Ouellet et Techno-Forêt inc. |
2014 QCCLP 2678 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Rimouski |
30 avril 2014 |
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Région : |
Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord |
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Dossier CSST : |
134172287 |
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Commissaire : |
Louise Guay, juge administrative |
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Membres : |
Gilles Cyr, associations d’employeurs |
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Rémi Dion, associations syndicales |
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Partie requérante |
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Techno-Forêt inc. |
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Partie intéressée |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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[1] Le 26 août 2013, monsieur Jean-Claude Ouellet (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 19 août 2013 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 12 juillet 2013 et déclare qu’elle était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur.
[3] L’audience est tenue à Rivière-du-Loup le 24 février 2014 à laquelle assistent le représentant du travailleur et celui de la CSST. Les absences du travailleur et de Techno-forêt inc. (l’employeur) sont consignées au procès-verbal de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal d’infirmer la décision en litige et de déclarer que la CSST ne pouvait suspendre le versement de son indemnité de remplacement du revenu le 12 juillet 2013.
[5] Le tribunal précise immédiatement que le procureur de la CSST et celui du travailleur déclarent en début d’audience que le travailleur n’a pas reçu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 23 février 2013 au 11 juillet 2013. Toutefois, une admission est consignée au procès-verbal selon laquelle ils conviennent que la CSST devait la verser au travailleur pour cette période considérant l’effet de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 7 juin 2013[1]. Cela étant, le débat est donc limité à savoir si la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 juillet 2013, cette décision n’ayant pas d’effet rétroactif considérant l’admission des parties à laquelle il doit être donné suite.
LES FAITS
[6] Le travailleur occupe un emploi de travailleur forestier chez l’employeur lorsque le 1er septembre 2009, il subit un accident du travail en abattant un arbre.
[7] Sa réclamation est d’abord acceptée pour un diagnostic de fracture de la 11e et 12e côte droite. À la suite d’un avis du membre du Bureau d'évaluation médicale, le diagnostic de hernie discale L4-L5 droite est aussi reconnu à titre de lésion professionnelle découlant de l’événement survenu le 1er septembre 2009.
[8] À l’automne 2010, le travailleur est incarcéré étant reconnu coupable d’infractions criminelles.
[9] La lésion professionnelle est consolidée le 23 août 2011. Au rapport médical final, il est indiqué que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 30 septembre 2011, la CSST rend une décision statuant sur le droit du travailleur à la réadaptation, puisqu’il conserve une atteinte permanente découlant de sa lésion professionnelle.
[10] Le rapport d'évaluation médicale est produit le 19 octobre 2011 par le docteur Claude Hudon, chirurgien orthopédiste. Il mentionne que le travailleur se présente à son bureau menotté et accompagné de deux agents des services correctionnels. Le docteur Hudon dresse le bilan des séquelles octroyant un déficit anatomophysiologique de 6 % déclouant essentiellement de la hernie discale. Les limitations fonctionnelles retenues sont les suivantes :
Le travailleur présente des restrictions classe III de l’I.R.S.S.T. pour la colonne lombosacrée à l’effet que :
Il doit éviter les activités qui impliquent de :
Ø Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 5 kilos
Ø Effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude
Ø Garder la même posture (debout/assis) plus de 30 à 60 minutes
Ø Monter fréquemment plusieurs escaliers
Ø Marcher en terrain accidenté ou glissant
Ø Travailler en position instable (ex : échafaudages, échelles, escaliers)
Ø Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale
[11] Le dossier du travailleur est alors assigné à une conseillère en réadaptation. Vu les limitations fonctionnelles, l’employeur lui confirme n’avoir aucun emploi disponible pour le travailleur. Tel qu’il appert des notes évolutives du dossier, la conseillère en réadaptation dresse une synthèse du dossier en notant que le travailleur est porteur d’une condition personnelle cardiaque et qu’il est incarcéré. À la suite d’une conversation téléphonique avec le travailleur le 25 novembre 2011, il confirme qu’une procédure en matière criminelle n’a pas eu lieu. La conseillère en réadaptation l’informe qu’il n’y a pas lieu d’attendre quoi que ce soit et qu’elle doit avancer dans l’exploration professionnelle. Elle lui transmet un formulaire de profil personnel afin d’évaluer le genre d’emploi qui pourrait intéresser le travailleur.
[12] Par le biais du formulaire intitulé « INFORMATION MÉDICALE COMPLÉMENTAIRE ÉCRITE », la CSST obtient des renseignements auprès du médecin du travailleur au sujet de sa condition cardiaque. De l’information reçue, le médecin-conseil de la CSST indique à la note évolutive du 1er février 2012 que le travailleur pourra difficilement tolérer un entraînement physique et qu’il peut faire un travail sans stress avec des pauses régulières.
[13] La conseillère en réadaptation consigne à sa note évolutive du 6 février 2012, qu’il est difficile pour le travailleur d’entrer en communication avec elle vu son incarcération et qu’il préfère qu’elle communique avec son avocat, lequel est son représentant en l’instance.
[14] Avec un accord préalablement obtenu, la conseillère en réadaptation de la CSST rencontre le travailleur au centre de détention. Selon la note évolutive consignée au dossier le 21 février 2012, elle rapporte des discussions avec la collaboration du travailleur et ils considèrent que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières pourrait être retenu à titre d’emploi convenable. Le travailleur est d’accord avec cette éventualité. Quant à son dossier criminel, elle indique que l’enquête préliminaire n’a pas encore eu lieu.
[15] Le 27 février 2012, la CSST rend une décision statuant, entre autres, que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières constitue un emploi convenable dont le revenu annuel est estimé à 26 952,50 $. Le travailleur déclaré capable de l’exercer à compter du 23 février 2012 et il est informé que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu prendra fin au plus tard le 22 février 2013. Cette décision est confirmée le 21 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[16] Le travailleur ayant contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles, celle-ci rend sa décision le 7 juin 2013[2]. Par cette décision, il est déclaré que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur. Il est opportun de reproduire partiellement les motifs de la décision et son dispositif :
[22] Cela étant dit, en fonction de l’ensemble de la preuve, incluant la preuve testimoniale présentée à l’audience, le tribunal constate que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières ne permet pas l’utilisation de la capacité résiduelle du travailleur.
[23] Sur ce, rappelons que la notion de capacité résiduelle peut être définie comme l’ensemble des activités qu’un travailleur demeure capable d’exercer. Pour déterminer ces activités, il faut tenir compte des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle et de toute autre condition incapacitante présente au moment de la détermination de l’emploi convenable.
[24] Pour les motifs ci-après exposés, le tribunal estime que la condition de santé du travailleur est incompatible avec l’exercice de l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières.
[25] D’une part, et il s’agit ici d’un élément déterminant, le travailleur doit éviter la marche en terrain accidenté ou glissant. Or, a priori, le travail dans les mines et carrières est inconciliable avec une telle exigence.
[26] D’autre part, le travailleur est également aux prises avec plusieurs autres conditions qui restreignent énormément sa capacité de travailler dans des mines et carrières. À ce sujet, rappelons qu’il peut difficilement tolérer l’entraînement physique en raison de ses problèmes cardiaques et qu’en raison des séquelles de sa lésion professionnelle, il doit éviter les activités qui impliquent de garder la même posture plus de 30 à 60 minutes, de monter fréquemment plusieurs escaliers, de travailler en position instable et de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[27] À ce stade-ci, il y a lieu de préciser que sur un terrain accidenté du type de celui où est la carrière du travailleur, les déplacements en véhicule tout terrain seraient fort probablement de nature à occasionner des contrecoups à la colonne vertébrale.
[28] Dans les circonstances, il est inutile de s’attarder aux autres critères de la notion d’emploi convenable.
[29] Bref, le tribunal conclut que l’emploi retenu par la CSST n’est pas un emploi convenable pour le travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Claude Ouellet, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 21 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité au travail afin qu’elle détermine un emploi convenable pour le travailleur.
[17] À la suite de la réception de la décision rendue le 7 juin 2013 par la Commission des lésions professionnelles, selon la note évolutive consignée au dossier le 27 juin 2013, un agent d’indemnisation de la CSST tente de communiquer avec le travailleur. Cette note évolutive est rédigée ainsi :
Titre : Décision CLP du 7/06/2013
- ASPECT LÉGAL :
Infirme la décision de la CSST rendue le 21/03/2012, à la suite d’une révision administrative ;
Déclare que l’emploi de surveillant de l’exploitation des mines et carrières ne constitue pas un emploi convenable pour le T;
Retourne le dossier à la CSST afin qu’elle détermine un emploi convenable pour le T.
- ANALYSE ET RÉSULTATS :
Message laissé dans la boîte vocale du T pour qu’il me rappelle.
[18] La note évolutive suivante est celle du 12 juillet 2013, rédigée par une autre conseillère en réadaptation que celle déjà impliquée au dossier. Elle écrit ce qui suit :
Titre : DÉCISION / Suspension du processus de réadaptation
- ASPECT LÉGAL :
CONSIDÉRANT une décision de la Commission des lésions professionnelles datée du 7 juin 2013 qui retourne le dossier du travailleur à la CSST afin de reprendre le processus de réadaptation visant à déterminer un emploi convenable.
CONSIDÉRANT l’incarcération actuelle du travailleur.
CONSIDÉRANT que le travailleur est en attente d’une peine à lui être imposée par la Cour du Québec.
CONSIDÉRANT que le travailleur ne peut donc valablement participer aux mesures de réadaptation professionnelle qui doivent être effectuées avec sa collaboration dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
PAR CONSÉQUENT, la CSST se voit donc dans l’obligation de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu du travailleur et ce, jusqu’à la fin de son incarcération ou à l’expiration de toute condition imposée par la Cour qui empêche le travailleur de participer positivement et activement à sa réadaptation professionnelle.
DE PLUS, dès que le travailleur deviendra disponible pour la réalisation de sa réadaptation professionnelle, sans aucune contrainte légale de quelque nature que ce soit, il devra contacter sans délai la CSST afin que débute dans les meilleurs délais les démarches visant sa réadaptation professionnelle.
Lettre émise au travailleur et en copie conforme à l’employeur.
[19] La lettre de décision rendue le 12 juillet 2013 est intitulée « Suspension du processus de réadaptation professionnelle » dont l’essentiel se lit ainsi :
Suite à une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 7 juin 2013, votre dossier a été retourné à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour reprendre le processus de réadaptation visant à déterminer un emploi convenable.
Toutefois, considérant votre incarcération actuelle et considérant que vous êtes dans l’attente d’une décision de la Cour du Québec quant à une peine vous être imposée, il appert que vous ne pouvez valablement participer aux mesures de réadaptation professionnelle qui doivent être effectuées avec votre collaboration dans le cadre de votre plan individualisé de réadaptation.
Par conséquent, la Commission se voit dans l’obligation de suspendre le versement de vos indemnités de remplacement du revenu et ce, jusqu’à la fin de votre incarcération ou de l’expiration de toute condition imposée par la Cour qui vous empêche de participer positivement et activement à votre réadaptation professionnelle.
[...]
[20] Cette décision est confirmée le 19 août 2013 à la suite d’une révision administrative, décision qui fait l’objet du présent litige.
[21] Le représentant de la CSST confirme en début d’audience que cette décision du 12 juillet 2013 est rendue en vertu de l’article 142 alinéa 2o d) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi). Il dépose comme pièces au dossier une ordonnance du 16 novembre 2010 d’interdiction de possession d’armes à feu et un extrait de la décision rendue le 23 août 2013 par l’honorable juge Richard Côté de la Cour du Québec portant sur la sentence imposée au travailleur dans son dossier criminel.
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d’employeurs sont unanimes et d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils considèrent que la CSST n’était pas justifiée le 12 juillet 2013 de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, puisqu’à la suite de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 7 juin 2013, le travailleur n’a pas omis ou refusé de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation.
[23] Les membres issus des associations sont d’avis que la preuve prépondérante au dossier démontre que la CSST a décidé de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en présumant que le travailleur ne pouvait valablement participer aux mesures de réadaptation professionnelle dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, et ce, sans même vérifier auprès de lui ou de son avocat. En fait, le 12 juillet 2013, la situation du travailleur est exactement la même qui prévaut depuis l’automne 2010 et lors de la première démarche pour statuer sur un emploi convenable. En outre, les membres constatent que le travailleur n’a pas pu refuser quoi que ce soit, le seul appel tenté par l’agent d’indemnisation est demeuré sans retour et il n’est aucunement mentionné où cet appel fut logé. La CSST n’était pas justifiée à cette date de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour ce motif, la décision doit être infirmée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24] Le tribunal doit décider si la CSST est justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 12 juillet 2013.
[25] L’article 142 de la loi prévoit la possibilité d’une telle suspension pour les différents motifs exposés. Cette disposition se lit ainsi :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[26] Il s’agit donc d’une exception au principe général prévu à l’article 44 de la loi qui prévoit qu’une indemnité est versée au travailleur rendu incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle. D’ailleurs, la jurisprudence[4] énonce que la disposition prévue à l’article 142 de la loi constitue une mesure de dissuasion qui doit être interprétée restrictivement étant une dérogation au principe général du versement de l’indemnité. Ce n’est pas le droit à l’indemnité qui est suspendu mais son versement et il doit être mis fin à cette suspension lorsque cesse le défaut reproché[5].
[27] Ainsi, pour justifier de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à une date donnée, les conditions apparaissant à l’alinéa en vertu duquel elle est imposée doivent être prouvées à cette date. Le tribunal considère crucial que les motifs justifiant la suspension soient consignés clairement à la décision et correspondre à l’une de situation donnant ouverture à l’application de l’article 142. En fait, c’est de cette manière que le travailleur est informé de ce qui lui est reproché, donc, de ce qu’il doit faire pour y remédier. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi dans l’affaire Alidousti[6] :
[93] En outre, les motifs invoqués au soutien de la suspension doivent correspondre aux situations décrites à l’article 142 de la loi. Ces motifs doivent être exposés dans la décision et la suspension ne peut reposer que sur ceux-ci. Ainsi, des raisons occultes, mentionnées aux notes évolutives mais non reprises dans la décision contestée, ne peuvent justifier la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[28] Le fondement de la suspension dans la présente affaire repose sur la prétention de la CSST selon laquelle le travailleur a omis ou refusé de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation, soit en vertu de l’application de l’article 142 2° d). L’article 146 de la loi décrit le plan de réadaptation en ces termes :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
__________
1985, c. 6, a. 146.
[29] Or, l’analyse des faits du présent dossier ne permet pas au tribunal de conclure que le 12 juillet 2013 le travailleur a omis ou refusé de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation. En fait, il n’a rien pu omettre ou refuser puisqu’aucune démarche réelle n’est tentée par la CSST.
[30] En remettant les faits en perspective, un premier processus en réadaptation est réalisé avec la collaboration du travailleur alors qu’il est incarcéré. Le cheminement du dossier démontre la participation du travailleur et son implication avec sa conseillère en réadaptation, laquelle l’a rencontré en milieu carcéral sans problème. La CSST détermine un emploi convenable, lequel est toutefois jugé par la Commission des lésions professionnelles incompatible avec la condition de santé du travailleur. Le dossier est donc retourné à la CSST pour qu’elle en détermine un autre.
[31] À la suite de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, un agent de la CSST indique à la note évolutive du 27 juin 2013 « Message laissé dans la boîte vocale du T pour qu’il me rappelle. ». Or, le travailleur est incarcéré. Dans quelle boîte vocale le message a-t-il été laissé? À tout événement, il est de toute évidence demeuré sans retour et il s’agit de la seule tentative faite par la CSST pour contacter le travailleur afin de donner suite à la décision infirmant la décision quant à l’emploi convenable. C’est après cette unique tentative que la CSST décide de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu sans autre démarche ni même tentative de rejoindre son avocat qui avait été désigné comme étant un moyen plus facile de le contacter.
[32] Le tribunal ne peut retenir l’argumentation soumise par la CSST en audience selon laquelle la décision sur la sentence rendue le 23 août 2013 puisse avoir un quelconque impact en l’instance. En tout respect, le tribunal rappelle que la suspension est effective le 12 juillet 2013 et que le tribunal doit décider si, à cette date, la CSST pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en démontrant la présence du motif prévu à l’article 142 en vertu duquel la suspension est appliquée.
[33] Or, la preuve prépondérante ne démontre aucune mise à jour du plan individualisé de réadaptation ni la mise en place de mesures dans ce cadre auxquelles le travailleur aurait pu omettre ou refuser de se prévaloir. La CSST a plutôt présumé que le travailleur en raison de son incarcération étant dans l’attente d’une peine qu’il ne pourrait valablement participer aux mesures de réadaptation. De la preuve au dossier, à cette date, le 12 juillet 2013, le travailleur est dans la situation tout à fait identique à celle qui prévalait lors de la première détermination d’un emploi convenable. On ne peut suspendre en vertu de cette disposition dans l’éventualité que dans le futur le travailleur puisse omettre ou refuser de se prévaloir des mesures de réadaptation.
[34] La présente situation est totalement différente de celle du cas déposé par le procureur de la CSST. Dans l’affaire Edinborough[7], la question à trancher était de déterminer si l’incarcération du travailleur constitue un motif valable au sens de l’article 142 pour omettre ou refuser de se prévaloir de mesures de réadaptation. Dans cette affaire, contrairement à celle en l’instance, le travailleur avait omis ou refusé de se prévaloir de mesures de réadaptation.
[35] Le tribunal est donc d’avis que la CSST n’est pas justifiée, le 12 juillet 2013, de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Jean-Claude Ouellet, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 août 2013 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’est pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 12 juillet 2013 et qu’elle doit reprendre le versement depuis cette date.
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Louise Guay |
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Me Édouard Côté |
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GUAY, CÔTÉ, AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Gaétan Gauthier |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] 2013 QCCLP 3396.
[2] Précitée, note 1.
[3] RLRQ, c. A-3.001.
[4] Salvaggio et Asphalte & Pavage Tony inc., C.A.L.P.
12821-61-8904, 10 janvier 1994, A. Leydet; Soares et Sefina
Industries ltée, C.A.L.P.
[5] Fortin et Donohue Normick inc.
[6] Précitée, note 4.
[7] Edinborough et Camion & remorque H.K. Inc. et CSST, C.L.P. 201834-72-0303, 6 août 2003, Y. Lemire.
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