Société en commandite Manoir Richelieu et Dollard Émond (fils) |
2007 QCCLP 6374 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 19 juin 2007, Société en commandite Manoir Richelieu (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 2 mai 2007 qui a été rectifiée le 17 mai suivant.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette les requêtes de l’employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 11 avril 2006 de même qu’une décision rendue par la CSST le 1er septembre 2005 dont la demande de révision avait été déclarée irrecevable et déclare que monsieur Dollard Émond (le travailleur) ainsi que madame Jocelyne Tremblay (la travailleuse) ont droit à l’indemnité de remplacement du revenu pendant la durée de la grève qui a débuté le 24 août 2005.
[3] L’employeur est présent et représenté par procureur lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision à Québec le 1er novembre 2007. La travailleuse et le travailleur sont aussi représentés à l’audience.
L’AVIS DES MEMBRES
[4] Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des associations syndicales estiment que la requête en révision doit être rejetée. La décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007 ne comporte aucun vice de fond de nature à l’invalider. La première commissaire a interprété de façon exhaustive et rationnelle les faits ainsi que le droit applicable à la question en litige dont elle était saisie. Le recours en révision n’est pas un appel. Il ne permet pas à une partie qui est insatisfaite de la décision rendue d’obtenir une nouvelle appréciation de la preuve et du droit à partir des mêmes arguments ou d’arguments nouveaux, voire bonifiés.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L’employeur demande la révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007 pour les motifs qu’il énonce comme suit à sa requête :
[…]
5. L’employeur Société en commandite Manoir Richelieu, partie requérante à la décision du 2 mai 2007, estime être en droit d’en demander la révision au motif qu’elle est entachée d’un vice de fond ou de procédure suffisamment sérieux et de nature à l’invalider, et ce plus particulièrement mais non limitativement en ce que :
a) la décision est entachée d’une erreur déterminante lorsque la commissaire conclut que c’est l’employeur qui n’a pu assigner temporairement le travailleur et la travailleuse parce que le Code du travail lui interdit de faire travailler un salarié en grève;
b) la décision est entachée d’une erreur déterminante lorsque la commissaire affirme que la question du droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit être résolue en considérant uniquement les dispositions de la LATMP et non les dispositions du Code du travail qui est une loi d’ordre public;
c) La décision est entachée d’une erreur déterminante lorsque la commissaire conclut erronément qu’un travailleur en assignation temporaire ne peut être traité de la même façon que les autres travailleurs de l’entreprise et ne peut être soumis aux dispositions de la convention collective, contrairement aux dispositions de l’article 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) qui stipulent expressément qu’en assignation temporaire, il y a un changement de statut du travailleur puisque ce dernier revient à la charge de l’employeur et non plus à la charge de la CSST;
d) La décision est entachée d’une erreur déterminante lorsque la commissaire conclut que le travailleur et la travailleuse ont droit à la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) en raison de la grève légale, et ce, passant outre aux dispositions impératives de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui stipulent que le versement de l’IRR est effectué seulement si son incapacité d’effectuer le travail en assignation temporaire est relié à sa lésion professionnelle et non à un conflit de travail, tel que stipulé par l’article 44 de la LATMP.
6. L’employeur croit qu’il est justifié de réviser la décision rendue le 2 mai 2007 par la CLP puisque celle-ci devient irrationnelle et incohérente par rapport aux lois en matière de relations de travail qui sont d’ordre public.
7. L’employeur croit qu’il est également justifié de réviser la décision rendue le 2 mai 2007 par la CLP puisque celle-ci conclut à une conclusion qui va à l’encontre des dispositions claires de la LATMP concernant les assignations temporaires, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ainsi que sur les fondements mêmes à l’origine de l’implantation du régime d’indemnisation en cas d’accident du travail;
8. De plus, l’employeur se réserve le droit d’ajouter et de parfaire les motifs au soutien de la présente requête;
[…]
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a matière à réviser la décision qu’elle a rendue le 2 mai 2007.
[7] Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue est prévu en ces termes à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi):
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] L’article 429.56 constitue une dérogation à la règle énoncée à l’article 429.49 de la loi qui stipule qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] La révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles n’est possible que dans les situations énoncées à l’article 429.56 de la loi. Une telle procédure ne peut, en aucun cas, constituer un second appel ou un appel déguisé[1].
[10] Par sa requête en révision, l’employeur invoque le troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, soit un vice de fond de nature à invalider la décision. La jurisprudence a établi qu’il faut entendre par ces termes une erreur manifeste de fait ou de droit qui est déterminante sur l’issue de la contestation[2].
[11] Il y a erreur manifeste si la décision attaquée méconnaît une règle de droit, applique un faux principe, statue sans preuve, néglige un élément de preuve important ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[3].
[12] La Cour d’appel du Québec a été appelée à se prononcer sur la notion de vice de fond, notamment dans l’affaire Bourassa[4] où elle réitère les principes suivants :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments4.
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[13] La notion de vice de fond a également été analysée par la Cour d’appel dans l’affaire CSST c. Fontaine[5] où le juge Morissette rappelle le principe suivant lequel une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel reprend à nouveau ce principe dans l’affaire Touloumi[6].
[14] Le juge Morissette, dans l’affaire Fontaine[7], précise en outre ce qui suit:
[…] Il faut se garder d’utiliser à la légère l’expression «vice de fond de nature à invalider» une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acceptation courante plutôt que dans son acceptation juridique […].
[15] La Cour d’appel invite la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision à faire preuve d’une très grande retenue. La notion de vice de fond ne doit pas être utilisée à la légère. La Cour d’appel insiste sur la primauté qui doit être accordée à la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles. Cette décision fait autorité et ce n’est qu'exceptionnellement qu’elle pourra être révisée.
[16] Les faits qui ont donné lieu au litige dont le tribunal était saisi ont fait l’objet d’admissions qui sont rapportées en ces termes à la décision rendue par la première commissaire le 2 mai 2007 :
[16] Il convient en premier lieu de reproduire intégralement les admissions faites par les parties à l’audience :
« Monsieur Dollard Émond (fils)
1. Monsieur Dollard Émond (fils) occupe un emploi de préposé à l’entretien ménager. Cet emploi est visé par l’unité « Hébergement », représentée par le Syndicat des employés-es du Manoir Richelieu (CSN).
2. L’Employeur a assigné Monsieur Dollard Émond (fils) dans une fonction relevant de l’unité « Hébergement ». Monsieur Dollard Émond (fils) n’a jamais contesté l’assignation temporaire.
3. Monsieur Dollard Émond (fils) a été en assignation temporaire à partir du 20 septembre 2004.
4. Du 24 août 2005 au 17 mars 2006, l’unité « Hébergement » a été en grève légale;
5. La CSST a repris le versement de l’I. R .R., pendant la période de grève légale, soit du 25 août 2005 au 17 mars 2006. Pendant cette période, Monsieur Dollard Émond (fils) était en mesure d’effectuer physiquement de l’assignation temporaire offerte auprès de l’Employeur.
6. Monsieur Dollard Émond (fils) a été de retour au travail le ou vers le 17 mars 2006 dans les mêmes fonctions que celles qu’il occupait le 25 août 2005.
7. L’Employeur a appliqué à M. Dollard Émond (fils) l’article 18 de la convention collective aux fins de calcul de son indemnité de vacances (voir art. 18 ci-joint).
Madame Jocelyne Tremblay
8. Mme Jocelyne Tremblay occupait un emploi de préposé à la buanderie. Cet emploi est visé par l’unité « Hébergement » représentée par Syndicat des employées du Manoir Richelieu (CSN).
9. Madame Jocelyne Tremblay a été en assignation temporaire à partir du 18 février 2005.
10. Du 24 août 2005 au 17 mars 2006, l’unité « Hébergement » a été en grève légale.
11. La CSST a repris le versement de l’I. R. R., pendant la période de la grève légale, soit du 25 août 2005 au 17 mars 2006. Pendant cette période, Madame Jocelyne Tremblay était en mesure d’effectuer physiquement de l’assignation temporaire offerte auprès de l’Employeur.
12. Madame Jocelyne Tremblay a été de retour au travail le ou vers le 17 mars 2006 dans les mêmes fonctions que celles qu’elle occupait le 25 août 2005.
13. L’Employeur a appliqué à Mme Jocelyne Tremblay l’article 18 de la convention collective aux fins de calcul de son indemnité de vacances (voir art. 18 ci-joint).
Autres admissions
14. Le Manoir Richelieu œuvre dans le domaine de l’hôtellerie. Il existe quatre (4) unités d’accréditation au Manoir Richelieu :
- l’unité « Hébergement » représentée le Syndicat des employé-es du Manoir Richelieu (CSN);
- l’unité « Restauration » représentée par les Travailleurs et les Travailleuses Unis de l’Alimentation et du Commerce, section locale 503;
- l’unité « Sécurité » représenté par l’Union des agents de sécurité du Québec (Syndicat des métallos), section locale 8922 (FTQ);
- l’unité « Golf » représenté par les Travailleurs et Travailleuses Unis de l’Alimentation et du Commerce, section local 503.
Par ailleurs, le travail administratif est hors unité d’accréditation.
15. Outre des fonctions dans lesquelles M. Émond et Mme Tremblay ont été assignés, d’autres fonctions pour de l’assignation temporaire étaient disponibles auprès de l’Employeur (ex : travail administratif (classement, etc.) ou du travail relevant d’autres unités d’accréditation).
16. En tout temps pertinent aux présentes, l’Employeur n’a jamais interrompu les opérations de l’hôtel et n’a jamais indiqué aux salariés membres de l’unité, dont Monsieur Dollard Émond (fils) et Madame Jocelyne Tremblay, de ne pas se présenter au travail ». (Sic)
[17] Au paragraphe 17 de la décision rendue le 2 mai 2007, la première commissaire expose en ces termes la question en litige :
[17] La question que le tribunal doit trancher est celle de savoir si le travailleur et la travailleuse, qui ont tous deux subi une lésion professionnelle, ont droit à l’indemnité de remplacement du revenu lorsque leur assignation temporaire devient impossible en raison de la grève qui a cours dans l’établissement de leur employeur.
[18] L’argumentation que soumet l’employeur au soutien de sa requête est résumée comme suit aux paragraphes 18 et suivants de la décision rendue le 2 mai 2007:
[18] L’employeur plaide qu’étant donné que le régime collectif de relations de travail les gouvernent au même titre que les salariés qui n’ont pas subi une lésion professionnelle, ils n’ont pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la LATMP.
[19] Selon les prétentions plus particulières de l’employeur, lorsque la victime d’une lésion professionnelle est assignée temporairement en vertu de l’article 179 de la LATMP, son statut change; elle devient assujettie comme les autres salariés au régime de relation de travail prévu par la convention collective et le Code du travail.
[20] Les dispositions du Code du travail étant impératives, on ne peut conclure que l’indemnité de remplacement du revenu doit être payée lorsque la grève empêche l’assignation temporaire. C’est pourquoi la position adoptée dans certaines décisions de ce tribunal1 lui parait incompatible avec le régime collectif de relations de travail mis en place par l’accréditation syndicale.
[21] L’employeur invoque plusieurs décisions2 ainsi que l’opinion de certains auteurs3 au soutien de son argument.
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1 Westroc inc. et Beauchamp, 152387-62-0012, 15 mai 2001, L. Vallières; Brasserie Labatt ltée et CSST, 230582-64-0403-2, 16 janvier 2006, P. Perron; Groupe Jean Coutu (PJC) inc., 208306-62A-0305, 16 mars 2004, R. L. Beaudouin.
2 Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas et als., 187742-72-0207-C, 14 mars 2005, M. Denis, requête en révision rejetée, 1er mars 2006, M. Zigby; Leblanc et Société des alcools du Québec, 254389-05-0502, 15 mai 2006, D. Gruffy; Jetté et Hydro-Québec, 224861-63-0401, 31 mai 2005, F. Dion-Drapeau; Société Chabot Métal Tech et Rhéaume, 158077-61-0104, 21 janvier 2002, S. Di Pasquale; Isidore Garon ltée c. Tremblay, [2006] 1 RCS 27 ; Syndicat des employés de Uni Royal (CSN) c. Union des ouvriers du caoutchouc synthétique, local 78 de l’Union internationale des employés de distilleries, rectification, vins et industries connexes d’Amérique et als [1980] T.T. 150.
3 GAGNON, Robert P., Le droit du travail au Québec, Éditions Yvon Blais, 5e Édition, 2003, p. 437-469; VERGE, Pierre, Le droit de grève, Éditions Yvon Blais inc., 1985, p. 3-51.
[19] Les motifs de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007 comportent une analyse exhaustive du droit applicable à la situation en litige qu’il y a lieu de reproduire intégralement dans le cadre de la présente requête en révision :
[27] Les conditions permettant à un travailleur victime d’une lésion professionnelle d’acquérir le droit à l’indemnité de remplacement du revenu sont énoncées à l’article 44 de la LATMP :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
[28] Les conditions d’extinction de ce droit sont par ailleurs prévues à l’article 57 de la LATMP :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[29] En l’espèce, ni la travailleuse ni le travailleur ne sont redevenus capables d’exercer leur emploi, n’ont atteint l’âge de 68 ans ou ne sont décédés.
[30] Donc, en principe, ils conservent leur droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Le fait que l’employeur ne puisse, en raison de la grève qui a cours dans son établissement, les assigner temporairement à un autre travail leur fait-il perdre ce droit auquel ils peuvent prétendre en vertu de la LATMP ? Le tribunal croit que la réponse à cette question doit être négative, et ce, conformément à une partie de la jurisprudence qui sera discutée plus loin.
[31] Les articles 179 , 180 et 142 de la LATMP sont les seules dispositions relatives à l’assignation temporaire. Il convient en premier lieu d’en examiner le texte :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
(…)
2° si le travailleur, sans raison valable:
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
(…)
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
(nos soulignements)
[32] Le texte même de ces trois dispositions permet en premier lieu de conclure que le fait d’être assigné temporairement à un travail n’emporte pas l’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu5. Si ce droit était éteint par l’assignation temporaire, il aurait été en effet inutile et incohérent d’en prévoir la suspension ou la réduction. L’employeur admet la justesse de cette position.
[33] Deuxième constat ressortant de la lecture du texte de ces dispositions : le seul changement apporté par une assignation temporaire autorisée conformément à l’article 179 de la LATMP est, qu’à compter de ce moment, l’employeur doit payer au travailleur qui fait le travail le salaire et les autres avantages qui sont afférents à son emploi pré-lésionnel.
[34] Mais le texte de ces dispositions ne permet pas de conclure que le statut de la victime d’une lésion professionnelle est changé. Par exemple, si la victime ne fait pas un travail en assignation temporaire pendant toute la durée de la semaine de travail, la CSST conserve son obligation de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu6 pour le temps non travaillé.
[35] En fait, le travailleur et la travailleuse demeurent assujettis à la LATMP parce qu’ils ont subi une lésion professionnelle et, à ce titre, ils peuvent prétendre aux prestations prévues par la LATMP tant et aussi longtemps qu’ils en rencontrent les conditions.
[36] Il n’y a aucune indication, même implicite, dans ces trois dispositions à l’effet que l’assignation temporaire a pour effet de soustraire la victime d’une lésion professionnelle du champ d’application de la LATMP ou de lui faire perdre les droits qui y sont prévus.
[37] La considération de l’objet de la LATMP, de son esprit et des autres dispositions qu’elle comporte, notamment les articles 44 et 57, mène à la même conclusion.
[38] L’objet de la LATMP est décrit à l’article 1 dans les termes suivants :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
(nos soulignements)
[39] La victime a droit à la réparation de la lésion professionnelle et de ses conséquences, dans la mesure prévue à la LATMP. Or, l’assignation temporaire ne constitue pas une pleine mesure de réparation. Il ne s’agit que d’une modalité particulière de retour au travail qui peut favoriser la réadaptation du travailleur d’une part, ainsi que la diminution des coûts imputés à l’employeur, d’autre part.
[40] La commissaire soussignée ne peut se convaincre que l’impossibilité pour un employeur de recourir à cette mesure de contrôle du coût des prestations a pour effet de faire perdre au travailleur un des droits fondamentaux de réparation prévus à la LATMP.
[41] Au contraire, en l’absence d’indication à cet effet, le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu doit, de l’avis de la commissaire soussignée, avoir préséance sur le droit de l’employeur de l’assigner temporairement, lorsque l’employeur ne peut concrètement s’en prévaloir.
[42] Une seule exception est prévue à la LATMP, lorsque la victime d’une lésion professionnelle omet ou refuse, sans raison valable, de faire le travail auquel on l’assigne. Or, il n’y a aucune preuve à l’effet que la travailleuse ou le travailleur ont refusé de faire le travail auquel l’employeur les a assignés.
[43] En réalité, la disponibilité de travail en assignation temporaire, dans un autre ou dans d’autres secteurs que celui de l’« Hébergement » qui a voté la grève, s’avère impertinente, puisqu’en fait, c’est l’employeur qui n’a pu assigner temporairement le travailleur et la travailleuse, parce que le Code du travail lui interdit de faire travailler un salarié en grève. L’article 142 de la LATMP ne s’applique donc pas.
[44] C’est pourquoi, la commissaire soussignée ne partage pas le point de vue exprimé dans l’affaire Vêtements Golden Brand non plus que celui exprimé dans l’affaire Société métal Tech inc7 .
[45] La position développée dans d’autres affaires8 parait mieux fondée. Aucune autre exception que celle prévue à l’article 142 n’est énoncée à la LATMP et il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles d’en créer pour des considérations d’équité, à l’encontre du texte, de l’esprit et de l’objet de cette loi. Le rôle du tribunal est de rechercher l’intention du législateur et d’appliquer la loi telle qu’elle est.
[46] Dans un autre ordre d’idées, notons que la question d’une éventuelle double indemnité ne se pose pas ici9, puisque l’employeur n’a rien payé à la travailleuse et au travailleur pendant la durée de la grève. Néanmoins, selon la jurisprudence nettement majoritaire10 de ce tribunal, le paiement par l’employeur de sommes d’argent au travailleur victime d’une lésion professionnelle pour toute autre raison que le travail fait en assignation temporaire ne le libère pas de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 180 de la LATMP.
[47] Le même raisonnement doit s’appliquer a fortiori lorsque l’employeur ne paie rien au travailleur pendant la période où l’assignation temporaire ne peut avoir lieu, comme c’est le cas en l’espèce.
[48] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la question du droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit être résolue en considérant les dispositions de la LATMP et non les dispositions du Code du travail : la LATMP s’y applique spécifiquement alors que le Code du travail ne prévoit absolument rien sur la question.
[49] Avec égard pour l’argumentation astucieuse présentée par le procureur de l’employeur, la commissaire soussignée ne peut accepter la proposition voulant que l’application de l’article 109.1 du Code du travail a pour effet de faire perdre le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévu à la LATMP qui appartient à la victime d’une lésion professionnelle, parce qu’elle ne peut être assignée temporairement à un autre travail dans l’établissement de l’employeur en raison d’une grève.
[50] L’article 109.1 du Code du travail se lit comme suit :
109.1. Pendant la durée d'une grève déclarée conformément au présent code ou d'un lock-out, il est interdit à un employeur:
a) d'utiliser les services d'une personne pour remplir les fonctions d'un salarié faisant partie de l'unité de négociation en grève ou en lock-out lorsque cette personne a été embauchée entre le jour où la phase des négociations commence et la fin de la grève ou du lock-out;
b) d'utiliser, dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d'une personne à l'emploi d'un autre employeur ou ceux d'un entrepreneur pour remplir les fonctions d'un salarié faisant partie de l'unité de négociation en grève ou en lock-out;
c) d'utiliser, dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d'un salarié qui fait partie de l'unité de négociation alors en grève ou en lock-out à moins:
i. qu'une entente ne soit intervenue à cet effet entre les parties, dans la mesure où elle y pourvoit, et que, dans le cas d'un établissement visé à l'article 111.2, cette entente ait été approuvée par le Conseil des services essentiels;
ii. que, dans un service public, une liste n'ait été transmise ou dans le cas d'un établissement visé à l'article 111.2, n'ait été approuvée en vertu du chapitre V.1, dans la mesure où elle y pourvoit;
iii. que, dans un service public, un décret n'ait été pris par le gouvernement en vertu de l'article 111.0.24.
d) d'utiliser, dans un autre de ses établissements, les services d'un salarié qui fait partie de l'unité de négociation alors en grève ou en lock-out;
e) d'utiliser, dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d'un salarié qu'il emploie dans un autre établissement;
f) d'utiliser, dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d'une personne autre qu'un salarié qu'il emploie dans un autre établissement sauf lorsque des salariés de ce dernier établissement font partie de l'unité de négociation alors en grève ou en lock-out;
g) d'utiliser, dans l'établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d'un salarié qu'il emploie dans cet établissement pour remplir les fonctions d'un salarié faisant partie de l'unité de négociation en grève ou en lock-out.
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1977, c. 41, a. 53; 1978, c. 52, a. 2; 1982, c. 37, a. 2; 1983, c. 22, a. 88; 1985, c. 12, a. 83.
(nos soulignements)
[51] Aucune des exceptions prévues à cette disposition ne s’applique ici.
[52] L’argument de l’employeur, s’il était accepté, lui conférerait une dispense d’application de la LATMP qui est d’ordre public parce qu’une autre loi, également d’ordre public, l’empêche d’assigner temporairement le travailleur ou la travailleuse victime d’une lésion professionnelle. Mais pareille dispense ne peut découler de la loi, telle que formulée ou correctement interprétée, et non d’une création jurisprudentielle.
[53] Soulignons incidemment que l’employeur n’est pas obligé d’assigner temporairement le travailleur victime d’une lésion professionnelle; il ne se trouve donc pas devant un conflit de lois tel que le respect de l’une entraine la contravention à l’autre. Il subit simplement l’effet de l’application des deux lois, dont le contenu diffère sans se contredire, puisque le Code du travail ne concerne pas le droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la victime d’une lésion professionnelle.
[54] Et la conséquence de l’application de la LATMP n’est pas ici différente de tous les autres cas où l’assignation temporaire n’a pas lieu, sans qu’il soit possible pour autant de suspendre ou réduire le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[55] Incidemment, la commissaire soussignée observe que nul ne s’enrichit sans cause lorsqu’à la suite d’une lésion professionnelle, il acquiert le droit à une indemnité de remplacement du revenu. Et ce ne sont pas les conditions de travail qui sont ici différentes selon que le salarié est ou non victime d’une lésion professionnelle. La différence réside plutôt dans le fait que celui qui est victime d’une lésion professionnelle acquiert des droits, en raison de cette lésion professionnelle, que les autres salariés n’ont pas. Cette situation n’a rien d’étrange ou d’injuste en elle-même puisqu’elle découle de la simple application de la LATMP.
[56] La situation de l’espèce s’avère en somme fondamentalement semblable à celle qui prévaut pendant les quatorze premiers jours d’incapacité, et qui, selon la jurisprudence nettement majoritaire, est indépendante de circonstances extrinsèques à l’incapacité du travailleur victime d’une lésion professionnelle à exercer son emploi11, sauf évidemment les autres conditions d’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévues à l’article 57 de la LATMP.
[57] Cependant, il y a lieu de distinguer le cas de la travailleuse en retrait préventif qui ne peut plus être réaffectée en raison de la fermeture de l’établissement de l’employeur ou de la fin de son emploi.
[58] À la différence du droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la victime d’une lésion professionnelle, le droit au retrait préventif est essentiellement un droit de réaffectation à un travail ne comportant pas de danger pour la travailleuse enceinte ou pour son enfant à naître, ou dans le cas de l’allaitement, pour l’enfant allaité. Ce n’est qu’à défaut d’une réaffectation que la travailleuse peut revendiquer le droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[59] C’est pourquoi, la jurisprudence maintenant nettement majoritaire est à l’effet que la travailleuse ne peut prétendre à l’indemnité de remplacement du revenu12 lorsque la réaffectation est impossible en raison de la fin du contrat de travail ou de la fermeture de l’entreprise.
[60] Mais le droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la victime d’une lésion professionnelle ne dépend d’aucune façon de la faculté de l’assigner temporairement; il ne dépend que de son incapacité à exercer son emploi qui résulte de la lésion professionnelle. L’autorisation d’assignation donnée par le médecin traitant de la victime d’une lésion professionnelle ne concerne d’aucune façon la capacité de la victime à exercer son emploi. Elle concerne sa capacité à exécuter d’autres tâches qui sont compatibles avec sa condition. La présomption d’incapacité prévue à l’article 46 de la LATMP n’est donc pas renversée par l’autorisation d’assignation. D’ailleurs, si la victime redevenait capable d’exercer son emploi, elle perdrait purement et simplement son droit à l’indemnité de remplacement du revenu et la question soumise ici ne se poserait tout simplement pas.
[61] Mais l’employeur plaide qu’il faut appliquer ici les enseignements de la Cour suprême du Canada, énoncés dans l’affaire Isidore Garon ltée13.
[62] Dans cette affaire, le tribunal devait déterminer si un employé syndiqué, mis à pied à la suite d’une fermeture d’usine, peut revendiquer une indemnité de départ en vertu du droit commun, plus importante que l’indemnité payable en vertu de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1), à laquelle la convention collective applicable renvoie. La Cour suprême devait également déterminer si un arbitre de griefs a compétence pour statuer sur la question.
[63] Une majorité de cinq juges a conclu qu’une règle de droit commun, de nature supplétive ou impérative doit être appliquée par un arbitre de griefs qui a compétence pour disposer des droits en découlant, dans la mesure où elle est compatible avec le régime collectif des relations du travail.
[64] De l’avis des juges de la majorité, la subordination du contrat individuel de travail au régime collectif permet de réconcilier les intérêts collectifs et les intérêts individuels, là où les intérêts individuels peuvent subsister sans entraver la bonne marche des relations collectives. Ils expriment l’avis que le régime collectif des relations de travail, considéré dans cette perspective, forme un ensemble juridique cohérent.
[65] Appliquant ce principe à l’affaire qui leur est soumise, les juges de la majorité considèrent que les dispositions prévues au Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64) ne sont pas compatibles avec le régime collectif de travail, pour trois motifs qu’ils énoncent, mais qu’il n’est pas opportun de reproduire ici.
[66] La Cour suprême devait donc dans cette affaire se prononcer sur la hiérarchie des droits existants en vertu de la convention collective, d’une part, et du Code civil du Québec, d’autre part dans le contexte où les deux sources de droit différaient sur la question de l’étendue de l’indemnité payable à la suite de la terminaison du contrat de travail.
[67] Elle n’a pas statué sur la solution à apporter à un éventuel conflit entre la LATMP et le Code du travail quant au droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la victime d’une lésion professionnelle.
[68] Même en assimilant la LATMP à un élément du contrat individuel de travail et le Code du travail au régime collectif de relations du travail, on ne peut, de l’avis de la commissaire soussignée, extrapoler le raisonnement retenu dans cette affaire au présent litige.
[69] Le régime d’indemnisation prévu à la LATMP constitue en effet une mesure alternative de réparation des lésions professionnelles qui s’applique à l’exclusion du recours de droit commun prévu au Code civil du Québec14. À l’égard de l’indemnisation de la victime d’une lésion professionnelle, c’est donc la LATMP et le Code civil du Québec qui pourraient, s’il n’y avait prohibition de recours, se contredire, se compléter ou être subordonnés l’un à l’autre, et non pas la LATMP et le Code du travail, puisque le Code du travail ne comporte aucune disposition qui y est relative.
[70] Pour les motifs déjà exprimés au paragraphe [53], la commissaire soussignée conclut qu’il n’y a aucun conflit entre la LATMP et le Code du travail sur la question en litige.
[71] Il ne saurait donc être ici question d’appliquer le principe de la subordination du contrat individuel de travail au régime collectif de relations du travail énoncé par la Cour suprême dans l’affaire Isidore Gagnon.
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5 Voir à cet effet Komatsu International inc. et Gagnon, [1999], C.L.P. 130 ; Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas, précitée note 2, paragraphe 54.
6 Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche et Jodoin, [1993] C.A.L.P. 881 ; Centre d'accueil Louis Riel et Boivin, 151809-72-0012, 20 juin 2001, C.-A. Ducharme; Côté et Les établissements de détention du Québec, 149640-04-0011, 16 août 2001, R. Ouellet; Wal-Mart Canada inc. et Légaré, 171964-32-0110, 2 octobre 2002, G. Tardif
7 Précitée, note 2
8 Westroc inc. et Beauchamp, précitée note 1; Bombardier inc. et CSST, précitée, note 1; Imprimeries Transcontinental inc. et Masson, 92289-04-9710, 20 octobre 1998, M. Renaud; Centre hospitalier Gaspé et Reeves, [1998] C.L.P. 1391 ; Galipeau et Métachimie Canada, 120212-62B-9907, 21 décembre 1999, Alain Vaillancourt; Chaput et Distribution Gypco 1988 inc., 173764-71-0111, 27 mai 2002, L. Landriault; Lapointe et Démix Béton, 205429-05-0304, 19 décembre 2003, F. Ranger; Émond et Vêtements de sports Gildan inc., [2004] C.L.P. 1317 .
9 Cette situation a été discutée dans les affaires Bridgestone Firestone Canada inc. et Perreault, [1995] C.A.L.P. 1225 ; Langlois et Lambert Somec inc., [1999] C.L.P. 420 ; Papa et Manufacturier de bas Siebruck ltée, 135520-71-0004, 12 septembre 2000, Anne Vaillancourt; Demix béton/agrégats et Wilford, 148212-62A-0010, 2 octobre 2001, R. Hudon; Gosselin et Mines Jeffrey inc., 173682-05-0111, 19 septembre 2002, M.-C. Gagnon; Komatsu International inc. et Gagnon, précitée, note 5; Émond et Vêtements de sports Gildan inc., précitée, note 8.
10 Voir la jurisprudence citée à la note précédente.
11 Lapointe et Papier journal Domtar inc. [1986] C.A.L.P. 116 , requête en évocation rejetée, [1987] C.A.L.P. 254 (C.S.) appel accueilli, [1991] C.A.L.P. 957 (C.A.), pourvoi accueilli, [1993] C.A.L.P. 613 (C.S.C.); Verrette et Écorceurs D.B. inc., 15057-05-08910, 27 octobre 1995, J.-C. Danis (J7-09-06); Lambert et Vic Métal Corporation, précitée, note 4; Walsh et Ernest Hotte inc., [2004] C.L.P. 959 ; Gagné & Roy inc. et Maltais, 167575-72-0108, 26 avril 2005, F. Juteau (05LP-24).
12 Voir par exemple Desjardins et als. et Commission scolaire des draveurs et als, 283906-07-0603, 14 décembre 2006, D. Beauregard, J. Landry et M. Langlois; Grenier et al. et Commission scolaire de l’Énergie, 249599-04-0411, 18 novembre 2005, J.-F. Clément; C.L.P.E. 2005 (LP203); Leblanc et Société des alcools du Québec, précitée note 2; Plante et Société des alcools du Québec, précitée, note 2
13 Précitée note 2.
14 Voir les articles 438 et ss de la LATMP
[20] L’employeur soutient que la première commissaire a erré de façon manifeste et déterminante, suivant la teneur des paragraphes 30 à 41 de la décision rendue le 2 mai 2007, en ne répondant pas à la bonne question dans le cadre du litige dont elle était saisie relativement au droit de la travailleuse et du travailleur, victimes d’une lésion professionnelle, à l’indemnité de remplacement du revenu pendant la grève légale.
[21] L’employeur estime que l’analyse et les conclusions de la première commissaire sont erronées car elles reposent sur une mauvaise prémisse. La question qu’elle devait se poser n’était pas, selon lui, de savoir si le fait que l’employeur ne pouvait assigner la travailleuse et le travailleur à d’autres tâches pendant la grève légale faisait perdre à ces derniers leur droit à l’indemnité de remplacement du revenu. L’employeur ayant poursuivi ses opérations tout en ayant des tâches disponibles, la première commissaire devait plutôt se demander pourquoi les travailleurs membres de l’unité d’accréditation ont cessé de fournir leur prestation de travail en assignation temporaire. La réponse à cette question étant la grève légale, à savoir le refus de travail des membres de l’unité d’accréditation « Hébergement » dont la travailleuse et le travailleur faisaient partie, la première commissaire devait conclure que ces derniers n’avaient pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’ils avaient contrevenu à l’article 179 de la loi qui ne prévoit pas d’exception au droit de l’employeur de les assigner temporairement à d’autres tâches compte tenu de l’incapacité résultant de leur lésion professionnelle avec obligation pour l’employeur de les rémunérer selon l’article 180 de la loi.
[22] Un tel motif doit être écarté.
[23] La question à trancher est énoncée au paragraphe 17 de la décision rendue le 2 mai 2007 où la première commissaire précise devoir décider si la travailleuse et le travailleur ayant subi une lésion professionnelle ont droit à l’indemnité de remplacement du revenu « lorsque leur assignation temporaire devient impossible en raison de la grève qui a cours dans l’établissement de leur employeur ».
[24] Après avoir résumé les prétentions respectives des parties, aux paragraphes 18 à 26, la première commissaire énonce les dispositions légales qui établissent le début et la fin du droit à l’indemnité de remplacement du revenu, à savoir les articles 44 et 57 de la loi. Elle conclut, au paragraphe 30, que la travailleuse et le travailleur conservent en principe le droit à cette indemnité à la lumière des articles précités.
[25] Au même paragraphe 30, la première commissaire se demande ensuite s’il y a perte de ce droit à l’indemnité de remplacement du revenu du fait que l’employeur ne puisse, en raison de la grève légale qui a cours dans son établissement, assigner temporairement la travailleuse et le travailleur à d’autres tâches.
[26] Une telle interrogation constitue non pas une prémisse erronée mais la question déjà soulevée et analysée dans des situations analogues à même la jurisprudence qui est partagée sur le sujet. La première commissaire opte au paragraphe 30, puis à nouveau aux paragraphes 43, 44 et 45, pour l’un des courants d’interprétation dans l’exercice de sa compétence exclusive, et ce, à partir de la preuve et des arguments qui lui ont été soumis. La légitimité du courant jurisprudentiel qu’elle privilégie ne peut être remise en cause par le biais du présent recours en révision.
[27] La première commissaire conclut que la travailleuse et le travailleur en pareil cas ne perdent pas leur droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Elle s’en explique de façon cohérente et fort motivée aux paragraphes 32 et suivants de la décision où elle analyse la portée des dispositions légales qui concernent l’assignation temporaire, à savoir la faculté qu’a l’employeur d’assigner temporairement la travailleuse et le travailleur victimes d’une lésion professionnelle à d’autres tâches, suivant l’article 179 de la loi, avec obligation de les rémunérer lorsqu’ils font le travail qui leur est assigné, selon l’article 180 de la loi.
[28] La question en litige, telle que reformulée par l’employeur en l’instance, repose sur de nouveaux arguments, ce que ne permet pas le recours en révision. Au surplus, même si la question en litige avait été soulevée et analysée sous l’angle particulier d’un refus de travail de la part des travailleurs membres de l’unité « Hébergement » en grève légale, cela n’aurait pas changé les conclusions retenues par la première commissaire. L’employeur ne pouvait de toute façon se prévaloir du droit à l’assignation temporaire. L’arrêt de travail, qu’il soit initié par l’unité de négociation refusant le travail en votant la grève ou par l’employeur lui-même dans le cadre d’un lock-out, conduit au même résultat. L’article 109.1 du Code du travail, qu’analyse la première commissaire aux paragraphes 49 à 52 de la décision rendue le 2 mai 2007, interdit à l’employeur d’utiliser, dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d’un salarié qui fait partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out. De plus, au paragraphe 56, la première commissaire, procédant par analogie avec la jurisprudence sur l’interprétation de l’article 60 de la loi, assimile la grève légale à une circonstance extrinsèque à l’incapacité résultant de la lésion professionnelle de la travailleuse et du travailleur, tout en précisant qu’une telle circonstance ne peut faire échec au droit de ces derniers à l’indemnité de remplacement du revenu.
[29] Au paragraphe 53 de la décision rendue le 2 mai 2007, la première commissaire souligne en outre que l’employeur n’est pas tenu de procéder à l’assignation temporaire en contravention avec les prescriptions du Code du travail, lequel ne traite par ailleurs aucunement du droit à l’indemnité de remplacement du revenu contrairement à la présente loi. L’employeur subit l’application des deux lois qui diffèrent par leur contenu sans pour autant se contredire. La prétention de l’employeur à l’effet que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007 est incohérente et irrationnelle par rapport aux lois en matière de relations de travail, qui sont également d’ordre public, ne résiste aux constats et à l’analyse précités dont l’exactitude n’est d’ailleurs aucunement remise en cause.
[30] L’employeur soutient que la première commissaire a commis une autre erreur en affirmant, au paragraphe 42 de la décision rendue le 2 mai 2007, qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que la travailleuse et le travailleur ont refusé, selon l’article 142 de la loi, de faire le travail auquel l’employeur les a assignés. L’employeur déclare qu’une telle affirmation est contraire à la preuve factuelle qui a été admise en l’espèce. Il ajoute que la grève est définie comme étant un arrêt de travail concerté de la part des salariés, selon la doctrine qu’il a déjà soumise à la première commissaire.
[31] Un tel motif doit également être écarté.
[32] Selon la teneur des admissions de faits contenues au paragraphe 16 de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007, c’est l’unité « Hébergement » qui est en grève légale. La notion de grève, telle que définie et analysée par la doctrine présentée à la première commissaire, procède d’une volonté collective de cesser de travailler. Ce geste collectif ne saurait se réduire à la simple addition de décisions individuelles mais indépendantes de la part de salariés de s’abstenir du travail. Il s’agit plutôt de l’inaction concertée d’un groupe de salariés.
[33] L’affirmation de la première commissaire à l’effet qu’il n’y a aucune preuve que la travailleuse et le travailleur ont refusé de faire le travail auquel l’employeur les a assignés n’est donc pas contraire à la preuve qui lui a été présentée. Le refus de travail constitue une décision collective de l’unité d’accréditation à laquelle la travailleuse et le travailleur appartiennent et non une décision de la part de ces derniers de refuser de faire le travail qui leur est assigné par l’employeur au sens de l’article 142 de la loi. La travailleuse et le travailleur auraient pu être en désaccord avec la décision prise par leur unité d’accréditation qui a voté la grève, sans pour autant que cela ait empêché cette grève légale et ses effets sur leur assignation temporaire.
[34] De plus, comme le précise la première commissaire au paragraphe 42 de la décision rendue le 2 mai 2007, la travailleuse et la travailleur qui refusent, sans raison valable, de faire l’assignation qui leur est proposée s’exposent à ce que la CSST suspende ou réduise le versement de leur indemnité de remplacement du revenu selon l’article 142 de la loi. Le fait qu’elle conclut, au paragraphe 43, que cette disposition ne peut trouver application dans les cas sous étude où l’assignation temporaire ne peut avoir lieu malgré la disponibilité d’un tel travail dans d’autres secteurs que celui de l’hébergement vu l’interdiction qui est faite à l’employeur au Code du travail de faire travailler un salarié en grève est rationnelle et repose sur son interprétation des faits et du droit. Au surplus, il serait bien difficile de concevoir qu’il y ait refus de faire une assignation temporaire sans raison valable dans les circonstances établies en l’espèce.
[35] L’employeur réitère en outre les principaux arguments qu’il a déjà soumis à la première commissaire qui en a traité de façon détaillée, dans le cadre de la décision rendue le 2 mai 2007, en ce qui concerne notamment l’application des dispositions de la convention collective au travailleur en assignation temporaire comme à tous les autres travailleurs de l’entreprise de même que la primauté des droits collectifs sur les droits individuels incluant les principes énoncés en la matière par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Isidore Garon ltée[8]. Nous y reviendrons ultérieurement lors de l’analyse des motifs invoqués dans le cadre de la requête en révision déposée par l’employeur.
[36] L’employeur soutient que le raisonnement tenu par la Commission des lésions professionnelles peut entraîner des situations absurdes et injustes. Il invoque plus particulièrement l’effet de la jurisprudence du tribunal qui permet, d’une part, la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu aux travailleurs accidentés dont l’unité de négociation a voté la grève et, d’autre part, l’imputation du coût de telles prestations à l’employeur qui n’a pu poursuivre l’assignation temporaire en pareil cas.
[37] À même l’argumentation précitée qu’il présente à l’audience de sa requête en révision, l’employeur souhaite de toute évidence obtenir une nouvelle analyse de la question en litige à la lumière d’une argumentation bonifiée. Or, tel n’est pas le but du recours en révision qui ne constitue pas un appel. Il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de substituer son appréciation des faits et du droit à celle de la première commissaire ni de procéder à l’analyse de la preuve à la lumière de nouveaux arguments, comme l’enseigne la jurisprudence de la Cour d’appel citée précédemment.
[38] Le présent tribunal constate que d’autres motifs énoncés à la requête en révision déposée par l’employeur ne permettent pas non plus de conclure à l’existence de vices de fond de nature à invalider la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007.
[39] Il n’y a pas d’erreur manifeste du fait que la première commissaire ait statué sur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse et du travailleur à la lumière de la présente loi et non du Code du travail dans le contexte où ce dernier, qui est également d’ordre public, ne prévoit aucune disposition au sujet de ce droit, comme l’indique le paragraphe 48 de la décision rendue le 2 mai 2007. Il ne s’agit pas de deux sources de droit qui diffèrent sur la question de l’indemnité comme dans l’affaire Isidore Garon[9]. La première commissaire écarte l’application de cette affaire pour les motifs qu’elle expose plus amplement aux paragraphes 66 et suivants de la décision en distinguant bien les questions de faits et de droit dont elle est saisie de celles qui ont donné lieu à la décision de principe rendue par la Cour suprême. Ce faisant, elle écarte la règle du précédent (Stare decisis)[10], voire même l’analogie invoquée par l’employeur à l’appui de ses prétentions. Son raisonnement est logique et il ne comporte aucune erreur manifeste.
[40] La première commissaire ne commet pas non plus d’erreur manifeste lorsqu’elle décide qu’un travailleur en assignation temporaire peut être traité autrement que les autres travailleurs de l’entreprise à qui s’applique la convention collective. Tel qu’il appert de la motivation contenue plus particulièrement au paragraphe 55 de la décision rendue le 2 mai 2007, la différence réside dans l’application de la loi elle-même qui confère au travailleur victime d’une lésion professionnelle des droits qui découlent de cette lésion, droits que les autres salariés n’ont pas. La conclusion que tire la première commissaire de son analyse, aux paragraphes 39 et suivants, s’avère tout aussi rationnelle lorsqu’elle affirme que l’assignation temporaire ne constitue pas une pleine mesure de réparation et ne peut avoir préséance sur le droit de la travailleuse et du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu lorsque l’employeur ne peut se prévaloir concrètement de l’assignation.
[41] Quant au motif soulevé par l’employeur voulant que la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la grève légale constitue une erreur déterminante à la lumière de l’article 44 de la loi, il doit être rejeté pour les motifs déjà énoncés par la première commissaire au paragraphe 60 de la décision dont la révision est demandée. L’article 44 de la loi vise l’incapacité du travailleur à exercer son emploi et non les autres tâches auxquelles il est assigné temporairement et qu’il est en mesure d’exécuter malgré sa lésion professionnelle.
[42] La décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 mai 2007 comporte une analyse rationnelle et exhaustive de l’ensemble des dispositions légales applicables au litige dont elle était saisie. Elle n’est entachée d’aucune erreur manifeste de fait ou de droit de nature à l’invalider. Il n’y a par conséquent aucune raison permettant au présent tribunal d’intervenir.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de Société en commandite Manoir Richelieu (l’employeur).
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Geneviève Marquis |
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Commissaire |
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Me Sylvain Lepage |
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CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Mario Précourt |
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C.S.N. |
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Représentant des parties intéressées |
[1] Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 ; Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860 .
[2] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 .
[3] Desjardins et Réno-Dépôt inc., [1999] C.L.P. 898 .
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[5] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[6] CSST c. Touloumi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.
[7] Précitée, note 4.
[8] Isidore Garon ltée c. Tremblay, [2006] 1 RCS 27 .
[9] Précitée, note 8.
[10] Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 256043-71-0502, 264877-71-0506, 07-07-19, M. Zigby, décision rejetant la requête en révision.
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