Frigault et Bonduelle Canada inc. |
2012 QCCLP 7765 |
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[1] Le 14 février 2008, Nathalie Frigault (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 février 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 31 octobre 2007, déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’elle était bien fondée de lui réclamer la somme de 276,60 $.
[3] Le 15 mai 2009, une première décision[1] est rendue par la Commission des lésions professionnelles relativement à cette contestation. Au terme d’une requête déposée par le représentant de la travailleuse en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), cette décision est toutefois révoquée[3]. La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a jugé que la première juge administrative avait omis de tenir compte d’un élément de preuve portant sur la relation entre le diagnostic d’entorse dorsale et les risques particuliers du travail exercé par la travailleuse, alors que la requête initiale visait spécifiquement à faire reconnaître ce diagnostic à titre de maladie professionnelle. Conformément au dispositif de cette décision, les parties ont été à nouveau convoquées afin que le présent tribunal dispose au fond de la requête de la travailleuse.
[4] L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield les 20 octobre 2011, 19 mars et 27 juin 2012 en présence de la travailleuse, d’une représentante de Bonduelle Canada inc. (l’employeur) et de leur représentant respectif. Des argumentations écrites ont été soumises et la cause est prise en délibéré le 14 septembre 2012, suivant la réception de la réplique du procureur de la travailleuse.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a subi une maladie professionnelle lui ayant causé une myosite du grand rhomboïde gauche. Aucune conclusion n’est recherchée à l'égard des autres diagnostics posés.
LA PREUVE
[6] Dans le cadre du présent débat, une importante preuve testimoniale et documentaire a été administrée de part et d’autre.
[7] En plus des témoignages de la travailleuse, de madame Johanne Lacroix, contremaîtresse et de monsieur Jean Cailhier, directeur de la maintenance, le tribunal a également entendu des témoignages d’experts, soit ceux des docteurs Normand Taillefer et Jacques Étienne Des Marchais, chirurgien orthopédiste ainsi que celui de monsieur Yves Montpetit, ergonome.
[8] Quant à la preuve documentaire et médicale, outre celle déjà versée au dossier constitué de la Commission des lésions professionnelles et mise à jour, les documents suivants ont été déposés en preuve et considérés par le tribunal :
Documents déposés par la travailleuse :
· Expertise médicale du docteur Normand Taillefer du 6 juillet 2011;
· Littérature médicale soumise par le docteur Taillefer[4];
· Étude du poste de travail réalisée par madame Caroline Lacroix, datée du 17 octobre 2011;
· Rapport de consultation du docteur Bouthillier du 12 mars 2009;
· Rapport de consultation médicale du docteur Veillette du 14 juin 2010;
· Rapport médical du docteur Gropta du 28 septembre 2011;
· Photographie du poste d’égraineuse, prise en 2009;
· Illustration médicale avec localisation du site de douleur par la travailleuse;
· Schéma comparatif des lieux de travail 2007-2010, réalisé par la travailleuse.
Documents déposés par l’employeur :
· Rapport complémentaire du docteur Des Marchais du 22 septembre 2011;
· Expertise médicale du docteur Louis Besner, chirurgien orthopédiste, du 15 septembre 2011;
· Évaluation ergonomique réalisée par monsieur Yves Montpetit, ergonome, datée du 21 décembre 2011;
· Curriculum vitae de monsieur Yves Montpetit;
· Littérature médicale soumise par monsieur Montpetit[5].
[9] Le tribunal a également pris connaissance des argumentations soumises et de la jurisprudence[6] citée.
DÉCISION SUR UNE REQUÊTE INCIDENTE
[10] Le ou vers le 15 mars 2012, le représentant de l’employeur fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles une copie d’un rapport d’enquête et d’une vidéo faisant suite à une surveillance de la travailleuse qui s’est déroulée les 16, 17, 18, 19 et 30 septembre 2011, soit antérieurement à la première journée d’audience tenue en octobre 2011.
[11] Lors de la reprise d’audience, le 19 mars 2012, le procureur de la travailleuse s’objecte au dépôt de ces nouveaux éléments de preuve aux motifs qu’ils sont inadmissibles, alléguant l’absence de motifs sérieux de l’employeur de procéder à une filature de la travailleuse, l’absence de preuve quant à l’authenticité de la vidéo de même que la pertinence de ces nouveaux éléments considérant l’objet du litige qui est essentiellement de nature médicale.
[12] Eu égard aux motifs ayant incité l’employeur à demander une filature, le représentant de l’employeur fait entendre monsieur Montpetit, ergonome, qui détient également une formation d’infirmier. Celui-ci explique avoir fait une première visite chez l’employeur le 22 août 2011 pour prendre certaines mesures du poste de travail d’égraineuse et discuter du dossier de la travailleuse avec madame Anderson, personne responsable de ce dossier chez l’employeur. Celle-ci l’informe de la nature de la lésion subie par la travailleuse, soit d’une entorse dorsale et lombaire, de la date de l’événement et de l’évolution naturelle de la maladie. Monsieur Montpetit ne consulte toutefois pas le dossier médical de la travailleuse. Suivant cette discussion avec madame Anderson, il communique avec monsieur Labelle, représentant de l’employeur, pour l'informer qu’il considère anormal que la travailleuse demeure toujours aussi symptomatique d’une lésion de type musculaire quatre ans après les événements.
[13] En argumentation, monsieur Labelle indique qu’il y a lieu de se remettre en contexte alors que l’audience prévue en octobre 2011 faisait suite à une révocation de la décision du 15 mai 2009, laquelle rejetait la requête de la travailleuse qui voulait, à l’époque, se faire reconnaître une maladie professionnelle sous forme d’entorse dorsale.
[14] Il soutient que de nouveaux éléments de preuve médicale sont apparus en juillet 2011 avec l’expertise du docteur Taillefer, qui conclut à un diagnostic de myosite de grand rhomboïde gauche et à une consolidation de cette lésion depuis 2009, le tout, contrairement à l’avis du médecin qui a charge qui continue des traitements actifs chez cette travailleuse. De plus, alors qu’initialement il avait été convenu entre les représentants de ne pas procéder à une étude ergonomique, il y a eu changement de cap du côté de la travailleuse et celle-ci a présenté une requête en vue de faire ordonner une telle étude[7]. Le représentant de l’employeur estime que ces faits, combinés à l’opinion de monsieur Montpetit, constituaient des motifs raisonnables et sérieux pour son client de douter de la véracité de la condition de la travailleuse et le justifiaient de soumettre celle-ci à une surveillance.
[15] Après avoir entendu la preuve et les argumentations, et après avoir recueilli l’avis des membres siégeant dans la présente affaire, la soussignée, lors de l’audience du 19 mars 2012, accueille l’objection du représentant de la travailleuse et déclare irrecevable la preuve composée du rapport de filature et de la vidéo, précisant que les motifs au soutien de cette décision seraient rendus lors de la décision au fond, ce qui a donc lieu d’être fait. À noter que le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’accord pour accueillir l’objection et souscrivent aux motifs exprimés par la soussignée.
[16] Selon la législation pertinente[8] et la jurisprudence en la matière[9], la preuve d’un rapport d’enquête et d’une vidéo faisant suite à une filature sera déclarée inadmissible si, premièrement, elle est obtenue en violation d’un droit fondamental et si, deuxièmement, elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[17] Selon la Cour d’appel dans l’affaire Bridgestone[10], une procédure de surveillance et de filature représente, à première vue, une atteinte à la vie privée. Toutefois, la Cour d’appel conclut qu’une telle surveillance peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, et ce, en conformité avec l’article 9.1 de la Charte.
[18] En l’instance, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas fait la preuve de motifs rationnels pour requérir à une surveillance de la travailleuse en septembre 2011. Les motifs qu’il invoque à l’audience constituent davantage un prétexte qu’autre chose.
[19] Rien dans l’expertise du docteur Taillefer ne permettait à l’employeur de douter de l’honnêteté du comportement de la travailleuse, d’autant plus que celui-ci écrit textuellement :
…Elle (la travailleuse) paraît en bon état général et ne semble pas souffrante durant l’interrogatoire. Elle est calme, son comportement est normal et elle collabore très bien à l’examen. Elle est anxieuse et appréhensive. Son seuil de tolérance à la douleur est abaissé. Cette patiente m’apparaît crédible et sincère. Je n’ai pas noté de tendance à l’exagération.
[Nos soulignements]
[20] Le fait que le docteur Taillefer amène un nouvel éclairage sur la condition de la travailleuse ne justifiait aucunement l’employeur de procéder à une surveillance puisqu’il s’agit d’éléments essentiellement de nature médicale.
[21] D’ailleurs, parallèlement au mandat de filature, l’employeur a aussi mandaté un médecin, le docteur Besner, afin qu’il se prononce sur la condition de la travailleuse eu égard aux conclusions du docteur Taillefer. Le docteur Besner, qui a rédigé son expertise le 15 septembre 2011, soit la veille de la première journée de surveillance, souligne notamment l’absence de manifestation non organique chez cette travailleuse et explique les raisons pour lesquelles, sur le plan médical, il ne retient pas l’opinion du docteur Taillefer.
[22] Par ailleurs, le tribunal ne saurait retenir comme étant un motif sérieux et rationnel, l’opinion d’un ergonome, infirmier soit-il, sur l’évolution de la condition médicale de la travailleuse, opinion qu’il s’est forgée à même des propos rapportés par une représentante de l’employeur et sans jamais avoir pris connaissance de quelconques documents médicaux concernant la travailleuse.
[23] La simple évolution atypique de la condition médicale, sans aucun autre élément additionnel, ne permettait pas à l’employeur de requérir à la surveillance de la travailleuse, d’autant plus qu’en l’instance, la preuve médicale démontre que parallèlement à sa condition physique, la travailleuse a développé une dépression majeure et qu’elle a un seuil de tolérance aux douleurs abaissé, ce qui peut expliquer en partie l’évolution de sa condition médicale générale.
[24] La filature constitue donc, en l’instance, une violation à un droit fondamental de la travailleuse.
[25] De plus, le tribunal estime qu’admettre une telle preuve déconsidèrerait l’administration de la justice. Sur ce deuxième élément de l’analyse, la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi dans l’affaire Les Coffrages C.C.C. ltée et Altomare[11] :
[153] Quant à la question de savoir si, dans le présent dossier, le dépôt de la preuve obtenue par l’employeur en violation d’une atteinte à la vie privée déconsidère l’administration de la justice, le tribunal réfère aux propos de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Mep Technologies inc11. .
[62] Dans cet exercice d’analyse de ce qui est susceptible de déconsidérer la justice, le juge Gendreau, dans l’arrêt de Ville de Mascouche c. Houle9, enseigne qu’il faut apprécier cet élément en deux étapes. Il faut tout d’abord examiner la gravité de la violation puis, dans un deuxième temps, faire un exercice de pondération entre la protection des droits fondamentaux et la recherche de la vérité. Ainsi, toute violation n’entraîne pas nécessairement le rejet de la preuve. Comme le précise le juge Gendreau :
[…] Cette qualification [quant à la gravité de la violation] est néanmoins essentielle, car c’est à partir de cette première conclusion que le juge devra s’adonner au délicat exercice de pondération pour déterminer laquelle des deux valeurs de la protection des droits fondamentaux ou de la recherche de la vérité devra primer, car il faut se rappeler que toute violation même grave n’entraînera pas nécessairement l’exclusion de l’élément de preuve. Cet exercice de discrétion judiciaire fera aussi appel à l’examen de certaines valeurs sociales dont le respect pourra faire décider dans un sens plutôt qu’un autre.
[…]
En somme, l’enjeu du procès est un élément à prendre en considération. Ainsi, si la preuve obtenue en violation des droits s’inscrit dans le cadre d’un débat en vue de la reconnaissance ou de la protection d’une valeur plus importante, le tribunal sera plus disposé à l’admettre. La preuve pourrait aussi être admissible si elle a pour objet d’empêcher la victime de la violation d’obtenir la reconnaissance d’un droit ou l’appropriation de biens auxquels elle n’a pas droit; dans ce cas, la victime se serait appropriée le système de justice pour une fin illégitime ou illégale.10
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9 [1999] R.J.Q. (C.A).
10 Idl, 1908-1090.
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11 C.L.P. 288240-61-0605, 23 août 2006, B. Lemay.
[26] En regard de ce deuxième critère d’analyse, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le débat actuel porte sur l’admissibilité d’une maladie professionnelle survenue en octobre 2007. La principale question en litige en est une de relation entre les lésions diagnostiquées à l’époque contemporaine et la présence de mouvements à risque ou de gestes contraignants dans l’emploi alors occupé par la travailleuse. Les diagnostics ne sont pas contestés et l’objet du litige ne porte aucunement sur les conséquences médicales de cette lésion (consolidation, existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou des limitations fonctionnelles).
[27] Ainsi, le tribunal estime qu’il n’y a aucune pertinence entre une filature visant à démontrer les activités quotidiennes de la travailleuse en septembre 2011 et l’enjeu du débat, à savoir l’admissibilité d’une maladie professionnelle en 2007. Certes la crédibilité de la travailleuse est un élément à considérer, mais celle-ci doit s’apprécier en regard des faits pertinents contemporains et non en fonction de sa conduite quatre ans plus tard.
[28] En conséquence, puisque le tribunal juge la preuve de la filature irrecevable, le dépôt en preuve de la bande vidéo et du rapport d’enquête est refusé.
[29] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles estime opportun d’indiquer qu’à la fin de la troisième et dernière journée d’audience, le 27 juin 2012, la soussignée a aussi refusé le dépôt en preuve d’une vidéo du poste de travail d’égraineuse que voulait produire la travailleuse, alors qu’elle témoignait en contre-preuve. D’une part, cette vidéo réalisée par madame Lacroix, ergothérapeute, était disponible bien avant cette audience et son dépôt est jugé tardif. De plus, la travailleuse, qui a visionné cette vidéo, confirme que les images apparaissant à l’étude ergonomique de monsieur Montpetit sont conformes à celle-ci. Dans ce contexte, le tribunal estime que cette preuve, plus que tardive, n’apporterait pas de nouveaux éléments de preuve pertinents.
LA PREUVE AU FOND
[30] La travailleuse est sans travail depuis environ deux mois lorsqu’elle commence, le 16 août 2007, un emploi saisonnier de préposée à l’égraineuse chez l’employeur.
[31] Son travail consiste à alimenter une machine en épis de maïs. Les épis défilent sur un convoyeur d’environ 36 pouces de largeur, séparé en longueur par une bande de déflecteurs qui dirigent les maïs vers les opératrices positionnées de chaque côté du convoyeur. La travailleuse, qui est debout, saisit les épis en alternance avec ses deux mains pour les placer tête première devant elle, sur un rail de 30 pouces de longueur, qui amène mécaniquement les épis à l’égraineuse.
[32] Au moment des événements, il y a 14 postes de travail de chaque côté du convoyeur et chaque poste est muni d’une égraineuse. La distance entre chaque égraineuse est d’environ trois pieds et demi. La travailleuse précise en témoignage qu’elle peut toucher à l’autre opératrice si elle étend les bras. Elle opère toujours du même côté du convoyeur, les épis arrivant vers sa gauche et l’égraineuse étant à sa droite. La hauteur du convoyeur est de 35 pouces.
[33] L’horaire de travail débute à 18 h et se termine lorsque le lot d’épis de maïs à traiter est complété, ce qui peut aller à 2 h ou 4 h du matin. La travailleuse dispose de 15 minutes de repos après 45 minutes d’opération et il y a une rotation des postes, mais toujours du même côté du convoyeur. Elle bénéficie également d’une pause repas de 30 minutes.
[34] Selon la feuille de temps de la travailleuse, celle-ci exécute cet emploi du 16 août au 2 octobre 2007 inclusivement. Pendant cette période, elle bénéficie de six jours de congé soit les 2, 7, 13, 19, 22 et 29 septembre 2007. Du 18 août 2007[12] au 2 octobre 2007, la travailleuse opère l’égraineuse 176, 25 heures, ce qui représente une moyenne d’environ 4,4 heures d’opération par quart de travail. Elle bénéficie, pour cette même période, de temps d’arrêt de 153,75 heures, ce qui représente en moyenne 3,6 heures de pauses par quart de travail. La durée maximale pendant laquelle la travailleuse a opéré l’égraineuse est de six heures, ce qui est survenu les 26 août et 23 septembre 2007. En revanche, elle n’a effectué qu’une heure les 23 août et 15 septembre 2007, ce qui représente le seuil minimum d’heures d’opération enregistrées pour elle.
[35] La travailleuse reçoit une rémunération de base avec bonus après manipulation de plus de 5200 épis de maïs à l’heure. Selon les données se retrouvant au dossier, la travailleuse manipule en moyenne 7034,34 épis à l’heure soit 117,24 épis par minute, ce qui représente environ un épi/main/seconde.
[36] En témoignage, la travailleuse explique en détail son mode opératoire et les circonstances entourant le dépôt d’une réclamation à la CSST.
[37] Elle mentionne que compte tenu de sa grandeur (5 pieds 8 pouces), elle doit toujours travailler en position penchée, à environ 25° degrés de flexion du tronc, sans prendre appui puisqu’un mécanicien l’aurait déjà avertie de ne pas s’appuyer sur le convoyeur. Elle précise que compte tenu de son peu d’expérience, elle a tendance à étirer les bras vers la gauche afin d’aller chercher plus d’épis en amont du convoyeur plutôt que de prendre les épis droit devant elle.
[38] Selon la gestuelle reproduite par la travailleuse à l’audience, la prise d’épis sur le convoyeur implique une élévation antérieure des épaules d’environ 75° avec une abduction de l’épaule gauche à 40° et une adduction de 10° à 15° de l’épaule droite. L’exécution de ces mouvements crée encore une douleur intense au point où elle provoque des pleurs chez la travailleuse.
[39] Interrogée par le tribunal à savoir jusqu’où elle peut s’étirer, la travailleuse précise qu’elle peut se rendre jusque devant l’égraineuse de l’opératrice située à sa gauche. Elle soutient catégoriquement que contrairement à ce que l’on peut voir dans les deux évaluations du poste d’égraineuse réalisées le 5 octobre 2011, à l’époque des faits pertinents, il n’y avait pas de supports métalliques en forme d’équerre, fixés bord en bord du convoyeur, qui l’empêchaient de s’étirer vers la gauche. Tout au plus, il pouvait y en avoir eu au poste numéro 8 qu’elle n’a toutefois jamais occupé. Il s’agit d’une modification faisant en sorte, selon elle, que le poste de travail évalué en 2011 n’est pas représentatif de ce qu’il était au moment où elle l’a occupé.
[40] À ce sujet, l’employeur fait entendre madame Lacroix, contremaîtresse aux égraineuses depuis cinq à sept ans et au service de l’employeur depuis 32 ans. Celle-ci explique que les supports métalliques ont été installés pour soutenir la pièce centrale du convoyeur (déflecteurs) et solidifier celle-ci. Ces supports étaient présents en 2007. Elle souligne néanmoins que depuis 2007, d’autres supports métalliques ont dû être installés en raison du retrait d’un autre convoyeur qui permettait une solidification de la pièce centrale.
[41] L’employeur fait également entendre monsieur Jean-Guy Cailhier, directeur de la maintenance chez l’employeur pour qui il travaille depuis 35 ans. Celui-ci indique que les supports métalliques ont été installés en 1995 sur ce convoyeur pour solidifier la pièce qui le sépare en deux. En 2010, d’autres supports ont été ajoutés. Il estime qu’en 2007, il y avait environ huit supports sur le convoyeur d’une longueur de 80 pieds alors que depuis 2010, il y en a 10.
[42] Relativement à l’histoire de la maladie, la travailleuse indique que quelques jours après le début de cet emploi, elle ressent des courbatures, mais rien d’important. Toutefois, dans la nuit du 12 au 13 septembre 2007, lors de l’exécution de sa tâche, elle ressent une douleur intense, comme un coup de crayon, vers le tiers inférieur de l’omoplate gauche. Appelée à localiser le site douloureux à même une illustration anatomique, la travailleuse cible un point sous l’omoplate gauche.
[43] La travailleuse se rend à l’infirmerie où on lui applique de la glace, lui fait un massage et lui donne de l’Advil. Elle ne retourne pas à son poste, car le quart de travail est terminé. Sa contremaîtresse lui donne toutefois congé pour le lendemain soir.
[44] Selon le registre d’accidents et premiers soins complété en lien avec cette visite, la travailleuse se rend à l’infirmerie vers 2 h 30 am. L’infirmière note que la blessure est de la nature d’une douleur musculaire, localisée au niveau dorsal gauche, sous l’omoplate gauche. Au niveau des circonstances de l’événement, il est écrit :
J’étais à mon poste de travail et j’égrénais depuis environ 25 min. lorsque j’ai ressenti un point au niveau de l’omoplate gche.
La douleur ↑ beaucoup lorsqu’elle bouge le bras et l’épaule gch. Au repos la douleur est estimée à 0/10 par la pte. Mais lors de la mobilisation douleur estimée à 4/10. Après application de glace, présence d’œdème modéré sous l’omoplate et à environ 1" ½ de la colonne. [sic]
[45] La travailleuse nie toute douleur au dos avant le 13 septembre 2007, outre quelques courbatures. Relativement à une visite à l’infirmerie en lien avec une douleur au muscle grand dorsal, le 26 août 2007, la travailleuse dit ne pas s’en souvenir, mais reconnaît que la signature apparaissant au registre d’accidents peut être la sienne. Elle indique que la douleur ressentie le 13 septembre 2007 n’est toutefois pas de même nature et ne peut se comparer aux malaises ressentis auparavant.
[46] La travailleuse reprend le travail le 14 septembre 2007. La douleur demeure présente, mais tolérable. Elle rapporte être souvent allée voir l’infirmière par la suite pour recevoir des massages ou de la médication, mais rien n’a été consigné dans le registre des accidents ou premiers soins.
[47] Au fil des jours, la douleur s’étend à tout le dos. Au début, elle n’est présente que lors de la mobilisation de son bras gauche au travail puis, progressivement, elle est perçue même au repos. La travailleuse situe le début des symptômes plus constants vers le 20 septembre 2007. Elle continue néanmoins à exercer ses tâches régulières et ne consulte pas de médecin.
[48] La travailleuse travaille jusqu’au 2 octobre 2007 et a congé le 3 octobre 2007, pour « reposer son dos » dit-elle. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, elle est réveillée par la douleur et n’arrive plus à trouver une position confortable. Elle situe cette douleur de la première vertèbre dorsale jusqu’au sacrum. Elle décide de se rendre à l’urgence d’un centre hospitalier où elle voit le docteur Kamel qui diagnostique une myosite dorsale et douleur lombaire. Il recommande un arrêt de travail jusqu’au 7 octobre 2007. Sur le rapport médical CSST qu’il produit, il situe l’événement au 12 septembre 2007.
[49] Les notes cliniques afférentes à cette visite indiquent que la travailleuse consulte pour une douleur au bas du dos qu’elle a depuis deux semaines. Il est écrit « pt standing all time working by hands ». L’examen clinique se rapporte particulièrement au niveau lombaire.
[50] Le 5 octobre 2007, la travailleuse voit son médecin de famille, le docteur Blonde, en raison d’un rendez-vous déjà prévu. Celui-ci retient le diagnostic d’entorse lombaire et refuse l’assignation temporaire proposée par l’employeur. Il indique la date du 20 septembre 2007 à titre d’événement.
[51] Le même jour, la travailleuse est mise à pied.[13]
[52] Le 12 octobre 2007, le docteur Blonde note qu’il y a très peu d’amélioration et que la travailleuse conserve beaucoup de douleurs et de spasmes musculaires au côté droit[14] du dos. Il prescrit des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[53] Le 18 octobre 2007, la travailleuse dépose une réclamation à la CSST indiquant, à titre descriptif « mouvement répétitif ». Elle situe cet événement au 20 septembre 2007. Dans une lettre non datée, mais reçue à la CSST le même jour que la réclamation, la travailleuse décrit plus en détail la trame factuelle des événements. Elle écrit, notamment :
J’ai débute une nouvelle emploie le septembre comme poste d’égreneuse cette emploie consiste a rentre le maïs dans une machine. J’ai commencé a avoir mal au dos comme tout nouveau travail j’ai pensé qu’avec le temps ça partirait mais, non vers le 20 septembre le mal persistait 24h sur 24. Une semaine et demi que j’ai commencé mon travail je suis allé voir l’infirmière pour quelle me masse tous les 3 à 4 jours, mais rien et puis vers le 20 octobre (corrigé par septembre) les massages et les advil se fessais plus souvant, à ce point la superviseur a demandé si je voulais changer de poste je lui explique que tous les autres postes était debout ou assis sur un banc en métal. […] [sic]
[54] Le 31 octobre 2007, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse, laquelle produit une demande de révision. Dans sa demande, elle explique notamment :
…mon travail consiste à être debout, pencher au-dessus d’une table roulente qui est très bas pour moi, à rentre des maïs beaucoup de maïs dans une petite machine de coter droit et le maïs vient de coter gauche. Ce qui veut dire 6 jours par semaine, 8 à 9 Heures par soir a bouger mon Corp de côté à coté et étiré mes deux bas une après l’autre pour ramasser les maïs pour rentrer dans notre petite machine tout en restant pencher parce que la table de travail est fait pour des personne de 5’3’’ et ma grandeur est 5’ 7-8’’. [sic]
[55] La travailleuse y précise également que la date du 20 septembre correspond à celle retenue par son médecin. Lors de sa première consultation à l’urgence, la travailleuse a mentionné à la secrétaire qu’elle ressentait des douleurs continuelles depuis deux semaines et celle-ci a retenu la date du 12 septembre 2007. À son médecin qu’elle voit le 5 octobre 2007, la travailleuse réitère ces propos, mais celui-ci estime la date de l’événement au 20 septembre 2007.
[56] La travailleuse revoit le docteur Blonde le 2 novembre 2007 lequel corrige la date d’événement au 12 septembre 2007 tout en précisant que la douleur n’est pas apparue lors d’un événement précis, mais en travaillant dans des positions penchées. Il dirige la travailleuse au docteur Moïse, orthopédiste.
[57] À son rapport du 14 janvier 2008, le docteur Blonde rapporte une douleur au bas du dos à gauche (left lower back pain) et précise que la condition s’est légèrement améliorée. Une tomodensitométrie est demandée.
[58] La tomodensitométrie réalisée le 27 janvier 2008 démontre qu’il n’y a pas de lésion discale significative décelée de L1 à S1.
[59] Dans une lettre qu’il rédige à l’attention du département de santé mentale, le 13 février 2008, le docteur Blonde écrit que la vie de la travailleuse a basculé depuis qu’elle a des problèmes de dos et que cela engendre des idées suicidaires. Il souligne que ses examens confirment la présence de spasmes au niveau du dos. Quant à la cause de ces maux, il indique « Because she was taller than most around her, the table was too low for her size and she was bending forward a lot and she developped back pain that became progressively severe and finally resulted in her being unable to work ».
[60] Dans sa demande de consultation du 3 mars 2008 au docteur Moïse, le docteur Blonde mentionne que la travailleuse a une douleur au dos inexplicable et réfractaire aux traitements de physiothérapie et d’ergothérapie. Cette douleur semble provenir des mouvements répétitifs exercés en septembre 2007. Le docteur Blonde précise « j’ai de la misère à comprendre pourquoi ça n’améliore pas ».
[61] Le 4 mars 2008, le docteur Blonde produit un rapport médical sur lequel il indique que la douleur s’est améliorée, mais que la travailleuse n’est pas en mesure de soulever des poids de plus de 15 livres sans aggraver ses douleurs. Il considère qu’un plateau est atteint en physiothérapie et en ergothérapie et il demeure dans l’attente de la consultation avec le docteur Moïse.
[62] Cette consultation avec le docteur Moïse a lieu le 13 mars 2008. Au rapport médical qu’il produit, celui-ci retient le diagnostic de dorsalgie post-trauma en précisant qu’il ne s’agit pas d’une lésion chirurgicale. Sur la note de consultation, il écrit que la travailleuse a une douleur dorsale post-effort depuis six mois et qu’il y a un plateau thérapeutique. Il note une douleur mi-dorsale aux omoplates sans radiculalgie aux membres supérieurs. À son examen, le docteur Moïse retrouve une sensibilité mi-dorsale, sans spasme, les mouvements des épaules sont complets, les tests provocateurs négatifs et l’examen des membres supérieurs normal. Il retient le diagnostic d’entorse dorsale et écrit, à titre de lésion occulte, une myalgie. Le mot suivant est difficilement lisible, mais il est plausible que ce soit rhomboïde. Il suggère une scintigraphie dorsale et une référence en physiatrie. Cette scintigraphie osseuse, réalisée le 7 avril 2008, s’avère normale.
[63] Le 22 avril 2008, le docteur Blonde écrit au docteur Patry, de la Clinique interuniversitaire de la santé au travail et de la santé environnementale, en vue d’une prochaine consultation prévue avec la travailleuse. Il décrit l’histoire de la maladie en précisant que puisque la travailleuse était plus grande que ses collègues, elle devait constamment avoir une position penchée vers l’avant à 20° et a développé une douleur au niveau supérieur gauche du dos.
[64] Le 23 avril 2008, le docteur Patry examine la travailleuse et rend son opinion quant au diagnostic et à la relation avec le travail. Il rapporte qu’au mois de septembre 2007, la travailleuse ressent une douleur vive à la partie dorsale juste sous la pointe de l’omoplate gauche. Cette douleur intense s’accentue lors de la mobilisation du bras gauche. Relativement à la description de tâches, le docteur Patry se réfère notamment à un croquis du poste de travail réalisé par la travailleuse et conclut que celle-ci travaille debout, le dos incliné à environ 20° avec les bras en flexion-abduction entre 20° et 90°. Il note que la travailleuse manipule environ 8000 épis par heure et que la durée d’une journée de travail varie de sept à neuf heures.
[65] À son examen physique, le docteur Patry note que la mobilité du cou est normale et celle de l’épaule droite, complète. À gauche, les mouvements de flexion et d’extension de l’épaule gauche sont limités et reproduisent la symptomatologie. Au dos, il note la présence d’une douleur à la pointe de l’omoplate gauche à la région paradorsale. La zone douloureuse mesure environ 10 cm. En conclusion, il écrit :
IMPRESSION DIAGNOSTIQUE : Entorse dorsale reliée aux activités de son travail.
Opinion sur le lien avec le travail :
En considérant les différents éléments de sa tâche, il y a dans ce type de travail plusieurs facteurs qui ont pu contribué de façon significative au développement de la symptomatologie et de l’entorse diagnostiquée chez madame Frigault. Il y a :
· La posture de travail le dos en flexion à 20 degrés et ce pendant un quart de travail de sept à neuf heures par jour;
· La position des bras en flexion-abduction entre 60 à 90 degrés et ce encore pendant la durée du quart de travail;
· Les mouvements répétitifs qui se situent à plus de 8000 par heure.
Comme approche thérapeutique, il y aurait probablement lieu de poursuivre la physiothérapie avec mobilisation progressive et d’ajouter une médication au coucher pour améliorer son sommeil. [sic]
[66] Le croquis du poste de travail réalisé par la travailleuse est versé au dossier. En plus d’illustrations, la travailleuse y décrit en détail la nature de son travail. Elle explique la configuration de son poste, son horaire et son mode opératoire. Relativement à celui-ci, elle écrit notamment :
…Toutes les fois que j’égrène je suis penché par en avant parce que la table est basse pour moi ma superviseur m’a dit que ce tapis roulant est pour des personnes de 5’3’’ et voilliez vous j’ai 5’7 1/2’’.[...] Ça veut dire penchez par en avant les deux bras allonger devant en ramassant le maïs un par un pour mettre sur la rallonge. Bras gauche, bras droit, gauche, droit il faut être sûr que le maïs rentre le nez en premier ses mouvements ce fait très rapidement comme exemple une journée de 8000 maïs par heure = 133 la minute = 3 maïs la seconde. [sic]
[67] Le 16 juin 2008, le docteur Blonde prescrit à nouveau des traitements de physiothérapie et diagnostique une dépression majeure en lien avec la persistance des douleurs. En juillet 2008, il prescrit des traitements d’acupuncture. Dans ses rapports médicaux subséquents, il note que l’état est stationnaire.
[68] Un examen d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) de la colonne cervico-dorsale réalisé le 23 juin 2008 démontre la présence d’une hernie postéro-latérale droite non compressive à C5-C6 et un léger bombement à C4-C5 et C6-C7. Au niveau dorsal, il y a une légère discopathie étagée surtout au tiers moyen, sans hernie discale ni sténose spinale ou foraminale. Il n’y a pas d’anomalie à D5.
[69] En novembre 2008, le docteur Blonde dirige la travailleuse au docteur Dvorkin, neurologue, compte tenu d’une cervicalgie droite. Le docteur Dvorkin indique que la travailleuse a ressenti une douleur lancinante dans la région de l’omoplate gauche avec irradiation au cou jusque dans la main droite. Il note également que celle-ci semble dépressive, anxieuse et frustrée parce que sa lésion n’a pas été reconnue et qu’elle pleure à plusieurs occasions pendant l’entretien. Au terme de son électromyogramme (EMG), le docteur Dvorkin conclut à un syndrome du tunnel carpien modéré à droite et à des dénervations à C5-C6 et C6-C7 à droite compatibles à une radiculopathie. Il considère que la travailleuse bénéficierait de traitements conservateurs, mais qu’elle n’est pas une candidate à la chirurgie.
[70] Le 6 janvier 2009, la travailleuse est expertisée par le docteur Des Marchais, à la demande de l’employeur. Celle-ci lui décrit son travail de manière générale et précise que c’est en faisant ce travail qu’elle a ressenti un choc à la région thoracique basse du côté gauche, sous l’omoplate. Une douleur importante à tout le dos a perduré environ six à sept mois et elle conserve maintenant une douleur persistante sous l’omoplate du côté gauche, sur une surface d’environ sept à huit centimètres.
[71] À l’examen physique, le docteur Des Marchais note que dès qu’il touche la peau sous l’angle inférieur de l’omoplate, la travailleuse sursaute de douleur et verse des larmes. La mise en tension des abducteurs de l’épaule, des trapèzes contre résistance ne modifie pas l’état de la travailleuse et la résistance est bonne. À l’auscultation, il n’y a pas d’accrochage à l’angle supéro-interne de l’omoplate ni à l’angle inféro-interne. Lors de l’examen des amplitudes de l’épaule, la travailleuse allègue des douleurs qu’elle situe sous la pointe de l’omoplate, vers les apophyses épineuses, mais sous le grill thoracique au niveau de T7-T8, sur une surface d’environ six à sept centimètres où la palpation est quasi impossible.
[72] Au terme de son examen réalisé 15 mois après l’événement, le docteur Des Marchais ne peut émettre de diagnostic précis et souligne que si les diagnostics de dorsalgie ou d’entorse lombaire furent émis, ces conditions sont résolues depuis fort longtemps. Il semble évident pour lui que la travailleuse présente un syndrome de non-organicité. Dans une note jointe à son expertise, il écrit :
À notre avis, la relation ne peut être acceptée, et cela, pour les raisons suivantes :
· Il n’y a pas eu d’accident, pas d’événement particulier.
· La patiente a développé un malaise au niveau de toute la région du dos centralisé sous l’omoplate.
· Aucun diagnostic n’a été émis.
· Aucune investigation radiologique n’a permis de confirmer une quelconque pathologie.
· Concomitamment, la patiente a développé des problèmes de santé mentale avec des idées noires. Elle a dû être traitée en psychologie.
· Un diagnostic d’entorse dorsale ne peut être retenu dans les circonstances de travail.
· Le type de travail qu’effectuait la malade ne peut entraîner une entorse dorsale.
· L’évolution de l’état de la malade confirme la prédominance, dans les circonstances, des éléments de santé mentale par rapport aux éléments biologiques du système locomoteur.
· Pour toutes ces raisons, nous sommes incapables d’accepter la relation par rapport à une maladie professionnelle d’autant qu’il s’agit d’une patiente jeune, de 36 ans, de forte constitution.
[73] À son rapport médical du 12 janvier 2009, le docteur Blonde note que la douleur irradie au niveau inférieur de l’omoplate gauche et recommande un EMG.
[74] Le 2 février 2009, la travailleuse consulte le docteur Chertkow, neurologue, cette fois en raison d’un point douloureux exquis entre les omoplates. Le docteur note que la patiente a une douleur exquise au toucher au niveau des muscles paravertébraux, au niveau thoracique. Suivant son EMG, il écrit : « She has exquisite muscle pain in the mid-thoracic area but the neurologic exam is normal and the electrophysiological examination is normal. This seems to be muscular in origin. I would think that with anti-inflammatory agents, time, and physiotherapy it should recover. I cannot really explain her prolonged disability ».
[75] Le 25 février 2009, la travailleuse consulte la docteure Dahan, physiatre, qui conclut à une dysfonction dorsale gauche, D6-D7, D7-D8, D8-D9 suite à des mouvements répétitifs importants, probablement d’origine facettaire. Elle prescrit des blocs facettaires de D6-D7 à plus ou moins D9-D10 gauche.
[76] Le 12 mars 2009, le docteur Bouthillier, physiatre, procède à ces blocs de D5 à D9 gauche. Dans sa note qu’il adresse à la docteure Dahan, il précise que la travailleuse, qui a développé des douleurs dorsales gauches en septembre 2007, présente une dysfonction mécanique dorsale moyenne latéralisée du côté gauche identifiée sous fluoroscopie de D5 à D9.
[77] À son rapport médical du 21 avril 2009, la docteure Dahan retient les diagnostics de dorsalgie et entorse dorsale et précise qu’il y a eu échec aux blocs facettaires dorsaux. Elle suggère des traitements d’ostéopathie avec thérapie manuelle et un programme d’exercices avec rééducation posturale.
[78] Le 1er mai 2009, le docteur Blonde prescrit des traitements d’ostéopathie précisant que les douleurs n’ont pas diminué à la suite des injections. Il souligne que la travailleuse n’est pas en mesure de travailler, et ce, pour une longue période. En juillet 2009, il note une légère amélioration de la condition avec les traitements d’ostéopathie et suggère de tenter à nouveau des traitements d’acupuncture. Le 23 septembre 2009, il indique que malgré tous les traitements conservateurs et la médication, la travailleuse demeure avec des douleurs incapacitantes et considère sa condition chronique. En février et avril 2010, il rapporte un état stationnaire.
[79] En mai 2010, soit trois ans après la survenance des événements, la travailleuse est dirigée vers le docteur Veillette, anesthésiste, de l’unité de la gestion de la douleur du centre universitaire de santé McGill, et prise en charge par ce dernier. Dans une correspondance du 14 juin 2010 qu’il adresse à l’attention du docteur Blonde, le docteur Veillette note, à titre d’histoire médicale, que la travailleuse a ressenti une sensation de brûlure du côté gauche, entre les omoplates, le 12 septembre 2007. Il mentionne que lors de l’exécution de ses tâches, la travailleuse devait maintenir une flexion et abduction des deux bras dans des angles variant de 20° à 90° et une flexion du dos à 20°, compte tenu de sa grandeur.
[80] À son examen, le docteur Veillette note des points douloureux entre l’omoplate gauche et la colonne vertébrale. Il met en évidence un spasme au niveau du muscle rhomboïde et une douleur à l’apophyse épineuse de T4. Il procède à une infiltration du rhomboïde et suggère la poursuite des traitements de physiothérapie. Il précise que la travailleuse est heureuse d’enfin connaître la nature de son problème. En conclusion, il écrit :
[…]
She was diagnosed with spasm of the Rhomboïd with mechanical lateral dysfunction at T4-T6 level. It was caused by repetitve movements at work. She was advised to search for another job even if she prefers a physical job. She also needs to lose weight. I gave her a prescription for Flexeril and Tramacet for one year if it is necessary to control her pain. [sic]
[81] La travailleuse précise que le soulagement amené par l’infiltration n’a duré que trois à quatre jours. Depuis, elle est suivie par le docteur Blonde qui procède, environ aux deux semaines, à des injections au « trigger point », ce qui ne change pas vraiment sa condition.
[82] Le 4 mai 2011, le docteur Blonde rapporte que l’état est chronique, que les injections aux deux semaines font de moins en moins d’effet et qu’elles n’améliorent pas sa condition.
[83] La travailleuse précise n’avoir repris aucun travail depuis son arrêt du 2 octobre 2007 et que sa condition douloureuse persiste.
[84] Le 6 juillet 2011, la travailleuse est expertisée à la demande de son procureur par le docteur Taillefer. Celui-ci rapporte une mobilité de la colonne cervicale et dorsolombaire complète, symétrique et indolore. L’examen des membres inférieurs est également dans les limites de la normale de même que l’évaluation des hanches et des sacro-iliaques. L’examen des épaules révèle des amplitudes complètes, symétriques des deux côtés et indolores à droite. Toutefois, plusieurs mouvements de l’épaule gauche qui impliquent une mobilisation de l’omoplate reproduisent une partie des douleurs ressenties par la travailleuse. Il précise que les tests de mise en tension des tendons (Jobe, Speed, Yergason, Yocum et Gerber) et les tests d’accrochage (Neer et Hawkins) sont négatifs. L’examen du rachis dorsal démontre un point exquisément douloureux aux attaches scapulaires du grand rhomboïde gauche, sans spasme. Toutefois, la rétraction des épaules (posture du garde-à-vous) reproduit les douleurs habituelles au bord inféro-interne de la pointe de l’omoplate gauche.
[85] Relativement à la description du poste de travail, le docteur Taillefer reprend essentiellement les données déjà rapportées au dossier en ce qui a trait à l’horaire de travail et la productivité de la travailleuse. Celle-ci lui explique cependant que pour aller plus vite, elle tendait la main droite devant elle et étendait la main gauche vers sa gauche pour aller chercher davantage d’épis sur le convoyeur. Selon la posture qu’elle décrit et mime, le docteur Taillefer retient que le bras gauche est en élévation antérieure presqu’à l’horizontale (60° à 90°) et s’écarte vers la gauche en abduction pour ensuite être ramené en adduction vis-à-vis le tronc. Il écrit «…ce geste du bras gauche était fait plus de 4000 fois à l’heure, ce qui impliquait des contractions isotoniques et eccentriques très répétitives des grands rhomboïdes gauches. En effet, ce muscle a comme fonction la fixation de l’omoplate (scapula), ainsi que la translation crânio-médiale de l’omoplate lorsque le bras revient en position neutre devant le tronc [sic] ».
[86] Au terme de son examen et d’une revue exhaustive de l’histoire occupationnelle et médicale, le docteur Taillefer indique qu’il ne peut retenir le diagnostic d’entorse dorsale puisqu’il n’y a pas eu de traumatisme aigu, de chute ou de contusion locale, ni faux mouvement violent. Il explique que le terme d’entorse s’applique à une atteinte par étirement capsulo-ligamentaire et que ce n’est pas le cas en l’instance.
[87] À l’instar du premier médecin ayant vu la travailleuse le 4 octobre 2007, il retient un diagnostic de myosite dorsale, mais de façon plus précise, celui de myosite dorsale du grand rhomboïde gauche. Il estime que ce diagnostic est similaire à celui retenu par le docteur Veillette et correspond à la zone douloureuse importante qu’il a lui-même palpée, tout comme les docteurs Patry, Des Marchais et Veilllette.
[88] Selon lui, la gestuelle décrite par la travailleuse met clairement en fonction la fixation ainsi que la translation de l’omoplate par les mouvements de balayage en élévation verticale et horizontale du bras gauche, précisant «…par exemple lorsque la patiente étire son bras vers l’extrême-gauche et le ramène vers le centre [sic] ». Il conclut que :
[…]
La myosite dorsale du grand rhomboïde gauche chez cette travailleuse, m’apparaît de toute évidence une maladie professionnelle, car elle est reliée à une sur-sollicitation biomécanique très intense et inhabituelle pour cette patiente, qui a développé des douleurs précocement, après seulement quelques semaines de ce nouveau travail, sur une base de 50 à 60 heures par semaines. [sic]
[89] Il estime que cette lésion a atteint un plateau en mars 2009, que certains exercices pourraient aider à améliorer la condition douloureuse et que la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles. Il souligne qu’une étude ergonomique du poste de travail pourrait être utile pour évaluer plus en détail le type de mouvement et sa fréquence.
[90] Le 15 septembre 2011, la travailleuse est expertisée, cette fois à la demande de l’employeur, par le docteur Louis Besner, chirurgien orthopédiste. À son examen physique, celui-ci note qu’il y a une douleur exquise située en paravertébral gauche, vis-à-vis les apophyses épineuses D5-D6, mais qu’il n’y a toutefois pas d’œdème ni de spasme. La palpation profonde ne peut être faite, car trop douloureuse et provoque des pleurs chez la travailleuse. Le reste de son examen est sans particularité.
[91] Le docteur Besner note qu’il ne retient pas de manifestation non organique chez cette travailleuse et qu’il y a uniquement une douleur locale située du côté gauche en paravertébral, vis-à-vis D5 et D6. Au terme de son examen, il retient le diagnostic de dorsalgie gauche. Contrairement au docteur Taillefer, il ne peut retenir le diagnostic de myosite puisqu’il n’y a pas de spasme musculaire et que lors de son examen, la surélévation et la rétraction des omoplates n’ont pas reproduit de douleurs.
[92] Le docteur Besner ne retient aucune relation entre la dorsalgie gauche et le travail, puisque la travailleuse exécute des mouvements répétitifs avec ses deux membres supérieurs, et non seulement le gauche, et qu’elle bénéficiait de pauses de 15 minutes après 45 minutes de travail. Quant à la position penchée, elle implique davantage la colonne lombaire et non la colonne dorsale.
[93] Le 22 septembre 2011, le docteur Des Marchais produit un rapport complémentaire après avoir pris connaissance de l’expertise du docteur Taillefer. Il estime que le diagnostic de myosite du rhomboïde gauche ne peut être retenu puisque l’évolution de la condition de la travailleuse est atypique d’une telle pathologie qui, habituellement, régresse et guérit en l’espace de quelques mois. Il estime par ailleurs que mis à part les algies rapportées par la travailleuse, aucun élément objectif ne soutient ce diagnostic. Il maintient que le seul diagnostic probable est l’absence de lésion organique et un syndrome fonctionnel pur.
Évaluations du poste d’égraineuse
[94] Deux évaluations du poste de travail de la travailleuse sont réalisées le 5 octobre 2011. La première, par madame Caroline Lacroix, ergothérapeute mandatée par la travailleuse et la seconde, en après-midi, par monsieur Yves Montpetit, ergonome mandaté par l’employeur. La travailleuse est présente lors de ces deux visites de poste, mais n’est pas en mesure d’opérer l’égraineuse.
[95] Dans son rapport daté du 17 octobre 2011, madame Lacroix rapporte, selon les travailleuses observées[15], que la flexion antérieure du tronc est de 30° à 40° et la flexion antérieure des épaules pour saisir le maïs sur le convoyeur est de 30° à 50°. Pour mettre le maïs sur le rail de l’égraineuse, il y a une extension des épaules de 0 à -10° avec une flexion du poignet en pronation. Lorsque l’opératrice doit mettre l’épi dans le bon sens (tête première), cela implique un mouvement supplémentaire de prosupination de l’avant-bras et de rotation externe de l’épaule tout en ramenant l’épaule en extension.
[96] Madame Lacroix précise ne pas avoir observé de travailleuses qui étendaient le membre supérieur gauche sur le côté comme le faisait la travailleuse, compte tenu de la présence d’un garde (support métallique) qui empêche les travailleuses de s’étirer. À ce sujet, elle écrit en introduction :
Nous demandons à l’employeur s’il est possible d’évaluer le poste de préposée à l’égraineuse tel qu’il était lors de l’arrêt de travail de Mme Frigault. On nous indique qu’il n’y a pas eu de modifications au poste et qu’il sera possible d’observer différentes travailleuses exécuter les tâches associées au poste de préposée à l’égraineuse. Mme Frigault nous accompagne lors de la visite, mais nous dit ne pas être en mesure de travailler.
Suite à la visite, madame a refait le même exercice avec un ergonome mandaté par l’employeur. Elle nous contacte en après-midi pour nous dire qu’elle avait fait une observation concernant une modification apportée à la ligne. Elle dit qu’une plaque aurait été apposée afin d’éviter d’avoir à s’étendre les bras pour aller chercher les items vers la gauche. Lorsque madame était à l’emploi, ce dispositif était absent.
[97] Au terme de son étude de poste, madame Lacroix conclut à la présence de facteurs de risque de développer une myosite du grand rhomboïde gauche dans le poste d’égraineuse. Elle indique que le muscle du grand rhomboïde est élévateur, adducteur et rotateur médial de l’omoplate. Or, l’omoplate et l’articulation gléno-humérale travaillent pendant le mouvement d’abduction puisque l’omoplate est sollicitée après 20° à 30° d’abduction pure de l’articulation gléno-humérale[16]. Elle cible donc, comme facteurs de risque, le fait que l’épaule gauche se retrouve fréquemment maintenue dans une position de flexion et d’abduction souvent supérieure à 30°, parfois combinée à un mouvement de rotation interne et d’extension de l’épaule. De plus, l’invariabilité de la tâche, alors que la travailleuse utilise de façon continuelle ses membres supérieurs dans des amplitudes articulaires similaires, sans période de repos compensatoire suffisante, est un facteur de risque additionnel.
[98] Lors de la visite de poste avec monsieur Montpetit, la travailleuse a été en mesure de simuler son mode opératoire. Monsieur Montpetit retient que lors de la prise du maïs sur le convoyeur avec le membre supérieur gauche, il y a une flexion antérieure de l’épaule de 30° à 40° et une abduction de 40° à 70°. Selon la photographie se retrouvant au rapport, la travailleuse a alors le bras gauche par-dessus le support métallique. Lors du dépôt de l’épi sur le rail, il y a une rotation interne de l’épaule gauche et flexion de l’avant-bras avec une adduction et extension vers la position neutre. Au niveau du membre supérieur droit, il y une flexion de 75° et adduction de 30° à 45° lors de la prise de l’épi sur le convoyeur, et une flexion de l’avant-bras, abduction vers la position neutre et extension vers 10° à -15°. Il décrit également en détail le poste de travail et analyse diverses données relatives au temps de travail de la travailleuse et à sa productivité.
[99] Tant dans son rapport qu’en témoignage, monsieur Montpetit explique que le muscle du grand rhomboïde est un muscle responsable, au niveau de la ceinture scapulaire, des rotateurs internes et rétracteurs. Au niveau des actions produites par l’épaule, ce muscle est responsable des extenseurs.[17] Ainsi, les mouvements de l’épaule gauche impliqués dans le mode opératoire de la travailleuse de flexion antérieure, d’abduction, de rotation interne et d’adduction vers la position neutre ne sollicitent pas le grand rhomboïde. Quant à l’extension de l’épaule gauche lorsque la travailleuse met l’épi dans le rail, il indique qu’elle est pratiquement nulle et par conséquent, le grand rhomboïde n’est presque pas sollicité. En fait, c’est plutôt du côté droit qu’il y a sollicitation du rhomboïde, car l’extension de l’épaule est estimée à 10° à 15° étant donné que la zone de dépôt des épis à droite est plus éloignée.
[100] Monsieur Montpetit retient également que l’exposition globale au travail est faible alors que la travailleuse l’a exercé 40 jours pendant lesquels elle a été en pause en moyenne 45,6 % du temps et exposée au travail 54,5 %. Sa productivité, en nombre d’épis, a fluctué au long de cette période, mais elle a atteint le minimum requis dès les premiers jours.
[101] Questionné par le tribunal à savoir si, dans son analyse, il avait aussi tenu compte du muscle rhomboïde comme stabilisateur de l’omoplate, monsieur Montpetit explique que puisque les épaules sont en mode dynamique lors de l’exercice des tâches à l’égraineuse, le rôle stabilisateur du grand rhomboïde n’est pas important. Il le serait davantage si les épaules étaient en position statique prolongée. De plus, il croit que si le travail exercé par la travailleuse était de nature à léser les muscles stabilisateurs de l’omoplate, le trapèze et le grand dentelé, qui sont également des muscles stabilisateurs, auraient également été atteints.
Les témoignages des médecins experts
[102] Le docteur Taillefer témoigne à la demande de la travailleuse. Dans son témoignage, il reprend plus en détail les explications au soutien de ses conclusions selon lesquelles la travailleuse souffre d’une myosite du grand rhomboïde gauche reliée à des mouvements exécutés lors de son travail de préposée à l’égraineuse.
[103] Il réitère que le fait pour la travailleuse d’écarter le bras gauche, des milliers de fois par jour, en déplacement latéral et horizontal, comme dans le mouvement de ramer, implique nécessairement le muscle du grand rhomboïde à titre de muscle stabilisateur de l’omoplate, et non dans ses fonctions motrices. À ce titre, il réfère à l’article de Myofascial Pain and Dysfunction, The Trigger Point Manual[18] dans lequel il est précisé que des mouvements d’adduction et d’abduction de l’épaule sollicitent l’action stabilisatrice du rhomboïde. Le docteur Taillefer réfère plus précisément aux passages suivants :
4. ACTIONS
Based on anatomical considerations, the rhomboid muscles adduct (draw medially) and elevate the scapula.7,8 The attachment of the rhomboideus major fibers to the lower vertebral border of the scapula tends to rotate the scapula, turning the glenoid fossa down (caudally).1,7,8,11,16 These muscles, therefore, assist forceful adduction and extension of the arm by stabilizing the scapula in the retracted position.16 The rhomboid muscles hold the lower angle of the scapula close to the ribs, preventing winging (protrusion of the inferior angle) of the scapula when the upper extremity is pushing forward against resistance, as when leaning forward against a wall.16 With the scapula fixed, the two rhomboid muscles on one side rotate the spine, turning the face to the opposite side. Bilaterally, they extend the thoracic spine.11
Electromyographically, these muscles were reported to be more active during abduction than during flexion of the arm at the shoulder, like the fibers of the middle trapezius.1 The electrical activity of the rhomboidei rapidly increased in intensity between 160° and 180° of either movement.9 This activity is not predicted by any of the anatomically-based actions listed above. The stabilization function during lightly loaded abduction is apparently an additional action that fixes the scapula firmly against the paraspinal soft tissues. The rhomboid muscles are active during both forward and backward swings of the arm while walking,1 probably also to stabilize the scapula.
[…]
7. ACTIVATION OF TRIGGER POINTS
The TPs in the rhomboid muscles are activated by prolonged leaning forward and working in the round-shouldered position (as when writing or sewing); by overload due to prominence of the scapula on the convex side in upper thoracic scoliosis (due to idiopathic scoliosis, chest surgery, or a short leg); by prolonged holding of the arm in abduction at 90°; and by overload due to TPs in the pectoralis major.
[104] Selon le docteur Taillefer, la travailleuse a donc effectué des mouvements contraignants impliquant le grand rhomboïde, car plus les muscles de l’épaule s’activent, plus les muscles stabilisateurs de l’omoplate sont sollicités (contractions-décontractions). L’absence de symptomatologie ou de lésion à l’épaule gauche, qui est pourtant impliquée activement, n’est pas incohérente selon lui et suppose simplement que le grand rhomboïde était le maillon faible chez cette travailleuse.
[105] Le docteur Taillefer reconnaît que le facteur de risque associé à la force ne se retrouve pas dans les tâches exercées par la travailleuse. Il estime cependant que cet élément n’est pas nécessaire à la reconnaissance de mouvements à risque, compte tenu de la haute répétitivité et de la sollicitation excessive du muscle du rhomboïde.
[106] Par ailleurs, le docteur Taillefer considère que l’évolution de la myosite s’apparente en l’instance à un syndrome myofascial, diagnostic reconnu en physiatrie. Il réfère à divers articles de littérature médicale pertinents au soutien de sa position. Ainsi, l’évolution de la condition de la travailleuse n’est pas nécessairement atypique, comme le soutient le docteur Des Marchais.
[107] Pour sa part, le docteur Des Marchais, qui témoigne à la demande de l’employeur, maintient que le diagnostic de myosite du rhomboïde gauche ne peut être retenu compte tenu du site de douleur initial, et de l’évolution atypique de la condition. Il note, entre autres, qu’une myosite du rhomboïde ne se traduit pas seulement par la présence d’un seul point douloureux localisé et dénote certains éléments dans les divers examens médicaux qui ne soutiennent pas, selon lui, ce diagnostic.
[108] Les gestes exécutés par la travailleuse dans son emploi d’égraineuse, tels qu’elle les a mimés à l’audience et tels que rapportés dans les études ergonomiques, sollicitent plutôt le rhomboïde droit, car c’est au niveau du membre supérieur droit que l’on retrouve des mouvements d’adduction plus importants. À ce titre, il rappelle que le fait de ramener le bras gauche qui est tendu vers la gauche en position neutre, devant soi, ne constitue pas un mouvement actif d’adduction.
L’AVIS DES MEMBRES
[109] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres ayant siégé avec elle dans la présente affaire.
[110] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête de la travailleuse.
[111] Le membre issu des associations syndicales estime que le mode opératoire rapporté par la travailleuse n’est pas soutenu par la preuve puisque les témoignages de madame Lacroix et monsieur Cailhier établissent, de manière prépondérante, la présence de supports métalliques à plusieurs postes de travail au moment des événements, restreignant ainsi l’espace de manœuvre de la travailleuse vers la gauche et, par le fait même, les mouvements jugés à risque. Ainsi, la prémisse de la thèse amenée par le docteur Taillefer n’est pas soutenue par la preuve factuelle.
[112] Le membre issu des associations d’employeurs estime que la travailleuse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve qui était de démontrer, de manière prépondérante, que son emploi d’égraineuse comportait des risques particuliers de développer les lésions diagnostiquées. Elle est d’avis que tant la preuve factuelle que médicale ne milite pas en faveur de la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[113] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle.
[114] La loi définit comme suit la notion de lésion professionnelle.
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[115] La survenance d’un événement particulier, assimilable à un accident du travail, n’est pas alléguée comme étant la cause de la lésion subie par la travailleuse. La travailleuse attribue plutôt sa condition aux gestes répétitifs qu’elle a effectués dans des positions contraignantes alors qu’elle était préposée à l’égraineuse pour le compte de l’employeur.
[116] La Commission des lésions professionnelles doit donc analyser l’admissibilité de la lésion sous l’angle d’une maladie professionnelle qui se définit en ces termes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[117] L’article 29 de la loi établit une présomption voulant que certaines maladies soient présumées des maladies professionnelles. Cet article se lit comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[118] À défaut d’application de cette présomption, on doit s’en remettre à l’article 30 de la loi qui stipule ce qui suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[119] Il importe donc, dans un premier temps, d’établir le ou les diagnostics de la maladie aux fins de l’analyse de l’admissibilité, puisque plusieurs diagnostics ont été posés lors du suivi médical. Il ne s’agit toutefois pas, pour le tribunal, de déterminer si les diagnostics émis par les médecins traitants sont médicalement bien fondés. En l’absence d’une procédure d’évaluation médicale et d’un litige portant sur la question du diagnostic, le rôle du tribunal est de préciser, à même les diagnostics posés, ceux qui doivent faire l’objet de l’analyse dans le cadre du présent litige.
[120] Le premier diagnostic posé par le médecin consulté à l’urgence est celui de myosite dorsale. Par la suite, le docteur Blonde retient constamment les diagnostics d’entorse dorsale et d’entorse lombaire. Le tribunal est d’avis qu’il y a donc lieu d’analyser la réclamation pour maladie professionnelle en regard de ces trois diagnostics.
[121] La travailleuse demande toutefois au tribunal de considérer que le diagnostic de myosite dorsale, initialement posé, réfère plus précisément à une myosite du grand rhomboïde gauche, lequel diagnostic a été émis pour la première fois en juillet 2011 par le docteur Taillefer.
[122] Contrairement aux prétentions du représentant de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles estime qu’elle peut se saisir de cette question, bien que le docteur Taillefer agisse à titre d’expert et non comme médecin traitant, puisque ce dernier ne pose pas un nouveau diagnostic, mais émet plutôt une opinion sur la nature précise d’un des diagnostics déjà émis.
[123] Par ailleurs, tel que mentionné précédemment, le tribunal n’a pas à déterminer, dans le cadre du présent litige, si le diagnostic retenu par le docteur Taillefer est bien fondé. Il doit seulement évaluer si, selon la preuve médicale prépondérante, la myosite dorsale diagnostiquée le 4 octobre 2007 réfère plus précisément à une myosite du grand rhomboïde gauche.
[124] Après une revue de la preuve factuelle et médicale contemporaine aux événements, le tribunal ne peut retenir la prétention du docteur Taillefer pour les motifs qui suivent.
[125] Il est opportun, dans un premier temps, de se référer à l’anatomie fonctionnelle des muscles rhomboïdes.
[126] Selon la doctrine déposée par l’expert de la travailleuse[19], le petit rhomboïde s’attache médialement aux apophyses épineuses de C7 et T1 et latéralement, au bord interne de l’omoplate, au niveau de l’épine. Quant au grand rhomboïde, il s’attache médialement aux apophyses épineuses de T2 à T5[20] et latéralement, au bord interne de l’omoplate, à partir de l’épine, et se termine légèrement en haut de l’angle inférieur de l’omoplate. Selon la localisation des points gâchette des rhomboïdes, le point inférieur est situé dans la région interscapulaire, près du bord interne de l’omoplate, quelques centimètres en haut de l’angle inférieur.
[127] Or, selon la preuve prépondérante, le point douloureux ressenti initialement par la travailleuse est localisé sous l’omoplate gauche, au niveau du grand dorsal, soit plus bas que le point d’insertion inférieur du grand rhomboïde à l’omoplate.
[128] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles retient plus particulièrement les éléments de preuve suivants :
[128.1]Lors de son témoignage, la travailleuse a elle-même localisé, à même une illustration anatomique, le point douloureux initial en bas de l’omoplate gauche;
[128.2]Les constations de l’infirmière vue le 13 septembre 2007 réfèrent à la présence d’œdème sous l’omoplate gauche et antérieurement, soit le 26 août 2007, une autre infirmière rapportait une douleur au grand dorsal;
[128.3]Les notes cliniques de la première consultation médicale du 4 octobre 2007 qui font état de douleurs en bas du dos et non au niveau thoracique;
[128.4]La description de l’événement faite au docteur Patry en avril 2008 qui écrit que la travailleuse a ressenti une douleur vive à la partie dorsale, juste sous la pointe de l’omoplate gauche, alors que son examen révèle une douleur à la pointe de l’omoplate gauche, au niveau paradorsal;
[128.5]La description de l’événement faite par la travailleuse au docteur Des Marchais en janvier 2009 qui indique que celle-ci a ressenti un choc à la région thoracique basse du côté gauche, sous l’omoplate, alors que son examen révèle des douleurs sous la pointe de l’omoplate, vers les apophyses épineuses, au niveau de T7-T8;
[128.6]Les douleurs dorsales localisées sous-scopie par le docteur Bouthillier en mars 2009 s’étendent de T5 à T9.
[129] Ces descriptions plus contemporaines du site douloureux sont privilégiées à celle qu’a donnée la travailleuse aux docteurs Veillette et Taillefer plus de trois ans après la survenance des faits pertinents.
[130] De plus, la preuve médicale démontre que la symptomatologie de la travailleuse a migré au fil du temps se situant initialement sous l’omoplate gauche et à tout le dos dans les semaines suivantes[21], demeurant au niveau lombaire bas[22] et se déplaçant au niveau cervical et au membre supérieur droit plusieurs mois plus tard[23], puis se traduisant en une douleur exquise entre les omoplates[24] pour finalement être localisée sous-scopie en T5-T9[25] et se focaliser en T4[26], le tout, sous un tableau sous-jacent de condition dépressive.
[131] Outre la symptomatologie initiale, rien dans la preuve médicale contemporaine ne permet de retenir une lésion au grand rhomboïde gauche.
[132] Le seul fait que le docteur Moïse rapporte, six mois après les événements, une douleur aux omoplates et qu’il s’interroge sur une lésion occulte de type myalgie des rhomboïdes n’est pas un élément suffisant pour établir qu’il s’agit du site lésionnel initial. D’ailleurs, le tribunal estime révélateur qu’au terme de son examen, le docteur Moïse, qui est orthopédiste, ne retient pas de lésion au rhomboïde gauche, mais bien un diagnostic de dorsalgie.
[133] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir que le diagnostic initialement retenu de myosite dorsale réfère plus précisément à une myosite du grand rhomboïde gauche.
[134] Le tribunal tient à préciser, puisque la preuve a largement porté sur cet aspect, que même en retenant le diagnostic de myosite de grand rhomboïde gauche, la preuve prépondérante ne supporte pas que ce diagnostic, qui n’est pas prévu à l’annexe 1 de la loi, soit caractéristique du travail d’égraineuse ou relié aux risques particuliers de celui-ci, et ce, pour les motifs ci-après énoncés.
[135] Aucune preuve, de nature épidémiologique ou autre, établissant l’existence d’une relation probante entre le travail de préposée à l’égraineuse et la myosite du grand rhomboïde gauche ne fut administrée.
[136] Relativement aux risques particuliers de ce travail, le docteur Taillefer expose que le mode opératoire adopté par la travailleuse, qui écartait le bras gauche vers la gauche, dans des mouvements de balayage exécutés de manière excessive, a sollicité le grand rhomboïde gauche à titre de muscle stabilisateur de l’omoplate, au point de le léser.
[137] Sur ce, plusieurs commentaires s’imposent.
[138] Premièrement, les descriptions contemporaines par la travailleuse de son mode opératoire ne traitent aucunement de cette particularité d’étirer le bras gauche vers la gauche et d’amener son bras droit devant elle. Cette nouvelle version du mode opératoire apparaît pour la première fois au dossier en juillet 2011, soit près de quatre ans après les événements.
[139] À ce sujet, le tribunal réfère à la description du mode opératoire décrit par la travailleuse dans sa demande de révision de même que dans la description qu’elle rédige, croquis à l’appui. De plus, la description du mode opératoire rapportée par les docteurs Patry et Veillette, qui notent une flexion-abduction des deux bras, n’est pas compatible avec la description qu’en fait la travailleuse à l’audience. En fait, il ressort clairement de la preuve que l’emphase est initialement mise sur le fait que la travailleuse exécute ses tâches avec le tronc en flexion antérieure de manière prolongée et en aucun temps un mode opératoire, tel que celui rapporté par le docteur Taillefer et décrit à l’audience, n’est abordé par les différents médecins consultés.
[140] Deuxièmement, le tribunal est d’avis que même si la travailleuse avait tendance à étirer le bras gauche vers la gauche, elle ne peut l’avoir fait de manière aussi importante et fréquente qu’elle l’allègue.
[141] D’une part, la configuration des postes de travail fait en sorte que la travailleuse peut tout au plus s’étirer jusque devant l’égraineuse de l’opératrice située à sa gauche, ce qui n’engendre pas une abduction importante du membre supérieur gauche, selon le tribunal.
[142] D’autre part, le tribunal retient qu’à l’époque des faits pertinents, il y avait des supports métalliques à certains postes de travail occupés par la travailleuse, restreignant ainsi les mouvements d’abduction du membre supérieur gauche. À ce titre, le tribunal privilégie les témoignages de madame Lacroix et monsieur Cailhier, qui ont tous les deux plus de 30 ans de service chez l’employeur, alors que la travailleuse n’y a travaillé que 42 jours, et ce, quatre ans avant de rendre témoignage.
[143] Le tribunal estime que les témoignages de ces témoins sont crédibles et rejette l’argument du représentant de la travailleuse voulant que le témoignage de monsieur Cailhier ait pu être influencé par le témoignage de monsieur Montpetit, puisque ce dernier témoignait essentiellement à titre d’expert dans son domaine. Par ailleurs, le tribunal ne peut, comme l’invite à faire le représentant de la travailleuse, évaluer la crédibilité de madame Lacroix à la lumière de son témoignage rendu dans le cadre d’une audience antérieure et rapporté dans la décision de la Commission des lésions professionnelles du 15 mai 2009. Cette décision est révoquée et la teneur du témoignage antérieur de madame Lacroix n’a pas été valablement mise en preuve devant la présente instance.
[144] De plus, la Commission des lésions professionnelles juge très révélateur que lors de la visite de poste avec sa propre ergothérapeute, la travailleuse ne commente pas la présence de supports métalliques. Ce n’est qu’après la deuxième visite de poste avec l’ergonome mandaté par l’employeur que la travailleuse communique avec madame Lacroix pour lui faire part de cette modification jugée pourtant si importante.
[145] Ainsi, le tribunal retient que la fréquence et le degré des mouvements d’abduction du bras gauche, invoqués par la travailleuse, sont moins importants qu’on veut le laisser croire.
[146] Mais il y a plus.
[147] Le docteur Taillefer est d’avis que le muscle du grand rhomboïde gauche est sollicité de manière excessive en tant qu’agoniste lors des mouvements d’abduction et d’adduction du membre supérieur gauche. Il réfère particulièrement à l’article Myofascial Pain and Dysfunction, The Trigger Point Manual[27].
[148] Avec respect pour l’opinion du docteur Taillefer, le tribunal estime que la preuve et la littérature soumises n’appuient pas ces prétentions.
[149] La contraction des rhomboïdes en tant qu’agonistes, d’après la doctrine précitée, provoque le rapprochement (adduction) et l’élévation des omoplates. Par ailleurs, ils contribuent aux mouvements d’adduction et extension forcées du membre supérieur en stabilisant les omoplates dans la position rétractée. Les muscles rhomboïdes maintiennent la pointe des omoplates collée à la paroi thoracique empêchant leur décollement (winging) lorsque les bras poussent vers l’avant contre un mur en se penchant vers l’avant. L’auteur souligne également que les points gâchette des rhomboïdes sont activés par la position assise avec le torse voûté comme lorsqu’on écrit ou qu’on coud à la machine, ainsi qu’une abduction soutenue des bras à 90°.
[150] Or, il n’est nullement contesté que les gestes exercés par la travailleuse n’impliquent pas de mouvements d’adduction (position du garde-à-vous) ou d’élévation des omoplates ni de mouvements d’extension de l’épaule gauche susceptibles de solliciter de manière significative le grand rhomboïde gauche. Le tribunal retient par ailleurs que selon la preuve, il n’y a aucune adduction forcée du membre supérieur gauche dans l’exécution de cette tâche. À l’instar du docteur Des Marchais, le tribunal est d’avis que le fait de ramener le bras gauche tendu vers la gauche en position neutre n’implique pas un mouvement actif d’adduction de l’épaule gauche. De plus, la travailleuse n’adopte aucune position similaire à celles qui activent les points gâchette des rhomboïdes.
[151] L’article précité traite également de l’activité électromyographique des muscles rhomboïdes pendant les mouvements des membres supérieurs. On y précise que l’activité électrique augmente de manière significative lors des mouvements d’abduction et de flexion des membres supérieurs entre 160° et 180°. Or, aucun mouvement avec de tels degrés d’amplitude ne se retrouve dans les gestes exécutés par la travailleuse qui, rappelons-le, n’implique aucun élément de force.
[152] Dans son analyse, madame Lacroix, ergothérapeute, avance que le rhomboïde gauche est sollicité lors des mouvements d’abduction de 20° à 30° de l’articulation gléno-humérale. Celle-ci ne réfère toutefois à aucune littérature médicale à l’appui de cette affirmation qui n’est pas soutenue par la littérature déposée en preuve.
[153] Enfin, si les mouvements hautement répétitifs du membre supérieur gauche exercés par la travailleuse étaient de nature à léser le grand rhomboïde à titre de muscle stabilisateur de l’omoplate, on pourrait s’attendre à retrouver une symptomatologie aux autres muscles stabilisateurs de l’omoplate, ce qui n’est pas le cas.
[154] Ceci étant dit, le tribunal doit maintenant déterminer si la myosite dorsale, l’entorse dorsale et l’entorse lombaire peuvent être reconnues à titre de maladie professionnelle.
[155] Ces diagnostics n’étant pas prévus à l’annexe 1 de la loi, la travailleuse doit démontrer qu'ils sont caractéristiques du travail de préposée à l’égraineuse ou reliés directement aux risques particuliers de celui-ci.
[156] La travailleuse n’a soumis aucune preuve, de nature épidémiologique ou autre, établissant l’existence d’une relation probante entre le travail de préposée à l’égraineuse et les lésions diagnostiquées. Dès lors, il n’y a aucune preuve soutenant que celles-ci soient caractéristiques du travail exercé par la travailleuse.
[157] Par ailleurs, la preuve médicale prépondérante démontre que les gestes effectués par la travailleuse ne sont pas de nature à causer une lésion de type « entorse » aux niveaux dorsal et lombaire, puisqu’il n’y a pas eu atteinte par étirement capsulo-ligamentaire à ces niveaux). Sur ce, le tribunal retient les opinions des docteurs Des Marchais, Besner et Taillefer. D’ailleurs, devant la présente instance, la travailleuse ne demande pas de reconnaître ces diagnostics à titre de maladie professionnelle. De plus, il n’y a aucune preuve médicale expliquant comment les mouvements exécutés par la travailleuse sont à risque de causer une myosite dorsale en fonction du site lésé, c’est-à-dire sous l’omoplate gauche.
[158] Le tribunal estime que la persistance de douleurs intenses, alors que la travailleuse n’est plus exposée depuis quatre ans aux gestes qu’elle juge délétères, gestes qu’elle a effectués en tout pendant 42 jours, est pour le moins inhabituelle dans le cadre d’une maladie professionnelle et ne milite pas en faveur d’une relation entre le travail et les lésions diagnostiquées.
[159] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Nathalie Frigault, la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue le 8 février 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Nathalie Frigault, la travailleuse, n’a pas subi de lésion professionnelle.
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Sonia Sylvestre |
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Me Claude Bovet |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Jean-Pierre Labelle |
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Vézina Labelle & associés |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] Frigault et Bonduelle Canada inc., C.L.P. 340168-62C-0802, 15 mai 2009, I. Therrien.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] C.L.P. 340168-62C-0802-R, 17 novembre 2010, C.-A. Ducharme.
[4] Michael SCHÜNKE, Erik SCHULTE, Udo SCHUMACHER, Atlas d’anatomie Prométhée : Tome 1 Anatomie générale et appareil locomoteur, Paris, Maloine, pp. 237, 260, 261; S. L. GORDON, S. J. BLAIR et L. J. FINE, Repetitive Motion Disorders of the Upper Extremity, Rosemont (Illinois), American Academy of the Orthopaedic Surgeons, 1995, p. 510; Janet G. TRAVELL et David G. SIMONS, Myofascial Pain and Dysfunction : The Trigger Point Manual, Baltimore, Williams & Wilkins, 1983, 2 vol. pp. 425-430; Roger VADBONCOEUR, Les syndromes myofasciaux, Première partie, Le clinicien, avril 1993; Michel DUPUIS, Les douleurs oubliées, Le clinicien, avril 1993, p. 3.
[5] I. A. KAPANDJI, Physiologie articulaire: schémas commentés de mécanique humaine, vol. 3, «Tronc et rachis », 5e éd., Paris, Maloine, 1982; Denyse CAMIRAND, Lyne HÉBERT, Le corps et ses mouvements, Physiologie articulaire et repérage des structures anatomiques, Chapitre 2 : anatomie appliquée du complexe articulaire de l’épaule, 1996, Éditions St-Martin, pp. 13 à 49.
[6] Citée par le procureur de la travailleuse : Ballin inc. et Ballard, C.L.P. 133485-62A-0003, 17 novembre 2000, J. Landry; Boucher et Aliments Carrière inc. (Les), C.L.P. 137803-62A-0005, 30 avril 2001, S. Lemire; Cloutier et Câble Alcan [2005] CSST 193; J…T… et Commission scolaire A, C.L.P. 411378-71-1005, 28 décembre 2011; Citée par le représentant de l’employeur : Robitaille et Dutaillier inc., C.L.P. 146496-62B-0009, 21 novembre 2001, D. Lampron; Lacroix et Les jeans 767 plus inc., C.L.P. 180876-03B-0203, 6 mai 2003, P. Brazeau; Exceldor et Coopérative avicole groupe Dorecherster et Larocque, C.L.P. 183658-62B-0205, 26 août 2003, M.-D. Lampron; Veilleux et Boa-Franc inc., C.L.P. 237882-03B-0406, 30 juin 2005, C. Lavigne.
[7] Requête accueillie dans Frigault et Bonduelle, 2011 QCCLP 6088 .
[8] Charte des droits et libertés de la personne L.R.Q., c. C-12, articles 5 et 9.1 ; Code civil du Québec L.R.Q., 1991, c. 64 articles 3 , 35 , 36 et 2858 ; Loi sur la justice administrative L.R.Q., c. J-3, article 11.
[9] Perreault et Camoplast inc., C.L.P. 278289-63-0512, 23 janvier 2008, A. Vaillancourt; Fournitures de Bureau Denis inc. et Gagnon, C.L.P. 368905-61-0902, 4 février 2010, G. Morin; Coffrages C.C.C. ltée (Les) et Altomare, C.L.P. 374506-71-0904, 7 décembre 2010, M. Gagnon Gréroire; CHSLD Champlain Gatineau et Huot, 2012 QCCLP 628 .
[10] Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c.; Trudeau et Bridgestone/Firestone Canada inc., C.A. 500-09-001456-953, 30 août 1999, j. LeBel, Beaudoin et Thibault.
[11] Précitée, note 9.
[12] Les deux premières journées de travail du 16 et 17 août 2007 étant dédiées à la formation, les données de production n’ont pas été comptabilisées.
[13] Dans une décision rendue le 17 novembre 2010, la Commission des lésions professionnelles conclut que cette mise à pied ne constitue pas une sanction ou mesure prohibée par l’article 32 de la loi, mais s’inscrit plutôt dans le cadre de la réduction des activités saisonnières chez l’employeur. C.L.P. 395385-62C-0911, P. Gauthier.
[14] Le tribunal suppose qu’il s’agit d’une erreur, car tout au long du suivi médical, le docteur Blonde rapporte le côté gauche du dos.
[15] Elle précise que celles-ci sont plus petites que la travailleuse.
[16] Elle ne réfère à aucune littérature médicale à l’appui de cette affirmation.
[17] M. Montpetit réfère à l’ouvrage Le corps et ses mouvements, précitée, note 5.
[18] Précitée, note 4.
[19] The Trigger Points Manual, précitée note 4, p. 425.
[20] À noter que dans l’ Atlas d’anatomie Prométhée, précitée, note 4, les auteurs situent l’origine du grand rhomboïde du processus épineux des vertèbres thoraciques T1 à T4 et son insertion au bord médial de la scapula, en dessous de l’épine.
[21] Selon le témoignage de la travailleuse et la preuve médicale contemporaine.
[22] Rapport médical du dr. Blonde du 14 janvier 2008.
[23] Rapport de consultation du dr. Dvorkin du 25 novembre 2008.
[24] Rapport de consultation du dr. Chertkow du 2 février 2009.
[25] Rapport de consultation du dr. Bouthillier du 12 mars 2009.
[26] Rapport de consultation du dr. Veillette du 14 juin 2010.
[27] Précitée, note 4.
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