Bellerose et René Poirier (division) |
2013 QCCLP 3620 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Joliette |
6 août 2013 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossier : |
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Dossier CSST : |
135754943 |
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Commissaire : |
Jean M. Poirier, juge administratif |
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Manon Bellerose |
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Partie requérante |
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Et |
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René Poirier (division) |
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Partie intéressée |
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Et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu, le 19 juin 2013, une décision dans le présent dossier.
[2] Cette décision contient une erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001.
[3] À la page 12, nous lisons :
[41] En conséquence de tout ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST et l’employeur n’ont pas fait la preuve de façon prépondérante que la travailleuse est de mauvaise foi lorsqu’elle a produit sa réclamation pour une lésion professionnelle. De ce fait, la travailleuse n’a pas à rembourser la totalité des prestations qu’elle a perçues à la suite de sa réclamation, mais uniquement les prestations versées pour les 14 premiers jours de son incapacité, soit la somme de 2 622,05 $.
[4] Alors que nous aurions dû lire :
[41] En conséquence de tout ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST et l’employeur n’ont pas fait la preuve de façon prépondérante que la travailleuse est de mauvaise foi lorsqu’elle a produit sa réclamation pour une lésion professionnelle. De ce fait, la travailleuse n’a pas à rembourser la totalité des prestations qu’elle a perçues à la suite de sa réclamation, mais uniquement les prestations versées pour les 14 premiers jours de son incapacité, soit la somme de 614,60 $.
[5] Et, à la page 13, nous lisons :
DÉCLARE que la travailleuse doit rembourser la somme de 2 622,05 $ qui lui a été versée pour le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu des 14 premiers jours conformément à l’article 363 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[6] Alors que nous aurions dû lire :
DÉCLARE que la travailleuse doit rembourser la somme de 614,60 $ qui lui a été versée pour le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu des 14 premiers jours conformément à l’article 363 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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JEAN M. POIRIER |
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Me André Laporte |
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LAPORTE & LAVALLÉE |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Pierre Perron |
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SECURIGEST INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
Bellerose et René Poirier (division) |
2013 QCCLP 3620 |
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[1] Le 30 octobre 2012, madame Manon Bellerose (la travailleuse), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 octobre 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 13 septembre 2012 en reconsidération de la décision du 1er août 2012 et déclare être bien fondée à réclamer à la travailleuse la somme de 42 860,66 $. Elle confirme également la décision rendue le 2 octobre 2012 et déclare que la CSST est justifiée de refuser d’accorder une remise de dette à la travailleuse.
[3] Une audience est tenue à Joliette le 22 février 2013. La travailleuse est présente et représentée. L’employeur est représenté et la CSST a informé le tribunal par correspondance du 5 février 2013 qu’elle ne sera pas présente devant le tribunal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST du 25 octobre 2012 et de déclarer que la reconsidération est illégale puisqu’il n’y a pas de faits nouveaux dans le litige d’une part et d’autre part, qu’elle n’a pas été de mauvaise foi. Par conséquent, elle ne doit pas rembourser la somme de 42 860,66 $ qu’elle a reçue de la CSST.
LA PREUVE
[5] Pour rendre sa décision, le tribunal a pris connaissance du dossier médico-administratif mis à sa disposition. Il a entendu le témoignage de la travailleuse. Le tribunal a également étudié les documents déposés à l’audience. Il en retient les faits suivants.
[6] Dans cette affaire, le 26 juillet 2012, la Commission des lésions professionnelles a rendu une précédente décision[1] sur l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse qui a conclu qu’elle n’est pas atteinte d’une maladie professionnelle pulmonaire et elle n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
[7] Pour l’établissement de la preuve et de l’historique du dossier, le tribunal juge pertinent de citer un large extrait de ladite décision :
[7] La travailleuse, qui occupe un emploi de préposée chez l’employeur depuis 1974, déclare avoir de la difficulté à respirer et tousse depuis qu’elle a changé de poste de travail en 2003.
[8] Elle n’allègue aucun symptôme au poste de mirage des œufs qu’elle occupait précédemment. Sa tâche consiste alors à retirer les poussins des incubateurs afin de les compter, les vacciner et les acheminer aux éleveurs. Elle trie également les œufs par poids et les nettoie.
[9] Les symptômes seraient apparus au poste de préposée au poulailler qu’elle occupe depuis environ le début de l’année 2003. Elle doit alors ramasser les œufs dans le poulailler.
[10] Ce poste, contrairement au précédent, se situe dans le poulailler qui contient des plumes, mais également de la poussière provenant du bran de scie, du lisier et des vapeurs d’ammoniac. La travailleuse ajoute que ses symptômes sont pires durant l’hiver puisque les fenêtres du poulailler sont fermées en raison du froid.
[11] Elle participe à compter de 2003 à un programme instauré par le Centre de santé et de services sociaux afin de contrôler ses symptômes. Elle porte, du mois d’octobre à avril, un masque qui filtre les odeurs d’ammoniac et partiellement la poussière, mais sans succès. Selon ses dires, la poussière obstrue rapidement le filtre qu’elle doit nettoyer plusieurs fois par jour.
[12] À l’audience, elle allègue que les symptômes, absents à l’arrivée à son poste le matin, apparaissent après 60 minutes d’exposition et persistent pour le reste de la journée de travail. Elle nie tout symptôme durant la fin de semaine de congé et affirme présenter des symptômes « de temps en temps » à la maison. Elle possède par ailleurs un chien à la maison depuis 1999. Elle ne fume pas, mais reconnait finalement, même si elle le niait en début d’audience, que son époux est fumeur.
[13] Devant la persistance des symptômes, elle prend congé le 5 novembre 2009, dépose une réclamation à la CSST et consulte son médecin, le docteur Payette, le 11 novembre 2009. Ce dernier diagnostique un asthme « aggravé par le travail hivernal à l’intérieur » et prescrit un arrêt de travail.
[14] La travailleuse n’est jamais retournée au travail chez l’employeur par la suite.
[15] À la note de consultation du docteur Payette du même jour, ce dernier écrit que la travailleuse consulte pour sa prescription de vitamine B12, mais désire également qu’il « l’arrête de travailler pour l’hiver ». La travailleuse aurait été traitée pour une bronchite le 14 octobre 2009 et doit prendre « des pompes ». Il termine l’anamnèse en ces termes :
Cela semble une maladie personnelle aggravée par condition professionnelle. Cas difficile à
trancher.
[16] Son examen des poumons est sans particularité. Il prescrit un bronchodilatateur, et dirige la travailleuse à un pneumologue.
[17] Dans une note de consultation du 1er décembre 2009, le docteur Payette rapporte que la travailleuse vit avec un époux « gros fumeur ». À l’audience, la travailleuse nie tout d’abord que son mari est un gros fumeur, pour ensuite déclarer qu’il a cessé depuis de fumer. Questionnée ensuite par le procureur de l’employeur et par le tribunal, la travailleuse est nébuleuse sur la qualité de gros fumeur de son époux qui aurait également recommencé à fumer.
[18] À son rapport médical suivant du 18 décembre 2009, le docteur Payette écrit que la travailleuse doit passer des tests afin d’établir si son asthme est « intrinsèque » à son travail. À la note de consultation, le médecin note que les poumons sont clairs et il écrit que la travailleuse est en arrêt de travail et qu’une investigation est en cours pour établir s’il s’agit d’un asthme occupationnel ou non.
[19] Le 9 mars 2010, une radiographie pulmonaire ne démontre aucune anomalie.
[20] Le 10 mars 2010, la travailleuse subit un test cutané d’allergies qui est positif pour les graminées et fortement positif pour le pollen d’arbres, l’herbe à poux, la poussière, les squames de chats, les squames de chiens et de chevaux. Le test est par ailleurs négatif pour les poules et les plumes.
[21] Le 11 mars 2010, elle subit un test de fonction respiratoire qui démontre un volume pulmonaire normal, mais avec un volume résiduel légèrement diminué associé à la condition d’obésité de la travailleuse. Le test démontre également une hyperexcitabilité bronchique modérée à importante.
[22] C’est dans ce contexte que la CSST dirige le dossier vers le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Montréal.
[23] À son rapport du 12 mars 2010, le comité rapporte que la travailleuse se plaint de « gêne » respiratoire depuis la première année de son travail dans le poulailler. Elle se plaint d’obstructions nasales, de difficultés à respirer accompagnées de toux sèche et de sifflements à la poitrine. C’est à ce moment que son médecin, le docteur Payette, lui aurait prescrit de la cortisone et un bronchodilatateur inhalé, avec un certain succès, mais avec une aggravation des symptômes durant la saison froide. Après une revue du dossier, le comité conclut son rapport en ces termes :
Les membres du Comité reconnaissent que l’histoire de madame Bellerose est compatible avec un asthme professionnel, même si les tests cutanés aux poulets sont négatifs. Elle est fortement atopique et présente des sensibilisations à divers pollens ainsi qu’aux squames de chiens et de chats, de chevaux et elle possède un chien à la maison. La présomption du diagnostic d’asthme professionnel nous apparait quand même raisonnable et nous recommandons madame Bellerose à la clinique d’asthme professionnel de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal pour investigation. Elle aura vraisemblablement des tests de provocation spécifique, mais nous commençons d’emblée un monitoring de ses débits de pointe. Nous prévoyons qu’elle aura ses tests de provocation spécifique d’ici quelques semaines en usine.
[24] Dans un rapport médical du 29 avril 2010, le docteur Malo, pneumologue, retient un diagnostic d’asthme professionnel et évalue le déficit anatomophysiologique à 3 %.
[25] Le 3 mai 2010, il transmet une lettre au Comité des maladies professionnelles pulmonaires afin de leur faire part du résultat des tests de provocation bronchique spécifique qu’il a supervisés. Il explique que la travailleuse a présenté, lors d’un test en milieu professionnel le 29 avril 2010, une réaction immédiate de sensibilisation et non pas irritative. Il conclut à la présence d’un asthme professionnel « à un produit ou un autre présent dans le poulailler ». Il ajoute qu’il pourrait s’agir de plumes de poules même si le test cutané est négatif.
[26] Les conclusions du docteur Malo sont reprises le 7 mai 2010 dans un Rapport complémentaire du Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Le comité retient le diagnostic d’asthme professionnel à la poussière de poulailler, un déficit anatomophysiologique de 3 % pour une sensibilisation (code 223500 du barème), aucune limitation fonctionnelle, mais ajoute, pour la tolérance aux contaminants, que la travailleuse ne devrait plus être exposée à la poussière de poulailler.
[…]
[31] Le docteur Renzi témoigne également à l’audience. Il allègue que le témoignage de la travailleuse a permis d’établir que celle-ci souffre d’asthme personnel depuis au moins dix ans avant la consultation médicale du 11 novembre 2009. Il ajoute que la médication par inhalation permet de soulager les symptômes en période de crise, notamment lors des grippes et infections. Le tribunal retient enfin de son témoignage que la fumée de cigarette, le froid, les odeurs fortes et la poussière, présents dans le poulailler, sont des irritants et non des agents sensibilisants, en ce sens qu’ils ne provoquent pas d’anticorps allergiques, mais peuvent irriter les muqueuses déjà affectées par la réaction inflammatoire allergique. Quant au résultat du test de provocation effectué au travail le 29 avril 2010, le docteur Renzi ne lui accorde aucune valeur puisque le test, effectué sans masque pour bloquer les agents irritants, ne permet pas d’établir si la réaction de la travailleuse après 60 minutes découle d’agents irritants ou sensibilisants
[8] Le juge administratif Therrien conclut sur l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse en mentionnant :
[66] Enfin, le tribunal constate que la travailleuse se plaint d’éruptions au contact de son chien le 27 janvier 2010, présente une infection des voies respiratoires avec sécrétions colorées le 12 avril 2010 et un nouvel épisode d’asthme décompensé le 11 février 2011. Cette persistance des symptômes, alors que la travailleuse est en arrêt de travail complet, ne favorise pas l’établissement d’un lien entre l’asthme et ce travail.
[67] À cela s’ajoutent les nombreuses incohérences et contradictions dans le témoignage livré par la travailleuse à l’audience. Plus particulièrement, la travailleuse déclare d’abord que personne ne fume à la maison. Elle se ravise ensuite, maintient une ambigüité en affirmant que son époux aurait cessé depuis, pour se raviser à nouveau et préciser qu’il a depuis recommencé. Elle nie également que son époux est un « gros » fumeur alors que le contraire est rapporté aux notes du docteur Payette. Enfin, la travailleuse déclare fermement et à plusieurs reprises à l’audience que son asthme débute à la suite de son changement de poste de travail en 2003, alors que la preuve médicale au dossier démontre plutôt qu’il débute vers l’an 2000. Il ne s’agit pas d’une contradiction banale puisqu’il s’agit du principal critère retenu par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, dont l’avis a été entériné par le comité spécial, pour conclure à la présence d’un asthme professionnel.
[68] Compte tenu :
· de la faible crédibilité à accorder aux propos de la travailleuse;
· de l’absence de preuve qui associe l’apparition de l’asthme à un agent sensibilisant ou irritant présent au travail;
· d’un ensemble de faits graves, précis et concordants qui associent l’asthme dont souffre la travailleuse à un agent sensibilisant et à un agent irritant présents à son domicile.
[9] Le 30 juillet 2012, l’employeur écrit à la CSST pour déclarer son opposition à l’application de l’article 437 de la loi. Il estime que la travailleuse a été de mauvaise foi lors de la production de sa réclamation.
[10] À la suite de cette décision de la Commission des lésions professionnelles, la CSST rend une décision le 1er août 2012 réclamant à la travailleuse la somme de 2 622,05 $ correspondant à la somme perçue pour la période des 14 premiers jours.
[11] Selon les notes évolutives de la CSST du 16 août 2012, l’employeur appelle cette dernière pour lui signifier son désaccord avec la décision du 1er août de la même année. Il demande à la CSST de réclamer la totalité de la somme. L’agent de la CSST l'informe que les sommes seront désimputées de son dossier, mais l’employeur indique qu’il a engagé des frais de représentant et que ce n’est pas la CSST qui va rembourser ceux-ci.
[12] L’employeur réitère la même demande le 22 août 2012 et mentionne que la CSST est sévère lorsqu’un employeur ne respecte pas la santé et la sécurité des travailleurs et qu’elle devrait être de même pour les travailleurs qui font des déclarations mensongères.
[13] Le 13 septembre 2012, la CSST rend une décision qui reconsidère celle du 1er août de la même année et déclare que les sommes versées à la travailleuse ont été reçues de mauvaise foi. Par conséquent, la CSST lui réclame la somme de 42 860,66 $.
[14] Le 22 septembre 2012, la travailleuse demande une remise de dette au motif qu’elle travaille au salaire minimum donc, elle ne peut pas rembourser la CSST et qu’elle n’a jamais eu l’intention de mentir dans son dossier. Elle précise qu’elle se considère comme une personne honnête. Le tribunal estime pertinent de citer un extrait de la demande de remise de dette de la travailleuse :
J’ai passé en cour comme vous le savez surement. J’ai été bombardé de questions ce qui augmentait mon niveau de nervosité au plus haut point, surtout quand un genre d’avocat ne vous laisse pas le temps d’expliquer votre réponse; exemple : ‘AVEZ-VOUS UN CHIEN?’ J’ai répondu que oui mais je n’ai même pas eu le temps d’expliquer que c’était un Yorkshire chien qui est reconnu comme étant anti-allergène donc d’après moi ne nuisait pas à mon état. Aussi le jour qu’ils m’ont demandé si mon conjoint fumait, pour la date qu’ils m’ont demandé, non il ne fumait pas, comme je leurs ai dit mais il a repris la cigarette trois [mois] et demi plus tard, donc à ma deuxième parution devant ces messieurs je leur ai dit que oui il fumait donc je ne crois avoir fait de fausses déclaration. […]. [sic]
[15] À l’audience, la travailleuse témoigne qu’elle est suivie par le docteur Clément Payette, le médecin qui a charge, depuis les années 80. Elle indique avoir l’asthme depuis 1999.
[16] À la question du représentant de l’employeur, la travailleuse nie avoir été de mauvaise foi.
[17] Quant à la question de savoir si elle a donné suite au paiement de la somme de 2 622,05 $, réclamée par la CSST le 1er août 2012. La travailleuse répond qu’elle avait accepté le paiement parce qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait contester la décision. Ensuite, elle a reçu dans les jours suivants une décision lui réclamant la somme de 42 860,66 $.
[18] La travailleuse allègue que c’est le docteur Payette qui lui a recommandé de faire une réclamation à la CSST, elle n’a jamais demandé cela.
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le juge administratif soussigné a requis et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui sur les questions soumises au tribunal ainsi que les motifs de leur avis.
[20] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de faire droit à la requête en contestation de la travailleuse. Ils considèrent que la preuve portant sur la mauvaise foi de la travailleuse, fardeau incombant à la CSST, n’a pas été démontrée de façon prépondérante.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse doit rembourser les indemnités qu’elle a perçues soit la somme de 42 860,66 $, considérées comme un montant du surpayé, à la suite de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 26 juillet 2012.
[22] Le droit au recouvrement des prestations est prévu à l’article 430 de la loi et se lit ainsi :
430. Sous réserve des articles 129 et 363, une personne qui a reçu une prestation à laquelle elle n'a pas droit ou dont le montant excède celui auquel elle a droit doit rembourser le trop-perçu à la Commission.
__________
1985, c. 6, a. 430.
[23] L’article 363 de la loi indique quant à lui ce qui suit :
363. Lorsque la Commission, à la suite d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, ou la Commission des lésions professionnelles annule ou réduit le montant d'une indemnité de remplacement du revenu ou d'une indemnité de décès visée dans l'article 101 ou dans le premier alinéa de l'article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d'un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s'il s'agit du salaire versé à titre d'indemnité en vertu de l'article 60.
__________
1985, c. 6, a. 363; 1997, c. 27, a. 19.
[nos soulignements]
[24] Concernant la bonne foi, l’article 2805 du Code civil du Québec[3] (CcQ) prévoit ce qui suit :
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.
________
1991, c. 64, a. 2805
[25] La notion de bonne ou mauvaise foi n’est pas définie dans la loi. Cependant, la Commission des lésions professionnelles considère qu’en la présente matière, le Code civil du Québec s’applique. Il faut retenir que la bonne foi se présume et que la mauvaise foi doit donc se prouver, selon l’article 2805 de ce code.
[26] Le tribunal partage l’interprétation faite par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Translec/Common inc. et Cléroux[4] où elle fait référence à la doctrine juridique qui définit la mauvaise foi. Le tribunal estime pertinent de citer un extrait de cette décision :
[39] Les notions de bonne et mauvaise foi ne sont pas définies dans la loi. Il s’agit de concepts difficiles à cerner puisqu’ils nous renvoient à la disposition d’esprit dans laquelle une personne se trouve lorsqu’elle agit. Certains auteurs de doctrine juridique se sont penchés sur la portée de ces expressions. Ainsi, les auteurs Baudoin, Jobin et Vézina, dans leur ouvrage Les obligations, en donnent la définition suivante :
98. Bonne foi- On doit d’abord rappeler le sens subjectif, traditionnel de la bonne foi. En fait, ce premier concept de bonne foi a deux acceptions dans le vocabulaire juridique.11 La première est celle qui oppose bonne foi à mauvaise foi : est de bonne foi toute personne qui agit sans intention malicieuse. Notons à cet égard que l’article 2805 du Code civil édicte une présomption générale et réfragable de bonne foi. Le deuxième sens traditionnel de la bonne foi est l’ignorance ou la perception erronée de la réalité; une personne est de mauvaise foi lorsqu’elle agit en sachant qu’elle le fait de façon illégale ou illégitime.
____________
11 Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p.143.
[nos soulignements]
[27] Dans l’affaire Nefil et Commission scolaire Pointe-de-l’île[5], la Commission des lésions professionnelles indique que la mauvaise foi s’oppose à la bonne foi, laquelle peut être subjective ou appréciée en fonction du comportement de la personne raisonnable. Le tribunal rapporte le passage suivant de cette décision :
[33] La mauvaise foi ne peut être déduite de la faute simple ou de la seule négligence. Elle se distingue par la connaissance qu’a la personne de la réalité de la situation, par son intention malicieuse ou malhonnête, par son intention de tromper.
[28] La Commission des lésions professionnelles partage les propos du juge Tellier de la Cour supérieure lorsqu’il affirme que la mauvaise foi se déduit, en général, par l’ensemble du comportement de la personne visée et non par un seul fait pris isolément[6].
[29] L’article 2803 du CcQ indique les règles concernant le fardeau de la preuve en ces termes :
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
1991, c. 64, a. 2803
[30] À la lumière de cette disposition, il appartient à la partie qui invoque la mauvaise foi de la démontrer et d’en faire la preuve[7]. Ainsi, le fardeau de la preuve incombe à la CSST qui a rendu la décision déclarant la travailleuse de mauvaise foi.
[31] Dans son ouvrage Précis de la preuve[8], le professeur Léo Ducharme écrit à propos de la sanction du fardeau de la preuve ce qui suit :
146. S’il est nécessaire de savoir sur qui repose l’obligation de convaincre, c’est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l’absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante271, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra272.
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271. Commercial Union Insurance Co. c. Sergent-détective Tétrault, [1982] R.L. 237 (C.M.); Turcote c. Goyette, [1987] R.D.J. 443 (C.A.); Dumont Bellefeuille inc. c. Leclerc, J.E. 87-215 (C.S.); St-Onge c. Caisse populaire de Notre-Dame des Trois-Rivières, J.E. 93-199 (C.Q.).
272. Daunais c. Farrugia, [1985] R.D.J. 223 (C.A.); Blackburn c. Leblond, [1977] R.P. 302 (C.P.); A. NADEAU et L. DUCHARME, op. cit., note 7, n°140, p. 98; J.-C. ROYER, op. cit., note 7, n°191, p. 123.
[32] Dans le cas d’espèce, la CSST n’est pas présente à l’audience pour démontrer la mauvaise foi de la travailleuse. De plus, elle s’est fondée sur la décision de la Commission des lésions professionnelles du 26 juillet 2012, selon laquelle la travailleuse n’est pas atteinte d’une lésion professionnelle pour réclamer la totalité des indemnités perçues par cette dernière sans aucune enquête subséquente.
[33] Or, cette décision de la Commission des lésions professionnelles porte sur l’admissibilité de la lésion professionnelle et non pas sur la bonne ou mauvaise foi de la travailleuse. Les propos contradictoires de la travailleuse lors des différentes audiences ont entaché la crédibilité de son témoignage, ce qui a permis au juge administratif Thérien de conclure à l’absence d’une lésion professionnelle.
[34] À ce sujet, le tribunal reprend l’extrait pertinent de cette décision qui démontre que c’est la crédibilité de la travailleuse qui a été mise en doute par le juge Thérien :
[67] À cela s’ajoutent les nombreuses incohérences et contradictions dans le témoignage livré par la travailleuse à l’audience. Plus particulièrement, la travailleuse déclare d’abord que personne ne fume à la maison. Elle se ravise ensuite, maintient une ambigüité en affirmant que son époux aurait cessé depuis, pour se raviser à nouveau et préciser qu’il a depuis recommencé. Elle nie également que son époux est un « gros » fumeur alors que le contraire est rapporté aux notes du docteur Payette. Enfin, la travailleuse déclare fermement et à plusieurs reprises à l’audience que son asthme débute à la suite de son changement de poste de travail en 2003, alors que la preuve médicale au dossier démontre plutôt qu’il débute vers l’an 2000. Il ne s’agit pas d’une contradiction banale puisqu’il s’agit du principal critère retenu par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, dont l’avis a été entériné par le comité spécial, pour conclure à la présence d’un asthme professionnel.
[68] Compte tenu :
· de la faible crédibilité à accorder aux propos de la travailleuse;
· de l’absence de preuve qui associe l’apparition de l’asthme à un agent sensibilisant ou irritant présent au travail;
· d’un ensemble de faits graves, précis et concordants qui associent l’asthme dont souffre la travailleuse à un agent sensibilisant et à un agent irritant présent à son domicile.
[69] Le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas subi de maladie professionnelle pulmonaire.
[35] Dans la présente affaire et en fonction des circonstances spécifiques, le tribunal est d’avis que lorsque la Commission des lésions professionnelles refuse l’admissibilité d’une lésion professionnelle pour cause de crédibilité, cela ne signifie pas nécessairement qu’il y a une preuve de mauvaise foi[9]. Ainsi, dans l’affaire Nefil[10], la Commission des lésions professionnelles s’exprime en ces termes :
[34] La jurisprudence12 reconnait que la conclusion de la non-crédibilité d’un travailleur, dans une décision antérieure du tribunal refusant, entre autres, l’admissibilité de sa réclamation, ne constitue pas nécessairement de la mauvaise foi. Le travailleur peut, par ses agissements, ses contradictions, sa façon de témoigner, entacher sa crédibilité faisant en sorte que le juge ne peut croire sa version des faits. Ceci n’implique pas automatiquement que le travailleur était de mauvaise foi au moment de sa réclamation ou au moment des faits en cause. L’ensemble de la preuve doit être analysé pour pouvoir le déterminer.
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12 Voir notamment : Béland et Industries Racan inc. précitée note 6; Jacques Olivier Ford inc. et Brabant, précitée note 6; Damabois inc. et Pelletier, précitée note 5; Breton et Construction Giroux Laterreur inc., précitée note 6; Morand et Transport Logi-Pro inc., précitée note 5.
[36] Le tribunal retient de la preuve que la CSST a rendu sa décision vraisemblablement suite à la lettre et aux appels téléphoniques de l’employeur lui enjoignant de réclamer la totalité de la somme versée à la travailleuse. Dans sa lettre, l’employeur assimile la faiblesse de la crédibilité de la travailleuse à de la mauvaise foi. Hormis cette lettre et les deux appels téléphoniques de l’employeur, il n’y a pratiquement rien au dossier qui indique à la CSST que la travailleuse a été de mauvaise foi et qu’elle a agi frauduleusement en produisant sa réclamation.
[37] Le tribunal considère qu’il n’y a aucune preuve probante dans le dossier qui démontre que la travailleuse est de mauvaise foi, c'est-à-dire par exemple, qu’elle a sciemment concocté un scénario et inventé une maladie dans le but d’obtenir un avantage auquel elle n’a pas droit.
[38] Aucune preuve au dossier ne démontre que la travailleuse a produit sa réclamation à la CSST dans le but ultime de toucher malhonnêtement des prestations. Elle affirme à l’audience qu’elle n’a jamais demandé « à être sur la CSST » que c’est son médecin qui a charge qui l’y a amené. En outre, le présent tribunal ne dispose d’aucune preuve à la lecture de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 26 juillet 2012 qui soutient les prétentions de l’employeur selon laquelle la travailleuse est de mauvaise foi. Il incombe à la CSST de prouver la mauvaise foi de la travailleuse, ce qu’elle n’a pas fait puisqu’absente à l’audience.
[39] Cependant, l’article 60 de la loi prévoit que la CSST doit réclamer l’indemnité reçue par la travailleuse pour les 14 premiers jours et se lit ainsi :
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199.
Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.
Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.
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1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
[40] Le tribunal estime qu’il y a lieu d’appliquer cette disposition pour réclamer à la travailleuse les prestations reçues pour la période couvrant les 14 premiers jours.
[41] En conséquence de tout ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST et l’employeur n’ont pas fait la preuve de façon prépondérante que la travailleuse est de mauvaise foi lorsqu’elle a produit sa réclamation pour une lésion professionnelle. De ce fait, la travailleuse n’a pas à rembourser la totalité des prestations qu’elle a perçues à la suite de sa réclamation, mais uniquement les prestations versées pour les 14 premiers jours de son incapacité, soit la somme de 2 622,05 $.
[42] Considérant la conclusion à laquelle en arrive le tribunal sur la notion de mauvaise foi, il ne sera pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la CSST pouvait reconsidérer sa décision ou non.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en contestation de madame Manon Bellerose, la travailleuse, déposée le 30 octobre 2012;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 25 octobre 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse doit rembourser la somme de 2 622,05 $ qui lui a été versée pour le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu des 14 premiers jours conformément à l’article 363 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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JEAN M. POIRIER |
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Me André Laporte |
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LAPORTE & LAVALLÉE |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Pierre Perron |
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SECURIGEST INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] Poirier et Bellerose, 2012 QCCLP 4785.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] L.Q. 1991, c. 64.
[4] 2011 QCCLP 5336.
[5] 2013 QCCLP 2324.
[6] Godbout c. J.G.F. Fiore inc., C.S. Montréal, no 500-05-005022-940, 25 octobre 1994, j.Tellier.
[7] Guèvremont et Transport GTL inc., [1994] C.A.L.P. 518; Métallurgie Brasco enr. et Desjardins, C.L.P. 297868-09-0609, 8 janvier 2008, Y. Vigneault; Gauvin et Constructions S.L.E.M.K. (Les) (fermé), C.L.P. 323530-64-0707, 16 avril 2008, R. Daniel; Damabois inc. (division Cap-Chat) et Pelletier, 2009 QCCLP 7553; Doiron et Coffrages CCC inc (Les) et CSST, 2012 QCCLP 630.
[8] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 6e éd., coll. « Collection bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p.62.
[9] Breton et Construction Giroux Laterreur inc, 2012 QCCLP 2051.
[10] Précitée, note 5.
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