Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Bougie c. 9213-7926 Québec inc.

2020 QCCQ 448

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

« Chambre civile »

N° :

505-32-701947-187

 

DATE :

Le 12 février 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHANTAL SIROIS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

LUCIE BOUGIE

Et

DANIEL ASSELS

Partie demanderesse

c.

 

9213-7926 QUÉBEC INC.

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Une automobile ayant servi à des essais routiers par la clientèle chez un concessionnaire avant sa vente est-elle un véhicule neuf ou une automobile d’occasion au sens de la Loi sur la protection du consommateur[1] (L.p.c.)? Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une automobile d’occasion. Voici pourquoi.

[2]           Mme Bougie et M. Assels (le consommateur) reprochent à 9213-7926 Québec inc. faisant affaire sous le nom Olivier Hyundai St-Basile (le commerçant) d’avoir caché le fait que l’automobile qu’ils ont achetée auprès de ce commerçant a servi comme véhicule d’essai pour la clientèle avant sa vente et livraison.

[3]           Vu les fausses déclarations du commerçant, ils lui réclament 2 966,60 $ en réduction de leur obligation, ainsi que 5 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

Contexte

[4]           Le 22 mars 2017, le consommateur achète une Hyundai électrique chez Gabriel Hyundai. Le délai de livraison convenu est de dix à douze semaines, vu la forte demande pour ce type de produit.

[5]           Au début du mois de juillet 2017, vu la non-livraison du véhicule, le consommateur s’adresse à un représentant du commerçant pour vérifier s’il est possible d’acheter ce même modèle de véhicule avec livraison immédiate. Le représentant déclare pouvoir vendre le même modèle de véhicule pour le même prix de vente et de reprise du véhicule en échange, le tout avec livraison immédiate.

[6]           Sur la foi de ces représentations, il est convenu que si le consommateur parvient à « annuler » son contrat auprès de Gabriel Hyundai au cours des jours qui suivent, la nouvelle transaction projetée avec le commerçant se concrétisera.

[7]           Le 12 juillet 2017, lors d’une deuxième rencontre, le représentant du commerçant apprend au consommateur que le véhicule neuf convoité est vendu, mais qu’un autre véhicule identique est en voie de livraison à la concession. Cependant, il faudra payer 2 966,60 $ de plus pour en faire l’acquisition[2]. Malgré une certaine hésitation vu les représentations antérieures, le consommateur accepte.

[8]           Le 14 juillet 2017, au moment de la signature du contrat de vente d’un véhicule neuf, le consommateur s’enquiert du kilométrage indiqué à l’odomètre. Le représentant déclare que l’odomètre indique 700 km, parce que le véhicule a roulé d’une concession de Val-d’Or à une concession de Saint-Jérôme aux fins de livraison, puis ensuite à celle de Saint-Basile-le-Grand. Cependant, le contrat de vente ne fait mention d’aucun kilométrage.

[9]           Peu de temps après, le consommateur vérifie le kilométrage de Val-d’Or à Saint-Basile-le-Grand. Une recherche sur Google Map révèle une distance de 570 à 580 km.

[10]        Vu l’écart de kilométrage entre 580 km et 700 km, le 16 juillet 2017 à 20 h 11, le consommateur vérifie les données d’utilisation du véhicule, auxquelles il accède par l’ordinateur de bord. Un relevé de ces données d’utilisation du véhicule[3] prouve 27 déplacements variant entre 9 et 35 km pour la période du 23 mai 2017 au 11 juillet 2017, puis un déplacement de 91 km le 12 juillet 2019, jour où le véhicule a été livré du concessionnaire Saint-Jérôme à celui de Saint-Basile-le-Grand.

[11]        La facture d’achat déposée comme pièce D-5 prouve aussi que le véhicule a été vendu directement par le distributeur Hyundai Auto Canada au concessionnaire de Saint-Jérôme le 11 mai 2017. Aucun concessionnaire de Val-d’Or n’a ainsi servi d’intermédiaire. Le véhicule a été livré directement du concessionnaire de Saint-Jérôme à celui de Saint-Basile-le-Grand.

[12]        Autrement dit, les données d’utilisation du véhicule et la facture d’achat du véhicule auprès de Hyundai Auto Canada contredisent de façon claire et flagrante la déclaration selon laquelle il y a eu livraison du concessionnaire de Val-d’Or au concessionnaire de Saint-Basile-le-Grand. Le véhicule n’a jamais roulé entre ces deux concessionnaires. Il n’a même jamais appartenu à un concessionnaire de Val-d’Or.

Questions en litige

[13]        Le commerçant a-t-il enfreint la L.p.c.?

[14]        Si oui, la sanction recherchée est-elle appropriée?

Analyse

Le commerçant a-t-il enfreint la L.p.c.?

[15]        Sur le plan factuel, le commerçant n’a présenté aucune preuve contradictoire quant aux faits relatés ci-dessus.

[16]        En regard de la majoration du prix convenu, le commerçant plaide que le consommateur y a consenti librement.

[17]        En regard des nombreux déplacements antérieurs à la vente démontrés par les données d’utilisation du véhicule, le commerçant plaide essentiellement que le consommateur a acheté le véhicule au prix vendu en toute connaissance de cause, puisqu’il savait que le véhicule avait roulé 700 km avant qu’il en prenne possession. Pour lui, le consommateur a accepté ce kilométrage pour obtenir une livraison plus rapide du véhicule neuf qu’il voulait acheter.

[18]        Ces arguments font abstraction de ce que prévoit la L.p.c.

[19]        Premièrement, le commerçant a enfreint l’article 42 L.p.c. Ainsi, une déclaration verbale faite par un représentant du commerçant à propos d’un bien lie ce commerçant. Le représentant n’a pas fixé de limite de temps sur le prix convenu lorsque le consommateur lui a déclaré qu’il chercherait à annuler son précédent contrat avant d’en conclure un nouveau.

[20]        Il est étonnant qu’à peine quelques jours plus tard, après l’annulation par le consommateur de son contrat auprès de Gabriel Hyundai, le commerçant ait majoré le prix convenu de quelques milliers de dollars. Il s’agit là d’une pratique interdite à l’égard du prix.

[21]        En effet, l’article 224 c) L.p.c. refuse au commerçant la possibilité d’exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé. Comme la L.p.c. ne définit pas la notion de « prix annoncé », il convient d’interpréter cette notion en se rappelant qu’une interprétation large et libérale est appropriée en vue d’assurer l’accomplissement de l’objet de la loi[4]. Il n’est pas nécessaire que le prix soit contenu dans un message publicitaire[5]. Ainsi, le commerçant ne pouvait pas modifier unilatéralement le prix du bien convenu avec le consommateur lorsque ce dernier lui a communiqué son intention de signer le contrat de vente du véhicule.

[22]        Deuxièmement, la fausse déclaration pour expliquer les 700 km à l’odomètre constitue clairement une représentation trompeuse au sens des articles 219 et 228 L.p.c. Le commerçant a eu recours à une manœuvre déloyale envers le consommateur pour justifier un kilométrage relativement élevé pour un véhicule prétendument neuf.

[23]        Pourquoi cette fausse déclaration[6]? Vu les articles 1 c) et 156 d) L.p.c.

[24]        L’article 1 c) L.p.c. définit l’expression « automobile d’occasion » comme étant une automobile « qui a été utilisée à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le fabricant ou leur représentant ».

[25]        Dans son ouvrage « Loi sur la protection du consommateur analyse et commentaires », le regretté professeur Claude Masse écrit : « Cette disposition a été adoptée dans le but d’écarter toute manœuvre trompeuse en ce qui concerne la présentation d’un véhicule d’occasion comme étant un véhicule neuf, compte tenu du fait qu’il est impossible de déterminer le nombre de kilomètres à partir duquel un véhicule cesse d’être « neuf ». Est clairement visé le véhicule qui a été utilisé comme « démonstrateur ». Le véhicule est un véhicule d’occasion dès qu’il a été utilisé à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point, ne serait-ce que pour rouler sur un seul kilomètre. Cette règle est donc très stricte »[7]. (soulignement ajouté)

[26]        « Le fabricant a le droit de se livrer à des essais routiers sur un véhicule neuf avant la vente dans le but d’en vérifier la qualité et le bon état. Ces essais n’affectent pas le fait que ce véhicule devra être considéré comme un véhicule neuf au moment de la vente au consommateur »[8].

[27]        Dans leur ouvrage « Droit de la consommation », les auteurs Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière écrivent[9] :  

Les termes « automobile d’occasion » et « motocyclette d’occasion » signifient « une automobile ou une motocyclette qui a été utilisée à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le fabricant ou leur représentant » (art. 1c)). Le terme « automobile » est lui-même défini comme véhicule (art. 1b)), ce qui lui donne un sens large. Les véhicules utilisés comme démonstrateur et tous ceux qui n’ont pas eu d’autre propriétaire que le garagiste qui les offre en vente, mais qui ont servi à des fins autres que celle de leur préparation pour la vente au détail, tombent ainsi dans cette catégorie. Souvent, ils sont offerts en vente comme des véhicules neufs ou quasi neufs, ce qui peut donner lieu à des fraudes

(soulignement ajouté)

[28]        Ici, la preuve non contredite révèle que les essais routiers ont été effectués par des clients qui considéraient la possibilité d’acheter le véhicule. Il ne peut s’agir d’essais routiers aux fins de mise au point par le fabricant, parce que les essais ont eu lieu après la vente du véhicule par le distributeur à un concessionnaire. Il ne peut s’agir non plus d’essais routiers aux fins de la préparation du véhicule pour vente au détail ou sa livraison aux clients, parce que le véhicule n’a certainement pas été vendu 27 fois à des clients en moins de deux mois.

[29]        Le commerçant cherche à convaincre le Tribunal que des essais multiples par plusieurs clients étant des acheteurs potentiels font partie du processus de livraison du véhicule. Avec égards, ce raisonnement est mal fondé juridiquement. Il contrevient clairement aux articles 1 c) et 156 d) L.p.c.

[30]        Le processus de livraison ne commence qu’après la conclusion du contrat de vente. La livraison débute lorsque le commerçant satisfait à son obligation de délivrer le bien au consommateur, acheteur en application des articles 1717 et 1718 C.c.Q. Comme indiqué à ces articles, l’obligation de délivrer est remplie lorsque le vendeur met l’acheteur en possession du bien, dans l’état où il se trouve, avec tous ses accessoires.

[31]        L’article 1 c) L.p.c. permet au commerçant d’utiliser le véhicule aux fins de le mettre en possession physique du consommateur une fois la vente conclue, sans lui faire perdre alors sa qualité de véhicule neuf.

[32]        Ici, le véhicule a été utilisé plusieurs fois avant la vente. Par conséquent, le véhicule vendu en l’espèce est une automobile d’occasion. Il ne s’agit pas d’un véhicule neuf. La vente de l’automobile d’occasion comme véhicule neuf contrevient aux articles 16 et 40, ainsi que 219 et 228 L.p.c.

[33]        Le commerçant aurait donc dû utiliser un formulaire de vente pour véhicule d’occasion plutôt que pour véhicule neuf. En vertu de l’article 155 L.p.c., le commerçant aurait dû aussi apposer une étiquette placée de façon à pouvoir être lue en entier de l’extérieur du véhicule. L’article 156 d) L.p.c. impose au commerçant de divulguer notamment sur l’étiquette « le fait que l’automobile a été utilisée comme… automobile pour la clientèle ou démonstrateur ».

[34]        Il est à noter que la L.p.c. ne définit pas la notion de « démonstrateur ». Y a-t-il une distinction à faire entre une automobile « qui a été utilisée à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le fabricant ou leur représentant » et un « démonstrateur »? La loi ne répond pas à cette question[10]. Néanmoins, le seul fait que l’automobile ait été utilisée pour la clientèle constitue la « fin autre » définie à l’article 1 c) de la L.p.c. La définition exacte de « démonstrateur » importe donc peu en l’espèce.

[35]        Néanmoins, le Multidictionnaire[11] indique que le mot « démonstrateur » constitue un anglicisme au sens de « voiture d’essai ». Force est de conclure que l’article 156 d) L.p.c. utilise l’anglicisme « démonstrateur » comme synonyme de « voiture d’essai » ou, plus précisément, « automobile utilisée par la clientèle à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point ».

[36]        Le commerçant  a donc enfreint[12] les articles 1 c), 16, 40, 42, 224 c), 219, 228, 155 et 156 d) L.p.c.

[37]        Aussi, l’article 262 L.p.c. édicte qu’à moins qu’il n’en soit prévu autrement dans la L.p.c., le consommateur ne peut renoncer à un droit que lui confère la L.p.c.

Vu les manquements du commerçant aux obligations de la L.p.c., la sanction recherchée est-elle appropriée?

[38]        Tout d’abord, il y a lieu de préciser que l’arrêt Time[13] de la Cour suprême du Canada confirme l’existence d’une présomption absolue[14] de préjudice résultant d’un manquement par un commerçant à une obligation découlant de la L.p.c.

[39]        Comme l’écrit l’auteur Luc Thibaudeau, maintenant juge à la Cour du Québec, dans un fort intéressant article de doctrine « Going back in Time »[15], cette présomption absolue s’applique non seulement aux manquements à une disposition contenue au titre I de la L.p.c., mais aussi lorsque le commerçant commet une pratique interdite visée par le titre II de la L.p.c.[16]

[40]        L’article 272 L.p.c. détermine les sanctions possibles au cas de manquement à une obligation de la loi par le commerçant, notamment la possibilité de réduction de l’obligation du consommateur et de dommages-intérêts punitifs.

La réduction de l’obligation du consommateur

[41]        Le consommateur témoigne de façon crédible que s’il avait su que le véhicule avait été utilisé aussi souvent par de nombreux clients avant le 12 juillet 2017, jamais il n’aurait accepté de conclure la transaction pour le supplément exigé de 2 966,60 $. Il aurait maintenu sa décision d’acheter le véhicule auprès de Gabriel Hyundai pour 2 966,60 $ de moins, même si le délai de livraison était plus long.

[42]        Le Tribunal en est convaincu. Au surplus, eu égard au caractère d’ordre public des pratiques interdites par la loi, il faut aussi tenir compte de ce qui suit.

[43]        Étant donné que le commerçant s’est livré à des pratiques interdites visées aux articles 224 c) et 228 L.p.c. lors de la vente du véhicule, l’article 253 L.p.c. édicte qu’il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de telles pratiques, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé.

[44]        Le fait pour le commerçant de s’être livré à une pratique interdite en regard du surplus de prix demandé de 2 966,60 $ pour le véhicule justifie à lui seul la demande de réduction de prix de 2 966,60 $ par le consommateur.

Les dommages-intérêts punitifs

[45]        Qu’en est-il du volet des dommages-intérêts punitifs réclamés?

[46]        Contrairement à la Charte des droits et libertés de la personne[17], La L.p.c. permet l’octroi de dommages-intérêts punitifs, sans exiger la démonstration du caractère intentionnel de l’atteinte[18].

[47]        Le consommateur doit cependant démontrer une conduite qui déroge sérieusement à une norme de conduite acceptable de la part d’un commerçant et qui dénote un comportement indésirable et répréhensible quant aux objectifs de la L.p.c.

[48]        « Parce que l’art. 272 L.p.c. n’établit aucun critère ou règle encadrant l’attribution de ces dommages-intérêts, ceux-ci seront octroyés en confor­mité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de pré­vention pour décourager la répétition de comporte­ments indésirables, et conformément aux objectifs de la L.p.c., qui sont de rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants et consommateurs et d’éliminer les pratiques déloyales et trompeuses. Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insou­ciance ou de négligence sérieuse de la part des com­merçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages-intérêts puni­tifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs »[19].

[49]        Comme l’indique l’auteur Luc Thibaudeau dans son texte « Going back in Time »[20], le comportement du commerçant doit être apprécié en lien avec les objectifs de la L.p.c. Les objectifs principaux sont :

·        Rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre les consommateurs et les commerçants;

·        Éliminer les pratiques déloyales et trompeuses.

[50]        Par la réalisation de ces deux objectifs, le législateur cherche à sauvegarder l’existence d’un marché efficient où le consommateur peut interve­nir avec confiance[21].

[51]        L’assujettissement des contrats régis par la L.p.c. à des règles d’ordre public[22] met en évidence la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. « Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. »[23]. Cette loi cherche ainsi « à réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements d’ignorance, d’insouciance et de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. »[24], notamment par la possibilité d’octroi de dommages-intérêts punitifs.

[52]        Il est vrai que le simple fait d’une violation d’une disposition à la L.p.c. ne suffit pas à l’octroi de dommages-intérêts punitifs[25]. Cependant, une attitude laxiste, passive ou ignorante envers les droits des consommateurs le permet. Tel est le cas ici.

[53]        Lorsque telle attitude est prouvée, le Tribunal doit apprécier les éléments suivants en vertu de l’article 1621 C.c.Q. :

·        La gravité de la faute du débiteur;

·        La situation patrimoniale de celui-ci;

·        L’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier; et

·        Le fait que la prise en charge du paiement réparateur soit assumée ou non par un tiers, en tout ou en partie.

[54]        Sur le premier critère d’appréciation, le Tribunal est d’avis que le commerçant commet une faute grave en vendant à répétition comme véhicules neufs des véhicules ayant servi à des essais routiers par la clientèle et en niant qu’il s’agisse de « démonstrateurs ». Il s’agit là d’une attitude pour le moins laxiste.

[55]        Le commerçant ne peut plaider ignorance de la loi. Cette ignorance alléguée est totalement incompatible avec la déclaration mensongère de son représentant selon laquelle le véhicule a été livré du concessionnaire de Val-d’Or au concessionnaire de Saint-Basile-le-Grand. Pour attribuer le kilométrage de 700 km à une « livraison » de véhicule inexistante et impossible eu égard à la forte preuve documentaire, il fallait connaître la loi et chercher expressément à la contourner. La déclaration mensongère imputable au commerçant[26] permet même de conclure à violation intentionnelle de la L.p.c. en l’espèce.

[56]        Même s’il n’est pas nécessaire de prouver la violation intentionnelle de la L.p.c. pour conclure à l’octroi de dommages-intérêts punitifs, ce type de violation pour laquelle le commerçant occulte sciemment des faits importants constitue une circonstance aggravante de la faute commise.

[57]        Au surplus, il s’agit là d’un geste répété. Le directeur général du commerçant témoigne à l’audience que l’entreprise ne considère comme « démonstrateurs » et véhicules d’occasion que les véhicules ayant été conduits pendant plusieurs mois par un représentant et immatriculés comme véhicules commerciaux. Il ajoute que ces véhicules indiquent souvent environ 9 000 km à l’odomètre.

[58]        Aux dires du directeur général du commerçant, cette compréhension est répandue dans le domaine de la vente de véhicules.

[59]        Cette pratique illégale, trompeuse, répétitive et hautement répréhensible doit être sévèrement sanctionnée pour y mettre fin.

[60]        Le consommateur est bien fondé à pouvoir se fier sur le fait qu’un véhicule qui lui est vendu n’a pas été utilisé aux fins d’essais routiers par d’autres consommateurs, sauf en cas de divulgation expresse sur l’étiquette qui doit être apposée de façon clairement visible à l’extérieur du véhicule et jointe au contrat de vente de véhicule d’occasion, le tout en application des articles 155, 156 d) et 157 C.p.c.

[61]        Même si cette pratique illégale doit être sévèrement sanctionnée, les dommages-intérêts punitifs à être accordés ne peuvent cependant excéder ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

[62]        Sur le deuxième critère d’appréciation, même si le commerçant conteste vigoureusement l’attribution de dommages-intérêts punitifs, il admet que la situation patrimoniale de la défenderesse lui permet aisément de payer une somme de 5 000 $[27].

[63]        En regard du troisième critère, le Tribunal doit prendre en considération l’étendue de la réparation à laquelle le commerçant est déjà tenu envers le consommateur.

[64]        Or, la réduction du prix de vente de 2 966,60 $ est consentie en lien avec le fait pour le commerçant de s’être livré à une pratique interdite en regard du prix vendu, et non avec le fait pour le commerçant d’avoir sciemment occulté le fait que le véhicule a servi comme véhicule d’essai.

[65]        Force est de constater qu’aucune réparation n’est accordée au consommateur pour la violation laxiste, voire intentionnelle, des dispositions de la L.p.c. imposant qu’un véhicule d’essai soit vendu comme véhicule d’occasion plutôt que comme véhicule neuf.

[66]        L’absence de réparation en regard de cette grave violation de la loi justifie de majorer la somme accordée à titre de dommages-intérêts punitifs.

[67]        Par exemple, si le Tribunal avait pu entendre une preuve sur la différence de valeur entre un véhicule neuf par opposition à un véhicule d’essai vendu comme « démonstrateur » et véhicule d’occasion, une réduction plus substantielle du prix de vente aurait pu être accordée. Le Tribunal ne peut suppléer d’office à cette absence de preuve, mais il peut en tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation des dommages-intérêts punitifs en application des critères de l’article 1621 C.c.Q.

[68]         Les dommages-intérêts punitifs à être accordés en l’espèce visent essentiellement à réprimer la pratique de commerce qui consiste à vendre faussement comme véhicules neufs des véhicules d’essai.

[69]        Il s’agit là d’une pratique sans doute lucrative pour le commerçant. Elle permet au commerçant d’utiliser des véhicules neufs comme « démonstrateurs » sans devoir assumer la dépréciation liée à cette utilisation ni payer l’essentiel des frais associés à cette utilisation.

[70]        Le consommateur paie indirectement pour l’utilisation du véhicule à la place du commerçant. Il assume seul la dépréciation et l’usure normale découlant des essais routiers par la clientèle du commerçant.

[71]        Un commerçant qui utilise plusieurs véhicules comme véhicules d’essai sans les déclarer comme tels lors de la vente économise vraisemblablement plusieurs milliers de dollars par année, et cela, aux dépens du consommateur.

[72]        Cette pratique hautement blâmable est de nature à compromettre sérieusement la confiance du consommateur dans un marché efficient de la vente de véhicules prétendument neufs[28].

[73]        Concernant le quatrième critère, le paiement réparateur sera assumé par le commerçant seulement.

[74]        Pour ne pas excéder ce qui est suffisant pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, le Tribunal prendra en considération les différentes sommes accordées par la jurisprudence à titre de dommages-intérêts punitifs en vertu de la L.p.c.

[75]        Dans Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke), la Cour du Québec compile certaines décisions. Elle écrit qu’en excluant les décisions en matière de pratique interdite, il existe une variation de 250 $ à 3 500 $[29]

[76]        On constate donc qu’au Québec, les dommages-intérêts punitifs accordés en droit de la consommation sont plutôt limités.

[77]        Puis, en regard de faits semblables, l’affaire Grandmont[30] accorde 1 000 $ en dommages-intérêts punitifs. Une lecture attentive révèle que cette décision omet cependant l’analyse du dossier sous l’angle essentiel de la pratique interdite.

[78]        Si la fourchette supérieure des dommages-intérêts se limite généralement à 3 500 $ en excluant les décisions en matière de pratique interdite, on peut aisément concevoir que le seuil limite est plus élevé advenant preuve convaincante de pratiques déloyales, trompeuses et répétées, voire mensongères. Par exemple, dans l’affaire Time, la Cour suprême du Canada a arbitré les dommages-intérêts punitifs à 15 000 $[31].

[79]        Ici, en camouflant sciemment les essais routiers du véhicule à des fins autres que pour sa livraison ou sa mise au point, le commerçant commet une pratique interdite[32]. Cette infraction lui permet de vendre un véhicule d’occasion en déclarant faussement qu’il s’agissait d’un véhicule neuf[33].

[80]        De son propre aveu, le commerçant commet cette pratique interdite de façon répétée. Sa prétendue ignorance de la loi ne constitue pas un motif de défense. Elle constitue un mépris sérieux à l’égard des droits des consommateurs[34].

[81]        Même si la preuve ne révèle pas l’importance de l’écart de prix entre un véhicule neuf et un véhicule d’essai vendu comme « démonstrateur », il est clair que la pratique interdite reprochée constitue une pratique déloyale et trompeuse qui crée un déséquilibre dans la relation contractuelle entre le consommateur et le commerçant. Elle permet au commerçant de s’enrichir indûment aux dépens du consommateur. D’où l’importance d’une juste sanction appropriée suffisante pour assurer sa fonction préventive et mettre fin à cette pratique.

[82]        Eu égard à tous les éléments en preuve, eu égard au prix de vente du véhicule de 40 000 $ pour un véhicule d’occasion vendu comme véhicule neuf, après étude de la jurisprudence et en tenant compte des trois objectifs poursuivis par l’octroi de dommages-intérêts punitifs, soit la punition, la dissuasion et la dénonciation[35], le Tribunal arbitre à 4 000 $ les dommages-intérêts punitifs accordés.

[83]        Accorder moins serait insuffisant à assurer leur fonction préventive et à éradiquer cette pratique déloyale et trompeuse, eu égard à tout ce qui précède. Le peu de jurisprudence sur la question en litige démontre que peu de consommateurs font valoir leurs droits en regard de cette pratique interdite, pourtant répandue dans l’industrie, de l’aveu même du représentant du commerçant. La condamnation en dommages-intérêts punitifs de 4 000 $ est même faible eu égard aux économies annuelles potentielles par le commerçant qui a recours à cette pratique interdite sur une base régulière.

[84]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[85]        ACCUEILLE partiellement la demande;

[86]        CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 2 966,60 $ avec intérêts au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la mise en demeure du 28 juillet 2018, plus les frais de justice de 187 $;

[87]        CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse en sus la somme de 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

 

 

__________________________________

CHANTAL SIROIS, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

Le 28 novembre 2019

 



[1] RLRQ, c. P-40.1.

[2] Soit 3723,72 $ de plus, moins 757,12 $ représentant la valeur de pneus neufs inclus avec la transaction.

[3] Pièce P-3.

[4] Union des consommateurs c. Air Canada, 2014 QCCA 523, par. 59.

[5] Id., par. 61.

[6] Art. 1401 C.c.Q.

[7] Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur analyse et commentaires, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1999, p. 19.

[8] Id., citant les principes reconnus par Poulin c. Morin Automobiles (1985) Inc., [1990] R.J.Q. 1946 (C.S.).

[9] Nicole L’HEUREUX et Marc LACOURSIÈRE, Droit de la consommation, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2011, no 314, p. 331-332.

[10] 9144-7979 Québec inc. c. Caron, 2019 QCCQ 4456.

[11] Marie-Éva DE VILLERS, Multidictionnaire de la langue française, version électronique 2.7, 2019 QA International.

[12] Énumération possiblement non exhaustive.

[13] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 115 à 123.

[14] Art. 2847 C.c.Q. Une présomption absolue est celle pour laquelle aucune preuve ne peut lui être opposée, appelée aussi présomption « irréfragable ».

[15] Luc THIBAUDEAU, « Going Back in Time », dans Colloque national sur l’action collective, Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis, Service de la qualité de la profession, Barreau du Québec, Montréal, Les Éditions Yvon Blais, une division de Thomson Reuters Canada Limitée, 2018, p. 49, à la page 57.

[16] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 115 à 123.

[17] Voir l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[18] Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke), 2014 QCCQ 8733, citant De Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64, 2010 CSC 51, par. 48.

[19] Extrait du résumé de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.

[20] Luc THIBAUDEAU, « Going Back in Time », dans Colloque national sur l’action collective, Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis, Service de la qualité de la profession, Barreau du Québec, Montréal, Les Éditions Yvon Blais, une division de Thomson Reuters Canada Limités, 2018, p. 49, à la page 90; Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.

[21] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 77 et 162.

[22] Art. 262 et 261 L.p.c.

[23] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 176.

[24] Id., par. 177.

[25] Id., par. 178.

[26] Art. 42 L.p.c.

[27] Admission consignée au procès-verbal d’audience.

[28] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 77 et 162.

[29] Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke), 2014 QCCQ 8733, note 18, citant : Hébert c. Vidéotron s.e.n.c., 2014 QCCQ 6408; Loiseau c. Nautilus Plus inc., 2014 QCCQ 4247; Marionnet c. Ani-Puce, 2014 QCCQ 2683; Francoeur c. Passeport Détente inc., 2014 QCCQ 3225; Boisvert c. Desrochers, 2014 QCCQ 516; Paré c. 9140-7551 Québec inc. (Automobiles du Cartier Nord et automobiles Capitol inc.), 2012 QCCQ 1981; Lacasse c. Surplus RD inc., 2012 QCCQ 12104; Paradis c. Bijouterie Marise inc. (Mozart), 2012 QCCQ 6558; Éthier c. 9115-5168 Québec inc. (Sherbrooke Mitsubishi), 2012 QCCQ 536; Breault c. Gestion Dreymax inc., 2011 QCCQ 3171; Gauthier c. Senez, 2010 QCCQ 7456; Vinet c. Wonder Travel international inc., 2008 QCCQ 12094; Plourde c. Société financière Wells Fargo Canada MAC F0401-040, 2007 QCCQ 12209.

[30] Précitée à la note précédente.

[31] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 215 et 217.

[32] Art. 228 L.p.c.

[33] Art. 1 c), 156 d) et 219 L.p.c.

[34] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 176 et 177.

[35] Id.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.