Bougie c. 9213-7926 Québec inc. |
2020 QCCQ 448 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
505-32-701947-187 |
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DATE : |
Le 12 février 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CHANTAL SIROIS, J.C.Q. |
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LUCIE BOUGIE Et DANIEL ASSELS |
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Partie demanderesse |
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c. |
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9213-7926 QUÉBEC INC. |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Une automobile ayant servi à des essais routiers par la clientèle chez un concessionnaire avant sa vente est-elle un véhicule neuf ou une automobile d’occasion au sens de la Loi sur la protection du consommateur[1] (L.p.c.)? Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une automobile d’occasion. Voici pourquoi.
[2] Mme Bougie et M. Assels (le consommateur) reprochent à 9213-7926 Québec inc. faisant affaire sous le nom Olivier Hyundai St-Basile (le commerçant) d’avoir caché le fait que l’automobile qu’ils ont achetée auprès de ce commerçant a servi comme véhicule d’essai pour la clientèle avant sa vente et livraison.
[3] Vu les fausses déclarations du commerçant, ils lui réclament 2 966,60 $ en réduction de leur obligation, ainsi que 5 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
[4] Le 22 mars 2017, le consommateur achète une Hyundai électrique chez Gabriel Hyundai. Le délai de livraison convenu est de dix à douze semaines, vu la forte demande pour ce type de produit.
[5] Au début du mois de juillet 2017, vu la non-livraison du véhicule, le consommateur s’adresse à un représentant du commerçant pour vérifier s’il est possible d’acheter ce même modèle de véhicule avec livraison immédiate. Le représentant déclare pouvoir vendre le même modèle de véhicule pour le même prix de vente et de reprise du véhicule en échange, le tout avec livraison immédiate.
[6] Sur la foi de ces représentations, il est convenu que si le consommateur parvient à « annuler » son contrat auprès de Gabriel Hyundai au cours des jours qui suivent, la nouvelle transaction projetée avec le commerçant se concrétisera.
[7] Le 12 juillet 2017, lors d’une deuxième rencontre, le représentant du commerçant apprend au consommateur que le véhicule neuf convoité est vendu, mais qu’un autre véhicule identique est en voie de livraison à la concession. Cependant, il faudra payer 2 966,60 $ de plus pour en faire l’acquisition[2]. Malgré une certaine hésitation vu les représentations antérieures, le consommateur accepte.
[8] Le 14 juillet 2017, au moment de la signature du contrat de vente d’un véhicule neuf, le consommateur s’enquiert du kilométrage indiqué à l’odomètre. Le représentant déclare que l’odomètre indique 700 km, parce que le véhicule a roulé d’une concession de Val-d’Or à une concession de Saint-Jérôme aux fins de livraison, puis ensuite à celle de Saint-Basile-le-Grand. Cependant, le contrat de vente ne fait mention d’aucun kilométrage.
[9] Peu de temps après, le consommateur vérifie le kilométrage de Val-d’Or à Saint-Basile-le-Grand. Une recherche sur Google Map révèle une distance de 570 à 580 km.
[10] Vu l’écart de kilométrage entre 580 km et 700 km, le 16 juillet 2017 à 20 h 11, le consommateur vérifie les données d’utilisation du véhicule, auxquelles il accède par l’ordinateur de bord. Un relevé de ces données d’utilisation du véhicule[3] prouve 27 déplacements variant entre 9 et 35 km pour la période du 23 mai 2017 au 11 juillet 2017, puis un déplacement de 91 km le 12 juillet 2019, jour où le véhicule a été livré du concessionnaire Saint-Jérôme à celui de Saint-Basile-le-Grand.
[11] La facture d’achat déposée comme pièce D-5 prouve aussi que le véhicule a été vendu directement par le distributeur Hyundai Auto Canada au concessionnaire de Saint-Jérôme le 11 mai 2017. Aucun concessionnaire de Val-d’Or n’a ainsi servi d’intermédiaire. Le véhicule a été livré directement du concessionnaire de Saint-Jérôme à celui de Saint-Basile-le-Grand.
[12] Autrement dit, les données d’utilisation du véhicule et la facture d’achat du véhicule auprès de Hyundai Auto Canada contredisent de façon claire et flagrante la déclaration selon laquelle il y a eu livraison du concessionnaire de Val-d’Or au concessionnaire de Saint-Basile-le-Grand. Le véhicule n’a jamais roulé entre ces deux concessionnaires. Il n’a même jamais appartenu à un concessionnaire de Val-d’Or.
[13] Le commerçant a-t-il enfreint la L.p.c.?
[14] Si oui, la sanction recherchée est-elle appropriée?
[15] Sur le plan factuel, le commerçant n’a présenté aucune preuve contradictoire quant aux faits relatés ci-dessus.
[16] En regard de la majoration du prix convenu, le commerçant plaide que le consommateur y a consenti librement.
[17] En regard des nombreux déplacements antérieurs à la vente démontrés par les données d’utilisation du véhicule, le commerçant plaide essentiellement que le consommateur a acheté le véhicule au prix vendu en toute connaissance de cause, puisqu’il savait que le véhicule avait roulé 700 km avant qu’il en prenne possession. Pour lui, le consommateur a accepté ce kilométrage pour obtenir une livraison plus rapide du véhicule neuf qu’il voulait acheter.
[18] Ces arguments font abstraction de ce que prévoit la L.p.c.
[19]
Premièrement, le commerçant a enfreint l’article
[20] Il est étonnant qu’à peine quelques jours plus tard, après l’annulation par le consommateur de son contrat auprès de Gabriel Hyundai, le commerçant ait majoré le prix convenu de quelques milliers de dollars. Il s’agit là d’une pratique interdite à l’égard du prix.
[21]
En effet, l’article
[22]
Deuxièmement, la fausse déclaration pour expliquer les 700 km à
l’odomètre constitue clairement une représentation trompeuse au sens des
articles
[23]
Pourquoi cette fausse déclaration[6]?
Vu les articles
[24]
L’article
[25] Dans son ouvrage « Loi sur la protection du consommateur analyse et commentaires », le regretté professeur Claude Masse écrit : « Cette disposition a été adoptée dans le but d’écarter toute manœuvre trompeuse en ce qui concerne la présentation d’un véhicule d’occasion comme étant un véhicule neuf, compte tenu du fait qu’il est impossible de déterminer le nombre de kilomètres à partir duquel un véhicule cesse d’être « neuf ». Est clairement visé le véhicule qui a été utilisé comme « démonstrateur ». Le véhicule est un véhicule d’occasion dès qu’il a été utilisé à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point, ne serait-ce que pour rouler sur un seul kilomètre. Cette règle est donc très stricte »[7]. (soulignement ajouté)
[26] « Le fabricant a le droit de se livrer à des essais routiers sur un véhicule neuf avant la vente dans le but d’en vérifier la qualité et le bon état. Ces essais n’affectent pas le fait que ce véhicule devra être considéré comme un véhicule neuf au moment de la vente au consommateur »[8].
[27] Dans leur ouvrage « Droit de la consommation », les auteurs Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière écrivent[9] :
Les termes « automobile d’occasion » et « motocyclette d’occasion » signifient « une automobile ou une motocyclette qui a été utilisée à une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le fabricant ou leur représentant » (art. 1c)). Le terme « automobile » est lui-même défini comme véhicule (art. 1b)), ce qui lui donne un sens large. Les véhicules utilisés comme démonstrateur et tous ceux qui n’ont pas eu d’autre propriétaire que le garagiste qui les offre en vente, mais qui ont servi à des fins autres que celle de leur préparation pour la vente au détail, tombent ainsi dans cette catégorie. Souvent, ils sont offerts en vente comme des véhicules neufs ou quasi neufs, ce qui peut donner lieu à des fraudes.
(soulignement ajouté)
[28] Ici, la preuve non contredite révèle que les essais routiers ont été effectués par des clients qui considéraient la possibilité d’acheter le véhicule. Il ne peut s’agir d’essais routiers aux fins de mise au point par le fabricant, parce que les essais ont eu lieu après la vente du véhicule par le distributeur à un concessionnaire. Il ne peut s’agir non plus d’essais routiers aux fins de la préparation du véhicule pour vente au détail ou sa livraison aux clients, parce que le véhicule n’a certainement pas été vendu 27 fois à des clients en moins de deux mois.
[29]
Le commerçant cherche à convaincre le Tribunal que des essais multiples
par plusieurs clients étant des acheteurs potentiels font partie du processus
de livraison du véhicule. Avec égards, ce raisonnement est mal fondé
juridiquement. Il contrevient clairement aux articles
[30]
Le processus de livraison ne commence qu’après la conclusion du contrat
de vente. La livraison débute lorsque le commerçant satisfait à son obligation
de délivrer le bien au consommateur, acheteur en application des articles
[31]
L’article
[32] Ici, le véhicule a été utilisé plusieurs fois avant la vente. Par conséquent, le véhicule vendu en l’espèce est une automobile d’occasion. Il ne s’agit pas d’un véhicule neuf. La vente de l’automobile d’occasion comme véhicule neuf contrevient aux articles 16 et 40, ainsi que 219 et 228 L.p.c.
[33]
Le commerçant aurait donc dû utiliser un formulaire de vente pour
véhicule d’occasion plutôt que pour véhicule neuf. En vertu de l’article
[34]
Il est à noter que la L.p.c. ne définit pas la notion de « démonstrateur
». Y a-t-il une distinction à faire entre une automobile « qui a été utilisée à
une fin autre que pour sa livraison ou sa mise au point par le commerçant, le
fabricant ou leur représentant » et un « démonstrateur »? La loi ne
répond pas à cette question[10].
Néanmoins, le seul fait que l’automobile ait été utilisée pour la clientèle
constitue la « fin autre » définie à l’article
[35]
Néanmoins, le Multidictionnaire[11]
indique que le mot « démonstrateur » constitue un anglicisme au sens
de « voiture d’essai ». Force est de conclure que l’article
[36]
Le commerçant a donc enfreint[12]
les articles 1 c), 16, 40, 42, 224 c), 219, 228, 155 et
[37]
Aussi, l’article
[38] Tout d’abord, il y a lieu de préciser que l’arrêt Time[13] de la Cour suprême du Canada confirme l’existence d’une présomption absolue[14] de préjudice résultant d’un manquement par un commerçant à une obligation découlant de la L.p.c.
[39] Comme l’écrit l’auteur Luc Thibaudeau, maintenant juge à la Cour du Québec, dans un fort intéressant article de doctrine « Going back in Time »[15], cette présomption absolue s’applique non seulement aux manquements à une disposition contenue au titre I de la L.p.c., mais aussi lorsque le commerçant commet une pratique interdite visée par le titre II de la L.p.c.[16]
[40]
L’article
[41] Le consommateur témoigne de façon crédible que s’il avait su que le véhicule avait été utilisé aussi souvent par de nombreux clients avant le 12 juillet 2017, jamais il n’aurait accepté de conclure la transaction pour le supplément exigé de 2 966,60 $. Il aurait maintenu sa décision d’acheter le véhicule auprès de Gabriel Hyundai pour 2 966,60 $ de moins, même si le délai de livraison était plus long.
[42] Le Tribunal en est convaincu. Au surplus, eu égard au caractère d’ordre public des pratiques interdites par la loi, il faut aussi tenir compte de ce qui suit.
[43]
Étant donné que le commerçant s’est livré à des pratiques interdites
visées aux articles
[44] Le fait pour le commerçant de s’être livré à une pratique interdite en regard du surplus de prix demandé de 2 966,60 $ pour le véhicule justifie à lui seul la demande de réduction de prix de 2 966,60 $ par le consommateur.
[45] Qu’en est-il du volet des dommages-intérêts punitifs réclamés?
[46] Contrairement à la Charte des droits et libertés de la personne[17], La L.p.c. permet l’octroi de dommages-intérêts punitifs, sans exiger la démonstration du caractère intentionnel de l’atteinte[18].
[47] Le consommateur doit cependant démontrer une conduite qui déroge sérieusement à une norme de conduite acceptable de la part d’un commerçant et qui dénote un comportement indésirable et répréhensible quant aux objectifs de la L.p.c.
[48]
« Parce que l’art.
[49] Comme l’indique l’auteur Luc Thibaudeau dans son texte « Going back in Time »[20], le comportement du commerçant doit être apprécié en lien avec les objectifs de la L.p.c. Les objectifs principaux sont :
· Rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre les consommateurs et les commerçants;
· Éliminer les pratiques déloyales et trompeuses.
[50] Par la réalisation de ces deux objectifs, le législateur cherche à sauvegarder l’existence d’un marché efficient où le consommateur peut intervenir avec confiance[21].
[51] L’assujettissement des contrats régis par la L.p.c. à des règles d’ordre public[22] met en évidence la nécessité pour les tribunaux de veiller à leur application stricte. « Les commerçants et fabricants ne peuvent donc adopter une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur et des obligations que leur impose la L.p.c. »[23]. Cette loi cherche ainsi « à réprimer chez les commerçants et fabricants des comportements d’ignorance, d’insouciance et de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur et de leurs obligations envers lui sous le régime de la L.p.c. »[24], notamment par la possibilité d’octroi de dommages-intérêts punitifs.
[52] Il est vrai que le simple fait d’une violation d’une disposition à la L.p.c. ne suffit pas à l’octroi de dommages-intérêts punitifs[25]. Cependant, une attitude laxiste, passive ou ignorante envers les droits des consommateurs le permet. Tel est le cas ici.
[53]
Lorsque telle attitude est prouvée, le Tribunal doit apprécier les
éléments suivants en vertu de l’article
· La gravité de la faute du débiteur;
· La situation patrimoniale de celui-ci;
· L’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier; et
· Le fait que la prise en charge du paiement réparateur soit assumée ou non par un tiers, en tout ou en partie.
[54] Sur le premier critère d’appréciation, le Tribunal est d’avis que le commerçant commet une faute grave en vendant à répétition comme véhicules neufs des véhicules ayant servi à des essais routiers par la clientèle et en niant qu’il s’agisse de « démonstrateurs ». Il s’agit là d’une attitude pour le moins laxiste.
[55] Le commerçant ne peut plaider ignorance de la loi. Cette ignorance alléguée est totalement incompatible avec la déclaration mensongère de son représentant selon laquelle le véhicule a été livré du concessionnaire de Val-d’Or au concessionnaire de Saint-Basile-le-Grand. Pour attribuer le kilométrage de 700 km à une « livraison » de véhicule inexistante et impossible eu égard à la forte preuve documentaire, il fallait connaître la loi et chercher expressément à la contourner. La déclaration mensongère imputable au commerçant[26] permet même de conclure à violation intentionnelle de la L.p.c. en l’espèce.
[56] Même s’il n’est pas nécessaire de prouver la violation intentionnelle de la L.p.c. pour conclure à l’octroi de dommages-intérêts punitifs, ce type de violation pour laquelle le commerçant occulte sciemment des faits importants constitue une circonstance aggravante de la faute commise.
[57] Au surplus, il s’agit là d’un geste répété. Le directeur général du commerçant témoigne à l’audience que l’entreprise ne considère comme « démonstrateurs » et véhicules d’occasion que les véhicules ayant été conduits pendant plusieurs mois par un représentant et immatriculés comme véhicules commerciaux. Il ajoute que ces véhicules indiquent souvent environ 9 000 km à l’odomètre.
[58] Aux dires du directeur général du commerçant, cette compréhension est répandue dans le domaine de la vente de véhicules.
[59] Cette pratique illégale, trompeuse, répétitive et hautement répréhensible doit être sévèrement sanctionnée pour y mettre fin.
[60] Le consommateur est bien fondé à pouvoir se fier sur le fait qu’un véhicule qui lui est vendu n’a pas été utilisé aux fins d’essais routiers par d’autres consommateurs, sauf en cas de divulgation expresse sur l’étiquette qui doit être apposée de façon clairement visible à l’extérieur du véhicule et jointe au contrat de vente de véhicule d’occasion, le tout en application des articles 155, 156 d) et 157 C.p.c.
[61] Même si cette pratique illégale doit être sévèrement sanctionnée, les dommages-intérêts punitifs à être accordés ne peuvent cependant excéder ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
[62] Sur le deuxième critère d’appréciation, même si le commerçant conteste vigoureusement l’attribution de dommages-intérêts punitifs, il admet que la situation patrimoniale de la défenderesse lui permet aisément de payer une somme de 5 000 $[27].
[63] En regard du troisième critère, le Tribunal doit prendre en considération l’étendue de la réparation à laquelle le commerçant est déjà tenu envers le consommateur.
[64] Or, la réduction du prix de vente de 2 966,60 $ est consentie en lien avec le fait pour le commerçant de s’être livré à une pratique interdite en regard du prix vendu, et non avec le fait pour le commerçant d’avoir sciemment occulté le fait que le véhicule a servi comme véhicule d’essai.
[65] Force est de constater qu’aucune réparation n’est accordée au consommateur pour la violation laxiste, voire intentionnelle, des dispositions de la L.p.c. imposant qu’un véhicule d’essai soit vendu comme véhicule d’occasion plutôt que comme véhicule neuf.
[66] L’absence de réparation en regard de cette grave violation de la loi justifie de majorer la somme accordée à titre de dommages-intérêts punitifs.
[67]
Par exemple, si le Tribunal avait pu entendre une preuve sur la
différence de valeur entre un véhicule neuf par opposition à un véhicule
d’essai vendu comme « démonstrateur » et véhicule d’occasion, une
réduction plus substantielle du prix de vente aurait pu être accordée. Le
Tribunal ne peut suppléer d’office à cette absence de preuve, mais il peut en
tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation des
dommages-intérêts punitifs en application des critères de l’article
[68] Les dommages-intérêts punitifs à être accordés en l’espèce visent essentiellement à réprimer la pratique de commerce qui consiste à vendre faussement comme véhicules neufs des véhicules d’essai.
[69] Il s’agit là d’une pratique sans doute lucrative pour le commerçant. Elle permet au commerçant d’utiliser des véhicules neufs comme « démonstrateurs » sans devoir assumer la dépréciation liée à cette utilisation ni payer l’essentiel des frais associés à cette utilisation.
[70] Le consommateur paie indirectement pour l’utilisation du véhicule à la place du commerçant. Il assume seul la dépréciation et l’usure normale découlant des essais routiers par la clientèle du commerçant.
[71] Un commerçant qui utilise plusieurs véhicules comme véhicules d’essai sans les déclarer comme tels lors de la vente économise vraisemblablement plusieurs milliers de dollars par année, et cela, aux dépens du consommateur.
[72] Cette pratique hautement blâmable est de nature à compromettre sérieusement la confiance du consommateur dans un marché efficient de la vente de véhicules prétendument neufs[28].
[73] Concernant le quatrième critère, le paiement réparateur sera assumé par le commerçant seulement.
[74] Pour ne pas excéder ce qui est suffisant pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, le Tribunal prendra en considération les différentes sommes accordées par la jurisprudence à titre de dommages-intérêts punitifs en vertu de la L.p.c.
[75] Dans Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke), la Cour du Québec compile certaines décisions. Elle écrit qu’en excluant les décisions en matière de pratique interdite, il existe une variation de 250 $ à 3 500 $[29].
[76] On constate donc qu’au Québec, les dommages-intérêts punitifs accordés en droit de la consommation sont plutôt limités.
[77] Puis, en regard de faits semblables, l’affaire Grandmont[30] accorde 1 000 $ en dommages-intérêts punitifs. Une lecture attentive révèle que cette décision omet cependant l’analyse du dossier sous l’angle essentiel de la pratique interdite.
[78] Si la fourchette supérieure des dommages-intérêts se limite généralement à 3 500 $ en excluant les décisions en matière de pratique interdite, on peut aisément concevoir que le seuil limite est plus élevé advenant preuve convaincante de pratiques déloyales, trompeuses et répétées, voire mensongères. Par exemple, dans l’affaire Time, la Cour suprême du Canada a arbitré les dommages-intérêts punitifs à 15 000 $[31].
[79] Ici, en camouflant sciemment les essais routiers du véhicule à des fins autres que pour sa livraison ou sa mise au point, le commerçant commet une pratique interdite[32]. Cette infraction lui permet de vendre un véhicule d’occasion en déclarant faussement qu’il s’agissait d’un véhicule neuf[33].
[80] De son propre aveu, le commerçant commet cette pratique interdite de façon répétée. Sa prétendue ignorance de la loi ne constitue pas un motif de défense. Elle constitue un mépris sérieux à l’égard des droits des consommateurs[34].
[81] Même si la preuve ne révèle pas l’importance de l’écart de prix entre un véhicule neuf et un véhicule d’essai vendu comme « démonstrateur », il est clair que la pratique interdite reprochée constitue une pratique déloyale et trompeuse qui crée un déséquilibre dans la relation contractuelle entre le consommateur et le commerçant. Elle permet au commerçant de s’enrichir indûment aux dépens du consommateur. D’où l’importance d’une juste sanction appropriée suffisante pour assurer sa fonction préventive et mettre fin à cette pratique.
[82] Eu égard à tous les éléments en preuve, eu égard au prix de vente du véhicule de 40 000 $ pour un véhicule d’occasion vendu comme véhicule neuf, après étude de la jurisprudence et en tenant compte des trois objectifs poursuivis par l’octroi de dommages-intérêts punitifs, soit la punition, la dissuasion et la dénonciation[35], le Tribunal arbitre à 4 000 $ les dommages-intérêts punitifs accordés.
[83] Accorder moins serait insuffisant à assurer leur fonction préventive et à éradiquer cette pratique déloyale et trompeuse, eu égard à tout ce qui précède. Le peu de jurisprudence sur la question en litige démontre que peu de consommateurs font valoir leurs droits en regard de cette pratique interdite, pourtant répandue dans l’industrie, de l’aveu même du représentant du commerçant. La condamnation en dommages-intérêts punitifs de 4 000 $ est même faible eu égard aux économies annuelles potentielles par le commerçant qui a recours à cette pratique interdite sur une base régulière.
[84] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[85] ACCUEILLE partiellement la demande;
[86]
CONDAMNE la partie défenderesse à payer
à la partie demanderesse la somme de 2 966,60 $ avec intérêts au taux
légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[87] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse en sus la somme de 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
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__________________________________ CHANTAL SIROIS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
Le 28 novembre 2019 |
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[1] RLRQ, c. P-40.1.
[2] Soit 3723,72 $ de plus, moins 757,12 $ représentant la valeur de pneus neufs inclus avec la transaction.
[3] Pièce P-3.
[4]
Union des consommateurs c. Air Canada,
[5] Id., par. 61.
[6]
Art.
[7]
Claude MASSE,
[8]
Id., citant les principes reconnus par Poulin c. Morin
Automobiles (1985) Inc.,
[9] Nicole L’HEUREUX et Marc LACOURSIÈRE, Droit de la consommation, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2011, no 314, p. 331-332.
[10]
9144-7979 Québec inc. c. Caron,
[11] Marie-Éva DE VILLERS, Multidictionnaire de la langue française, version électronique 2.7, 2019 QA International.
[12] Énumération possiblement non exhaustive.
[13]
Richard c. Time Inc.,
[14]
Art.
[15] Luc THIBAUDEAU, « Going Back in Time », dans Colloque national sur l’action collective, Développements récents au Québec, au Canada et aux États-Unis, Service de la qualité de la profession, Barreau du Québec, Montréal, Les Éditions Yvon Blais, une division de Thomson Reuters Canada Limitée, 2018, p. 49, à la page 57.
[16]
Richard c. Time Inc.,
[17]
Voir l’article
[18]
Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke),
[19]
Extrait du résumé de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Richard
c. Time Inc.,
[20]
Luc THIBAUDEAU, « Going Back in Time », dans Colloque national
sur l’action collective, Développements récents au Québec, au Canada et aux
États-Unis, Service de la qualité de la profession, Barreau du Québec,
Montréal, Les Éditions Yvon Blais, une division de Thomson Reuters Canada
Limités, 2018, p. 49, à la page 90; Richard c. Time Inc.,
[21]
Richard c. Time Inc.,
[22]
Art.
[23]
Richard c. Time Inc.,
[24] Id., par. 177.
[25] Id., par. 178.
[26]
Art.
[27] Admission consignée au procès-verbal d’audience.
[28]
Richard c. Time Inc.,
[29]
Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke),
[30] Précitée à la note précédente.
[31]
Richard c. Time Inc.,
[32]
Art.
[33] Art. 1 c), 156 d) et 219 L.p.c.
[34]
Richard c. Time Inc.,
[35] Id.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.