LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LESIONS PROFESSIONNELLES QUEBEC MONTREAL, le 27 février 1990 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Guy Perreault DE QUEBEC REGION: COTE-NORD AUDITION TENUE LE: 25 octobre 1989 DOSSIER: 12778-09-8907 DOSSIER CSST: 9656 366 A: Baie-Comeau DOSSIER BR: 60239144 MONSIEUR GASTON MARIN 9, rue Landry Chutes-aux-Outardes (Québec) G0H 1M0 PARTIE APPELANTE et SOCIETE CANADIENNE DE METAUX REYNOLDS Case postale 1530 Baie-Comeau (Québec) G4Z 2H7 PARTIE INTERESSEE 12778-09-8907 2 D E C I S I O N Le 25 juillet 1989, monsieur Gaston Marin, le tra- vailleur, dépose une déclaration d'appel à la Commission d'appel en matière de lésions profes- sionnelles (la Commission d'appel). Le travailleur conteste une décision unanime du bureau de révision de la région de la Côte-Nord rendue le 17 juillet 1989.La décision du bureau de révision confirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) et est à l'effet de rejeter la plainte du travailleur relative à sa paie de vacances, soumise en vertu de l'article
32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision et d'ordonner à la Société canadienne de métaux Reynolds, l'employeur, de lui verser un montant de 699,45$, à titre de supplément à sa paie de vacances déjà reçue, et les intérêts afférents à cette somme.
12778-09-8907 3 LES FAITS Le travailleur est à l'emploi de l'employeur depuis plus de treize (13) ans. En 1987, il occupait la fonction d'opérateur de scie a temps complet.
Le 13 décembre 1987, le travailleur subit un accident du travail et doit s'absenter du travail du 14 décembre au 30 décembre 1987. La Commission indemnise le travailleur pendant cette période.
L'article 11.13-2.b) de la convention collective intervenue entre le syndicat représentant le travailleur et l'employeur et alors en vigueur, se lit comme suit: "11.13 (...) 2. (...) b) Un salarié qui a travaillé au moins mille deux cents heures, sans compter les heures sup- plémentaires, et dont au moins 80% de la durée de son absence est due à une maladie ou a un accident durant les trois cent soixante-cinq jours précédant immédiatement le 30 avril de l'année en question aura droit à une indemnité de congé annuel qui sera calculée d'après la plus avantageuse des deux pos- sibilités suivantes: l'indemnité de congé annuel à laquelle il a droit selon les 12778-09-8907 4 articles 11.02, 11.03, 11.04, 11.05, 11.06 et 11.07; ou le salarié recevra deux, trois, quatre, cinq ou six semaines selon le cas, calculé a son taux horaire normal." Au début de l'audience, le travailleur et l'employeur font les admissions suivantes: au 30 avril 1988, le travailleur n'avait pas travaillé pendant 1200 heures; de par l'application de la convention collective, le travailleur ne pouvait opter pour les possibilités prévues à l'article 11.13-2.b) de la convention collective et choisir, des lors, la seconde option; n'eut-été la période d'absence de décembre 1987 due à son accident du travail, le travailleur aurait accumulé au moins 1200 heures de travail; l'article 11.13-2.b) de la convention collective fut librement négociée par le syndicat et l'employeur; l'application de cet article dans le cas du travailleur était légalement conforme.
Le 12 mai 1988, le travailleur transmet la demande suivante à la Commission: "La présente est pour porter plainte selon l'article 32 de la loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles.
En effet, je considère avoir été pénalisé suite à des absences du 12778-09-8907 5 travail à cause d'accidents de travail. La convention collective prévoit qu'il faut avoir accumulé 1200 heures travaillées pour avoir le choix d'être rémunéré au pour- centage du salaire ou le taux horaire régulier selon le plus avantageux des deux. N'ayant pas accumulé les heures nécessaires, on m'a payé au pourcentage qui me donne moins que le taux horaire.
Je considère qu'en vertu de l'article 242 de la loi 42, le temps pendant lequel j'ai été absent devrait comp- ter comme heures travaillées et me donner le choix entre les deux alter- natives prévues dans la convention quant au paiement des vacances.
(...)." Le 25 juillet 1988, la Commission informe le travailleur de sa décision: "Attendu que le 12 mai 1988, Monsieur Gaston Marin transmet à la CSST une plainte écrite, formulée en vertu de l'article 32 de la Loi sur les acci- dents du travail et les maladies professionnelles; Attendu que Monsieur Marin a été victime de lésions professionnelles en 1987 entraînant perte de temps; Attendu que dans sa plainte, Monsieur Marin allègue qu'il croit avoir été l'objet de mesures discriminatoires dans le calcul de sa paie de vacan- ces; Attendu qu'une rencontre de concilia- tion a été tenue le 12 juillet 1988 au bureau de la CSST à Baie-Comeau; Attendu que lors de cette rencontre les faits suivants furent établis: 12778-09-8907 6 l. Monsieur Gaston Marin est un travailleur à l'emploi de Société canadienne de Métaux Reynolds; 2. Monsieur Marin a reçu le paie- ment de ses vacances pour l'an- née 1987; 3. Le calcul de la paie de vacances de Monsieur Marin, pour l'année 1987 a été fait selon les dispo- sitions de la convention collec- tive qui lui est applicable et que ce fait n'est pas contesté par le travailleur; Considérant que l'article 235 de la loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles spéci- fie les avantages auxquels le tra- vailleur continue d'avoir droit lorsqu'il s'absente de son travail en raison de sa lésion profession- nelle; Considérant que l'article 242 de la loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles donne le droit au travailleur qui réintègre son emploi de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et con- ditions que ceux dont il bénéficie- rait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence; Considérant que les taux et condi- tions du salaire et des autres avan- tages sont dans ce cas, ceux spéci- fiés dans la convention collective applicable au travailleur; Considérant que le calcul de la paie de vacances de Monsieur Marin a été fait intégralement selon les dispo- sitions de la convention collective qui lui est applicable; Pour ces motifs, je rejette la plain- te de Monsieur Gaston Marin." 12778-09-8907 7 Le 9 août 1988, le travailleur demande la révision de cette décision.
Le 17 juillet 1989, le bureau de révision de la région Côte-Nord confirme la décision de la Commission en indiquant: "(...) Le Bureau de révision en arrive donc à la conclusion qu'il n'est pas le bon forum pour débattre de l'inter- prétation de l'article 242 eu égard à la convention collective du tra- vailleur. En effet, le Bureau de révision n'a pas la compétence juri- dictionnelle nécessaire pour décider de cette matière.
(...)" Le 25 juillet 1989, le travailleur en appelle de la décision du bureau de révision.
Lors de l'audience, le travailleur dépose une lettre de l'employeur faisant état que le travailleur a reçu 2 582,55$ comme paie de vacances et que "s'il était payé à son taux horaire, sa paie de vacances serait alors de 3 282,00$ soit une différence de 699,45$." 12778-09-8907 8 ARGUMENTATION DES PARTIES Le travailleur souligne que sa plainte a été soumise en vertu de l'article
32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il est d'avis qu'il a perdu 699,45$ auquel il aurait eu droit, n'eut été son accident du travail et que ceci constitue une mesure discriminatoire ou de repré- sailles.Par ailleurs, selon le travailleur, l'article 242 de la loi s'applique aussi en l'espèce, particulièrement en regard du mot "avantages" ("ce qui s'ajoute au salaire de base, sous forme de salaire indirect et qui augmente le revenu"). A ce sujet, le travailleur se dit d'avis que la Commission d'appel doit tenir compte de l'objet même de la loi (réparation et con- séquences) qu'on retrouve à son article l et inter- prêter cette loi de façon libérale. D'autre part, le travailleur dépose certaines décisions de la Commission d'appel dans lesquelles celle-ci a décidé que les primes et la rémunération du temps supplé- mentaire déjà planifié sont parties du salaire net prévu à l'article 60 et mentionne que la même approche doit être appliquée dans le présent cas.
12778-09-8907 9 Le travailleur indique que si 1a Commission d'appel est d'avis que l'article 32 de la loi ne peut s'appliquer dans ce dossier, il soumet, subsidiai- rement, que la Commission d'appel doit disposer de ce cas, conformément aux articles 245 et suivants, étant donné que la convention collective intervenue entre les parties est muette quant à la question soumise eu égard au retour au travail à la suite d'un accident du travail.
Le travailleur demande donc à la Commission d'appel d'ordonner à l'employeur de lui verser la somme de 699,45$ plus les intérêts.
L'employeur soumet que sa décision est simplement une application de la convention collective et qu'elle ne peut constituer, des lors, une mesure discrimi- natoire et de représailles qui a une connotation de punition. L'employeur a traité le travailleur comme tous les autres travailleurs dans de telles circons- tances; il n'y a donc pas d'inégalité mais une application équitable de la convention collective.
Selon l'employeur, l'article 242 ne s'applique pas dans une telle situation. Cet article concerne le salaire et les avantages du travailleur au moment de 12778-09-8907 10 sa réintégration et n'a aucune portée rétroactive, tel l'article 235 de la loi rien dans l'article 242 ne prévoit que, lors d'une absence reliée à un acci- dent du travail, les heures non travaillées conti- nuent de s'accumuler comme des heures de travail.
L'employeur dépose plusieurs décisions d'arbitrage de griefs, du bureau de révision et du tribunal du travail confirmant ses prétentions.
L'employeur est d'avis que la jurisprudence déposée par le travailleur concerne l'interprétation de l'article 60 et n'est donc pas pertinente au présent dossier.
L'employeur demande à la Commission d'appel de maintenir la décision du bureau de révision.
La Commission considère que la décision du bureau de révision est bien fondée.
MOTIFS DE LA DECISION Dans ce dossier, la Commission d'appel doit dé- terminer si l'employeur a exercé à l'endroit du travailleur, des mesures discriminatoires ou de 12778-09-8907 11 représailles ou lui a imposé toute autre sanction, eu égard à l'article
32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui se lit comme suit: 32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit qui lui confère la présente loi.Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée par le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
Les faits ne sont pas contestés: le travailleur a été en arrêt de travail à la suite d'un accident du travail du 14 décembre au 30 décembre 1987; la convention collective dûment convenue entre l'em- ployeur et le syndicat a été appliquée tel que prévu dans de tels cas; le travailleur a reçu une paie de vacances différente (moindre d'un montant de 699,45$) à cause de son absence et compte tenu de l'interpré- tation de la convention collective.
12778-09-8907 12 Le travailleur a-t-il fait l'objet d'une mesure ou d'une sanction prévue par l'article 32 de la loi? La Commission d'appel est d'avis que les termes de l'article 32 sont suffisamment larges pour que le fait que le travailleur ait été privé d'une somme de 699,45$ à cause de son arrêt de travail dû à un accident du travail, puisse constituer une sanction de l'employeur. En ce sens, le recours exercé par le travailleur fondé sur l'article 32 de la loi est recevable, contrairement aux prétentions de l'em- ployeur et aux conclusions du bureau de révision.
L'article 255 de la loi se lit comme suit: 255. s'il est établi à la satisfac- tion de la Commission que le travail- leur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion profes- sionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion profes- sionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanc- tion ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
12778-09-8907 13 Dans le cadre de l'article 32, le législateur a voulu, par l'article 255 de la loi, qu'une présomp- tion soit favorable au travailleur lors d'une telle sanction et que, dans cette situation, le fardeau de la preuve appartienne au travailleur.
Le travailleur a été victime d'une lésion profession- nelle en décembre 1987 et a dû s'absenter du travail.
Par ailleurs, à la fin d'avril ou au début de mai 1987, il a appris que sa paie de vacances serait moindre de 699,45$. C'est à ce moment qu'il estime avoir fait l'objet d'une mesure prévue à l'article 32 de la loi, soit dans le délai de six mois prévu à l'article 255 de la loi. Dans les circonstances, il revient à l'employeur d'établir, au moyen de la prépondérance de la preuve, l'existence d'une autre cause juste et suffisante pour justifier la sanction dont a été victime le travailleur.
Or, l'employeur a fait valoir, en guise de cause juste et suffisante, qu'il a respecté la convention collective et plus particulièrement l'article 11.13- 2.b).
Selon la Commission d'appel, une cause juste et suffisante, au sens de l'article 32 de la loi, doit 12778-09-8907 14 en être une qui respecte la loi. Un employeur ne peut s'en remettre aux dispositions d'une convention collective pour expliquer une action qui serait par ailleurs non conforme ou contraire à la loi. En effet, l'article
4 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit que cette loi est d'ordre public et qu'elle prévoit que toute convention collective qui serait moins avanta- geuse: 4. La présente loi est d'ordre public.Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travail- leur des dispositions plus avanta- geuse que celles que prévoit la présente loi.
En l'instance, il faut examiner les dispositions de la loi relatives au droit de retour au travail puisque la sanction, dont il est question ici, se situe après que le travailleur fut retourné au travail.
L'article 242 de la loi se lit comme suit: 242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les 12778-09-8907 15 avantage aux mêmes taux et condi- tions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancien- neté et du service continu qu'il a accumulé.
Le premier alinéa de cet article est à l'effet que le retour au travail doit s'effectuer de telle manière que le travailleur se retrouve dans une situation similaire à celle où il se serait retrouvé en l'absence de lésion professionnelle, et ce eu égard à son salaire et à ses avantages. Ainsi, si le salaire du travailleur a été majoré (nouvelle convention collective, échelon annuel, etc.), il touchera le nouveau salaire à son retour.
De l'avis de la Commission d'appel, le terme «avanta- ges» de l'article 242 couvre les divers bénéfices prévus dans la convention collective ou ailleurs et auxquels un travailleur a droit. Les vacances payées sont définitivement l'un de ces avantages.
Le travailleur avait donc droit à son retour de bénéficier de vacances "aux mêmes taux et conditions 12778-09-8907 16 que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence".
Le but de cet article et aussi des diverses disposi- tions de la loi (articles 235, 236, 240, 244, 245, 259, 261) relatives au retour au travail visent, répétons-le, à permettre au travailleur de ne pas être pénalisé en raison de sa lésion professionnelle.
D'autre part, la Commission d'appel ne peut retenir l'avis de l'employeur à l'effet que la demande du travailleur a un aspect rétroactif non couvert par l'article 242. La Commission d'appel considère que la paie de vacances dont il est question ici a été établie et remise au retour ou après le retour au travail du travailleur et que l'élément antérieur (accumulation des heures) dans ce dossier se confond avec les termes "s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence" et en est indissociable.
Dans les circonstances, la Commission d'appel est d'avis que, dans cette situation, l'application de l'article 11.13-2.b) de la convention collective n'est pas conforme aux dispositions de la loi en matière de retour au travail et ne saurait avoir 12778-09-8907 17 préséance sur cette loi qui est d'ordre public. Dès lors la Commission d'appel ne peut que conclure que l'employeur n'a pas prouvé une cause juste et suffi- sante au sens de l'article 255 de la loi.
En conséquence, la Commission d'appel infirme la décision du bureau de révision et déclare que l'em- ployeur devra verser au travailleur la somme de 699,45$ et les intérêts afférents, comme indiqué aux articles 261 et 323 de la loi.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LESIONS PROFESSIONNELLES ACCUEILLE l'appel; INFIRME la décision du bureau de révision de la région de la Côte-Nord rendue le 17 juillet 1989; DECLARE qu'au 30 avril 1988, le travailleur, monsieur Gaston Marin, avait le droit de recevoir la paie de vacances qu'il aurait reçue si il n'avait pas été victime d'une lésion professionnelle en décembre 1987; 12778-09-8907 18 ORDONNE à l'employeur, la Société canadienne de métaux Reynolds, de verser au travailleur la somme de 699,45$ dont il a été privé, et les intérêts afférents, comme indiqué aux articles 261 et 323 de la loi.
Guy Perreault, commissaire SAUVE, MENARD ET ASSOCIES (M. Daniel Garstang, stagiaire) 155, boul. Charest est Québec (Québec) G1K 3G6 Représentant de la partie appelante OGILVY, RENAULT (Me Jocelyn Rancourt) 1981, McGill College Montréal (Québec) H3A 3C1 Représentant de la partie intéressée
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