Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Foresterie Sénaka inc.

2010 QCCLP 5452

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Val-d’Or

20 juillet 2010

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

379621-08-0906

 

Dossier CSST :

131831844

 

Commissaire :

Paul Champagne, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 Foresterie Sénaka inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 2 juin 2009, l’employeur, Foresterie Sénaka inc., dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 avril 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 6 janvier 2009 et déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur André Jolicoeur, le 25 juin 2007, doit être imputé au dossier de l’employeur.

[3]                Une audience devait avoir lieu à Val-d’Or le 23 mars 2010. L’employeur a avisé le tribunal de son absence à l’audience, toutefois il a fait parvenir une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.

[4]                Le dossier a donc été mis en délibéré le 23 mars 2010.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les coûts relatifs à la lésion professionnelle subie par le travailleur soient transférés aux employeurs de toutes les unités, puisque cette lésion est attribuable à un tiers et que les activités exercées par le travailleur au moment de l’accident ne font pas partie des risques inhérents aux activités de l’employeur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                Le tribunal doit décider si l’employeur a droit au transfert des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 25 juin 2007 en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi):

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[7]                Le principe général selon le paragraphe 1 de l’article 326 est que l’employeur est imputé du coût des prestations reliées à un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il est à son emploi. Dans certains cas et selon certaines conditions, il peut y avoir  une imputation différente.

[8]                L’employeur peut demander un transfert de l’imputation des coûts, si l’accident du travail dont a été victime le travailleur, a pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.

[9]                Le 15 avril 2008, l’employeur adresse une demande de transfert du coût à la CSST, soit dans le délai d’un an prévu au 3e alinéa de l’article 326.

[10]           Dans la décision contestée par l’employeur, la CSST reconnaît que l’accident est attribuable à un tiers. Le tribunal est du même avis puisque la preuve révèle que le camion du travailleur a été heurté par un véhicule circulant en sens inverse dont le conducteur a perdu le contrôle.

[11]           Puisque nous sommes en présence d’un accident du travail attribuable à un tiers, il reste à l’employeur à démontrer l’effet injuste de l’imputation.

[12]           Pour apprécier l’effet injuste de l’imputation, le tribunal s’en remet à l’affaire Ministère des transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2], une décision de principe rendue par un banc de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles.

[13]           Dans l’affaire précitée, le tribunal présente sa position de la façon suivante :

« [338]  L’équité du système instauré par la loi réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre le risque assuré et la cotisation de chacun des employeurs. Avantager indûment un employeur, c’est par le fait même désavantager tous les autres. Bien sûr, l’inverse est aussi vrai.

 

[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

-          les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

 

-          les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

-          les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

[…]

 

[14]           On peut lire aussi dans la même décision le commentaire suivant sur la notion de risque inhérent :

[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque..). On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

 

[15]           De la preuve au dossier, le tribunal retient les éléments suivants.

[16]           Suite à l’accident du 25 juin 2007, le travailleur est d’abord suivi pour une entorse au genou gauche et au pouce droit. Ces lésions sont consolidées le 26 mars 2008 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique mais sans limitation fonctionnelle.

[17]           Le 6 janvier 2009, la CSST rend sa décision par laquelle elle déclare que l’accident est attribuable à un tiers mais qu’il n’est pas injuste d’en faire supporter le coût à l’employeur puisqu’il fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. Cette décision est confirmée en révision administrative le 14 avril 2009.

[18]           Selon la preuve, la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) dispose de ses propres ressources pour combattre les incendies de forêts : pompiers forestiers, agents de protection, aéropointeurs, personnel d’encadrement et de soutien aux opérations. La SOPFEU compte aussi sur les pompiers municipaux. Occasionnellement, la SOPFEU  peut faire appel à des travailleurs forestiers pour combattre des incendies de forêt. Lorsqu’il y a un incendie majeur dans la région où l’employeur exerce ses activités, la SOPFEU peut solliciter à cette occasion l’employeur afin qu’il prête ses travailleurs  pour combattre un incendie.

[19]           Le 25 juin 2007, le travailleur était affecté à la SOPFEU pour combattre un incendie de forêt. En conduisant un véhicule de la SOPFEU pour se rendre sur les lieux d’un incendie, il subit un accident du travail alors que son véhicule est heurté par un autre véhicule dont le conducteur a perdu le contrôle.

[20]           L’employeur allègue qu’au moment de l’accident, le travailleur n’exécute aucune des tâches d’un travailleur forestier. L’employeur ajoute que le déplacement effectué le jour de l’accident est accessoire aux activités de la SOPFEU pour combattre un incendie de forêt. L’employeur soumet que le risque n’est donc pas inhérent à ses activités.

[21]           L’employeur soumet également que les circonstances entourant l’événement du 25 juin 2007 doivent être considérées inusitées et exceptionnelles. Le combat des incendies n’est pas accessoire à ses activités et ce n’est que de façon occasionnelle qu’il peut être appelé à prêter ses employés à la SOPFEU.

[22]           Le tribunal n’est pas documenté sur la fréquence des prêts de service des travailleurs de l’employeur  à la SOPFEU. Toutefois,  en tenant compte des effets sur la gestion courante de l’employeur ainsi que des autres ressources dont dispose la SOPFEU , le tribunal  en déduit qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle.

[23]           Le tribunal considère que l’événement du 25 juin 2007 ne fait pas partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur. Le prêt du travailleur à la SOPFEU est une situation exceptionnelle qui s’apparente à un acte de civisme tant de la part de l’employeur que du travailleur afin de protéger les ressources forestières mais aussi pour assurer la sécurité des populations locales.

[24]           Dans les circonstances, il serait injuste d’imputer à l’employeur le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 25 juin 2007. Toutes les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 326 sont remplies et il y a lieu de faire droit à la demande de l’employeur et de lui accorder un transfert total des coûts relatifs à la lésion professionnelle du 25 juin 2007.

[25]           Selon les termes du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, le tribunal peut imputer le coût des prestations dues en raison de l’accident du 25 juin 2007 aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités. Dans le présent dossier, la preuve ne permet pas d’identifier le tiers qui est à l’origine de l’accident du travail du 25 juin 2007.

[26]           Le tribunal est d’avis que lorsque le tiers impliqué est un individu ou qu’il n’est pas possible d’identifier s’il s’agit d’un employeur assujetti à la loi, il y a lieu d’imputer les coûts à l’ensemble des employeurs afin de faire supporter par le plus grand nombre d’employeurs possibles les frais de l’accident auquel aucun d’entre eux n’a contribué[3].

[27]           Par conséquent, le tribunal est d’avis qu’il doit accueillir la demande de transfert d’imputation de l’employeur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Foresterie Sénaka inc., l’employeur ;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2009 à la suite d’une révision administrative ;

 

DÉCLARE que le coût des prestations en raison de l’accident du travail subi par monsieur André Jolicoeur, le travailleur, le 25 juin 2007, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

 

Paul Champagne

 

 

 

 

Me Sylvain Pelletier

Groupe AST inc.

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Ministère des transports, [2007] C.L.P. 1804 .

[3]           Sûreté du Québec et C.S.S.T., C.L.P. 297435-71-0608, 1er avril 2008, J.-F. Clément, Diane Lajoie, J.-F. Martel.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.