Décision

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Gabarit CMQ

 

 

Commission municipale du Québec

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Date :

 30 septembre 2015

 

 

 

 

 

Dossier :

CMQ-65329  (29062-15)

 

                                                                                           

 

 

 

Juges administratifs :

Thierry Usclat, vice-président

 

Nancy Lavoie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Personne visée par l’enquête :  Mathieu Plourde

                                                           Municipalité de Roquemaure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

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DÉCISION

LA DEMANDE

[1]           La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire selon l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1].

[2]           La demande d’enquête dans le dossier CMQ-65329, reproche à monsieur Mathieu Plourde :

·        D’avoir eu un intérêt direct ou indirect dans un contrat octroyé par la Municipalité à son frère, Jean-Francois Plourde pour le déneigement des terrains municipaux durant les hivers 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014 alors qu’il était conseiller municipal de Roquemaure, le tout en contravention avec les articles 5.2 par. 2, 5.3.1, 5.3.6 et 5.3.7 du Code d’éthique et de déontologie et les valeurs d’intégrité, de prudence, de transparence et d’honneur rattachées à la fonction de membre du conseil contenues au même code.

·        D’avoir eu un intérêt direct ou indirect dans un contrat octroyé par la Municipalité à son oncle Jean-Guy Roy pour le déneigement des terrains municipaux durant l’hiver 2014-2015 alors qu’il était conseiller municipal de Roquemaure au moment de l’octroi du contrat, le tout en contravention avec les articles 5.2 par. 2, 5.3.1, 5.3.6 et 5.3.7 du Code d’éthique et de déontologie et les valeurs d’intégrité, de prudence, de transparence et d’honneur rattachées à la fonction de membre du conseil contenues au même code.

[3]           Lors des journées d’audience tenues les 27, 28, 29 avril et le 21 mai 2015, monsieur Plourde est présent. Il est représenté par Me Isabelle Breton du cabinet Cain, Lamarre, Casgrain, Wells jusqu’au 29 avril 2015. Le 21 mai 2015, il se représente seul.

[4]           Me Raphael Lescop agit à titre de procureur indépendant afin de présenter la preuve recueillie à la Commission.

[5]           La Commission a autorisé le dépôt d’une preuve additionnelle relativement au sous-contrat avec Jean-Guy Roy et un argumentaire supplémentaire qui ont été reçus le 18 juin 2015.

[6]           Avec le consentement des élus visés Mathieu Plourde (CMQ-65262 et CMQ - 65329) et Yannick Leclerc (CMQ-65263) et de leur procureur, la Commission a réuni aux fins de l’enquête les trois dossiers. La Commission rendra une décision dans chacun de ces dossiers.

LA PREUVE

[7]           Aux fins de son enquête, la Commission a entendu monsieur Mathieu Plourde et plusieurs témoins.

[8]           La Commission a également pris connaissance du Code d’éthique et des documents produits au soutien de la demande. De plus, elle a examiné les pièces déposées au cours de l’audience.

Les faits

Contrats de déneigement

[9]           Monsieur Plourde a occupé les fonctions de conseiller municipal de Roquemaure de novembre 2009 au 25 novembre 2014, date de sa démission.

[10]        Il exploite avec son épouse une ferme laitière, connue sous le nom de Ferme laitière Ste-Anne S.E.N.C. Parallèlement à ses activités, il effectue du déneigement.

[11]        Des contrats de déneigement sont accordés à son frère par le conseil municipal.

[12]        Au cours des années 2010 à 2014, il effectue avec ce dernier le déneigement des stationnements et des terrains de la Municipalité.

[13]        Lors de son témoignage, monsieur Plourde précise qu’il aidait son frère pour le déneigement des terrains municipaux. Cependant, il n’exécutait pas la totalité du contrat, mais seulement une partie. Son frère, Jean-François Plourde déneige le matin tôt et lui durant le reste de la journée.

[14]        Il déclare ne pas avoir reçu de rémunération pour le travail effectué pour son frère sur les terrains de la Municipalité. Ce dernier l’aide à la ferme à certaines occasions. Il s’agit, selon lui, d’un échange de services.

[15]        En 2014, son frère décide de ne pas soumissionner. Devant l’absence d’autres soumissionnaires, la directrice générale communique avec plusieurs entrepreneurs. Aucun ne semble intéressé par ce contrat.

[16]        Après hésitations, l’oncle de Mathieu Plourde, Jean-Guy Roy, dépose une soumission mais exclut de celle-ci, le déneigement à la pelle des portes d’entrées des propriétés municipales.

[17]        Cette soumission qui est beaucoup plus élevée que les autres années est la seule que la Municipalité reçoit. Le conseil municipal l’accepte le 11 novembre 2014. Monsieur Plourde n’est pas présent à la séance du conseil.

[18]        Plusieurs discussions ont lieu entre l’ouverture des soumissions et la décision du conseil. Notamment en raison du fait que monsieur Jean-Guy Roy ne veut pas faire le déneigement à la pelle des portes d’entrées.

[19]        Malgré une intervention de la mairesse pour faire changer le prix, le contrat est finalement signé le 18 décembre 2014.

[20]        Lors de l’ouverture des soumissions, l’enveloppe contenant la soumission de Jean-Guy Roy est déjà ouverte, semble-t-il par inadvertance. Les versions sont contradictoires sur ce point.

[21]        Le 25 novembre 2014, Mathieu Plourde transmet au conseil municipal sa lettre de démission de son poste de conseiller municipal qui sera effective le même jour.

[22]        Il conclut avec son oncle, monsieur Jean-Guy Roy, un sous-contrat pour le déneigement des stationnements et terrains municipaux pour la totalité du contrat donné par la Municipalité. Ce sous-contrat porte la signature du 20 décembre 2014.

[23]        Ce sous-contrat a été conclu le 20 décembre 2014 et n’a jamais été discuté avec son oncle auparavant, ce qu’a confirmé ce dernier.

[24]        Monsieur Plourde est incapable de produire le fichier Word qui aurait démontré à quelle date ce contrat a été réellement rédigé. Selon lui, l’ordinateur avec lequel le contrat a été préparé, a été jeté aux ordures car il ne fonctionnait plus. Enfin, aucune copie de sauvegarde du fichier n’a été faite. Son épouse confirme sa version.

DÉFENSE

Contrats de déneigement avec Jean-François Plourde

[25]        En défense monsieur Plourde invoque que lorsque son frère a obtenu le contrat de déneigement en 2011, la Municipalité n’avait pas encore adopté de Code d’éthique et de déontologie. Il ajoute s’être retiré des délibérations.

[26]        Il ajoute qu’il n’a jamais pensé être en situation de conflit d’intérêts parce qu’il aidait simplement son frère et ne recevait aucune rémunération pour ce travail. En échange, son frère lui donnait un coup de main à la ferme.

Contrat de déneigement avec Jean-Guy Roy

[27]        Il admet être au courant par du « ouï-dire » que la résolution accordant le contrat de déneigement des terrains municipaux avait été octroyée à son oncle Jean-Guy Roy. Toutefois, il affirme ne pas en connaitre les détails puisqu’il n’était pas présent à la séance du conseil municipal.

[28]        Malgré qu’il n’ait pas d’entente avec la Municipalité, il continue de faire le déneigement des terrains municipaux au cours des mois de novembre et décembre 2014. Il précise qu’il aurait facturé Jean-Guy Roy ou la Municipalité.

[29]        Le contrat avec la Municipalité est signé avec son oncle le 18 décembre 2014.

[30]        Selon monsieur Plourde, il n’était pas en conflit d’intérêts puisqu’à cette date, il n’était plus conseiller. Le 20 décembre 2014, il signe un contrat de sous-traitance avec Jean-Guy Roy, soit deux jours après la signature du contrat avec la Municipalité.

[31]        Il n’a selon lui, commis aucun manquement au Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

REPRÉSENTATION

[32]        Me Lescop relate les faits mis en preuve à l’enquête et suggère qu’ils sont suffisants pour conclure que monsieur Plourde, alors qu’il était élu, a eu un intérêt indirect dans le contrat octroyé par la Municipalité à Jean-François Plourde en 2012-2013 et 2013-2014.

[33]         Il suggère également que monsieur Plourde, alors qu’il est était élu, a eu un intérêt indirect  dans le contrat octroyé par la Municipalité a Jean-Guy Roy entrepreneur Inc. entre le 11 novembre 2014 jusqu’à sa démission le 25 novembre 2014.

[34]        Selon lui, l’enquête n’a toutefois pas révélé une preuve directe que Mathieu Plourde était de connivence avec Jean-Guy Roy lorsque ce dernier a déposé sa soumission le 11 novembre 2014 (E-10).

[35]        Me Lescop précise que la preuve offerte a la valeur probante suffisante pour que la Commission puisse conclure que monsieur Plourde a commis des manquements à l’article 5.3.6 du Code d’éthique et de déontologie (E-1) en regard des actes dérogatoires reprochés.

ANALYSE

[36]        Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[37]        Pour ce faire, l’enquête doit être conduite dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.

[38]        La Commission souligne qu’on ne peut accorder aux doutes, aux impressions, aux insinuations, ou aux soupçons, la valeur probante nécessaire pour permettre de conclure à un manquement à une règle du Code d’éthique.

[39]        Ainsi, et même si on ne peut parler de fardeau de preuve comme tel, la Commission doit tout de même être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités, pour lui permettre de conclure que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et enfreint le Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité.

[40]        En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision pourrait avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, la Commission est d’opinion que pour conclure à un manquement au Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité, la preuve obtenue doit être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté.

[41]        En ce sens, la Commission est d’avis que le principe établi par les tribunaux quant au degré de preuve requis en matière disciplinaire peut s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux enquêtes en éthique et déontologie en matière municipale[2].

[42]        Enfin, elle doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale qui précise que :

« Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables ».

L’ÉLU A-T-IL COMMIS UN MANQUEMENT AU CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DE LA MUNICIPALITÉ ?

[43]      Pour conclure que l’élu visé par la demande d’enquête a enfreint certaines règles du Code d’éthique et de déontologie, la Commission doit d’abord être convaincue que les actes reprochés à monsieur Plourde se sont effectivement produits. Enfin, elle doit être convaincue que ces agissements, propos ou comportements constituent des manquements au Code d’éthique et de déontologie.

[44]      Elle doit examiner les actes reprochés en regard des règles énoncées aux articles 5.3.1, 5.3.6 et 5.3.7 dans le Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité qui se lisent ainsi :

« 5.3.1    Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.

[…] »

« 5.3.6  Un membre ne doit pas avoir sciemment un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec la municipalité ou un organisme visé à l’article 5.1.

 

Un membre est réputé ne pas avoir un tel intérêt dans les cas suivants :

 

 

1°         Le contrat a pour objet la fourniture d’un bien par la municipalité ou l’organisme municipal et a été conclu avant que le membre n’occupe son poste au sein de la municipalité ou de l’organisme et avant qu’il ne pose sa candidature à ce poste lors de l’élection où il a été élu ;

 

2°         dans un cas de force majeure, l’intérêt général de la municipalité ou de l’organisme municipal exige que le contrat soit conclu de préférence à tout autre.

 

5.3.7     Le membre qui est présent à une séance au moment où doit être prise en considération une question dans laquelle il a directement ou indirectement un intérêt pécuniaire particulier doit divulguer la nature générale de cet intérêt, avant le début des délibérations sur cette question. Il doit aussi s’abstenir de participer à ces délibérations, de voter ou de tenter d’influencer le vote sur cette question.

 

Lorsque la séance n’est pas publique, le membre doit, en plus de ce qui précède, divulguer la nature générale de son intérêt, puis quitter la séance, pour tout le temps que dureront les délibérations et le vote sur cette question.

 

Lorsque la question à propos de laquelle un membre a un intérêt pécuniaire est prise en considération lors d’une séance à laquelle il est absent, il doit, après avoir pris connaissance de ces délibérations, divulguer la nature générale de son intérêt, dès la première séance à laquelle il et présent après avoir pris connaissance de ce fait.

 

Le présent article ne s’applique pas dans le cas où l’intérêt du membre consiste dans des rémunérations des allocations, des remboursements de dépenses, des avantages sociaux ou d’autres conditions de travaux attachés à ses fonctions au sein de la municipalité ou de l’organisme municipal.

 

Il ne s’applique pas non plus dans le cas où l’intérêt est tellement minime que le membre ne peut raisonnablement être influencé par lui. »

[45]        La Commission doit décider si monsieur Mathieu Plourde avait un intérêt direct ou indirect dans des contrats avec la Municipalité.

[46]        Sur ce point, les auteurs Jean Hétu et Alain R. Roy[3] s’expriment ainsi sur la notion d’intérêt de l’article 304 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM)[4] :

« Contrairement à l’article 303 L.E.R.M., le législateur ne qualifie pas l’intérêt de «pécuniaire». Le terme «intérêt» aurait donc un sens plus large et signifierait que l’élu n’a pas agi «par simple bienveillance» mais plutôt dans la recherche d’un bénéfice personnel. »

[47]        Dans la décision La Reine c. Wheeler[5], la Cour suprême sous la plume du juge Estey rappelle que l’expression « intéressé dans » n’a aucun sens particulier et que l’on doit la considérer dans son sens courant. Sur ce point, elle s’exprimait ainsi :

             « Il ne faut cependant pas présumer que la législature a ainsi voulu limiter le sens et l’application de l’expression « intérêt indirect ». Il n’est pas réaliste de croire que, du point de vue purement humain, un administrateur ou dirigeant d’une compagnie contractante n’a pas au moins un intérêt indirect dans les contrats de la compagnie. »

[48]        Relativement à la valeur de l’avantage reçu, la Cour supérieure écrivait :

             « Ainsi a-t-on décidé qu’importait peu la modicité de l’avantage reçu, le fait qu’il soit pécuniaire ou non, obtenu par le biais de la personne elle-même ou par le biais d’un tiers, pour décider s’il y avait eu infraction à la règle de l’intérêt interdit. »

[49]        Enfin, la Cour supérieure dans Morin c. Fortin[6] a décidé qu’il n’est plus nécessaire d’exiger la preuve de la mens rea pour conclure à l’inhabilité de l’élu; une simple preuve selon la prépondérance des probabilités suffisait dans les circonstances.

Contrats de déneigement 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014

[50]      Il apparaît des procès-verbaux et des documents que des contrats de déneigement des « terrains municipaux » pour les années 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014 ont été octroyés au frère de Mathieu Plourde.

[51]        Selon les témoins entendus, Mathieu Plourde effectuait régulièrement le déneigement des stationnements de la Municipalité au cours des années 2012, 2013 et 2014. Il n’est toutefois pas le seul à l’exécuter, puisqu’il se partage le travail avec son frère Jean-François.

[52]        Selon les témoignages, il ne reçoit aucune rémunération pour le travail de déneigement qu’il effectue pour celui-ci. Son frère l’aide à la ferme en échange de ses services. Il s’agit en quelque sorte de « troc ».

[53]        Après analyse de la preuve, la Commission est d’avis que son implication est beaucoup plus importante qu’il ne tente de le démontrer. La preuve établit qu’il a exécuté au moins la moitié de chacun des trois contrats de déneigement.

[54]        Lorsqu’il bénéficie des services gratuits de son frère sur la ferme, il s’agit d’une forme de rémunération.

[55]        Monsieur Plourde avait donc un intérêt pécuniaire dans l’exécution des contrats.

[56]      En conséquence, la Commission considère que cette situation est visée par l’article 5.3.6 du Code d’éthique et de déontologie et les exceptions qui y sont prévues ne s’appliquent pas ici.

[57]      Toutefois, comme le premier Code d’éthique et de déontologie n’est entré en vigueur que le 12 janvier 2012, la Commission ne considère donc pas de manquement pour le contrat de déneigement 2011-2012.

[58]        Pour ces motifs, la Commission est d’avis que Mathieu Plourde avait sciemment un intérêt indirect dans trois contrats conclus entre Jean-François Plourde et la Municipalité aux cours des années 2012-2013 et 2013-2014 et a commis deux actes dérogatoires à l’article 5.3.6 du Code d’éthique et de déontologie qui vise spécifiquement cette situation.

Contrat de déneigement 2014-2015

[59]        La preuve a révélé que Mathieu Plourde a transmis à la Municipalité le 25 novembre 2014 une lettre de démission datée du 24 novembre 2014. Toutefois, cette lettre de démission n’a été déposée au conseil municipal que le 8 décembre 2014.

[60]        Selon les procès-verbaux déposés, la résolution du conseil municipal qui octroie le contrat à Jean-Guy Roy entrepreneur inc. a été adopté le 11 novembre 2014.

[61]        Ce contrat prévoit que la Municipalité versera à Jean-Guy Roy entrepreneur inc. 7 000 $ par année pour le déneigement. Les échéances de paiement s’échelonneront de décembre à avril. Les services doivent être rendus dès novembre s’il commence à neiger tôt dans la saison.

[62]        Il appert des témoignages que la Municipalité a payé la totalité du montant de 7 000 $ à Jean-Guy Roy entrepreneur inc. pour l’hiver 2014-2015 bien que le contrat n’ait été signé que le 18 décembre 2014.

[63]        Monsieur Plourde a effectué le déneigement des terrains municipaux à compter du 11 novembre 2014, le jour même où la soumission de Jean-Guy Roy entrepreneur inc. a été acceptée par le conseil municipal, et il n’a jamais cessé de le faire par la suite.

[64]        À compter de l’octroi du contrat le 11 novembre 2014, le déneigement a été fait par monsieur Plourde malgré le contrat existant entre la Municipalité et Jean-Guy Roy entrepreneur inc.

[65]        Monsieur Plourde a été payé par Jean-Guy Roy pour toute la saison, selon les mêmes échéances que le contrat principal.

[66]        Le sous-contrat intervenu entre monsieur Plourde et Jean-Guy Roy entrepreneur inc. contient les mêmes clauses que le contrat intervenu entre la Municipalité et Jean-Guy Roy entrepreneur inc. Il apparaît clairement du contrat principal de même que du sous-contrat que le mois de décembre n’est qu’une échéance de paiement.

[67]        Le tribunal considère que les témoignages de messieurs Plourde et Roy ne sont pas crédibles et il ne leur accorde aucune force probante pour les motifs qui suivent.

[68]        Tout d’abord, les motifs justifiant l’impossibilité de remettre à la Commission le fichier original Word du contrat ne font aucun sens.

[69]        Lorsque la Commission lui a demandé, pourquoi monsieur Plourde n’a-t-il pas déclaré d’emblée qu’il n’avait plus d’ordinateur alors qu’il se rappelait fort bien de la rédaction du contrat et les éléments de celui-ci, lors de la visite de monsieur Roy à la ferme? La Commission ne peut croire cette version.

[70]        Ensuite, pourquoi, monsieur Plourde a-t-il effectué le déneigement comme par les années antérieures même si son frère n’avait pas déposé de soumission et qu’il s’était même départi de son tracteur ?

[71]        De plus, monsieur Plourde qui n’a jamais déposé de soumission a tout de même acheté un nouveau tracteur alors que son frère n’avait plus de contrat avec la Municipalité.

[72]        Enfin, il affirme qu’il était impossible pour lui de déneiger les terrains municipaux tôt le matin puisqu’il devait traire ses vaches, alors qu’à l’automne 2014 et durant l’hiver 2015, il était seul pour faire le même déneigement.

[73]        Les éléments de faits analysés dans leur ensemble démontrent l’existence d’une entente entre monsieur Plourde et son oncle Jean-Guy Roy bien avant le 20 décembre 2014.

[74]        La Commission considère que ce contrat qui porte la signature du 20 décembre 2014 a été préparé uniquement pour les fins de l’enquête afin de fournir à monsieur Plourde un moyen de défense aux reproches formulés contre lui.

[75]        Elle est aussi d’avis que Mathieu Plourde a eu un intérêt indirect dans le contrat octroyé par la Municipalité à Jean-Guy Roy entrepreneur inc. entre le 11 novembre 2014 jusqu’à sa démission le 25 novembre 2014 effective à cette date.

[76]        Malgré les zones d’ombre, la preuve n’a toutefois pas révélé que Mathieu Plourde, de concert avec Jean-Guy Roy, Marie-Christine Pinard (directrice-générale adjointe) et Annick Lavoie (directrice générale), ont mis en œuvre un stratagème pour manipuler le processus d’appel d’offres du contrat de déneigement des terrains municipaux pour les hivers 2014-2015, 2015-2016 et 2016-2017.

[77]        La preuve n’a pas révélé non plus si le montant du contrat accordé à Jean-Guy Roy est excessif et excède le prix du marché. Le plaignant, monsieur Landry, ne l’a pas démontré.

LA SANCTION

[78]        Les représentations sur sanction ont été faites par écrit, après que l’élu ait reçu un avis d’audience sur sanction indiquant les conclusions de la Commission sur les manquements à son Code d’éthique et de déontologie qu’il a commis et les motifs à cet égard.

[79]        Monsieur Plourde a transmis à la Commission ses observations le 28 août 2015 et a indiqué qu’il ne serait pas présent lors de l’audience sur sanction.

[80]        Le procureur de la Commission a fait part de ses recommandations par écrit à la Commission et en a transmis un exemplaire à monsieur Plourde. Celui-ci y a répondu le 8 septembre 2015.

[81]      En matière disciplinaire, la sanction doit être établie en fonction de différents facteurs dont la parité, la globalité et la gradation des sanctions.

[82]      En matière d’éthique et de déontologie municipales, la sanction doit tenir compte de la gravité du manquement, ainsi que des dispositions de la LEDMM et des objectifs de celle-ci.

[83]      De plus, la sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux.

[84]      Dans ses observations, monsieur Plourde suggère à la Commission de lui imposer une simple réprimande.

[85]      Me Dallaire qui agit à titre de procureur indépendant, ne croit pas qu’une simple réprimande soit une sanction juste et appropriée dans les circonstances. La gravité des manquements qui touche l’intégrité d’un membre d’un conseil municipal et le respect des citoyens commandent une sanction beaucoup plus sévère, qui aura un effet dissuasif.

[86]        Comme monsieur Plourde n’est plus conseiller de la Municipalité de Roquemaure depuis le 25 novembre 2014, les sanctions que peut imposer la Commission sont plus restreintes.

[87]        L'article 31 de la LEDMM prévoit ceci :

« 31.    Un manquement à une règle prévue à un Code d’éthique et de déontologie visé à l'article 3 par un membre d'un conseil d'une municipalité peut entraîner l'imposition des sanctions suivantes :

 

1° la réprimande;

 

[…]

 

3° le remboursement de toute rémunération, allocation ou autre somme reçue, pour la période qu'a duré le manquement à une règle prévue au code, comme membre d'un conseil, d'un comité ou d'une commission de la municipalité ou d'un organisme;

 

[…] »

[88]        Ces trois manquements ont été commis consécutivement par monsieur Plourde sur plusieurs années, et sont intimement reliés entre eux puisqu’ils sont tous deux motivés par le désir de monsieur Plourde de favoriser ses intérêts en poursuivant ses activités de déneigement sur les terrains de la Municipalité.

[89]        En ce qui concerne la participation dans l’exécution des contrats de déneigement conclus entre la Municipalité et son frère pour les années 2012-2013 et 2013-2014 pour le déneigement des stationnements municipaux, la Commission considère que le remboursement par monsieur Plourde de sa rémunération ainsi que des allocations et autres sommes reçues comme conseiller municipal de Roquemaure pour les périodes  du 1er décembre 2012 au 15 avril 2013 et du 1er décembre 2013 au 15 avril 2014, est une sanction juste et appropriée dans les circonstances.

[90]        En ce qui a trait à l’exécution du contrat intervenu entre Jean-Guy Roy entrepreneur inc. et la Municipalité pour le déneigement des stationnements municipaux, la Commission considère que le remboursement par monsieur Mathieu Plourde à la Municipalité de la somme de 1 700 $ qu’il a reçu de Jean-Guy Roy entrepreneur inc. et qui correspond au premier versement du sous-contrat de déneigement qu’il avait avec celui-ci serait une sanction juste et appropriée dans les circonstances.

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-       CONCLUT que monsieur Mathieu Plourde a commis deux manquements à la règle prévue à l’article 5.3.6 au Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité de Roquemaure en ayant eu un intérêt indirect dans un contrat octroyé par la Municipalité à son frère, Jean-Francois Plourde pour le déneigement des terrains municipaux durant les hivers 2012-2013 et 2013-2014 alors qu’il était conseiller municipal de Roquemaure.

-       IMPOSE à monsieur Mathieu Plourde pour ces deux manquements l’obligation de rembourser à la Municipalité dans les trente (30) jours de la présente décision, sa rémunération ainsi que des allocations et autres sommes reçues comme conseiller municipal de Roquemaure pour les périodes du 1er décembre 2012 au 15 avril 2013 et du 1er décembre 2013 au 15 avril 2014.

-       CONCLUT que monsieur Mathieu Plourde a commis un manquement à la règle prévue à l’article 5.3.6 au Code d’éthique et de déontologie de la Municipalité de Roquemaure en ayant eu un intérêt indirect dans un contrat octroyé par la Municipalité à son oncle Jean-Guy Roy entrepreneur inc. pour le déneigement des terrains municipaux durant l’hiver 2014-2015 alors qu’il était conseiller municipal de Roquemaure.

-       IMPOSE à monsieur Mathieu Plourde l’obligation de remettre à la Municipalité dans les trente (30) jours de la présente décision, la somme de 1 700 $ qu’il a reçu de Jean-Guy Roy entrepreneur inc.

 

 

 

THIERRY USCLAT, vice-président et

Juge administratif

 

 

 

 

 

NANCY LAVOIE

Juge administratif

 

 

 

Me Raphaël Lescop

LeChasseur avocats ltée

Procureur indépendant de la Commission municipale

 

Me Nicolas Dallaire

 Procureur indépendant de la Commission municipale

 À compter du 19 août 2015

 

Me Isabelle Breton

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Pour l’élu Mathieu Plourde jusqu’au 29 avril 2015

 

Audiences : les 27, 28 et 29 avril et 21 mai 2015

Pièces et argumentaires supplémentaires

déposés le 18 juin 2015

 

TU/NL/lg



[1].   RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.

[2].   Médecins c. Lisanu, 1998 QCTP 1719, p.12.

[3].   Jean HÉTU et Alain R. ROY, Éthique et gouvernance municipale : Guide de prévention des conflits d’intérêts, 2e éd., Publications CCH, Brossard, 2013, p. 1.

[4].   RLRQ, chapitre E-2.2.

[5].   [1979] 2 R.C.S. 650.

[6].   [1952] 1 S.C.R. 167.

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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.