Décision

Lebel c. Dumont

2015 QCRDL 8885

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Rimouski

 

No dossier :

169194 06 20140813 G

169194 06 20140813 S

187687 06 20141202 G

187687 06 20141202 N

No demande :

1556896

1564844

1633514

1633534

 

 

Date :

17 mars 2015

Régisseur :

Serge Adam, juge administratif

 

Marie-Pier Lebel

Tommy Ross

 

Locataires - Partie demanderesse

(169194 06 20140813 G)

(169194 06 20140813 S)

Partie défenderesse

(187687 06 20141202 G)

(187687 06 20141202 N)

c.

JACQUES DUMONT

 

Locateurs - Partie défenderesse

(169194 06 20140813 G)

(169194 06 20140813 S)

Partie demanderesse

(187687 06 20141202 G)

(187687 06 20141202 N)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le Tribunal est saisi de deux dossiers, le premier est celui des locataires déposé le 13 août 2014 et réclamant une somme totale de 1 358,93 $ et l'autre déposé par le locateur, le 2 décembre 2014 réclamant à son tour une somme de 1 320,67 $ en dommages.

[2]      Lors de l'audience tenue le 28 janvier 2015, les locataires amendaient leur demande afin de statuer sur la validité de certaines  clauses inscrites dans leur bail et subsidiairement si celles-ci sont déclarées nulles, de rétablir les parties dans leurs engagements monétaires.

[3]      Les deux dossiers furent réunis pour audience commune conformément à l'article 57 de la Loi sur la Régie du Logement.

Analyse et contexte

[4]      Les parties signent un bail du 1er juillet 2012 jusqu'au 30 juin 2013 au loyer mensuel de 664 $, lequel fut renouvelé jusqu'au 30 juin 2014 au même loyer.


[5]      Dans ledit bail nous y retrouvons une série de clauses aussi inusitées que complexes.

[6]      Pour le bénéfice des lecteurs et pour une meilleure compréhension, le Tribunal reproduit intégralement les clauses contestées :

« ANNEXE AU BAIL

À la conclusion d’un nouveau bail (d’une période de douze mois) pour l’année 2012-2013, voici une proposition visant à récompenser ceux qui respecteront toutes les consignes ci-dessous, pendant toute la durée de leur bail.

Dans le but de reconnaître l’ancienneté et de favoriser les locataires stables, une ristourne sera allouée et elle augmentera avec le temps.

Le tableau qui suit illustre l’augmentation :

% calculé sur un mois de loyer

Votre temps

d’occupation

Montant

suggéré

25

1ere année

165 $__ Ristourne à la fin du bail

30

2ième année

$ 199,00 $

35

3ième année

$ _______

40

4ième année

$ _______

45

5ième année

$ _______

50

6ième année

$ _______

Et les consignes à respecter sont les suivantes :

1.         Paiement des douze (12) mois reçu en entier au plus tard le 1er de chaque mois au domicile du propriétaire ou série de chèques postdatés remise pour le 1er jour du bail. Un paiement en retard ou chèque refusé par l’institution financière vous fera perdre une partie de votre droit à la ristourne;

2.         Le logement, ainsi que la propriété devront être maintenu dans un état convenable pendant l’occupation et lorsque vous quittez le loyer. (incluant propreté et bris). Lors d’une visite pour une relocation, vous devez nous faciliter l’accès au logement et garder les lieux propres et présentables afin que les visites soient favorables.

3.         Si nous recevons une plainte concernant le bruit, vous en serez alors avisé et si le problème se poursuit ou se répète, vous perdrez une partie de votre ristourne.

Il est donc important de noter que vous perdez 25 % de la ristourne à chaque fois qu’une consigne ne sera pas respectée.

J’espère avoir le plaisir de vous remettre votre montant. »   (sic)

[7]      Cette première clause vise à récompenser les locataires de leur excellent comportement et de bons payeurs.

[8]      Ainsi, le locateur dans une telle clause s'engage à verser aux locataires une ristourne d'une somme de 165 $ si les différentes consignes sont respectées durant l'année, ce montant augmentant selon le nombre d'années d'occupation.

« 2. Le logement est loué pour ___2___ adulte(s) et __0__ enfant(s). 50.00 $ par mois seront chargés pour chaque personne supplémentaire excluant la naissance d’un bébé. »


[9]      Cette clause prévoit donc la possibilité pour le locateur d'augmenter le loyer si le nombre d'adultes s'y séjournant durant un mois est plus élevé que celui convenu au bail. Dans un tel cas, l'augmentation du loyer prévue est de 50 $ par adulte par mois que doivent verser en surplus les locataires.

18. Les parties consentent à verser un montant de __6000__ $ en dépôt garantissant les clés et le bon état du logement et des meubles. Ce dépôt vous sera remis à votre départ à la suite de ma visite des lieux, s’ils sont laissés à mon entière satisfaction.

[10]   Celle-ci requiert les locataires la remise d'un dépôt de 60 $ afin de garantir le retour des clefs et le bon état du logement, lors de leur départ.

10.  Aucun animal ne pourra être gardé ou admis dans les lieux loués, à moins que le locataire n’ait obtenu une autorisation écrite du propriétaire. Dans ce cas, le locataire sera entièrement responsable de son animal. S’il y a une seule plainte d’un autre locataire de l’immeuble concernant l’animal, celui-ci perdra son droit et devra être évacué définitivement.

[11]   Cette dernière clause concerne la présence d'animaux dans le logement concerné, notamment les chiens.

[12]   Ainsi, le locateur exige un dépôt de 50 $ par mois pour la présence d'un chien, lequel  dépôt leur sera remboursé à la fin du terme, en partie, selon le mode de paiement de ce dépôt et pourvu que le ou les chiens n'aient occasionné aucun des six problèmes inscrits dans cette clause.

[13]   Les locataires ont ainsi payé le dépôt de 60 $ exigé pour les clefs et ont remis également une première somme de 600 $ pour leur chien, représentant le montant réclamé de 50 $ par mois pour les 12 mois du premier terme du bail. Ce paiement fut fait en seul versement, soit au début du bail.

[14]   Toutefois, les locataires admettent avoir reçu du locateur un remboursement de ce dépôt pour un montant de 450 $.

[15]   Les locataires ont continué de payer le montant de 50 $ par chien par mois lors du deuxième terme du bail, alors que ce montant doubla suite à la sous-location de ce logement à d'autres sous-locataires, lesquels avaient deux chiens. Cette somme totale versée est de 600 $, tel qu'admis par le locateur lui-même dans sa lettre datée du 3 juillet 2014.

[16]   Les sous-locataires sont demeurés dans ce logement que quelques mois, quatre ou cinq tout au plus. Les locataires ont cependant versé leur loyer au locateur jusqu’à la fin du deuxième terme.

[17]   Les locataires réclament donc le remboursement des dépôts donnés au locateur de même que la ristourne prévue de 199,50 $ non reçue pour le deuxième terme de leur bail, le locateur refusant de lui payer, expliquant avoir reçu plusieurs plaintes de bruit en provenance des occupants de ce logement par un autre locataire de l'immeuble sans cependant présenter quelque preuve additionnelle corroborant cette plainte ainsi reçue.

[18]   Les locataires réclament, de plus, le remboursement d'un montant de 486,93 $ représentant la partie du loyer du mois de juin 2014, le locateur ayant procédé à des travaux dès le 9 juin 2014 permettant ainsi aux nouveaux occupants de ce logement de pouvoir intégrer ce logement dès le 24 juin 2014.

[19]   Concernant les travaux, le locateur admet avoir entrepris des travaux dans le logement dès le 9 juin 2014, car les revêtements de planchers devaient être refaits, selon le témoin de celui-ci, monsieur Stéphane Rousseau, alors qu'il avait constaté lors de la visite des lieux en avril 2014, une partie du plancher fortement endommagé là où situait la cage des chiens.

[20]   Du même souffle, le témoin Rousseau admettait avoir entreposé plusieurs de ses effets personnels dans le logement durant le mois de juin, sans cependant se rappeler de la date exacte.

[21]   Les locataires ayant laissé ce plancher dans un piètre état, le locateur est donc en droit de réclamer le remboursement d'une somme de 429,33 $ représentant l'achat du plancher flottant et la pose de celui-ci (530,55 $).


[22]   Sur ce point précis, les locataires nient que le plancher fut laissé dans un tel état, d'autant plus que celui-ci était fort désuet lors de leur emménagement, alléguant que ce revêtement était un prélart vieux d'une bonne vingtaine d'années.

[23]   En outre, les locataires avaient donné la permission au fils du locateur de procéder au changement de ce revêtement de plancher, lors d'une partie de hockey survenue au printemps 2014, donc bien avant que le locateur ait constaté l'état du plancher concerné.

[24]   Le fils du locateur Olivier, corrobore leur rencontre lors de parties de hockey et reconnaît avoir demandé au locataire Tommy Ross, la permission d'y faire des travaux, sans pour autant se souvenir si cela impliquait le changement du revêtement dans une des pièces.

Questions en litige?

[25]    Les clauses inscrites dans le bail sont-elles légales?

[26]    Si non, quelles sont les conséquences monétaires d’une telle conclusion?

[27]    Les dommages réclamés tant par les locataires que par le locateur peuvent-ils être accordés à chacun d'eux et si oui, et quel est ce montant?

Décision

[28]   La preuve non contestée démontre que les locateurs ont exigé du locataire un dépôt de 60 $ à la signature du bail, afin de garantir ses obligations de maintenir les lieux loués en bon état et de remettre les clefs.

[29]    Il a, de plus, exigé des montants de 50 $ par mois pour la présence d'un chien afin de garantir le bon comportement de l'animal.

[30]   Or, le législateur a prévu ce qui suit concernant le versement d’un dépôt par un locataire à son locateur :

« 1904.      Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

 

 

                 Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autre­ment, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté.»

[31]   Conséquemment, les dépôts exigés en l’instance sont illégaux. 

[32]   Le locateur sera donc condamné à rembourser les sommes versées par les locataires à titre de dépôt, soit la somme de 60 $ pour les clefs ainsi que le montant de 750 $ payé par les locataires pour la présence de chiens durant les deux termes du bail.

[33]   En ce qui a trait à la portion du mois de juin où le locateur a volontairement pris possession du logement concerné, afin d'y effectuer des travaux souhaités, considérant l'aveu même du locateur, celui-ci devra rembourser également la somme de 486,93 $, le bail ayant été résilié aux torts du locateur rétroactivement au 9 juin 2014.

[34]    Quant à la somme de 199,50 $ représentant la ristourne non versée pour le deuxième terme, celle-ci leur sera refusée, car une telle clause, bien que curieuse n'est pas en soi illégale ni n’est  préjudiciable au locataire.

[35]   Le Tribunal donne foi aux allégations du locateur voulant que plusieurs plaintes de bruit furent rapportées par plusieurs autres locataires du même immeuble, notamment pour le comportement bruyant des sous-locataires avec leurs deux chiens.

Dossier 06-187687 :

[36]    Quant à la somme réclamée de 200 $ réclamée par le locateur, soit l'augmentation de 50 $ par mois pour chaque adulte vivant en sus des adultes initialement inscrits au bail, le Tribunal fait siens les propos de sa collègue le juge administratif Luce De Palma, laquelle dans une décision récente, s'exprimait ainsi :[1]

 


« Quant à la clause d'ajustement automatique prévue au bail signé en 2007, la locataire fait valoir qu'elle est illégale et qu'elle doit être déclarée sans effet ou inopérante, étant contraire aux règles d'ordre public concernant les modifications aux conditions du bail, règles édictées aux articles 1942 et suivants du Code civil du Québec et déclarées d'ordre public par l'article 1893 du Code civil du Québec.

Précisons d'abord, comme le souligne le juge administratif Francine Jodoin dans la cause Henriquez c. Brodeur, qu'une telle clause a certes pour effet de soustraire les parties aux règles usuelles concernant les modifications aux conditions du bail et visant le contrôle des loyers. ((2)) ...

Bien que le tribunal ne doute pas que les parties aient été de bonne foi, lors de la conclusion du bail, il n'empêche que l'entente intervenue quant à un réajustement éventuel du loyer a pour effet de contrevenir tant à l'article 1906 du Code civil du Québec, lequel interdit tout réajustement de loyer en cours de bail dans le cas d'un bail à durée fixe de 12 mois ou moins, de même qu'aux règles imposant au locateur de justifier toute augmentation pour les périodes de reconduction de ce bail au moyen d'un avis donné au locataire dans une période spécifiquement prévue par la loi. »

[37]     Par ailleurs, il est maintenant bien étant établi que les dispositions sur le louage résidentiel sont qualifiées d'ordre public de protection, qualification qui permet au bénéficiaire de la protection, en l'occurrence la locataire, de renoncer à son droit.

[38]     Toutefois, pour qu'une telle renonciation prenne effet, la Cour Suprême établissait certains principes dans l'affaire Garcia Transport c. Trust Royal en s'exprimant ainsi : ((5))….

« Pour conclure sur ce point, disons qu'il est possible de renoncer à une disposition d'ordre public économique de protection puisque sa violation n'est sanctionnée que par une nullité relative. En raison de la nature même de la protection accordée, toutefois, cette renonciation n'est valide que si elle est consentie après l'acquisition du droit et non avant. À mon avis, le juge Jacques de la Cour d'appel a correctement exposé l'état du droit lorsqu'il a écrit à la page 929 :

Il est maintenant acquis que la partie qui bénéficie de la protection d'une loi d'ordre public économique de protection peut y renoncer. Cependant, cette renonciation ne peut être anticipée. Elle ne peut avoir lieu que lorsque le droit que cette loi accorde est né et peut être exercé en toute connaissance de cause, tout comme, par analogie, un acte de ratification d'une obligation annulable doit exprimer, entre autres, l'intention de couvrir la cause de l'annulation (art. 1214 C.C.). » ((6))….

L'économie de la loi veut que pour chaque année de bail, le locateur soit tenu de donner un avis d'augmentation ou de réajustement de sorte que le locataire puisse s'adresser à la Régie pour demander la fixation ou le réajustement de loyer. En d'autres mots, le locataire ne peut pas renoncer à son droit de recevoir un avis d'augmentation ou de réajustement de loyer. Dans un bail d'une durée de plus d'une année, déterminer à l'avance l'augmentation de loyer pour les années subséquentes équivaut à faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement. Les articles 1650 à 1665.6 C.c. sont d'ordre public, les parties au bail ne peuvent y déroger. » ((8))

[39]    Le Tribunal est d'accord avec ces principes et il conclut que la renonciation implicite des locataires aux règles normalement applicables pour l'augmentation du loyer ne peut leur être opposée, alors que le locateur souhaite maintenant augmenter son loyer de 50 $ par mois par adulte, sans autre avis que cette clause insérée au bail initial.

[40]    Toute clause contractuelle visant à conclure une entente d'augmentation à l'extérieur de la période prévue pour le renouvellement du bail est donc illégale, contrevenant aux règles d'ordre public applicables au louage résidentiel.

[41]    Le Tribunal doit donc conclure, en l'espèce, que le locateur ne peut réclamer une augmentation de loyer de 50 $ par mois par adulte aux locataires en vertu de la clause apparaissant au bail soumis.

 


[42]   Les sommes réclamées de 69 $ et de 92 $ portant sur le remplacement d'une porte et de la réparation d'un cadre d'un cadre de porte ne seront pas accordées, faute de preuve documentaire à cet effet, tant sur les bris ou pertes prétendues occasionnées par les locataires que sur le paiement de telles sommes.

[43]   Quant à la somme de 959,88 $ représentant les coûts de remplacement de revêtement du plancher celle-ci sera refusée également, le Tribunal étant profondément convaincu que le locateur avait déjà accepté de changer le revêtement existant dans ce logement, bien avant d'avoir vu l'état du plancher.

[44]    Le Tribunal croit que la demande du locateur n'avait pour but que de contrecarrer celle des locataires et ainsi espérer que les montants réclamés s'annulent.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 06-169194 :

[45]    CONDAMNE le locateur à paye aux locataires une somme de 1 296,93 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 13 août 2014, plus les frais judiciaires de 80 $;

Dossier 06-187687 :

[46]    REJETTE la demande du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Serge Adam

 

Présence(s) :

les locataires

le locateur

Date de l’audience :  

28 janvier 2015

 


 



[1] 31 100625 026 G, Luce De Palma, juge administratif; Jun c. Amiridis, le 1er novembre 2010.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.