Décision

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Marchés Louise Ménard inc.

2010 QCCLP 6394

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

26 août 2010

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

402536-71-1002

 

Dossier CSST :

134276161

 

Commissaire :

Jean-François Martel, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

 

Marchés Louise Ménard inc. (Les)

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 17 février 2010, l’employeur, Les Marchés Louise Ménard inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 novembre 2009 et « déclare que le coût des prestations doit être imputé à l’employeur » en rapport avec la lésion professionnelle subie, le 14 décembre 2008, par madame Léanne Therrien Baron (la travailleuse)[2].

[3]           L’affaire était fixée pour audience, devant la juge administratif Mireille Zigby, le 11 août 2010, à 9 h 00, à Montréal.  Son procès-verbal note l’absence de la partie requérante et le fait qu’une argumentation écrite a été déposée.

[4]           Le soussigné a été désigné pour rendre la décision dans le présent dossier par ordonnance du président et juge administratif en chef de la Commission des lésions professionnelles prononcée, le 20 août 2010, en vertu des dispositions des articles 418 et 420 de la loi.

[5]           Le dossier constitué et l’argumentation écrite datée du 10 août 2010 ont été remis au soussigné le 20 août 2010.  L’affaire a été mise en délibéré à compter de cette dernière date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION ET L’ARGUMENTATION

[6]           L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit au transfert du coût des prestations versées à compter du 18 décembre 2008.

[7]           L’employeur allègue que :

-       le médecin traitant de la travailleuse a autorisé l’assignation temporaire de la travailleuse à un travail allégé à compter du 18 décembre 2008 ;

-       tel qu’il appert des certificats d’absence délivrés, les 18 et 21 décembre 2008, par deux médecins différents, la travailleuse n’a pu être assignée temporairement comme prévu, et ce, du 18 décembre 2008 jusqu’au 5 janvier 2009 ;

-       la travailleuse lui a confirmé que son absence était d’ordre personnel, pour une cause non reliée à sa lésion professionnelle ;

-       par conséquent, l’imputation à son dossier du coût des prestations versées à compter du 18 décembre 2008 a pour effet de l’obérer injustement.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           En matière d’imputation, la règle générale est énoncée au premier alinéa de l’article 326 de la loi, à savoir que le coût des prestations versées en raison d’un accident du travail est imputé à l’employeur de la victime.  Le deuxième alinéa de cet article prévoit cependant des exceptions, dont l’une applicable dans les cas où l’imputation faite conformément au premier alinéa a pour effet d’obérer injustement l’employeur :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[9]           D’emblée, la demande de transfert doit être jugée recevable, puisque présentée le 23 mars 2009, soit dans l’année suivant la date de l’accident survenu le 14 décembre 2008.

[10]        Sur le fond, avec respect pour l’opinion contraire, le soussigné est d’avis que la simple démonstration que la travailleuse n’a pu être assignée temporairement à des travaux légers ne suffit pas à conclure que son employeur a été obéré injustement.  En effet, à lui seul, cet élément peut convaincre le tribunal, selon les circonstances révélées par la preuve, de l’injustice de la situation, mais, en soi, il n’établit pas que l’imputation a pour effet de l’obérer.

[11]        Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, l’employeur a le fardeau de démontrer que l’imputation à son dossier du coût des prestations dont le transfert est demandé entraîne un impact financier appréciable pour lui[3].

[12]        L’existence d’une situation injuste pour l’employeur n’entraîne pas automatiquement le transfert de l’imputation[4].

[13]        La démonstration que l’employeur requérant doit faire implique la preuve du fardeau financier accru que l’imputation contestée fait peser sur lui.  Selon l’espèce, la signification et l’étendue du concept « obérer » peut varier.  Dans certains cas, on soutiendra que le requérant est obéré par le simple fait que l’imputation lui fait assumer des coûts qui auront une influence, même mineure, sur la détermination de son taux de cotisation[5].  À l’extrême opposé, on invoquera que l’imputation faite met l’existence même de l’entreprise en péril en ce qu’elle peut provoquer sa faillite[6].  Dans d’autres cas encore, on invoquera, par exemple, que l’imputation aura pour résultat d’imposer à l’employeur une charge financière significative[7] ou lourde[8] ou même excessivement onéreuse[9].  Il appartient au tribunal de décider, dans chaque affaire, si la preuve offerte justifie l’allégation de la partie requérante voulant qu’elle soit obérée.  Dans tous les cas, l’impact financier de l’imputation, quel que soit son degré d’importance, doit être établi[10].

[14]        Parfois, dans les cas similaires à celui sous étude, à savoir que le transfert demandé ne vise qu’une partie de l’ensemble du coût des prestations versées, soit pour la période au cours de laquelle un travailleur est rendu incapable de tout travail par une maladie d’origine personnelle, l’importance de l’impact financier pourra être déterminée en fonction de la proportion que représente la portion due à la maladie personnelle sur l’ensemble des coûts résultant de la lésion professionnelle[11].  Mais, même dans ces cas, l’employeur doit démontrer que l’imputation a pour effet de l’obérer[12].

[15]        À cet égard, l’étude du dossier fait ressortir les éléments suivants :

-       À l’époque pertinente, la travailleuse était embauchée à temps partiel ;

-       Elle a subi une lésion professionnelle, le 14 décembre 2008 ;

-       L’attestation médicale initiale délivrée par la docteure Julie Dupont prescrit l’arrêt de travail à compter du 16 décembre 2008 ;

-       Dans son formulaire intitulé Avis de l’employeur et demande de remboursement, l’employeur déclare avoir versé une somme de 318,01 $ à la travailleuse à titre d’indemnité de remplacement du revenu pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité, à savoir du 16 au 30 décembre 2008 inclusivement, soit une indemnité quotidienne moyenne de 22,71 $.  Aux termes du troisième alinéa de l’article 60 de la loi, la totalité de cette somme a depuis longtemps été remboursée par la CSST à l’employeur ;

-       La travailleuse a repris son travail le 6 janvier 2009 ;

-       La CSST a versé une somme totale de 77,14 $ à la travailleuse, à titre d’indemnité de remplacement du revenu, pour la période du 31 décembre 2008 au 5 janvier 2009 inclusivement, soit une indemnité de remplacement du revenu quotidienne de 12,86 $;

-       Le total des sommes imputées au dossier de l’employeur pour la période visée par sa demande, soit du 18 décembre 2008 au 5 janvier 2006 inclusivement, s’établit donc à la somme de 349,66 $ : (12 jours à 22,71 $ = 272,52 $) + (6 jours à 12,86 $ = 77,14 $).

[16]        Ainsi, les prestations versées pendant la période visée par la demande de l’employeur ne l’ont été que pendant 18 jours, à une employée à temps partiel[13], pour un total de 349,66 $.

[17]        Est-il besoin de rappeler qu’à l’exception des entreprises visées par les dispositions du chapitre X de la loi - or, la requérante n’en est pas une -, l’employeur concerné ne débourse pas les sommes d’argent correspondant aux prestations dues en raison des lésions professionnelles subies par des travailleurs à son emploi.  L’imputation n’est qu’un exercice comptable susceptible, certes, de produire des effets, mais dans certains cas et pour certains employeurs seulement.

[18]        En effet, par l’effet de la loi, chaque employeur est en quelque sorte assuré contre le risque encouru par les travailleurs à son emploi dans l’exercice de leurs activités professionnelles.  C’est la CSST qui paie les indemnités et assume les frais de l’assistance financière et des services fournis en vertu de la loi.  Elle joue à cet égard le rôle d’un assureur.  Les sommes requises aux fins du financement de ce régime d’assurance proviennent des cotisations versées annuellement par tous les employeurs.  L’impact financier d’une imputation de coût se limite donc, pour un employeur, à l’effet éventuel que celle-ci aura sur la détermination de sa cotisation.

[19]        Compte tenu de certains paramètres établis par des règlements adoptés en vertu de la loi[14], tout employeur au sens de la loi est assujetti à l’un des trois modes de détermination de sa cotisation annuelle suivants, à savoir : cotisation au taux de l’unité dans laquelle il est classé, cotisation au taux personnalisé qui lui est applicable ou ajustement rétrospectif de sa cotisation.

[20]        Le coût des prestations imputé au dossier d’un employeur n’a un impact sur sa cotisation que s’il est assujetti soit à l’un ou à l’autre des deux derniers modes décrits au paragraphe précédent.  Dans ces cas, le coût des prestations imputé à son dossier forme l’« expérience » dont il sera tenu compte, par le biais de divers facteurs (indices d’expérience, indices de risque, degré de personnalisation, coût d’indemnisation, limite de prise en charge au coût total, risque de la cotisation ajustée, facteurs de chargement, etc.), pour déterminer sa cotisation.

[21]        Évidemment, l’imputation au dossier financier d’un employeur d’une somme importante en rapport avec une lésion professionnelle déterminée est susceptible de produire plus d’effet sur l’éventuelle détermination de sa cotisation que l’imputation d’un coût minime.

[22]        En outre des relevés mensuels et annuels réguliers, les calculs faits en application des dispositions législatives et règlementaires pertinentes peuvent être fournis par la CSST à tout employeur concerné, de telle sorte qu’il est en mesure de savoir, avec précision, comment sa cotisation a été fixée et quel impact ont eu sur celle-ci toutes et chacune des lésions professionnelles subies par des travailleurs à son emploi.

[23]        Par conséquent, il est relativement aisé pour un employeur de faire la démonstration de l’impact financier qu’a eu pour lui l’imputation du coût de certaines prestations à son dossier financier.

[24]        Dans le présent cas, l’employeur requérant n’a fourni aucune démonstration au soutien de sa demande.

[25]        Le tribunal doit donc décider si l’imputation d’une somme de 349,66 $ au dossier de l’employeur requérant a pour effet de l’obérer, et ce, en l’absence de toute démonstration en ce sens.

[26]        La carence totale de preuve suffit à entraîner le rejet de la demande.

[27]        Le soussigné juge cependant opportun d’ajouter ce qui suit.

[28]        Il convient de rappeler les propos du juge administratif Rivard, dans l’affaire Acier Picard inc. et CSST[15], selon lesquels la « notion de proportion significative des coûts constitue en quelque sorte une illustration de l’adage juridique latin De minimis non curat praetor, qui signifie que les instances décisionnelles ne doivent pas s’occuper des causes insignifiantes ».

[29]        Dans l’affaire Provigo division Loblaws Québec[16], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’imputation d’un montant de 762,60 $ jugé « plutôt faible » et « négligeable » au dossier d’un employeur ne justifiait pas une demande de transfert de coût.

[30]        Dans l’affaire CSSS de la Pointe-de-L’Île[17], il en a été jugé de même à propos d’une somme de 401,92 $.

[31]        Le montant de l’imputation en cause dans le présent dossier (349,66 $) n’est pas suffisamment significatif pour justifier le tribunal d’accueillir la demande de transfert de l’employeur.

[32]        La contestation n’est pas fondée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Les Marchés Louise Ménard inc.;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail dont madame Léanne Therrien Baron, la travailleuse, a été victime, le 14 décembre 2008.

 

 

__________________________________

 

Jean-François Martel

 

 

 

Madame Valéry Sandra Paré

SHEPELL FGI

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Au moment de son accident du travail, la travailleuse était commis au prêt-à-manger.

[3]           Urgel Bourgie ltée, C.L.P. 364698-62-0812, 15 décembre 2009, J.-F. Clément ; Société des Alcools du Québec, C.L.P. 371141-63-0903, 1er septembre 2009, J.-F. Clément.

[4]           Commission scolaire English Montreal, C.L.P. 349568-61-0805, 23 mars 2009, L. Nadeau ; Abbaye Ste-Marie des Deux-Montagnes, C.L.P. 365891-64-0812, 14 décembre 2009, R. Daniel.

[5]           Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST, [1998] C.L.P. 824 ; Construction Arno inc. et CSST, [1999] C.L.P. 302 ; Ville de Montréal, C.L.P. 154493-71-0101, 26 février 2002, C. Racine; Maison mère Soeurs des St-Noms de Jésus et Marie et Loiseau, C.L.P. 157536-72-0103, 12 décembre 2002, N. Lacroix.  Sur la nécessité de démontrer l’impact sur la détermination du taux de cotisation, voir : Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont et Boudrias, [1996] C.A.L.P. 1498 .

[6]           Transport Cabano Expéditex et Lessard, [1991] C.A.L.P. 459 ; Thiro ltée et Succession Clermont Girard, [1994] C.A.L.P. 204 ; Hôpital D’Youville de Sherbrooke et Lincourt (C.A.L.P. 37565-05-9203, décision du 17 mars 1995) et l’affaire Construction E.D.B. inc. et Dubois (C.A.L.P. 55369-05-9311, décision du 31 mars 1995).

[7]           CSST- Soutien à l'imputation, [2008] C.L.P. 206  ; Gastier M.P. inc., C.L.P. 372876-64-0903, 10 novembre 2009, T. Demers.

[8]           Transport Cabano Expéditex et Lessard, [1991] C.A.L.P. 459 (décision accueillant la requête en révision); Constructions E.D.B. inc. et Dubois, C.A.L.P. 55369-05-9311, 31 mars 1995, J.-C. Danis, requête en révision judiciaire accueillie, [1995] C.A.L.P. 1911 (C.S.), appel accueilli, [1998] C.L.P. 1456 (C.A.) ; Construction Yvan Boisvert inc., C.L.P. 385470-04-0908, 8 janvier 2010, D. Lajoie.

[9]           United Parcel Service of Canada ltée et CSST, C.A.L.P. 78053-60-9603, 19 mars 1997, A. Archambault; Hervé Pomerleau inc. et CSST, C.L.P. 103036-03B-9807, 10 novembre 1998, P. Brazeau ; Joseph et C.A.E. Électronique ltée, C.L.P. 103214-73-9807, 6 janvier 2000, C. Racine ; Le Groupe Jean Coutu PJC inc., C.L.P. 353645-62-0807, 14 octobre 2009, R. Daniel, (09LP-137).

[10]         Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Iles, C.L.P. 236184-64-0406, 12 juin 2006, R. Daniel

[11]         Location Pro-Cam inc. et CSST, C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon, (02LP-121); Emballage Consumers inc., C.L.P. 176974-64-0201, 27 janvier 2003, R. Daniel.

[12]         Sécurité Kolossal inc. et Demers, C.L.P. 261919-62-0505, 1er septembre 2006, G. Godin, (06LP-117).

[13]         Pour une situation comparable, voir : Sani-Jean inc., C.L.P. 350150-01A-0806, 12 janvier 2009, M. Racine, (08LP-212).

[14]         Règlement sur le taux personnalisé, (1998) 130 G.O. II, 5389 et Règlement sur l'ajustement rétrospectif de la cotisation, (1998) 130 G.O. II, 5470 et amendements.

[15]         C.L.P. 375269-03B-0904, 4 août 2009, J.-L. Rivard.  Voir, au même effet : Ville de Montréal (Sécurité-Policiers), C.L.P. 377096-71-0905, 5 novembre 2009, J.-F. Clément, au paragraphe [23] : « On pourrait ici également appliquer la maxime De minimis non curat lex - En effet, la loi ne se préoccupe pas des choses de peu d’importance ».

[16]         C.L.P. 398685-63-1001, 27 mai 2010, M. Juteau

[17]         C.L.P. 375933-63-0904, 1er septembre 2009, J.-P. Arsenault, demande de révision pendante.  Voir aussi les autres décisions rendues dans ce sens par le même juge administratif :  Hôpital Louis-H. Lafontaine, C.L.P., 367850-71-0901, le 2 septembre 2009; CSSS du Nord de Lanaudière, 367917-63-0901, le 1er septembre 2009; Hôpital Louis-H. Lafontaine, C.L.P., 369422-71-0902, le 1er septembre 2009.

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