Frigault et Bonduelle Canada inc. |
2014 QCCLP 1376 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 17 septembre 2013, madame Nathalie Frigault (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre de la décision rendue par ce tribunal le 15 août 2013.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette une première requête en révision et en révocation formulée à l’encontre d’une première décision rendue le 27 novembre 2012 laquelle rejette la contestation de la travailleuse et déclare qu’elle n’a pas subi une lésion professionnelle.
[3] À l’audience relative à la deuxième requête en révision et en révocation de la travailleuse laquelle a été tenue le 10 décembre 2013, la travailleuse est présente. Bonduelle Canada inc. (l’employeur) est présente en la personne de madame Johanne Anderson. Elle est représentée par monsieur Jean-Pierre Labelle. Le procureur de la CSST, Me Kevin Horth, avait avisé le tribunal de son absence préalablement.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 15 août 2013 par la Commission des lésions professionnelles (CLP2) et d’accueillir sa première requête en révision et révocation visant une première décision rendue le 27 novembre 2012 par ce tribunal (CLP1).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales rejetteraient la requête en révision ou en révocation. Ils considèrent que la travailleuse n’a pas fait valoir de motif qui permet de modifier les conclusions de la décision du 15 août 2013.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La travailleuse occupe un emploi d’égraineuse lorsqu’elle fait une réclamation à la CSST le 18 octobre 2007. Elle mentionne une lésion qui serait causée par des gestes répétitifs.
[7] Le 37 octobre 2007, la CSST refuse la demande de prestations. Cette décision est confirmée à la suite d’une révision administrative du dossier. La CSST juge alors que la condition de la travailleuse n’est pas la conséquence d’un accident du travail ni une maladie professionnelle.
[8] Le 14 février 2008, la travailleuse s’adresse à la Commission des lésions professionnelles. Elle est représentée par un procureur Me Claude Bovet. Le 3 février 2009, les parties sont entendues. La séance dure un peu plus de deux heures. Le tribunal reçoit de la preuve documentaire. Quelques personnes témoignent dont la travailleuse. Le dépôt d’un complément d’expertise et d’argumentations écrites est autorisé.
[9] Après la réception de ces documents, le 15 mai 2009, la Commission des lésions professionnelles rend une décision qui sera plus tard révoquée parce que l’opinion d’un médecin n’a pas été considérée.
[10] Par la suite, en vue de la nouvelle audience, les parties bonifient leur preuve par le dépôt d’expertises. Notamment, la travailleuse obtient une ordonnance du tribunal lui donnant accès au lieu de travail pour qu’un ergonome fasse une évaluation.
[11] La visite des lieux a lieu le 5 octobre 2011. L’ergothérapeute Caroline Lacroix produit son rapport le 17 novembre 2011 lequel est déposé au dossier du tribunal deux jours plus tard.
[12] La Commission des lésions professionnelles entend les parties sur la contestation de la travailleuse les 20 octobre 2011, 19 mars 2011 et 27 juin 2012. Les parties font entendre tous les témoins et elles déposent de la preuve documentaire qui s’ajoute à celle déjà au dossier. Le dossier est mis en délibéré le 14 septembre 2012 après la réception des argumentations écrites.
[13] Le 27 novembre 2012, la Commission des lésions professionnelles rend la décision CLP1. La contestation de la travailleuse est rejetée. Le tribunal déclare que celle-ci n’a pas subi une lésion professionnelle.
[14] La lecture de cette décision permet de comprendre que l’objet du litige se résume à déterminer si la travailleuse a subi une maladie professionnelle en 2007.
[15] Après avoir fait la nomenclature de la preuve entendue et déposée par les parties, CLP1 dispose de la requête incidente de la travailleuse qui demande le rejet du rapport de filature et de l’enregistrement vidéo effectués en septembre 2011. Elle déclare que ces éléments de preuve sont irrecevables parce que non pertinents considérant la question en litige.
[16] En outre, CLP1 relate la décision rendue séance tenante suivant laquelle elle a refusé le dépôt d’une vidéo du poste de travail que la travailleuse voulait introduire en contre preuve. Voici comment CLP1 rapporte les motifs de sa décision :
[29] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles estime opportun d’indiquer qu’à la fin de la troisième et dernière journée d’audience, le 27 juin 2012, la soussignée a aussi refusé le dépôt en preuve d’une vidéo du poste de travail d’égraineuse que voulait produire la travailleuse, alors qu’elle témoignait en contre-preuve. D’une part, cette vidéo réalisée par madame Lacroix, ergothérapeute, était disponible bien avant cette audience et son dépôt est jugé tardif. De plus, la travailleuse, qui a visionné cette vidéo, confirme que les images apparaissant à l’étude ergonomique de monsieur Montpetit sont conformes à celle-ci. Dans ce contexte, le tribunal estime que cette preuve, plus que tardive, n’apporterait pas de nouveaux éléments de preuve pertinents.
[17] Du paragraphe [30] au paragraphe [108], la preuve au fond, laquelle est contradictoire à maints égards, est résumée. Il est notamment question des sujets suivants :
· la description du poste de travail et des tâches exercées;
· l’horaire de travail et assiduité;
· le mode de rémunération;
· l’histoire de la maladie de la travailleuse;
· les expertises médicales déposées;
· les évaluations du poste de travail;
· et le témoignage des experts médicaux.
[18] Après avoir relaté l’avis des membres issus comme l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) le prévoit, CLP1 poursuit en exposant les motifs qui fondent ses conclusions. Ce passage va des paragraphes [113] à [159].
[19] Au paragraphe [113], CLP1 énonce l’objet du litige.
[20] Des paragraphes [114] à [119], CLP1 résume les règles de droit applicables en citant les articles de loi pertinents.
[21] Par la suite, CLP1 spécifie que les diagnostics à retenir en l’occurrence sont myosite dorsale, entorse dorsale et entorse lombaire. Il explique pourquoi celui de myosite du grand rhomboïde gauche n’est pas retenu. Cet exposé va du paragraphe [124] à [133].
[22] Il faut noter le paragraphe [134] où CLP1 ajoute ceci :
[134] Le tribunal tient à préciser, puisque la preuve a largement porté sur cet aspect, que même en retenant le diagnostic de myosite de grand rhomboïde gauche, la preuve prépondérante ne supporte pas que ce diagnostic, qui n’est pas prévu à l’annexe 1 de la loi, soit caractéristique du travail d’égraineuse ou relié aux risques particuliers de celui-ci, et ce, pour les motifs ci-après énoncés.
[23] Conséquemment, les paragraphes [135] à [153] contiennent l’exposé de motifs incidents lesquels ne fondent pas la conclusion de CLP1. Ils sont exprimés pour répondre à la longue preuve faite par les parties à l’égard du diagnostic de myosite du grand rhomboïde lequel n’a pas été retenu.
[24] Au paragraphe [154], CLP 1 énonce la question à trancher considérant qu’elle a écarté le diagnostic de myosite du grand rhomboïde gauche. Il poursuit en expliquant que la relation entre les risques particuliers du travail et les diagnostics retenus, à savoir une myosite dorsale, et une entorse dorsale et une entorse lombaire, n’a pas été établie par une preuve prépondérante.
[25] Elle conclut que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle sous la forme d’une maladie professionnelle.
[26] Le 14 janvier 2012, la travailleuse qui se présente seule, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision et en révocation à l’encontre de CLP1 à laquelle elle annexe des photos et d’autres documents. Elle fait valoir qu’il y a des erreurs dans cette décision. Notamment, elle mentionne ceci :
· CLP 1 fait erreur lorsqu’il écrit au paragraphe [121] que le diagnostic de myosite du grand rhomboïde gauche a été posé la première fois par le docteur Taillefer en juillet 2011. Elle mentionne que plusieurs documents au dossier montrent que le problème est présent depuis 2007.
· CLP1 fait erreur lorsqu’il juge non crédibles les affirmations de la travailleuse sur la description des lieux de travail et les mouvements effectués.
· CLP1 fait erreur en retenant les témoignages de madame Chantal Lacroix et de monsieur Jean-Guy Cailhier lesquels se seraient contredits.
· CLP1 a refusé d’entendre sa preuve vidéo et de recevoir certaines photos la privant ainsi d’un moyen de preuve essentiel.
· CLP1 commet des erreurs dans l’évaluation de la preuve ergonomique en ce qui concerne la position de l’épaule et du coude.
· CLP1 oublie une partie de la doctrine médicale déposée.
[27] Le 21 juin 2013, les parties sont entendues sur la requête de la travailleuse. L’audience dure un peu moins d’une heure. Le présent tribunal a fait l’écoute de l’enregistrement sonore de cette séance. Voici ce qu’il en retient.
[28] La travailleuse se présente seule. L’employeur est représenté.
[29] Après avoir constaté les présences, le juge administratif qui préside l’audience résume les règles applicables. Notamment, il explique à la travailleuse qu’elle ne peut pas bonifier sa preuve pour obtenir une décision différente.
[30] Par la suite, la travailleuse fait la lecture d’un document qu’elle a préparé avec l’aide d’un consultant de l’UTAM[2]. Elle soutient que la décision CLP1 est entachée de plusieurs vices de fond de nature à l’invalider.
[31] Elle aborde 3 points précis : le diagnostic retenu, le refus d’entendre sa preuve et la crédibilité des témoignages de madame Lacroix et de monsieur Cailhier.
[32] Sur le diagnostic, elle fait valoir que CLP1 déclare à tort que le diagnostic de myosite du grand rhomboïde gauche a été posé pour la première fois en juillet 2011 par le docteur Taillefer. Elle cite les documents suivants pour appuyer sa prétention:
· une note de physiothérapie déposée avec la requête en révision et révocation qui n’était pas au dossier du tribunal; et
· le rapport du docteur Moïse daté du 13 mars 2008 que CLP1 relate au paragraphe [62] de la décision qui se lit ainsi :
[62] Cette consultation avec le docteur Moïse a lieu le 13 mars 2008. Au rapport médical qu’il produit, celui-ci retient le diagnostic de dorsalgie post-trauma en précisant qu’il ne s’agit pas d’une lésion chirurgicale. Sur la note de consultation, il écrit que la travailleuse a une douleur dorsale post-effort depuis six mois et qu’il y a un plateau thérapeutique. Il note une douleur mi-dorsale aux omoplates sans radiculalgie aux membres supérieurs. À son examen, le docteur Moïse retrouve une sensibilité mi-dorsale, sans spasme, les mouvements des épaules sont complets, les tests provocateurs négatifs et l’examen des membres supérieurs normal. Il retient le diagnostic d’entorse dorsale et écrit, à titre de lésion occulte, une myalgie. Le mot suivant est difficilement lisible, mais il est plausible que ce soit rhomboïde. Il suggère une scintigraphie dorsale et une référence en physiatrie. Cette scintigraphie osseuse, réalisée le 7 avril 2008, s’avère normale.
[33] Elle ajoute qu’il y a d’autres erreurs aux paragraphes [130] à [133] lorsqu’on indique que les symptômes initiaux ne correspondent pas à une lésion au grand rhomboïde gauche et qu’ils ont migré au fil du temps.
[34] Par la suite, la travailleuse explique qu’en refusant de recevoir en contre preuve des photos du poste de travail issues de la vidéo effectuée par l’ergothérapeute Lacroix le 5 octobre 2011, CLP1 la prive d’un élément essentiel de sa preuve visant à contredire le témoignage de monsieur Cailhier sur la configuration de ce poste en 2007 plus particulièrement la présence de supports métalliques en place sur les convoyeurs. Elle soutient qu’il s’agit d’un vice de fond déterminant puisqu’il y aurait manquement à son droit d’être entendue.
[35] Cela termine l’exposé des motifs de la travailleuse. Elle n’indique pas qu’il y aurait des erreurs quant à l’appréciation de la preuve ergonomique ou l’oubli de principes médicaux issus de la littérature déposée.
[36] La travailleuse termine son exposé en demandant la révision des conclusions de CLP1 de manière à reconnaître que la myosite du grand rhomboïde gauche est une lésion professionnelle survenue le 12 septembre 2007 et qu’elle a droit aux prestations prévues par loi.
[37] L’employeur argumente à son tour par la suite. Il expose les règles de droit qui sont applicables en matière de révision et de révocation. Il revient sur la requête écrite de la travailleuse qu’il qualifie d’argumentation. Il fait remarquer que certains passages ne sont pas pertinents considérant que les sujets abordés ne sont pas en lien avec les conclusions de CLP1.
[38] Ensuite, il soumet que la travailleuse demande une réappréciation de la preuve. Il affirme que CLP1 a rendu une décision motivée et exhaustive qui constitue l’exercice de sa stricte compétence.
[39] L’employeur explique une situation particulière survenue peu de temps avant la dernière journée d’audience alors que le juge administratif qui présidait l’audience a informé les parties qu’il connaissait un de ses témoins. Il a alors choisi de faire entendre une autre personne, soit monsieur Cailhier, un cadre de l’entreprise. Celui-ci a donc été entendu à la séance du 27 juin 2012 sans que quiconque se soit objecté. Il est venu contredire les affirmations de la travailleuse relatives à la configuration des lieux de travail.
[40] L’employeur soutient que la travailleuse a pu faire entendre sa preuve notamment parce que celle-ci a eu accès au lieu de travail pour soumettre une preuve ergonomique.
[41] Par la suite, il fait la lecture du paragraphe [29] de CLP1. Il fait valoir que les photos qu’on désire maintenant mettre en preuve ont déjà été écartées par CLP1 de manière correcte considérant qu’il s’agissait d’une preuve répétitive.
[42] Finalement, l’employeur demande le rejet de la requête en révision et en révocation et il dépose de la jurisprudence à l’appui de sa position voulant que la Commission des lésions professionnelles en révision n’ait pas à intervenir dans l’appréciation de la preuve.
[43] En réplique, la travailleuse réitère ses commentaires sur le diagnostic de myosite du rhomboïde gauche. Par ailleurs, elle indique qu’elle n’a jamais reconnu devant CLP1 que les photos qu’elle voulait déposer étaient toutes identiques à la description faite par l’ergonome de l’employeur, monsieur Yves Montpetit. Elle revient sur l’appréciation de la crédibilité qui, a son avis, n’est pas juste parce qu’on l’a empêchée de faire sa preuve par le dépôt de photos qu’elle voulait déposer devant CLP1.
[44] À une question du tribunal, la travailleuse indique que la vidéo mentionnée au paragraphe [29] est celle prise par l’ergothérapeute Lacroix. Les photos qu’elle souhaite mettre en preuve sont des extraits de cette vidéo.
[45] Par la suite, le juge administratif qui préside l’audience, déclare que la requête en révision et en révocation de la travailleuse est mise en délibéré.
[46] La décision CLP2 est rendue le 15 août 2013. La requête de la travailleuse est rejetée. Les motifs invoqués par la travailleuse sont résumés aux paragraphes [5] à [9] :
[5] Plusieurs diagnostics ont été émis quant à la lésion de la travailleuse. Celle-ci demandait au Tribunal de reconnaître qu’elle a subi une maladie professionnelle lui ayant causé une myosite du grand rhomboïde gauche.
[6] Le Tribunal conclut que le diagnostic à retenir pour l’analyse de l’admissibilité est plutôt celui de myosite dorsale et que cette myosite dorsale ne constitue pas une maladie professionnelle. Au surplus, étant donné la demande de la travailleuse et que la preuve a largement porté sur sa demande, le Tribunal explique que même s’il avait retenu le diagnostic de myosite du grand rhomboïde gauche, il n’aurait pas reconnu la lésion à titre de maladie professionnelle.
[7] Comme première erreur, la travailleuse allègue que le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve médicale qui indiquaient la présence d’une lésion au niveau du muscle grand rhomboïde gauche le 24 octobre 2007 sur un rapport de physiothérapie (qui n’était pas au dossier), le 13 mars 2008 par le docteur Moïse et le 14 juin 2010 par le docteur Veillette.
[8] Comme deuxième erreur, la travailleuse allègue que le Tribunal a refusé la production de photos prises en 2007 qui auraient démontré qu’il n’y avait pas de support lorsqu’elle travaillait. Deux supports ont été ajoutés en 2010 faisant en sorte que c’est erronément que le Tribunal conclut qu’elle n’a pu faire des mouvements d’une amplitude pouvant léser le muscle grand rhomboïde gauche.
[9] Enfin, elle reproche au Tribunal d’avoir accordé une grande crédibilité aux témoignages de madame Johanne Lacroix et de monsieur Jean Cailhier.
(Nos soulignements)
[47] Après avoir résumé les règles de droit applicables, CLP2 dispose des arguments de la travailleuse. On lit que la mention du docteur Moïse n’a pas été ignorée parce que citée par CLP1 au paragraphe [62]. On poursuit en précisant que celle du docteur Veillette est rapportée aux paragraphes [79] et [80] de CLP1.
[48] Au paragraphe [30] de CLP2, on lit que la note de physiothérapie est un nouvel élément de preuve lequel n’avait pas été présenté à CLP1 de sorte qu’il ne peut servir pour obtenir la révision de la décision considérant qu’il s’agirait d’une bonification de la preuve qui n’est pas permise.
[49] CLP2 indique ensuite que la conclusion de CLP1 sur le diagnostic est motivée en tenant compte des déclarations contemporaines à l’événement et d’éléments d’anatomie. On ajoute que CLP1 discute précisément de la valeur probante de la mention par le docteur Moïse relative à une douleur aux omoplates et à son interrogation sur la présence d’une lésion occulte de type myalgie des rhomboïdes. CLP2 cite le passage en question, soit le paragraphe [132] qui se lit ainsi :
[132] Le seul fait que le docteur Moïse rapporte, six mois après les événements, une douleur aux omoplates et qu’il s’interroge sur une lésion occulte de type myalgie des rhomboïdes n’est pas un élément suffisant pour établir qu’il s’agit du site lésionnel initial. D’ailleurs, le tribunal estime révélateur qu’au terme de son examen, le docteur Moïse, qui est orthopédiste, ne retient pas de lésion au rhomboïde gauche, mais bien un diagnostic de dorsalgie.
[50] CLP2 ajoute que le rapport du physiothérapeute n’aurait donc pas eu d’effet déterminent sur l’issue du litige.
[51] CLP2 conclut que la travailleuse n’a pas démontré une erreur manifeste et déterminante sur la question du diagnostic considérant que les éléments invoqués ne contredisent pas l’affirmation du paragraphe [121] de CLP1 voulant que le diagnostic de myosite du grand rhomboïde gauche « a été émis pour la première fois en juillet 2011 par le docteur Taillefer ».
[52] Des paragraphes [35] à [42], il est question de l’allégation relative au refus de preuve. Il y a lieu de reprendre ce passage :
[35] Sur la deuxième erreur alléguée, soit que le Tribunal ait refusé une preuve supplémentaire, le Tribunal motive sa décision :
[29] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles estime opportun d’indiquer qu’à la fin de la troisième et dernière journée d’audience, le 27 juin 2012, la soussignée a aussi refusé le dépôt en preuve d’une vidéo du poste de travail d’égraineuse que voulait produire la travailleuse, alors qu’elle témoignait en contre- preuve. D’une part, cette vidéo réalisée par madame Lacroix, ergothérapeute, était disponible bien avant cette audience et son dépôt est jugé tardif. De plus, la travailleuse, qui a visionné cette vidéo, confirme que les images apparaissant à l’étude ergonomique de monsieur Montpetit sont conformes à celle-ci. Dans ce contexte, le tribunal estime que cette preuve, plus que tardive, n’apporterait pas de nouveaux éléments de preuve pertinents.
[36] La Commission des lésions professionnelles a écouté le passage de l’enregistrement correspondant à la demande de la travailleuse. En somme, le procureur de la travailleuse demandait de déposer la bande vidéo réalisée le 5 octobre 2011 par madame Lacroix, ergothérapeute retenue par la travailleuse, et la travailleuse demandait de déposer des photos de la bande vidéo. La travailleuse voulait démontrer qu’il y avait deux ou trois supports métalliques qui ont été ajoutés après le fait accidentel faisant en sorte que la preuve ne démontrait pas adéquatement l’amplitude de mouvement qu’elle effectuait avec son membre supérieur gauche.
[37] Il y a eu objection de la part du procureur de l’employeur au motif que madame Lacroix n’était pas présente pour attester de l’authenticité de la bande vidéo et que la preuve n’était pas pertinente étant donné que tout avait été mis en preuve.
[38] Le Tribunal a bien pris soin de comprendre ce que la travailleuse voulait prouver et a considéré que par son témoignage ceci était mis en preuve et qu’il n’avait donc pas à visualiser des photos ou la bande vidéo. Le procureur de la travailleuse s’est déclaré satisfait de cette solution.
[39] Il s’agit ici de l’exercice même du pouvoir du Tribunal de gérer l’audience et de juger de la pertinence d’une preuve. Le Tribunal a justifié sa décision à la fois lors de l’audience et dans la décision rendue. La Commission des lésions professionnelles n’a pas à s’immiscer dans cette évaluation qui par ailleurs est fort bien fondée.
[40] Par surcroît, toute cette preuve concernant le nombre de supports métalliques n’est traitée que de manière subsidiaire par le Tribunal.
[41] En effet, dans les paragraphes 134 à 153, le Tribunal tend à préciser, étant donné que la preuve a largement porté sur cet aspect, que même s’il avait retenu le diagnostic plus spécifique de myosite du grand rhomboïde gauche au lieu de celui de myosite dorsale, il n’aurait pas reconnu une lésion professionnelle. Et c’est dans ces paragraphes que la preuve de l’amplitude des mouvements est analysée. Enfin, le Tribunal tient compte non pas seulement de l’amplitude des mouvements mais aussi de leur fréquence et de la physiopathologie des rhomboïdes.
[42] Il n’y a donc pas d’erreur manifeste, et par surcroît déterminante, d’avoir refusé cette preuve qui n’aurait rien changé aux conclusions retenues par le Tribunal.
[53] Enfin CLP2, discute du reproche qui a trait à l’appréciation de la crédibilité des témoignages. On indique, jurisprudence à l’appui, que cet exercice est au cœur de la compétence de CLP1 et qu’on ne peut intervenir pour modifier cette appréciation.
[54] Au paragraphe [46] CLP2 conclut que CLP1 ne contient aucune erreur manifeste de nature à l’invalider.
[55] Le 17 septembre 2013, insatisfaite du résultat, la travailleuse formule une requête en révision ou en révocation à l’encontre de CL2. Il s’agit de la requête dont nous sommes saisis.
[56] Avant d’exposer et d’analyser les reproches formulés par la travailleuse voyons les règles applicables.
[57] D’abord, il faut avoir à l’esprit que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel comme le stipule le dernier alinéa de l’article 429.49 de la loi:
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[58] Le caractère final d’une décision vaut autant pour CLP1 que pour CLP2.
[59] Néanmoins, la loi prévoit un recours qui fait exception à ce principe. Il s’agit de la révision ou révocation dont l’application est encadrée par l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[60] Devant le présent tribunal, la travailleuse pourra avoir gain de cause si elle démontre l’un des motifs énoncés à l’égard de l’instance qui a donné lieu à la décision du 15 août 2013, soit CLP2.
[61] Comme les reproches formulés par la travailleuse à l’encontre de la CLP2 sont de l’ordre du vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision, nous poursuivons en exposant ce qu’il faut retenir en l’espèce.
[62] Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le vice de fond de nature à invalider une décision constitue une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[3]. Ce principe a été réaffirmé par les tribunaux supérieurs et notamment par la Cour d’appel du Québec qui a rappelé que la Commission des lésions professionnelles devait agir avec grande retenue en accordant une primauté à la première décision et se garder de réapprécier la preuve et de réinterpréter les règles de droit[4].
[63] Ce sont d’ailleurs les principes dont CLP2 fait état aux paragraphes [16] à [26]. Une requête en révision ou en révocation ne peut pas donner lieu à une réappréciation de la preuve ou du droit.
[64] Devant une preuve contradictoire sur des éléments essentiels, le juge administratif doit inévitablement choisir ce qui est probant. Cet exercice relève de sa discrétion judiciaire. Il requiert nécessairement qu’on écarte certaines versions ou opinions. Dans la mesure où le juge administratif fournit des motifs compréhensibles, sa décision doit prévaloir. Même si une autre personne saisie de la même question pourrait en arriver à une autre conclusion, cela n’est pas déterminant puisque la décision rendue par le premier juge administratif est finale et sans appel.
[65] De surcroît, comme le présent tribunal l’a indiqué lors de l’audience de la présente requête, une requête en révision ou en révocation ne peut permettre à une partie de bonifier sa démonstration par de nouveaux éléments de preuve (documents, photos, témoignages) alors que ceux-ci étaient disponibles au moment de la première audience.
[66] Rappelons que les faits nouveaux mentionnés au premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi doivent avoir les caractéristiques suivantes :
· un fait qui existait au moment de l’audience;
· découvert postérieurement à l’audience;
· non-disponible au moment de l’audience;
· avoir un caractère déterminant sur l’issue du litige.[5]
[67] Une partie ne peut non plus reprendre l’argumentation présentée au premier juge administratif en l’améliorant ou en ajoutant de nouveaux motifs afin d’obtenir gain de cause.
[68] La lecture de la requête en révision et en révocation dont nous sommes saisis permet de comprendre que la travailleuse réitère les motifs de sa première requête en révision et révocation. Elle ajoute à ses arguments et précise sa pensée.
[69] Le présent tribunal entend se pencher sur ces motifs qu’à l’égard des allégations de manquements propres à CLP2.
[70] La travailleuse indique qu’elle a été mal comprise en ce qui concerne le diagnostic de myosite du grand rhomboïde. Elle précise que son reproche visait précisément l’affirmation suivante qu’on trouve au paragraphe [121] de CLP1 et qu’elle considère fausse:
(…) lequel diagnostic a été émis pour la première fois en juillet 2011 par le docteur Taillefer.
[71] La travailleuse soutient que CLP2 a omis son argument.
[72] Le présent tribunal juge cette allégation non fondée. Les paragraphes [27] à [34] de CLP2 disposent de cette question. Le résumé de la décision CLP2 qui a été fait précédemment démontre bien que l’argument a été considéré et que le juge administratif en a disposé de manière rationnelle et complète.
[73] La travailleuse argumente que CLP 2 ne rapporte pas correctement ce qui s’est passé à la première audience lorsqu’il a été question de la preuve vidéo. Elle fait valoir que les paragraphes [36] à [38] sont erronés. Elle ajoute tout en indiquant que Me Bovet, son procureur, a accepté la décision du premier juge administratif, qu’elle ne s’en est jamais déclarée satisfaite.
[74] Le tribunal a fait l’écoute de l’enregistrement sonore de la séance où CLP1 a rejeté la demande de dépôt de la preuve. Il constate que CLP2 résume correctement les échanges. Il n’y a donc pas d’erreur à cet égard.
[75] Qui plus est, devant CLP1, la travailleuse a affirmé que la figure 1 de l’ergonome Montpetit montrait la configuration du poste de travail qu’elle voulait expliquer avec les images de la « vidéo de travail » faites par la physiothérapeute Lacroix. En outre, la travailleuse a fourni et expliqué un croquis qu’elle a effectué à partir du visionnement de cette « vidéo de travail ». Dans ce contexte, comme l’indique CLP1, le visionnement de la vidéo aurait été redondant. Encore plus, les questions complémentaires du juge administratif ont permis à la travailleuse de fournir des précisions. Par la suite, le juge administratif a indiqué qu’il ne visionnerait pas la vidéo et le procureur de la travailleuse s’est déclaré satisfait.
[76] La travailleuse argumente que l’article 23 de la Chartres des droit et liberté de la personne[6] lui donne droit de faire sa preuve. Sous une autre forme, elle réitère ses arguments déjà présentés devant CLP2. Comme CLP2 l’indique, CLP1 a géré l’audience et jugé de la pertinence d’ajouter à la preuve déjà abondante sur la question. Dans ce contexte, il n’y a pas de manquement au droit d’être entendu.
[77] La travailleuse veut faire entendre des témoins pour démontrer que ceux de l’employeur ont menti lorsqu’ils ont décrit la configuration du poste de travail.
[78] Elle indique qu’elle a rencontré un ancien égreneur par hasard vers le 24 novembre 2013 lequel corroborerait ses affirmations et contredirait celles des témoins de l’employeur. Elle poursuit en mentionnant que devant CLP1 une autre égreneuse d’expérience devait témoigner. Cependant en raison de certaines difficultés, son procureur lui aurait conseillé de laisser tomber. Ce témoin a donc été annulé.
[79] Le présent tribunal juge que la travailleuse ne peut bonifier sa preuve en faisant entendre ces nouveaux témoins dont l’un d’eux avait été identifié pour témoigner devant CLP1. En effet, ces personnes ne sont pas détentrices de faits nouveaux. Les sujets sur lesquels la travailleuse veut qu’ils s’expriment, soit la configuration des lieux de travail et leur évolution dans le temps, ont déjà fait l’objet de témoignage et de rapports soumis à CLP1.
[80] Les motifs énoncés par CLP2 aux paragraphes [43] à [45] sur l’appréciation de la preuve ne peuvent donc être révisés à la lumière d’une preuve bonifiée.
[81] En conséquence, le présent tribunal juge que la requête en révision et en révocation de la travailleuse à l’encontre de la décision CLP2 est sans fondement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision et en révocation de la décision rendue le 15 août 2013 par la Commission des lésions professionnelles.
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Michèle Juteau |
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Monsieur Jean-Pierre Labelle |
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Labelle Vézina & ass. |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Kevin Horth |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Union des travailleur(se)s accidenté(es) de Montréal
[3] Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P., 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P.; CSST et Viandes & Aliments Or-Fil, C.L.P. 86173-61-9702, 24 novembre 1998, S. Di Pasquale; Louis - Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[4] Bourassa et Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 C.A.; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 C.A.; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 C.A.
[5] Bourdon et Genfoot inc. C.L.P. 89786-62-9706, 15 juin 1999, P. Perron; Bourdon c. CLP
[1999] C.L.P. 1096 (C.S.).
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