs sur les chantiers qui produisaient leurs factures à la fin des travaux.

[125]     Ils témoignent qu'ils ignoraient alors le stratagème de fausses facturations prévalant chez certaines entreprises.  Ils l'ont su lors de leurs premières rencontres avec le vérificateur Richard Houde en 2008.  Monsieur Robert Marineau témoigne que GPBR n'a pas tiré de bénéfices illégaux d'avoir traité avec ces entreprises.

[126]     Ils ne se souviennent pas de tout, ce qui se comprend lorsqu'on témoigne de six à dix ans après le fait, et cela contribue souvent à ajouter de l'authenticité à de tels témoignages par rapport à ceux qui ont réponse à tout.  Robert Marineau déclare avoir récupéré beaucoup d'informations en constituant le dossier des pièces pour l'audition.

[127]     En effet, l'appelante a constitué un dossier documentaire imposant pour tenter de satisfaire Revenu Québec :

-         production des factures contrat par contrat  et par suite numérique (pièces P-5 (A) et (B) et P-6);

-         dossiers CCQ (P-7)

-         extraits du Registre des entreprises (« REQ ») et des registres de validation de la TPS/TVQ pour les sous-traitants concernés (P-9)

-         répartition du temps par contrats par GPBR et ses sous-traitants (P-10)

[128]     Tel que conseillé par leur comptable externe, monsieur Gaston Quirion, Robert Marineau vérifiait généralement la validité des numéros TPS/TVQ des entreprises sous-traitantes, leur immatriculation au Registre des entreprises du Québec (« REQ ») et à la Régie du bâtiment du Québec (« RBQ ») pour s'assurer de leur existence légale avant de payer les factures.  Ces vérifications se sont toujours avérées.

[129]     C'est leur comptable qui traitait ensuite la documentation provenant des chantiers pour la tenue de la comptabilité et des registres appropriés.  Dans le rapport de vérification de monsieur Houde, il est mentionné:

« Nous avons concilié les déclarations de la période débutant le 2004-01-01 au 2007-06-30 et aucun écart ne fut décelé.  NI en TPS, ni en TVQ. »

(soulignements ajoutés)

[130]     Les témoignages des représentants de GPBR sont corroborés par deux entrepreneurs généraux (Constructions GAB, Constructions NA-VA) et une entrepreneur-peintre (Peinture Qualité Express) qui ont fait état devant la Cour des différents chantiers sur lesquels monsieur Picotte, les frères Marineau et leurs principaux sous-traitants ont travaillé durant les années en cause.  Ils confirment que GPRB faisait presque tout le tirage de joints (75 % à 85 %) et donnaient toute la pose de gypse en sous-traitance.

[131]     En conclusion, le Tribunal croit en la sincérité et en l'honnêteté des représentants de l'appelante qui ont témoigné à l'audition: monsieur Gilles Picotte, monsieur André Marineau et monsieur Robert Marineau.  Ils ont tous été crédibles.  Leurs contre-interrogatoires n'ont nullement infléchi cette conviction.

[132]     Le vérificateur Houde note d'ailleurs dans son rapport que ceux-ci « ont offert une bonne collaboration tout au long de la vérification ». [29]

[133]     Comme l'a déclaré Madame la juge l'Heureux-Dubé dans l'arrêt Hickman Motors, passage repris par Monsieur le juge Nadon dans House«un témoignage clair, non ébranlé en contre-interrogatoire et offert par un témoin dont la crédibilité n'avait pas été mise en doute» [30] suffit parfois à constituer la preuve prima facie exigée pour démolir l'exactitude de la présomption.  C'est le cas dans la présente affaire, d'autant plus que les témoignages produits par l'appelante sont appuyés par une preuve documentaire.

[134]     Partant de là, il s'est opéré un renversement du fardeau de la preuve et il incombait alors à Revenu Québec de réfuter cette preuve et établir le bien-fondé de sa cotisation.  Il ne s'en est pas déchargé.

[135]     Le simple fait que l'appelante ait fait affaires avec des entreprises qui se sont révélées par la suite être des FFC ne la disqualifie pas de ses droits à des RTI, à partir du moment où il n'y a pas un iota de preuve de collusion de GPBR avec celles-ci pour en tirer des bénéfices illégaux.  On ne peut simplement trouver GPBR «coupable par association ».  Des soupçons ne constituent pas une preuve.

[136]     La preuve contre GPBR repose sur le rapport de vérification de monsieur Houde dont les conclusions sont reproduites au paragraphe 12 ci-dessus.

[137]     Or, comme on peut le constater, plusieurs conclusions de monsieur Houde ont été contredites ou expliquées.

[138]     Ainsi, on peut difficilement reprocher à monsieur Marineau de ne pas avoir détecté qu'il faisait affaires avec certains fournisseurs de factures de complaisance (« FFC ») alors que les vérificateurs de Revenu Québec mettent plusieurs mois, voir plusieurs années de travail à parvenir à cette conclusion avec des moyens financiers, techniques et juridiques autrement plus importants que ceux de sa petite entreprise (accès à des dossiers fiscaux confidentiels, droit à des demandes péremptoires, vérificateurs spécialisés en la matière, etc.).

[139]     Concernant la vérification du Registre des entreprises du Québec (« REQ »), il est surprenant de constater que, même plusieurs années après que des entreprises ont été trouvées délinquantes, condamnées ou cotisées pour avoir été cataloguées «fournisseurs de factures de complaisance» (« FFC »), il n'y a aucune mention de cela au registre au bénéfice de ceux qui le consultent quotidiennement pour obtenir des renseignements sur une entreprise.  Puisque ce registre relève du ministre du Revenu, il serait sûrement utile pour tous, y compris pour la lutte aux fournisseurs douteux, d'y remédier.

[140]     Il n'est pas étonnant que GPBR soit venue en contact avec des FFC compte tenu que, à la lumière des rapports de vérification déposés en preuve, ces FFC avaient commencé à pulluler à l'époque.  Il faut dire par ailleurs que ces rapports de vérification sont postérieurs pour la plupart à la période vérifiée chez GPBR (2003 à 2007).  C'est donc par leurs rencontres avec le vérificateur Richard Houde en 2008 que les dirigeants de GPBR ont découvert le stratagème utilisé par ces FFC et dont ils ont été victimes.

[141]     On constate également que les contrats de sous-traitance de GPBR avec des entreprises subséquemment qualifiées de FFC sont allés en diminuant de manière importante [31].  S'il y avait eu collusion, on aurait pu s'attendre à l'inverse.

[142]     Une des preuves de l'«innocence» de GPBR est l'émission de chèques de paiement libellés au nom de compagnies qui, par la suite, se sont révélées être des centres d'encaissement (ex: Crédit Fonds Lanaudière).  Un sous-traitant avait déclaré à monsieur Marineau de faire le chèque au nom de cette institution qui était gestionnaire de ses fonds; monsieur Marineau trouvait cela normal et n'y a vu que du feu, ignorant que Crédit Fonds Lanaudière était un centre d'encaissement.

[143]     Il est permis de croire que si GPBR avait été partie au stratagème des FFC et rompue aux us et coutumes du milieu, la dernière chose qu'elle aurait faite aurait été d'émettre des chèques à un centre d'encaissement, de crainte de se faire «prendre» plus facilement.

[144]     Dans son rapport, monsieur Houde est surpris de constater qu'André Marineau n'ait pas travaillé plus qu'il ne l'a fait alors qu'il y avait beaucoup de tirage de joints à faire à certaines périodes et que GPBR a dû en sous-traiter une partie importante.

[145]     La preuve enseigne que monsieur André Marineau poursuivait alors des études en comptabilité et travaillait à temps partiel pour la Banque Nationale.  Le tirage de joints était un à-côté lui permettant de gagner quelques revenus d'appoint.  En plus, étant apprenti, il ne pouvait travailler qu'avec un compagnon, à savoir son beau-père Gilles Picotte.  Puisqu'il ne peut y avoir qu'un apprenti à la fois avec un compagnon et que Robert Marineau était lui aussi apprenti, il est évident que celui-ci passait en premier et qu'André faisait les heures que son frère Robert ne pouvait pas faire.

[146]     Les commentaires de monsieur Houde à l'effet que messieurs Picotte et Marineau auraient pu « faire plus d'heures sur les projets » plutôt que d'en confier beaucoup en sous-traitance ne tiennent pas compte de l'organisation de l'entreprise alors que monsieur Picotte devait faire les livraisons aux  chantiers et la supervision de ceux-ci en plus du tirage de joints, que monsieur Robert Marineau s'occupait de l'administration, qu'il a été limité par ses problèmes de sciatique et qu'André Marineau n'était disponible qu'à temps partiel.

[147]     D'abondant, une entreprise est libre d'utiliser la sous-traitance comme elle l'entend.  Par exemple, l'entrepreneur général Construction Na-Va inc., monsieur Phil de Bonis, témoigne qu'il sous-traite tous ses travaux, ce qu'il estime plus rentable et moins exigeant.

[148]     Tel que mentionné précédemment, le Tribunal croit monsieur Robert Marineau lorsqu'il déclare qu'il ignorait tout des FFC, que son entreprise n'a tiré aucun bénéfice illégal de ses affaires avec ces compagnies ou avec les exécutants sur les chantiers.

[149]     En contrepartie, Revenu Québec n'a apporté aucune preuve à l'effet contraire se limitant à soulever des doutes et des questionnements pas toujours bien fondés comme on vient de le voir.

[150]     On comprend que ce n'est pas facile à prouver parce que, dans le milieu des FFC, tout se transige en argent liquide (« au noir »).  Selon la preuve faite, il est pensable qu'il y ait eu des ententes illégales entre certains travailleurs et les FFC.  Cela ne permet pas de conclure que GPBR a été sciemment partie à ces ententes pour autant.

[151]     Il faut être très prudent avant d'associer une entreprise au stratagème des FFC car cela peut avoir des conséquences désastreuses pour une entreprise et ses dirigeants, comme ce fut le cas ici.

[152]     Au soutien de son argumentation, l'avocate de Revenu Québec invoque avec emphase la décision récente de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Les Pro-Poseurs inc. [32], décision confirmée par la Cour d'appel fédérale [33], qui a entre autres le mérite de se dérouler dans le domaine de l'installation de systèmes d'intérieur, comme dans la présente affaire.

[153]     Il s'agissait également d'une entreprise à qui on a refusé des CTI au motif qu'elle a participé à un stratagème pour obtenir des RTI indus grâce à des factures de complaisance et d'accommodation.  Les prétentions de Revenu Canada sont énumérées au paragraphe 5 i) à xxii) de la décision de la Cour canadienne de l'impôt.  Il y avait également des contestations en impôt (« LIR ») (dépenses refusées).

[154]     Hormis le fait que l'affaire Pro-Poseurs se déroulait dans le même domaine de la construction, là s'arrête la comparaison avec la présente affaire.

[155]     Tout d'abord, il est manifeste que Monsieur le juge Bédard de la Cour canadienne de l'impôt n'a accordé aucune crédibilité au dirigeant de l'appelant Séguin et à la plupart de ses témoins, témoignages qu'il qualifie de « vagues et imprécis » et parfois même d'«invraisemblables» (par. 17 à 24, 38 à 40).  Pour sa part, la Cour d'appel fédérale a, comme il se doit, fait preuve de la réserve habituelle sur cette question de crédibilité (par. 11, 13 à 16).

[156]     Pour les motifs exposés ci-dessus, je tire une conclusion très différente de la preuve documentaire et testimoniale qui m'a été présentée dans l'affaire à l'étude qui a manifestement été beaucoup plus convaincante que celle présentée dans Pro-Poseurs.  Certes, certains témoignages ont été plus « nébuleux », tels ceux de messieurs Hallée et Savard, mais ils n'affectent pas la conviction que l'appelante GPBR n'a pas participé au stratagème de fausses facturations et qu'elle n'a pas tiré d'avantages illégaux de ses affaires avec ses sous-traitants.

[157]     Par ailleurs, au paragraphe 40 de l'affaire Pro-Poseurs, Monsieur le juge Bédard, en plus de noter de nombreuses contradictions dans le témoignage de l'appelant, reproche à celui-ci de ne pas avoir vérifié où les chèques avaient été encaissés et de ne pas avoir vérifié auprès de la CCQ et de la CSST les heures travaillées par les employés des fournisseurs douteux, comme Revenu Québec le reproche également ici à GPBR.

[158]     Tel que mentionné précédemment, de telles vérifications ne font pas partie des exigences légales prescrites pour l'obtention d'un CTI ou d'un RTI.  Elles peuvent servir à apprécier une défense de « diligence raisonnable » lorsqu'elle s'applique (ex: en matière de pénalités) mais non pas pour décider du droit au RTI ou CTI. 

[159]     Également, je constate que la notion d'«intermédiaire» ou celle du nom «sous lequel le fournisseur fait affaires» n'y a pas été discutée, contrairement à la présente affaire.

[160]     Enfin, Monsieur le juge Bédard conclut qu'«aucune» (des factures réclamées) «n'est conforme à l'article 169 de la LTA et au Règlement, puisque pour chacune d'elles, il manque au moins un renseignement obligatoire » (par. 47).  Encore là, les factures qui m'ont été présentées contiennent une «description suffisante» des travaux bien que certaines soient sommaires.  La pose de gypse et le tirage de joints se facturent généralement au pied carré ou en superficie, ce qui ne nécessite pas beaucoup d'élaboration.

[161]     Pour toutes ces raisons, j'en conclus que les constatations dans l'affaire Pro-Poseurs étaient fort différentes de celles tirées de la preuve en l'instance et qu'elles m'amènent naturellement à des conclusions différentes.

[162]     Pour les mêmes raisons, les jugements rendus dans Amiante Spec inc. [34] et Les Constructions Rossi et fils 2000 inc. [35] à l'effet que preuve n'avait pas été faite que les services facturés avaient été réellement rendus ne sauraient trouver application ici.

[163]     Pour ces motifs, le soussigné conclut que la preuve présentée par Revenu Québec est loin de faire contrepoids à celle administrée par l'appelante et que Revenu Québec ne s'est pas déchargé de son fardeau de prouver le bien-fondé de la cotisation en litige.

[164]     Compte tenu de ce qui précède, le soussigné conclut que GPBR a établi qu'elle avait droit aux RTI demandés [36] parce qu'elle a satisfait aux exigences documentaires prescrites par la loi, que les services pour lesquels elle les demande ont été réellement rendus et que son droit n'est pas affecté par le fait que certaines entreprises qui l'ont facturée se sont avérées être des fournisseurs de factures de complaisance (« FFC »).

SOMMAIRE

[165]     Compte tenu des admissions de l'appelante à l'effet que le refus de Revenu Québec d'accepter certaines factures était justifié, il ne peut y avoir annulation pure et simple de la cotisation en litige.  Les factures refusées faisant l'objet d'admissions sont les suivantes:

-         factures de Les Constructions Dagenais 2000 inc. (montants à déterminer);

-         factures 0099 à 0113 de Les Constructions GSB inc. (pièce D-12, 746,12 $ en TVQ);

-         facture 1173 de Gestion Simon Duclos inc. (pièce D-19, 210,31$ en TVQ);

-         une somme de 791,02 $ représentant des taxes de vente dues par GPBR.

[166]     Par conséquent, le dossier doit être déféré au ministre pour l'émission d'une nouvelle cotisation devant tenir compte des paramètres ci-dessus et sans pénalité dans les circonstances.

[167]     POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[168]     ACCUEILLE en partie l'appel;

[169]     DÉFÈRE au ministre la cotisation numéro 9190141 du 20 novembre 2008 pour émission d'une nouvelle cotisation tenant compte des paramètres ci-dessus mentionnés;

 

[170]     LE TOUT, avec dépens contre l'intimée Agence du revenu du Québec.

 

 

__________________________________

RICHARD LANDRY, J.C.Q.

 

Me Caroline Desrosiers

CD Legal inc.

Avocate de la partie appelante

 

Me Joëlle Bitton

Larivière, Meunier

Avocate de la partie intimée

 

Dates d’audience :

23, 24, 25, 26, 27 septembre 2013

 



[1]     Pièce P-8, à la page 24

[2]     Pièces P-1 ou D-1

[3]     Pièce P-2

[4]     Articles 201 de la Loi sur la taxe de vente du Québec (« LTVQ ») et 201R du Règlement d'application (« Règlement ») L.R.Q. c. T-0.1 et r.1

[5]     Pièce D-2

[6]     L.R.Q. c. I-3

[7]     140759 Canada inc. c. SMRQ, jugement du 27 septembre 1004, AZ-50268873 (C.Q.)

[8]     St-Georges c. Québec (Sous-ministre du Revenu) 2007 QCCA 1442, J.E. 2007-1097, 2007 RDFQ 78, DFQE 2007F-113

[9]     House c. R 2011 CAF 234, Soquij AZ-50779754; lire également pour une application récente de cette décision: Parenteau c. Québec (SMRQ) J.E. 2012-122 (C.Q.) (Monsieur le juge Gatien Fournier, par. 43 à 45); Blain c. Agence du revenu du Québec J.E. 2013-1447 (C.Q.) (Monsieur le juge Armando Aznar)

[10]    Article 25, de la Loi sur l'administration fiscale L.R.Q. c. A-6.002

[11]    2010-1583 (GST) 1, à la page 9

[12]    L.R.C. 1985 ch. E-15

[13]    Lire à ce sujet 2774577 Canada inc. c. Québec (Agence du Revenu) 2013 QCCQ 1803 (Monsieur le juge Keable)

[14]    Placer Dome Canada Ltd c. Ontario (Minister of Finance) 2006 Carswell, Ont., 3113

[15]    Voir onglet 42 des autorités invoquées par GPBR

[16]    2010-1583 (GST) 1, à la page 9

[17]    DORS 2000-180, Gazette officielle du Canada, 1991 partie II, vol. 125 no. 2 p. 957 pages 199 et 201, onglet 7 de l'appelante

[18]    Lire à ce sujet Stéphane Marcassa, Decisions récentes: «Connaissez-vous vos fournisseurs», Bullettin CCH fiscalité, 2013, onglet 46 des autorités de GPBR.

[19]    Martin Delisle «Quand  les entreprises doivent se transformer en agents du fisc», Revue Stratège de l'APFF, vol. 18, numéro 3, juin 2013, pages 12 à 15, onglet 47 (GPBR)

[20]    Bulletin d'interprétation de Revenu Québec, Exigences documentaires en matière de remboursement de la taxe sur les intrants TVQ 201-1/R2

[21]    Extrait, onglet 49 des autorités de l'appelante

[22]    Systematix Technology Consultants inc. c. R. 2006 CCI 277 et 2007 CAF 226 (par. 5 et 6); lire également dans le même sens Comtronic Computer inc. c. R. 2010 CCC 55 par. 24 à 29

[23]    Pièce P-11

[24]    À titre d'exemples de dossiers de complaisance où il a été décidé que les factures étaient fausses et/ou que les services n'ont pas été rendus: Aliments Spécialisés Impresa International inc. c. Québec 2011 QCCQ 7635; Amiante Spec inc. c. R 2003 CCI 89 et 2009 CAF 139; Pro-Poseurs inc. c. R 2012 CAF 200; Modes Crystal inc. c. R 2013 CCI 33; Systematex Technology Consultants inc. c. R 2006 CCI 277 et 2007 CAF 226

[25]    Bijouterie Almar inc. c. R 2010 CCI 618, aux par. 59, 66 et 67; 9188-7646 Québec inc. c. R. 2013 CCI 85 par. 29 et 30, 50 à 53; 9183-2899 Québec inc. c. R. 2013 CCI 8 par. 21 à 30, 41 à 46; 9183-2899 Québec inc. c. R 2013 CCI 8 par. 29 et suivants

[26]    Voir les rapports de vérification produits sous les cotes D-5A, D-7A, D-8, D-8A, D-9A, D-9B, D-12A, D-13A, D-14A, D-15A, D-16-A, D-17A, , D-18A, D-20A, D-21A , D-22A, D-23A, D-24A

[27]    Pièce P-11, pages 28 et 138-139

[28]    Voir le rapport de vérification de monsieur Houde, pièce P-8

[29]    Pièce P-8, à la page 21, item 2

[30]    Voir supra, paragraphe 32

[31]    75% en 2004-2005 à 9.32 % en 2006-2007

[32]    Les Pro-Poseurs inc. c. R 2011 CCI 113

[33]    2012 CAF 113

[34]    2008 CCI 89; appel rejeté 2009 CAF 139

[35]    2009 CAF 349

[36]    À l'exception des admissions faites en début d'instance concernant quelques factures

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.