Décision

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Allard c. Henkel

2015 QCCQ 2423

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-142500-141

 

 

DATE :

Le 24 mars 2015

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

JULES ALLARD

[…]Boucherville (Québec) […]

 

Demandeur

 

c.

 

DANIELE HENKEL

[…]Montréal (Québec) […]

 

-et-

 

ALEXANDRE TAILLEFER

[…]Montréal (Québec) […]

 

-et-

 

ATTRACTION IMAGES PRODUCTIONS IV INC.

5455, avenue de Gaspé, bureau 804,

Montréal (Québec) H2T 3B3

 

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Jules Allard, le demandeur, réclame solidairement 7 000 $ aux trois défendeurs, Daniele Henkel (« Mme Henkel »), Alexandre Taillefer (« M. Taillefer ») et Attractions Images Productions IV inc.

[2]           En bref, il allègue que les défendeurs n’ont pas respecté l’entente qui est intervenue lors de son passage à l’émission « Dans l’œil du dragon », soit l’achat de son brevet pour la somme forfaitaire de 50 000 $. Pour respecter la juridiction de la Cour du Québec lorsqu'elle siège en Division des petites créances, le demandeur a accepté de réduire sa réclamation à 7 000 $.

[3]           Les défendeurs contestent la réclamation. Pour l’essentiel, ils plaident que l’entente intervenue au cours de l’émission n’était pas finale. Elle demeurait assujettie, comme le prévoient les contrats signés par le demandeur, à une vérification diligente qui, dans le présent cas, s’est avérée non concluante.

LE CONTEXTE

[4]           Le demandeur est un inventeur.

[5]           Autour de 2008, il invente une toilette qui comporte un bidet. En vue de la commercialiser, il la décrit sous le nom de « Bideaumatic » et incorpore une société sous le même nom.

[6]           Le 18 septembre 2012, il obtient un brevet du « Director of the United States Patent and Trademark Office ». Le brevet obtenu faisait suite à une demande provisoire ayant été déposée le 21 juillet 2008.

[7]           En 2013, le demandeur décide de participer à l’émission « Dans l’œil du dragon ».

[8]            Cette émission, diffusée sur les ondes de Radio-Canada, permet à des femmes et des hommes déjà dans les affaires ou qui veulent s’y lancer de présenter un projet commercial à cinq experts issus du monde des affaires (« les Dragons ») en vue de les convaincre d’investir dans leur entreprise ou projet.

[9]           La défenderesse Attractions Images Productions IV inc. produit cette série télévisuelle qui est adaptée au marché québécois suivant un format international dont les droits (adaptation et diffusion) ont été acquis par Attraction Images inc.

[10]        Les défendeurs Henkel et Taillefer étaient deux des cinq Dragons pour la deuxième saison au cours de laquelle le demandeur a présenté son projet.

[11]        L’enregistrement de l’émission a été effectué le 13 mars 2013. Elle a été diffusée quelques semaines plus tard, le ou vers le 15 avril 2013.

[12]        Avant l’enregistrement de l’émission, le demandeur a signé deux documents. Le premier comporte une série de règles, directives et instructions. Le deuxième est titré « CONSENTEMENT ET QUITTANCE » ; dans son en-tête, elle porte l’avis suivant : « NE SIGNEZ PAS LE PRÉSENT DOCUMENT AVANT DE L’AVOIR LU ATTENTIVMENT ET DE L’AVOIR BIEN COMPRIS ».

[13]        En bref, ces documents ou contrats contiennent d’abord de nombreuses dispositions dont l’objectif est d’assurer que le projet commercial présenté est sérieux et honnête. D’autres clauses ou paragraphes énoncent qu’aucune entente finale n’est garantie et établissent un mécanisme de vérification diligente.

[14]        Séance tenante, le Tribunal a visionné l’émission au cours de laquelle le demandeur a présenté son invention aux « Dragons ». Le segment diffusé de son passage dure huit minutes environ. En tout, l’enregistrement se serait échelonné sur 58 minutes.

[15]        Le Tribunal retient que le demandeur expose aux « Dragons » qu’il recherche 50 000 $ en contrepartie de « 50 % de ses actifs ». Après la présentation de son produit et de nombreux échanges avec les « Dragons », M. Taillefer, presque immédiatement après que Mme Henkel eut exprimé un intérêt, présente une offre au demandeur : l’achat de son brevet ou 100 % de « Bideaumatic » pour 50 000 $. Mme Henkel laisse entendre, et tous comprennent qu’elle se joint à cette offre.

[16]        Le demandeur accepte la proposition. Une poignée de main s’ensuit.

[17]        À la fin de l’émission, le demandeur rencontre monsieur Normand Paré. Ce dernier lui fait signer un contrat intitulé « convention post-enregistrement ». De la preuve, il ressort que cette personne a été engagée par les Dragons pour prendre en charge toutes les étapes subséquentes devant conduire à la clôture de l’entente.

[18]        L’entente intervenue ne se matérialisera toutefois pas.

[19]        Quelques mois après la diffusion de l’émission, Mme Henkel et M. Taillefer font savoir au demandeur que le produit inventé ne leur paraissait pas être viable sur le plan commercial.           

[20]        En fait, il appert qu’ils ont contacté deux entreprises importantes qui œuvrent dans le domaine de la plomberie et de la distribution. Elles n’étaient pas intéressées à commercialiser la toilette-bidet du demandeur. Pour elles, le marché était marginal et le produit nécessitait encore quelques améliorations.

[21]         Les Dragons retirent donc leur offre d’acheter le brevet du demandeur.

[22]        Le 16 mars 2013, le demandeur met en demeure les défendeurs. Il exige de recevoir une « compensation », alléguant que les Dragons s’étaient retirés de leur entente en soulevant seulement des prétextes.

[23]        Dans sa procédure judiciaire, le demandeur déclare que l’entente intervenue pendant l’émission ne comportait aucune condition, elle ne concernait que l’achat du brevet et non pas l’entreprise à proprement parler ou son « bilan ».

[24]        Le demandeur précise dans son témoignage qu’à la suite de son passage à l’émission et de ses discussions avec M. Paré, le représentant des Dragons, il a cessé pendant plusieurs mois toutes ses démarches pour tenter de vendre son brevet ou pour fabriquer des toilettes-bidet. Il attendait que Mme Henkel et M. Taillefer complètent les vérifications qu’ils souhaitaient faire.

ANALYSE ET MOTIFS

[25]        L’article 1434 C.c.Q. énonce ce qui suit :

1434. Le contrat valablement formé oblige ceux qui l'ont conclu non seulement pour ce qu'ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi.

[26]        En l’espèce, eu égard à la preuve faite de part et d’autre, le Tribunal conclut que le recours du demandeur ne peut réussir.  

[27]        D’une part, tous les contrats ou documents qu’il a signés, que ce soient les deux premiers, signés juste avant l’enregistrement de l’émission, ou celui intitulé « Convention post-enregistrement » signé immédiatement après, contiennent plusieurs clauses ou dispositions, clairement rédigées, qui convergent toutes vers une idée maîtresse : une entente intervenue pendant l’émission n’est pas finale, elle est conditionnelle à une vérification diligente ou à d’autres vérifications que les Dragons estiment utiles.

[28]         D’autre part, le demandeur ne pouvait ignorer que l’émission « Dans l’œil du dragon » est une série télévisuelle qui participe de la nature d’une téléréalité dont certains aspects relèvent avant tout d’un « spectacle ». Si les entrepreneurs bénéficient d’emblée d’une forte publicité pour leur projet commercial, ils ne peuvent en revanche prétendre que les discussions et, le cas échéant, les ententes intervenues pendant l’émission respectent le cours normal des transactions commerciales.

[29]        Les nombreuses réserves et dispositions énoncées aux contrats intervenus entre les parties quant au caractère non final des ententes conclues pendant l’émission prennent du reste tout leur sens dans cette perspective.

[30]        Le demandeur ne peut retenir ce qui fait son affaire de sa participation à l’émission et écarter ce qui ne le favorise pas. Ainsi, n’est pas bien fondé son argument suivant lequel l’entente exposée pendant l’émission était « finale », parce qu’elle ne comportait aucune condition et qu’elle ne concernait que son brevet, sans égard à sa société et ses actifs.

[31]        Pour le Tribunal, tel qu’il ressort des divers documents signés, quelle que soit la nature de l’entente intervenue pendant l’émission, elle restait assujettie aux conditions prévues dans les contrats liant les parties. Le demandeur les a librement signés. Il doit vivre avec les effets qu’ils comportent. L’entente intervenue pendant l’émission n’était donc pas finale et les « Dragons » pouvaient retirer leur offre après les vérifications effectuées.

[32]        La demande judiciaire doit donc être rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la réclamation du demandeur, avec les frais judiciaires de 157 $.

 

 

__________________________________

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 19 mars 2015

 

AVIS :
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