Commission municipale du Québec ______________________________ |
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Date : |
Le 19 décembre 2017 |
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Dossier : |
CMQ-66149 (30007-17) |
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Juge administratif : |
Sandra Bilodeau |
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Personne visée par l’enquête : Sylvain Guillemette Conseiller municipal Municipalité d’Armagh
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DÉCISION SUR ADMISSION DE CULPABILITÉ ET RECOMMANDATION CONJOINTE DE SANCTION ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE |
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DÉCISION
LA DEMANDE
[1] La Commission municipale du Québec est saisie, conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1], d’une demande d’enquête relativement à Sylvain Guillemette, alors conseiller municipal à la Municipalité d’Armagh[2].
[2] Quelques jours avant l’audience fixée du 20 au 24 novembre 2017, les procureurs demandent à la Commission d’autoriser une admission partielle de culpabilité et d’accepter une recommandation conjointe de sanction[3].
[3] Le 20 novembre 2017, la Commission entend leurs observations.
CONTEXTE
[4] La Municipalité craint que certains puits de résidents sur son territoire soient contaminés par un lieu d’enfouissement technique (LET), opéré par la MRC de Bellechasse.
[5] Mettant en doute les résultats d’analyse d’eau obtenus de la MRC, la Municipalité décide de réaliser ses propres expertises[4].
[6] Pour ce faire, elle mandate une firme qui analysera l’eau de 10 puits sur son territoire.
[7] Ces puits ont été choisis par le Comité de vigilance LET[5], qui a proposé à la Municipalité d’en échantillonner quatre en amont du site, quatre en aval et deux à l’extérieur du périmètre où la contamination est appréhendée.
[8] Les participants à l’étude doivent accepter entre autres que quatre prélèvements soient effectués annuellement sur leur puits, et ce, sur une période de trois ans.
[9] Le puits du conseiller municipal Guillemette est l’un des huit puits situés dans la zone problématique.
ANALYSE
[10] L’élu visé fait l’objet de 19 manquements, dont 16 sont relatifs à des conflits d’intérêts, où l’on allègue l’absence de dénonciation de son intérêt personnel, sa participation aux délibérations et son vote sur quatre résolutions adoptées les 17 mars[6], 7 avril[7] et 5 mai 2015[8], concernant des demandes de soumissions auprès de firmes spécialisées en analyse d’eau et en nettoyage de puits et l’octroi de contrats.
[11] Les articles 5.3.1 et 5.3.7 du Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux[9] sont invoqués au soutien de ces manquements.
[12] On reproche également à monsieur Guillemette d’avoir voté sur une résolution pour sa nomination sur le Comité de vigilance LET[10], contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code.
[13] Les deux derniers manquements s’appuient sur l’article 5.4 qui régit l’utilisation des ressources de la Municipalité. Monsieur Guillemette aurait, à deux reprises en mars 2015, accepté que des analyses d’eau de même que le nettoyage de son puits soient effectués aux frais de la Municipalité.
· Admission de culpabilité
[14] L’élu reconnaît sa culpabilité à l’égard de 5 des 19 manquements allégués, soit d’avoir voté lors de l’adoption des quatre résolutions relatives aux analyses d’eau et au nettoyage des puits et aussi sur celle relative à sa nomination au Comité de vigilance LET, en contravention avec l’article 5.3.1, qui dit ceci :
« 5.3 Conflits d’intérêts
5.3.1 Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, celui de ses proches ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[15] Le document consignant les admissions de monsieur Guillemette est ainsi libellé :
« [...]
Admissions de culpabilité
2. Dans le cadre d’une résolution complète du dossier, M. Guillemette reconnaît, par l’entremise de ses procureurs, qu’il a commis les manquements suivants :
1. Le ou vers le 25 novembre 2014, lors d’une assemblée extraordinaire, il a voté sur la résolution 2014-11-12 alors qu’il avait un intérêt personnel dans la question soumise par cette résolution, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
2. Le ou vers le 17 mars 2015, lors d’une assemblée extraordinaire, il a voté sur la résolution 2015-03-15 alors qu’il avait un intérêt personnel dans la question soumise par cette résolution, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
3. Le ou vers le 7 avril 2015, lors d’une assemblée extraordinaire, il a voté sur la résolution 2015-04-14 alors qu’il avait un intérêt personnel dans la question soumise par cette résolution, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
4. Le ou vers le 17 mars 2015, lors d’une assemblée extraordinaire, il a voté sur la résolution 2015-03-16 alors qu’il avait un intérêt personnel dans la question soumise par cette résolution, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
5. Le ou vers le 5 mai 2015, lors d’une assemblée régulière, il a voté sur la résolution 2015-05-13 alors qu’il avait un intérêt personnel dans la question soumise par cette résolution, contrevenant ainsi à l’article 5.3.1 du Code;
3. Ces admissions sont faites de façon libre et volontaire;
[...] »
[16] Les procureurs informent la Commission qu’il n’y a pas eu de délibérations lors de l’adoption des résolutions. L’élu ne peut donc avoir participé aux délibérations, tel qu’on lui reproche.
[17] En ce qui concerne l’absence de dénonciation de l’intérêt personnel, lors de l’adoption de ces mêmes résolutions, les procureurs soumettent, en s’appuyant sur une décision de la Cour suprême[11], qu’un élu ne peut recevoir une double sanction, pour une infraction de même nature. Ainsi, l’élu, en plaidant coupable à l’égard de l’article 5.3.1, soit d’avoir voté alors qu’il avait un intérêt personnel dans les cinq résolutions, ne pourrait être « reconnu coupable » à l’égard de l’article 5.3.7 pour les mêmes gestes, soit d’avoir voté alors qu’il avait un intérêt pécuniaire particulier dans ces résolutions.
[18] La Commission a déjà statué que le principe de l’interdiction de la double sanction s’applique, et ce dans la décision Bessette[12] :
« [130] Afin de pouvoir conclure que monsieur Bessette a agi, tenté d’agir ou omis d’agir de façon à favoriser ses intérêts personnels, la preuve doit démontrer que monsieur Bessette agissait dans l’exercice de ses fonctions de conseiller.
[...]
[132] D’autre part, comme la Commission a conclu que monsieur Bessette s’est prévalu de sa fonction pour favoriser ses intérêts personnels, il devient inutile d’analyser la conduite de monsieur Bessette pour cet autre manquement. »
[19] Ce principe trouve application ici, puisque l’élu ne pourrait être puni deux fois pour le même vote.
[20] Reste donc à examiner les deux manquements qui ne sont pas visés par les admissions et le principe de la double sanction, soit d’avoir tiré un avantage pécuniaire des analyses d’eau et du nettoyage de son puits.
[21] Il a été clairement exprimé par le procureur de l’élu que ce dernier ne veut pas admettre ces faits, puisqu’il ne reconnaît aucunement en avoir retiré un avantage.
[22] Dans un contexte global de règlement d’un dossier, un élu peut reconnaître sa culpabilité à l’égard d’une partie des manquements qui lui sont reprochés, et il appartient à la Commission de déterminer si l’intérêt public est respecté par ce plaidoyer et lui permet ainsi de mettre fin globalement à l’enquête.
[23] Comme le disait le Tribunal des professions[13], les ententes entre les parties constituent un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Les concessions réciproques sont donc une composante nécessaire à cet objectif souhaitable de conclure un dossier.
[24] Ainsi, la Commission doit considérer, avant d’accepter un plaidoyer partiel, divers facteurs dont la nature des manquements non visés par les admissions de culpabilité, les faits non contestés au dossier et les éléments relatifs à l’audience, dont sa durée.
[25] À la lumière de la preuve documentaire et des admissions au dossier, il appert que l’eau du puits de l’élu avait été analysée par la MRC, qui concluait qu’elle n’était pas contaminée par l’exploitation du site d’enfouissement.
[26] Le Comité de vigilance LET trouvait pertinent que le puits du conseiller soit sélectionné pour l’étude de la Municipalité, pour la comparabilité avec les résultats obtenus de la MRC.
[27] Il aurait certes été plus prudent que l’élu ne participe pas à l’étude. Toutefois, la Commission retient qu’il n’a pas demandé à en faire partie.
[28] Dans le contexte de ce dossier, il n’est pas contraire à l’intérêt public que la Commission accepte une admission de culpabilité uniquement à l’égard des conflits d’intérêts et mette fin à l’enquête, dont la durée prévue était de cinq jours.
· Recommandation commune de sanction
[29] Monsieur Guillemette n’est plus un élu municipal depuis le 19 juillet 2017, à la suite de sa démission.
[30] Au titre des sanctions qui peuvent être retenues contre un ex-élu, selon l’article 31 de la Loi, il y a la réprimande, le remboursement de la rémunération ou de l’avantage reçu, le cas échéant.
[31] Les procureurs ont recommandé une réprimande pour la participation de monsieur Guillemette aux cinq votes.
[32] À l’égard d’une recommandation commune, la Commission retient les enseignements de la Cour suprême[14] dans l’affaire Anthony-Cook[15], selon lesquels une recommandation conjointe ne devrait pas être écartée, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.
[33] Pour déterminer ce seuil, la Cour Suprême s’est appuyée sur deux arrêts de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador et les résume ainsi :
« [33] Dans Druken, par. 29,
la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration
de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les
considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine
recommandée, elle [traduction]
« correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites
des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait
échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme
l’a déclaré la même cour dans R. c. B.O.2,
[34] À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci-après. »
(Soulignements ajoutés)
[34] En matière disciplinaire, ces principes ont été appliqués et c’est pourquoi la Commission les retient.[16]
[35] La Commission a antérieurement imposé une réprimande à des élus ayant participé à des votes qui avantageaient financièrement des membres de leur famille[17].
[36] Il n’apparaît donc pas que la sanction suggérée aille à l’encontre de l’intérêt public et c’est pourquoi la Commission l’accepte.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- ACCEPTE les admissions de culpabilité à l’égard de 5 des 19 manquements allégués;
- ACCEPTE la recommandation commune de sanction;
- IMPOSE à l’ex-conseiller municipal Sylvain Guillemette une réprimande pour avoir voté à cinq reprises dans des résolutions où il avait un intérêt personnel, en contravention de l’article 5.3.1 du Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux;
- MET FIN À L’ENQUÊTE.
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Sandra Bilodeau
Juge administratif
SB/ap
Me Nicolas Dallaire
D’ARAGON DALLAIRE
Procureur indépendant de la Commission municipale
Me Martin Bouffard
Morency Société d'Avocats, sencrl
Procureur de l’élu
Audience tenue le 20 novembre 2017.
[1]. RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.
[2]. Monsieur Guillemette n’est plus un élu municipal depuis sa démission le 19 juillet 2017.
[3]. Demande du 10 novembre 2017.
[4]. Pièces E-13 à E-16 (enregistrements audio de séances du conseil).
[5]. Ce Comité n’est pas sous la direction de la Municipalité; il est composé de citoyens et d’un élu.
[6]. Résolutions numéros 2015-03-15 et 2015-03-16.
[7]. Résolution numéro 2015-04-14.
[8]. Résolution numéro 2015-03-13.
[9]. Règlement numéro 150-2014; Règlement révisé établissant le Code d’éthique et de déontologie des élus municipaux.
[10]. Résolution numéro 2014-11-12.
[11]. Kienapple c. R.
[12]. CMQ-65452 (Bessette), 31 août 2017.
[13]. Infirmières et
infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Ungureanu
[14]. CMQ-66143 et CMQ-66150 (Charron), 18 octobre 2017.
[15]. R. c.
Anthony-Cook,
[16]. Voir notamment Racine c. Labrèche, C.D.D. (Chambre des notaires du Québec), 27 octobre 2017.
[17]. CMQ-64445 et CMQ-64586 (Bessette), 28 juin 2013 et CMQ-64349 (Laurin), 28 juin 2013.
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