Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2016 QCTAQ 05255
Dossier : SAS-M-234616-1502
MICHÈLE RANDOIN
LUCIE LE FRANÇOIS
c.
[1] Le requérant conteste une décision rendue en révision le 8 janvier 2015 par l’intimée, Retraite Québec[1], refusant de le reconnaître invalide au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec[2] (la Loi).
La preuve documentaire
[2] Né en août 1976, le requérant a 37 ans lorsqu’il fait sa demande de prestations d’invalidité, reçue par l’intimée le 9 décembre 2013.
[3] Il avait cessé son emploi à l’âge de 35 ans, le 4 août 2011, en raison de douleurs sévères au dos. Monsieur était technicien en informatique.
[4] Il affirme avoir reçu des traitements de physiothérapie, de massothérapie, d’ostéopathie et de chiropractie, qu’il a dû cesser en raison des coûts rencontrés.
[5] De plus, il a subi des infiltrations.
[6] Sa médication est composée de narcotiques à hautes doses, auxquels s’ajoute la prise de Tylenol, d’Advil et de Voltaren au besoin.
[7] Le rapport médical qu’il transmet à l’appui de sa réclamation est rempli le 18 septembre 2013 par son neurochirurgien, le Dr Mathieu Laroche. Ce dernier mentionne la survenance d’une importante lombo-sciatalgie gauche > droite à l’été 2011, pour laquelle il a diagnostiqué une importante hernie discale L5-S1 visualisée à la résonance magnétique. Monsieur a subi une minidiscectomie L5 gauche. La sciatalgie du patient a été améliorée en post-opératoire, mais il a développé une ankylose sévère avec lombalgie incapacitante. Il y aurait perte de la lordose lombaire[3]. Il ajoute que les résonances magnétiques subséquentes n’ont pas démontré la présence de sténose ou de compression nerveuse. Il rapporte que le patient demeure peu fonctionnel malgré l’ergothérapie et la physiothérapie. Le patient est incapable de demeurer assis ou debout plus de 30 minutes à la fois.
[8] De plus, la polymédication en cours donne peu d’effets positifs.
[9] Le patient a vu les Drs Paul Khoueir et Stéphane Parent, spécialisés dans les pathologies du rachis, et ils ne recommandent pas d’autre chirurgie : ni décompression ni fusion lombaire.
[10] L’examen physique démontre alors une ankylose marquée du rachis lombaire dans tous les axes, mais l’examen neurologique est normal.
[11] Il relate les dernières trouvailles identifiées à l’IRM[4] lombaire de janvier 2013 : il y a présence d’une discopathie lombaire multiétagée, mais il n’y a pas de sténose spinale ni foraminale.
[12] Ainsi, seul un traitement conservateur est conseillé.
[13] Il retient donc les diagnostics de « failed back syndrom » et de « flat back syndrom » en lien avec la chirurgie pour hernie discale et la discopathie résiduelle.
[14] Il ajoute qu’une amélioration significative dans le futur est très peu probable.
[15] Il soumet que monsieur a subi des blocs facettaires et des infiltrations épidurales, sans effet.
[16] Le requérant est cependant en attente de consultation à la clinique de la douleur, en vue de procéder à un ajustement médicamenteux.
[17] Il croit que monsieur pourra reprendre un autre emploi que le sien, mais pas à court terme (12-24 mois). En effet, il émet des restrictions actuelles de classe 4, et ajoute que le seul travail que le requérant « pourrait envisager » serait un travail sédentaire dont il pourrait contrôler le rythme ainsi que l’horaire. Il écrit ceci : « Ces conditions me semblent très difficiles à combler. »
[18] La revue des dossiers médicaux annexés et réclamés par l’intimée nous permet de relater l’historique suivant.
[19] C’est le 20 février 2012 que le requérant est opéré.
[20] Une IRM effectuée en post-opératoire démontre la persistance d’une hernie discale L5-S1 entraînant une sténose modérée du recessus latéral gauche. De plus, au niveau L4-L5, il existe également une déchirure de l’anneau fibreux avec petite hernie discale touchant la racine L4 droite.
[21] Après une période d’amélioration clinique franche, monsieur présente une détérioration avec lombalgie qui augmente en intensité, que le neurochirurgien impute à une douleur discogénique probable.
[22] En juin 2012, le médecin propose un sevrage lent de la Morphine.
[23] Il est à noter que le requérant est suivi également par deux physiatres conjointement à son neurochirurgien. Il s’agit des Drs André Roy et Isabelle Denis. Celle-ci procède à nouveau, en octobre 2012, à des épidurales foraminales au niveau L5, bilatéralement[5].
[24] Dès novembre 2012, le Dr Laroche doit augmenter encore les doses de Morphine, tout comme en février et en avril 2013.
[25] Il tente ensuite le Cymbalta couplé au Voltaren gel.
[26] Une forte ankylose lombaire est objectivée (flexion 20 degrés, extension 10 degrés, pour des normales de 90 et 30 degrés respectivement).
[27] C’est alors que des avis sont demandés à deux confrères du Dr Laroche, spécialisés dans la colonne lombaire (les Drs Khoueir et Parent).
[28] Une consultation en clinique de la douleur est réclamée en avril 2013.
[29] Le même mois, le physiatre André Roy rapporte que le patient peut à peine aller faire ses courses et qu’il présente un blocage lombaire important. Il procède alors à d’autres blocs facettaires.
[30] Le 28 juin 2013, le Dr Roy suggère à la compagnie d’assurance du requérant de référer le patient à une équipe de réadaptation interdisciplinaire[6].
[31] En juillet 2013, le Cymbalta est cessé et des timbres de Fentanyl sont prescrits, d’abord à raison de 25 mcg/h. Le Fentanyl sera augmenté jusqu’à 125 mcg/h en juillet 2014[7].
[32] En août 2013, le Dr Parent rapporte que le requérant souffre de lombalgies invalidantes « au point de ne pas pouvoir bouger ».
[33] Le requérant sera rencontré une seule fois en clinique de la douleur par le Dr Archambault le 26 août 2014[8]. Le dossier ne comprend pas sa note dictée, mais uniquement son impression diagnostique et la conduite proposée. Le Tribunal note qu’il est question de fibromyalgie frustre probable, de lombalgie et de douleur intense paravertébrale droite. Il débute le Lyrica.
[34] Deux expertises médicales complètent le dossier : l’une effectuée le 1er décembre 2014 par le neurochirurgien Dr Jacques Potvin[9], à la demande de l’intimée; l’autre réalisée à la demande du requérant par l’orthopédiste Dr Chaikou Bah, le 1er février 2016.
[35] Le Dr Potvin :
ü Il explique que la prise en charge du requérant dans un programme de réadaptation aurait été refusée par sa compagnie d’assurance et que pour cette raison, ce dernier n’a « jamais pu en bénéficier ».
ü En date de l’expertise, le Fentanyl est utilisé à raison de 50 mcg/h[10], en plus du Statex, du Lyrica (Prébagalin), du Zopiclone et de la Cyclobenzaprine.
ü La lombalgie est constante, mais la sciatalgie est inconstante.
ü L’examen révèle une ankylose surtout en flexion-extension du rachis lombaire (60 et 10 degrés respectivement), des signes de Lasègue et du tripode positifs à droite, une légère atrophie de la cuisse gauche avec un déficit sensitif au niveau S1 gauche, sans atteinte des réflexes.
ü Il note une IRM du 29 janvier 2013 qui mentionne deux hernies discales venant en contact avec les racines L4 et S1 droites. Il affirme qu’il y a concordance entre les trouvailles radiologiques et la clinique.
ü Au chapitre des traitements, son avis est que les narcotiques ne sont pas indiqués dans les cas de douleurs non cancéreuses et que monsieur devrait procéder à un sevrage de cette médication. Il note que la proposition d’une prise en charge dans un centre de réadaptation n’a pas été retenue, mais il croit que l’on peut « raisonnablement espérer une amélioration avec un traitement de plusieurs semaines en réadaptation, tel que suggéré par le médecin physiatre. » Il n’exclut pas une possibilité de chirurgie supplémentaire.
ü Il émet pour l’instant des limitations fonctionnelles de classe 4 selon l’IRSST[11], « surtout en raison de la prise massive de narcotique ». Il reconnaît ainsi que monsieur est actuellement inapte à tout emploi rémunérateur.
[36] Quant au Dr Bah :
· Au moment de cette expertise, le dosage du Fentanyl a été baissé à 25 mcg/h.
· La douleur est toujours située au niveau lombaire, sans irradiation aux membres inférieurs.
· Son examen clinique est différent de celui effectué par le Dr Potvin. En effet, les mouvements du rachis sont pires (flexion de 40 degrés et extension nulle), mais il y a absence de Lasègue et de tripode. Le reste de l’examen neurologique est normal.
· Il estime que les lombalgies du requérant sont mécaniques, fort probablement en lien avec le disque L4-L5 qui est compromis.
· Il explique qu’il est démontré dans la littérature que les résultats des fusions lombaires post-discoïdectomie sont mitigés, surtout en présence de lombalgies chroniques.
· Il ne retient donc aucune indication chirurgicale.
· Le traitement conservateur doit être poursuivi.
· Il reconnaît la présence de limitations fonctionnelles de classe 3 de l’IRSST.
· À la question portant sur la compatibilité entre ces limitations fonctionnelles et l’exercice d’un emploi rémunérateur de façon régulière, l’expert répond en ces termes : « En tenant compte des limitations fonctionnelles émises et de l’importante médication prise par Monsieur, il est évident que les effets de celles-ci limitent grandement Monsieur en affectant ses capacités d’emploi. »
· Il estime l’état du requérant comme étant stable.
[37] Ceci termine le résumé de la preuve documentaire.
Le témoignage du requérant[12]
[38] Les douleurs actuelles du requérant sont situées au niveau lombaire, mais irradient jusqu’aux omoplates et jusqu’en-dessous des fesses, sans cependant descendre plus bas.
[39] Le requérant respecte les limitations émises par ses médecins traitants, entre autres le soulèvement de charges de plus de dix livres et les poids levés à bout de bras.
[40] Il dépose un historique complet de sa médication.
[41] Il déplore grandement le fait de ne pouvoir retourner à son emploi, qu’il affectionnait particulièrement et envers lequel il avait mis beaucoup de temps et d’énergie.
[42] Même dans ses bonnes journées, ses soins corporels sont longs à exécuter. Il peut alors faire des travaux légers, du rangement. S’il se permet une sortie à l’extérieur de la maison, alors il en « paie le prix » le lendemain. Il peut alors demeurer couché durant 20 à 24 heures d’affilée.
[43] S’il s’agit d’une mauvaise journée, ses douleurs grimperont à une intensité de 7/10 et il devra rester au lit. Cela peut durer plusieurs jours, pendant lesquels il ne peut rien faire. Ceci apparaît surtout l’hiver, parfois sans raison précise.
[44] Monsieur ne peut se pencher, par exemple pour faire un lit, passer la balayeuse, mais il peut exécuter certaines tâches en position debout.
[45] Par ailleurs, il peut faire de la natation durant 30 minutes.
[46] S’il lui arrive de demeurer assis longtemps, alors il devra s’étendre par la suite.
[47] Le requérant détient un permis de conduire, mais ne conduit pas en raison de la prise des narcotiques.
[48] Il note avoir déjà pris le Fentanyl à raison de 125 mcg/h, et que maintenant il l’utilise à raison de 25 mcg/h. Il a bien tenté de diminuer davantage le dosage à 12,5 mcg/h, mais ses douleurs étaient alors insoutenables. Il croit avoir trouvé, avec l’aide de son médecin traitant, le dosage approprié permettant un juste équilibre entre un soulagement adéquat et la présence d’effets secondaires.
[49] Au sujet de son emploi antérieur en informatique, il croit qu’il pourrait réaliser environ deux heures durant une journée, mais jamais deux jours de suite. Il présenterait sûrement un taux d’absentéisme élevé. Il confirme n’avoir fait aucune tentative de retour à un travail depuis l’année 2011.
[50] Il soumet que sa mémoire et son attention sont vraiment déficientes.
[51] Au sujet de la clinique de la douleur, il explique avoir consulté le Dr Archambault une seule fois, car ensuite, ce dernier aurait été malade. Aucun autre rendez-vous ne lui a été donné. Il est possible qu’il soit encore sur la liste, mais il n’en sait rien. Il n’a lui-même fait aucune autre démarche en lien avec cette clinique.
[52] Concernant un programme de réadaptation tel que proposé par le Dr Roy, il dira que sa compagnie d’assurance a refusé cette option. Toutefois, lorsque questionné sur la possibilité d’y adhérer sans l’aval de sa compagnie d’assurance, il convient n’avoir fait aucune démarche en ce sens. Il précise toutefois avoir suivi des traitements séparés de physiothérapie, d’ostéopathie, de massothérapie et autres.
Les dispositions applicables
[53] Ce sont les dispositions de l’article 95 de la Loi qui trouvent application :
95. Une personne n'est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
Une invalidité n'est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
En outre, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d'exercer l'occupation habituelle rémunérée qu'elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.
Une invalidité n'est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
[…]
[54] Pour être reconnu invalide, le requérant doit satisfaire aux deux critères de l’article 95 à la fois.
[55] De plus, c’est lui qui a le fardeau de démontrer que la décision de l’intimée est mal fondée.
[56] En l’espèce, après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, le Tribunal estime qu’il n’y pas lieu d’accueillir son recours pour les raisons suivantes.
Les motifs
LE CRITÈRE DE LA GRAVITÉ
[57] Le Tribunal estime que le témoignage du requérant est fort crédible et il n’a aucune raison de mettre en doute la véracité de ses affirmations, dont plusieurs ont pu par ailleurs être corroborées au dossier constitutif.
[58] La principale pathologie en cause en l’espèce est constituée de lombalgies mécaniques, post-minidiscoïdectomie L5-S1.
[59] Les IRM réalisées après la chirurgie de 2012 rendent compte de la persistance d’une petite hernie discale L4-L5, de la présence d’une déchirure de l’anneau fibreux à cet endroit.
[60] Celles-ci entravent fortement le niveau fonctionnel du requérant, selon ce qui est rapporté tant par ses médecins et son propre témoignage. La moindre activité un peu plus soutenue devra être suivie d’une période prolongée en position couchée.
[61] La recherche constante de traitements et les nombreux suivis spécialisés rendent compte de l’intensité du tableau présenté.
[62] Également, le Tribunal note que le régime médicamenteux est composé d’opioïdes associés à diverses autres molécules.
[63] L’examen clinique révèle une forte ankylose du rachis lombaire, quoique variable dans le temps.
[64] L’expert de l’intimée, le Dr Potvin, reconnaît le caractère grave de la situation présente et émet des limitations fonctionnelles de classe 4, incompatibles avec l’exercice d’un emploi, tout comme le Dr Laroche.
[65] Enfin, par sa décision en révision, l’intimée refuse de reconnaître l’invalidité du requérant en raison de son caractère temporaire, et non en raison de sa gravité[13].
[66] Pour ces raisons, le Tribunal reconnaît que le requérant satisfait le critère de la gravité, selon la définition exigée par la Loi.
LE CRITÈRE DE LA DURÉE PROLONGÉE
[67] Le requérant a tenté plusieurs modalités de traitement : la physiothérapie, la massothérapie, l’ostéopathie, la chiropractie et l’ergothérapie. Certaines lui ont prodigué un effet temporaire.
[68] Il a subi des infiltrations caudales et foraminales, avant et après sa chirurgie, ainsi que des blocs facettaires.
[69] Au niveau médicamenteux, il a tenté des narcotiques (MS-Contin, Satex, Fentanyl, Tramadol), le Cyclobenzaprine, le Lyrica, l’Elavil, le Cymbalta, le Voltaren et le Tylenol.
[70] Au niveau chirurgical, monsieur a subi une minidiscoïdectomie en 2012.
[71] L’expert de l’intimée, le Dr Potvin, estime toujours pertinent d’envisager une chirurgie future.
[72] Toutefois, aucun des médecins traitants au dossier, dont deux spécialisés dans le rachis lombaire, pas plus que le Dr Bah, ne considèrent une option chirurgicale supplémentaire.
[73] En effet, les résultats d’une nouvelle chirurgie chez un patient présentant un « failed back syndrom » sont mitigés. Le requérant a rapporté que ses médecins lui avaient expliqué qu’une fusion pouvant s’étendre de L4 jusqu’à S1 exercerait un stress important sur le disque intervertébral supérieur à la fusion. Or, selon les résultats des tests d’imagerie passés, ce disque serait déjà en mauvais état, si bien qu’une telle fusion mènerait à l’échec.
[74] Ces explications sont tout à fait conformes aux connaissances médicales reconnues.
[75] Pour ces raisons, le Tribunal reconnaît qu’aucune autre option chirurgicale n’est envisageable dans le futur.
[76] Le Dr Potvin recommande également un sevrage des narcotiques qui, selon lui, sont responsables d’effets secondaires marqués qui contribuent à hausser le niveau des limitations fonctionnelles du patient.
[77] Or, le dossier démontre qu’un sevrage a déjà été tenté, deux fois plutôt qu’une : en juin 2012, alors que le requérant présentait une certaine amélioration, le médecin propose un sevrage lent de la Morphine, mais dès novembre 2012, il doit procéder à une nouvelle hausse. Puis, après avoir débuté le Fentanyl à raison de 25 mcg/h en janvier 2013, la dose est ensuite progressivement augmentée jusqu’à 125 mcg/h en juillet 2014[14]. Toutefois, en février 2016, il ne prend que 25 mcg/h, ce qui est la dose actuelle. Le requérant témoigne avoir tenté de diminuer le dosage à 12.5 mcg/h, mais que ses douleurs étaient alors insoutenables.
[78] Pour parvenir à un sevrage complet, monsieur aurait probablement besoin d’être supporté et conseillé par le personnel spécialisé d’une clinique de la douleur, qui peut procéder alors au remplacement des narcotiques par d’autres types de molécule, tout en visant un effet thérapeutique maximal.
[79] Or, monsieur a été évalué une seule fois en 2014 dans un tel type de clinique. Par la suite, le médecin a été malade, semble-t-il. Nous sommes deux ans plus tard, et aucune nouvelle demande ne semble avoir été adressée afin de poursuivre l’évaluation et les soins. Le requérant ne peut donner au Tribunal de renseignements précis concernant la liste d’attente, s’il y est toujours inscrit, etc. Quoi qu’il en soit, il n’a fait aucune autre démarche à cet effet.
[80] Il soumet que le Dr Laroche aurait émis l’opinion qu’il n’y aurait pas d’amélioration significative même s’il était vu en clinique de la douleur[15]. En effet, le Dr Laroche s’exprime ainsi : « Pas d’espoir à un retour à une vie normale pour ma part. Le tr de la clinique de la douleur ne changera pas mon opinion en regard de son inaptitude au travail. »
[81] Quant au requérant, il affirme ceci dans sa demande de révision : « Mon chirurgien traitant a fait une demande de consultation à la clinique de la douleur afin qu’ils puissent m’aider à gérer la douleur. Leurs traitements n’ont pas pour but de régler mes problèmes lombaires (disques endommagés et déformation de la colonne), mais simplement d’aider avec le niveau de douleur. »
[82] Or, voilà précisément le nœud du présent litige.
[83] Le Tribunal est bien conscient que les soins en clinique de la douleur ne peuvent guérir les diverses anomalies dégénératives et séquellaires du rachis lombaire du requérant, qui seront vraisemblablement permanentes.
[84] Toutefois, l’approche multidisciplinaire qui y est offerte peut faire en sorte qu’un nouvel équilibre de la médication, couplé à d’autres modalités de traitement, puisse réussir à palier suffisamment la douleur du requérant pour lui permettre de reprendre un certain type d’emploi, compte tenu de son jeune âge. Par exemple, force est de constater qu’à l’occasion de l’unique visite à cette clinique, une nouvelle molécule fut prescrite au requérant : le Lyrica (Prebagalin), alors qu’aucun autre médecin ne l’avait envisagé auparavant. Or, force est de conclure que cette molécule a dû lui apporter un certain soulagement supplémentaire, puisque monsieur en prend toujours. De même, il existe d’autres médicaments que ceux tentés par le requérant.
[85] Soulignons que c’est en regard des effets secondaires de la médication narcotique que le Dr Potvin émet des limitations fonctionnelles de classe 4 chez le requérant. Il ajoute même qu’avec les recommandations thérapeutiques proposées, si elles sont suivies, des limitations beaucoup moins sévères pourraient être déterminées.
[86] Pour cette raison, le Tribunal ne peut présumer à l’avance que les soins en clinique de la douleur seraient vains et/ou insuffisants pour modifier le niveau fonctionnel du requérant.
[87] Il faut ajouter qu’un suivi en clinique de la douleur ne constitue pas une mesure exceptionnelle et que le requérant n’a jamais déclaré être en désaccord avec celui-ci.
[88] De même, revenons sur la recommandation faite par le physiatre, Dr Roy, qui suggère une prise en charge en réadaptation.
[89] Le requérant explique que cette proposition n’a pas été retenue par sa compagnie d’assurance. Or, d’une part, le dossier ne comprend aucun écrit en provenance de cette compagnie. D’autre part, même si tel est le cas, cela ne veut nullement signifier qu’il n’y aurait aucune amélioration du requérant, suffisante pour hausser son niveau fonctionnel.
[90] Le Dr Potvin a même soutenu cette proposition et considéré comme étant réaliste l’espoir d’une amélioration.
[91] La jurisprudence du Tribunal comprend plusieurs décisions discutant des buts visés par de tels centres de réadaptation. Entre autres, les soussignées soumettent la décision 2014 QCTAQ 04371. Certes, elle concerne un requérant qui était aux prises avec un diagnostic de fibromyalgie, mais ce sont les mots rapportés par un physiatre qui œuvre en centre de réadaptation qu’il importe de souligner, afin de cerner l’utilité d’un tel centre dans les cas de douleurs chroniques[16] :
« [25] À l’égard des traitements, docteur Tinawi écrit :
« […]
Étonnamment, monsieur J n’a jamais fait usage de Neurontin et n’a jamais entrepris de programme de réadaptation pour personnes porteuses de douleurs chroniques. […]
Dans le cas de monsieur J, il y a eu introduction erratique d’opiacés et absence de programmes de réadaptation valables.
La condition de monsieur D. J. est donc non-consolidée et une amélioration significative demeure probable si celui-ci, ainsi que ses médecins traitants, s’investissent dans un programme de réadaptation. »
[…]
[73] En ce qui concerne l’approche thérapeutique, à son avis, aucun médecin ne peut prétendre traiter des patients souffrant de douleurs chroniques dans le cadre d’une pratique « en solo ». On doit se faire aider par une équipe multidisciplinaire. Le traitement doit être à la fois pharmacologique et non pharmacologique.
[…]
[77] Lorsque l’on se retrouve face à un échec thérapeutique, à son avis, une approche multidisciplinaire intégrant médecin, psychologue, physiothérapeute, ergothérapeute, kinésiologue, travailleur social, se doit d’être recommandée. Il ne s’agit pas de nier la douleur ressentie par le requérant, mais de l’outiller afin de le rendre progressivement plus fonctionnel, en débutant par les activités de la vie domestique, puis les loisirs et, finalement, le travail. L’approche psychologique ne vise pas nécessairement le traitement d’une pathologie psychique spécifique, mais la thérapie cognitivo-comportementale cible plutôt le soutien et la mobilisation du patient.
[78] À son avis, le pronostic est favorable et la probabilité d’une retour au travail existe encore. […] Bien que le délai entre l’apparition de la maladie et le début des traitements soit un élément important, à son avis, le requérant n’a pas reçu tous les traitements qu’il aurait dû recevoir pour sa condition. À part les opiacés, l’arsenal thérapeutique est large pour le soulagement des douleurs. »
[92] Ajoutons que le Dr Laroche ne s’est pas prononcé sur le pronostic attendu à la suite d’un programme de réadaptation.
[93] Pour ces raisons, le Tribunal considère en l’espèce que le traitement optimal n’a pas encore eu lieu.
[94] Considérant le jeune âge du requérant, qu’il ne s’est pas montré en désaccord avec de telles approches, que celles-ci avaient été prescrites par ses médecins traitants, qu’un expert neurochirurgien recommande les soins en réadaptation, que ces types de traitements existent dans l’environnement du requérant, qu’il est réaliste de penser qu’une amélioration significative pourrait survenir, le Tribunal est d’avis que le critère de la durée prolongée n’est pas rencontré.
[95] Enfin, soulignons que l’expert du requérant, le Dr Bah, n’a pas écrit qu’il considérait monsieur invalide de façon permanente, mais que ses limitations fonctionnelles limitent grandement monsieur en affectant ses capacités d’emploi. Le choix des termes par le Dr Bah est ici révélateur, en présence d’un jeune homme de 39 ans.
[96] Pour ces raisons, bien que les soussignées soient sensibles à la situation du requérant, elles encouragent donc monsieur à poursuivre ses traitements et à tenter toutes les options thérapeutiques déjà proposées par ses médecins (clinique de la douleur, programme de réadaptation).
[97] Si son état demeure grave au sens de la loi, malgré l’épuisement de ces mesures supplémentaires de traitement, alors il pourra refaire une nouvelle demande à l’intimée.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
· CONFIRME la décision en révision du 8 janvier 2015; et
· REJETTE le recours du requérant.
Desroches, Mongeon, avocats inc.
Me Marianne Dessureault
Procureure de la partie requérante
Lafond, Robillard& Laniel, avocats
Me Philippe Auger-Giroux
Procureur de la partie intimée
[1] Alors nommée « la Régie des rentes du Québec ».
[2] RLRQ, chapitre R-9.
[3] Il s’agit de la courbure normale du rachis lombaire. Une perte de la lordose signifie qu’il y a présence de spasmes musculaires qui enraidissent la colonne, lui faisant perdre alors sa courbure normale.
[4] Imagerie par résonance magnétique.
[5] Voir la page 105 du dossier.
[6] Voir la page 111 du dossier.
[7] Voir la page 34 du dossier.
[8] Voir la page 75 du dossier.
[9] Située aux pages 121 à 132.
[10] Note du Tribunal : selon les listes de médicaments déposées par le requérant au moment de l’audience, il prenait plutôt le Fentanyl à raison de 25 mcg/h.
[11] Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.
[12] Seuls les éléments nouveaux sont mentionnés.
[13] Voir la page 138 du dossier.
[14] Voir la page 34 du dossier.
[15] Voir la page 33 du dossier.
[16] L’extrait concerne le Dr Simon Tinawi, du Centre de réadaptation Constance-Lethbridge (voir le paragraphe 67).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.