Hardy Ringuette Automobiles inc. c. Freightliner Ltd. (Sterling Trucks Division) |
2006 QCCS 2113 |
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JB3398 |
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C A N A D A |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D'ABITIBI |
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No: |
615-17-000240-043 |
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DATE : |
VAL D'OR, le 13 avril 2006 |
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LE JUGE JEAN BOUCHARD |
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HARDY RINGUETTE AUTOMOBILES INC., personne morale de droit privé, ayant sa principale place d'affaires au 1842, 3e Avenue, à Val-d'Or, province de Québec, district d'Abitibi, J9P 4P6
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Demanderesse |
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c.
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FREIGHTLINER LTD (STERLING TRUCKS DIVISION), personne morale de droit privé ayant sa principale place d'affaires au 6701 Financial Drive, suite 100, Mississauga, province d'Ontario, L5N 7J7
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Défenderesse |
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J U G E M E N T |
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[1] En l'an 2000, la demanderesse, Hardy Ringuette Automobiles inc., conclut un contrat de franchise avec la défenderesse, Freightliner Ltd, qui l'autorise à vendre des camions lourds de marque Sterling.
[2] Au cours de l'été 2004, Freightliner transmet à Hardy Ringuette un avis identifiant plusieurs défauts et mesures à prendre pour corriger ceux-ci à l'intérieur d'un certain délai. Une fois ce délai expiré et aucun des défauts allégués n'ayant été corrigés, Freightliner transmet ensuite à Hardy Ringuette un avis de résiliation du contrat de franchise.
[3] Hardy Ringuette soutient que cette résiliation a été faite sans droit. Elle demande au Tribunal que, par injonction, il maintienne en vigueur le contrat de franchise.
LES FAITS
[4] En 1999, Hardy Ringuette achète les actifs d'un concessionnaire automobile situé à Val d'Or en Abitibi, lequel est autorisé à vendre et à réparer des automobiles de marque Ford ainsi que des camions de marque Sterling. Le prix payé se situe entre six (6) et sept (7) millions de dollars.
[5] Le 31 janvier 2000, Monsieur Donald Hardy, président et actionnaire à 75% de Hardy Ringuette, fait une demande à Freightliner pour obtenir et continuer la franchise des camions Sterling (P-1).
[6] Deux semaines plus tard, soit le 15 février 2000, Freightliner accepte et transmet à Donald Hardy la documentation pertinente, dont un contrat de franchise et ses annexes que ce dernier signe, complète et renvoie par retour du courrier à Freightliner (P-2, P-3).
[7] Le contrat, effectif à compter du 24 février 2000, est d'une durée de près de trois ans et se termine le 31 décembre 2002 (P-4).
[8] Le 21 décembre 2000, Freightliner transmet à Hardy Ringuette un avis de défaut (Cure Notice) concernant les heures d'ouverture du service à la clientèle qui ne seraient pas conformes à ce qui est prévu au contrat de franchise (P-8). Hardy Ringuette remédie rapidement à la situation de sorte qu'aucune autre suite ne sera donnée à cet avis par Freightliner.
[9] Il faut se reporter ensuite au mois de mai 2002, époque à laquelle une réunion se tient à Pointe-Claire avec les représentants des deux parties. Sont présents, pour Freightliner, Monsieur André Boucher (le service), Monsieur Doug Labelle (les pièces) et Monsieur Paul Guay (les ventes). Du côté de Hardy Ringuette, cette dernière a dépêché sur les lieux Monsieur Donald Hardy et son cousin, Monsieur Dominic Hardy. Ce dernier vient de terminer ses études et travaille pour Hardy Ringuette depuis environ un an.
[10] Cette réunion, convoquée par Freightliner, a pour but de faire le point et de corriger certaines choses qui ne sont pas au goût de cette dernière. Même si le ton est cordial, Freightliner est préoccupée par le fait que les ventes de ses camions Sterling sont inférieures à celles du précédent concessionnaire (D-1). Aussi, insiste-t-elle auprès des représentants de Hardy Ringuette pour qu'un vendeur soit exclusivement attitré à la vente de ses camions. Freightliner demande également que Hardy Ringuette lui fournisse un plan de mise en marché (business plan) afin de voir comment cette dernière entend rencontrer ses objectifs de ventes.
[11] Le Tribunal retient également de la preuve, en particulier du témoignage de Doug Labelle, que le nombre de pièces (parts) achetées par Hardy Ringuette à Freightliner a également été discuté lors de cette réunion car celui-ci était inférieur aux attentes de cette dernière.
[12] Puis, le 31 décembre 2002 arrive, date d'expiration du contrat de franchise P-4, sans que rien de particulier ne se produise, avec pour résultat que la relation d'affaires entre les parties continue sans interruption d'aucune sorte.
[13] C'est uniquement le 19 mars 2004 que Freightliner réalise que le contrat de Hardy Ringuette est expiré depuis plus d'un an ou du moins, qu'elle décide de régulariser la situation. On procède alors comme lors de la conclusion du premier contrat en s'échangeant par la poste la documentation pertinente (P-5). Un contrat expirant neuf mois plus tard, soit le 31 décembre 2004, est alors signé (P-6):
"VIII. TERM
This Agreement shall commence as of its effective date and it shall continue in force and effect until December 31, 2004. This Agreement shall automatically terminate on that date without notice from COMPANY or dealer unless terminated prior to that date consistent with the Standard Provisions.
(…)"
[14] Au nombre des choses importantes à retenir à ce stade-ci, il y a lieu de mentionner que les exigences de Freightliner au chapitre des ventes, de l'inventaire minimum requis, de la certification des mécaniciens, etc. sont consignées dans un document intitulé Annual Operating Requirements Addendum (ci-après AORA) (P-7), que celui-ci fait partie intégrante du contrat de franchise et que Hardy Ringuette doit respecter, comme les autres clauses du contrat, ces exigences (P-6) :
"IV. RESPONSIBILITIES OF DEALER
(…)
C. DEALER ANNUAL OPERATING REQUIREMENTS
Without limiting COMPANY'S or DEALER'S obligations under this Agreement, DEALER, has signed the Sterling Trucks Dealer Annual Operating Requirements Addendum. DEALER shall sign a revised Sterling Trucks Dealer Annual Operating Requirements Addendum each year. DEALER agrees to operate its dealership in accordance with and in fulfillment of the requirements of the Sterling Trucks Dealer Annual Operating Requirements Addendum, which specifies certain operational requirements for DEALER'S satisfaction of its commitments made in this Agreement. Failure of DEALER to sign the revised DEALER Annual Operating Requirements Addendum shall not relieve DEALER of any of its obligations under this Agreement.
VII. ADDITIONAL PROVISIONS
The COMPANY'S Standard Provisions for this Sterling Trucks Dealer Sales and Service Agreement, the Sterling Trucks Area of Responsibility Addendum, the Terms of Sale Bulletin, the Sterling Truck Product Addendum, the Sterling Trucks Annual Operating Requirements Addendum, COMPANY'S Dealer Operations Manual, and any Special Conditions Addenda, are made a part of this Agreement as though they were fully set forth herein, and any other agreements, amendments or addenda are likewise made a part of this Agreement when executed in accordance with the provisions of Paragrah XVIII (C). Standard Provisions include definitions which are applicable to the entire Agreement. DEALER hereby acknowledge receipt of the Standard Provisions and Terms of Sale Bulletin. "
[15] Le contrat de franchise prévoit également que Freightliner peut y mettre fin pour cause moyennant un préavis de 120 jours à Hardy Ringuette. À l'expiration de ce délai, si cette dernière n'a pas remédié au défaut reproché, Freightliner peut alors mettre fin au contrat à l'expiration d'un second avis, celui-là d'une durée de 60 jours :
" XV. TERMINATION
(…)
C. TERMINATION BY COMPANY FOR CAUSE
(…)
3. Termination for Failure of Performance by Dealer
If COMPANY determines, after evaluation of DEALER'S performance pursuant to the provisions of this Agreement, that DEALER has failed to satisfactorily perform its sales and promotion responsibilities, under the provisions of Paragraph X, COMPANY will notify DEALER in writing of such failure(s), and will grant DEALER one hundred twenty (120) days, or such other period as may be required by law, to correct such failure(s). If DEALER is in breach of any other provision of this Agreement, or if this Agreement is subject to termination for cause pursuant to Paragraph XV (C)(1) or (2), COMPANY is not required to provide the 120-day notice to correct prior to instituting a termination pursuant to this Paragraph XV (C)(3).
If DEALER fails or refuses to correct such failure(s) by the expiration of such period, COMPANY may terminate this Agreement upon sixty (60) days written notice, or such other notice as may be required by law."
[16] La preuve révèle par ailleurs que Dominic Hardy, lors du renouvellement du contrat de franchise, détient 25% des actions de Hardy Ringuette et qu'il est le directeur général de cette entreprise.
[17] Quelques mois plus tard, soit le 19 juillet 2004, les relations d'affaires entre les parties prennent une tournure différente. Freightliner transmet à Hardy Ringuette un avis de défaut (Cure Notice) à l'effet que cette dernière ne respecte pas ses obligations contractuelles découlant du AORA et qui concernent ses ventes, l'inventaire minimum requis et la certification requise pour certains types de moteurs. Freightliner donne donc 120 jours à Hardy Ringuette pour remédier à la situation à défaut de quoi, elle prendra les mesures qui s'imposent, dont la terminaison possible du contrat de franchise. De manière concrète, Freightliner exige de Hardy Ringuette (P-9) :
" 1. Place customer orders for at least 20 Sterling vehicles so as to satisfy your dealership's 2004 vehicle sales objectives (the minimum objective for Sterling dealers in Canada in 2003 was 12 units (and your dealership sold only 5) and the minimum Sterling objective in 2004 is 18 ) :
2. Purchase at least 2 Class 8 and 2 Class 6, 7 Sterling vehicles for your dealership's inventory :
3. Provide a dedicated exclusive Sterling salesman and a business plan as to how you are going to achieve the 2004 sales objectives.
4. Become overhaul certified in MBE and DDC engines."
[18] Deux mois plus tard, soit la dernière semaine du mois de septembre, une réunion au sommet se tient entre les parties dans les locaux de Hardy Ringuette à Val d'Or. Pour les circonstances, Freightliner a dépêché sur les lieux non seulement ses trois représentants faisant habituellement affaires avec le concessionnaire, soit André Boucher, Paul Guay et Doug Labelle, mais également deux membres de sa haute direction, soit M. John Nelligan et Mme Vanessa Parker. Hardy Ringuette est, pour sa part, représentée lors de cette rencontre par Donald et Dominic Hardy et Daniel Ringuette, détenteur lui aussi de 25% des actions de l'entreprise (P-6, clause VI).
[19] Le ton de cette rencontre est beaucoup moins cordial que lors de celle qui s'est tenue deux ans auparavant à Pointe-Claire. Même si les données que Freightliner a entre les mains ne sont pas à jour et que Hardy Ringuette rectifie celles-ci[1], le Tribunal retient qu'il persiste deux différends majeurs. Tout d'abord, Hardy Ringuette n'a toujours pas engagé un vendeur exclusivement attitré à la vente des camions Sterling. Ensuite, elle n'a pas non plus procédé à l'achat des outils requis, étape ultime devant mener à sa certification, pour pouvoir réparer certains types de moteurs et ce, alors qu'elle aurait pu le faire il y a un an lorsque ses mécaniciens ont complété leur formation.
[20] Le Tribunal comprend également que cette rencontre ne donne pas de résultats tangibles. Comme l'achat des outils requis par Freightliner implique une dépense d'environ 100 000 $, Dominic Hardy exige, avant de procéder à l'achat de ceux-ci, d'avoir l'assurance que sa franchise ne lui sera pas retirée. Freightliner ne voulant pas céder sur ce point, les parties se laissent donc dans un climat de suspicion.
[21] À cet égard, la lettre du 30 septembre 2004 qu'adresse Donald Hardy à Vanessa Parker comme faisant suite à cette rencontre, tranche avec les différents témoignages entendus au procès (P-10). À lire ce dernier, tout a été mis en place pour satisfaire aux exigences de Freightliner. Or, relativement aux deux principaux sujets de discussion mentionnés précédemment, rien ne sera fait. Certes, les représentants des parties continuent à se parler, mais le temps s'écoulant, le Tribunal retient que les mots ne suffisent plus et que Freightliner attend de Hardy Ringuette des actions concrètes qui tardent à venir.
[22] C'est donc le 30 novembre 2004, soit 120 jours après l'envoi du Cure Notice (P-19) que le couperet tombe. Freightliner avise Hardy Ringuette que cette dernière est toujours en contravention de son contrat de franchise, qu'aucun des défauts signalés n'a été corrigés et qu'elle n'a pas d'autre choix que de mettre fin au contrat, le 31 décembre 2004 (P-13).
[23] Quoique Hardy Ringuette conteste le droit de Freightliner de mettre un terme audit contrat, elle avise cette dernière que la terminaison ne saurait opérer avant l'expiration d'un délai de 60 jours, ce que Freightliner accepte sans admission de sa part quant au bien-fondé de cette prétention. Il s'ensuit que Freightliner repousse son échéance au 30 janvier 2005 (P-14, P-15).
[24] Hardy Ringuette ayant intenté par la suite des procédures en injonction interlocutoire et permanente, les parties conviennent de poursuivre leur relation d'affaires pendant l'instance et d'être gouvernées par le contrat de franchise P-6 jusqu'à ce que le Tribunal rende jugement. Bref, la franchise Sterling de Hardy Ringuette est, en date du présent jugement, toujours en opération.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[25] Hardy Ringuette insiste sur le fait que le contrat de franchise est un contrat d'adhésion qui doit s'interpréter contre le franchiseur. Ceci signifie selon elle que le droit à la résiliation prévue au contrat doit s'exercer de manière raisonnable par ce dernier. De l'avis de Hardy Ringuette, ce n'est pas le cas en l'espèce.
[26] Elle soutient en effet que les motifs invoqués par Freightliner à l'appui de son Cure Notice (P-9) sont abusifs et non fondés. Ainsi, l'objectif de vendre 21 camions qui est mentionné à l'AORA (P-7) serait irréaliste. Comparée à d'autres concessionnaires, sa performance se défendrait par ailleurs très bien. Hardy Ringuette considère donc que Freightliner a eu un comportement discriminatoire à son endroit et qu'elle est de mauvaise foi.
[27] En réponse à l'argument de Freightliner qui conteste son droit à l'injonction en raison de l'arrivée du terme du contrat de franchise, le 31 décembre 2004, Hardy Ringuette soulève la nullité de ce terme en raison de son caractère abusif et demande au Tribunal, après amendement au début de l'audience, de déclarer que le contrat est pour une durée indéterminée ou à défaut, valide jusqu'au 31 décembre 2014.
[28] Effectivement, Freightliner fait grand cas de l'arrivée du terme prévu au contrat de franchise pour contester le droit de Hardy Ringuette de demander par injonction le maintien de ce contrat. Freightliner a plaidé ce moyen une première fois, au début de l'audience, dans le cadre d'une requête en irrecevabilité. Le Tribunal a pris cette requête en délibéré compte tenu que les parties étaient présentes et prêtes à procéder sur le fond. Freightliner est revenue ensuite avec cet argument dans ses plaidoiries écrites compte tenu de la position prise par Hardy Ringuette qui demande au Tribunal d'annuler le terme prévu au contrat de franchise parce qu'abusif.
[29] Sur le fond, Freigntliner plaide que les manquements dénoncés au Cure Notice (P-9) sont réels, graves et récurrents. Se prévalant des dispositions contractuelles applicables, elle a transmis un avis identifiant ces défauts et les mesures à prendre à l'intérieur d'un délai de 120 jours. Devant le refus de Hardy Ringuette d'obtempérer, Freightliner soutient qu'elle a un droit clair à la résiliation du contrat de franchise.
LE DROIT
[30] En raison de la position de force qu'occupe le plus souvent le franchiseur par rapport au franchisé, les tribunaux ont déjà qualifié le contrat de franchise de contrat d'adhésion (Simard c. Provi-Soir inc. EYB 1993-64181 , par. 4 (C.A.)). Ceci a pour résultat que ce contrat doit s'interpréter en faveur de l'adhérent, ici le franchisé ( art. 1432 C.c.Q.).
[31] De même, il pourra arriver suivant certaines circonstances que le Tribunal juge abusive, au sens de l'article 1437 C.c.Q., une clause d'un contrat de franchise stipulant le droit pour un franchiseur d'y mettre fin après un très court préavis ou encore qu'il déclare que le franchiseur a manqué à son devoir de bonne foi en exerçant son droit à la résiliation sans motif sérieux ou pour des défauts de peu d'importance (Jean H. Gagnon, La Franchise au Québec, Wilson Lafleur Martel Ltée, Éditions à feuilles mobiles, p. 228.23 à 228.28).
[32] Voyons donc si, appliqués au présent cas, ces principes nous amènent à conclure que Freightliner a résilié illégalement le contrat de franchise le liant à Hardy Ringuette.
ANALYSE
[33] Il ne fait pas de doute que le contrat P-6, signé par les parties le 18 mars 2004, est un contrat d'adhésion. Rédigé sur un formulaire stantard, Freightliner fait signer le même contrat à tous ses franchisés. Seul le terme varie. Ses meilleurs franchisés obtiennent un contrat de trois ans et ses moins performants, un contrat d'une durée d'un an.
[34] Sauf pour le volet qui concerne le service après vente, les exigences stipulées au document intitulé AORA (P-7) ne sont pas négociées, mais imposées au franchisé. Il en va ainsi par exemple du nombre de 21 camions qu'Hardy Ringuette devaient vendre en 2004. Ce nombre est fixé à partir d'une formule mathématique qui tient compte de la part du marché que les camions de marque Sterling occupent dans une région donnée. C'est toutefois davantage un objectif à atteindre qu'une obligation de résultat. La preuve en est que le document AORA qui contient ces exigences est habituellement transmis au franchisé environ trois mois après le début de l'année visée.
[35] À l'inverse, les exigences de Freightliner concernant le service après vente, ce qui inclut la formation requise des mécaniciens, leur certification, l'achat des outils nécessaires pour réparer certains types de moteurs, font l'objet d'un suivi beaucoup plus serré qu'assure André Boucher, un des trois représentants attitrés de Freightliner auprès de Hardy Ringuette.
[36] André Boucher explique qu'il rencontre le concessionnaire dès l'automne pour lui présenter ses attentes et discuter des moyens et des délais que ce dernier entend prendre pour se conformer à celles-ci. Une fois que ceux-ci se sont mis d'accord, André Boucher consigne le tout dans le AORA de sorte qu'il n'y a aucune surprise pour le concessionnaire lorsqu'il reçoit la version finale de ce dernier document dans les mois suivant le début de la nouvelle année.
[37] Cette façon de procéder, mais surtout le moment lors duquel le Tribunal en a été informé au procès est crucial sur le plan de la crédibilité à accorder aux différents témoignages entendus en demande. Tous les représentants de Hardy Ringuette ont, en effet, systématiquement cherché à banaliser le document AORA en faisant valoir qu'il leur parvenait tard dans l'année, par courrier, sans avoir été au préalable discuté. Or, après avoir entendu en défense le témoignage non contredit de André Boucher, il appert que c'est là une demi-vérité qui concerne, de surcroît, un enjeu majeur du présent dossier.
[38] De plus, même si le contrat de franchise P-6 est rédigé en anglais et que Donald Hardy, qui a signé celui-ci, connaît peu cette langue, on ne peut dire la même chose de son cousin, Dominic Hardy, qui est bilingue et qui a été au préalable consulté. Or, il ressort très clairement de ce contrat que le document AORA en fait partie intégrante et que ses exigences doivent être rencontrées. Il n'y a aucune ambiguïté possible. Bref, le Tribunal ne croit pas que Hardy Ringuette peut feindre d'ignorer la portée réelle et l'importance de ce document contractuel.
[39] Dominic Hardy affirme qu'il a contacté d'autres concessionnaires pour savoir à quoi s'en tenir à propos de la portée du document AORA. Le Tribunal a énormément de difficulté à concevoir que suite à ses recherches et après avoir pris l'avis de gens éclairés, il ait compris que ce document n'avait pas force obligatoire et pouvait être relégué aux oubliettes. C'est pourtant là l'essence de son témoignage.
[40] Ces considérations préalables ayant été établies, il reste un point que le Tribunal veut souligner avant de s'attarder au bien-fondé ou non des reproches formulés par Freightliner à Hardy Ringuette et des correctifs requis au Cure Notice du 19 juillet 2004 (P-9). De l'avis du Tribunal, même si l'analyse de ces reproches doit se faire séparément, il faut malgré tout garder à l'esprit que c'est l'ensemble de ceux-ci qui permet de porter un jugement de valeur sur l'attitude globale de Hardy Rinhguette et sa volonté réelle de coopérer avec Freightliner.
L'objectif de vendre 21 camions
[41] Hardy Ringuette, chiffres à l'appui, soutient que l'objectif que lui a fixé Freightliner en 2004 de vendre 21 camions ne correspond pas à la part du marché occupée par les camions de marque Sterling dans la région, notamment en raison de la présence d'un autre concessionnaire à La Sarre (P-17, P-25). Cet objectif serait irréaliste et ne pourrait donc pas servir de fondement au Cure Notice.
[42] Le principal problème avec cet argument, en apparence séduisant, résulte du fait qu'il ne trouve aucun écho dans la conduite des parties. En aucun moment Hardy Ringuette a dénoncé cette exigence à Freightliner. S'il était à ce point irréaliste pour Hardy Ringuette de vendre 21 camions, comment se fait-il que cette dernière a attendu au procès pour soulever cette question et qu'elle n'a pas communiqué avec Freightliner sur réception du AORA ou du Cure Notice ou pire encore, qu'elle n'ait même pas abordé le sujet lors de la rencontre qui s'est tenue avec les représentants de Freightliner au mois de septembre 2004?
[43] De l'avis du Tribunal, c'est probablement parce que cet argument tient davantage de l'écran de fumée. D'ailleurs, il est permis de se demander comment Hardy Ringuette peut présenter un tel argument au procès alors qu'au paragraphe 26 de sa requête introductive d'instance elle allègue qu'elle «était alors en voie de respecter les objectifs fixés par la défenderesse relativement à la vente de camions».
[44] Prenant ensuite appui sur des statistiques émanant de Freightliner qui concernent d'autres concessionnaires (P-25), Hardy Ringuette soutient que sa performance se compare avantageusement à celle de ces autres concessionnaires.
[45] Là encore, le Tribunal a des réserves avec ce type d'argument. Tout d'abord, nous ne connaissons absolument rien de la situation particulière de ces concessionnaires. À titre de comparaison, il aura fallu trois journées d'audition pour exposer celle de Hardy Ringuette. Le Tribunal est donc extrêmement réticent à manipuler des statistiques alors qu'il n'a pas l'assurance de comparer des choses comparables.
[46] En second lieu, Freightliner ne peut pas, par hypothèse, fermer tous ses concessionnaires en même temps. Aussi, ce n'est pas parce qu'il choisit d'en fermer un plutôt que tel autre que le premier peut en tirer un argument.
[47] Enfin, à ce jeu là, Hardy Ringuette est perdant, le concessionnaire de qui elle a acheté les actifs en 1999 ayant vendu 29 camions cette année-là (D-1).
La présence d'un vendeur exclusif
[48] En 2002, Freightliner a décerné à Dominic Hardy un prix pour souligner sa performance de vendeur de camions de marque Sterling (P-19). À priori, il est donc permis de se questionner sur l'insistance de Freightliner pour que Hardy Ringuette ait sur le plancher un vendeur exclusivement attitré à la vente de ses produits.
[49] La réponse est simple. Dominic Hardy est, depuis, devenu directeur général de Hardy Ringuette et très clairement, ce nouveau poste l'accapare à tous les niveaux de l'entreprise. Il n'a plus les mêmes disponibilités qu'en 2002 pour agir à titre de vendeur.
[50] Le genre de camions que fabrique Freightliner, par l'entremise de sa division Sterling, répond par ailleurs à des exigences très spécifiques propres à chaque client. Le vendeur doit donc non seulement prendre le temps de bâtir sur papier le camion avec le client, mais de plus avoir des connaissances poussées qui doivent être mises à jour lors de séances de formation qui se tiennent à différentes périodes de l'année. À l'évidence, le directeur général d'une entreprise ne saurait s'astreindre à une telle tâche.
[51] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que cette exigence de Freightliner d'avoir un vendeur exclusivement attitré à ses produits est raisonnable et ce, d'autant plus que Hardy Ringuette, à l'été 2004, n'était pas en voie de réaliser ses objectifs de vente de camions Sterling, un constat également applicable pour l'année 2003. Il en résulte que Hardy Ringuette ne pouvait pas faire la sourde oreille à cette demande de Freightliner. Elle avait 120 jours pour s'exécuter ce qui était amplement suffisant. Or, mis à part les bons mots qu'adresse Donald Hardy à Vanessa Parker le 30 septembre 2004, Hardy Ringuette n'a rien fait (P-10).
[52] Cette dernière donne pour raison qu'elle ne voulait pas, humainement parlant, engager une personne sans pouvoir lui garantir un contrat d'une certaine durée, ce qu'elle ne pouvait faire en raison de la menace de Freightliner de lui retirer sa franchise. Ceci n'est pas un argument. Freightliner était pleinement dans son droit et Hardy Ringuette n'avait pas d'autre choix que de s'exécuter en vertu des dispositions contractuelles applicables.
La certification
[53] Il est admis que les techniciens de Hardy Ringuette ont suivi et terminé leur formation relativement à la réparation de certains types de moteurs. Il est également en preuve que cette formation a été complétée à l'été 2003 (D-13). Un an s'est donc écoulé entre ce moment et le Cure Notice du 19 juillet 2004.
[54] Que restait-il à faire pour que Hardy Ringuette puisse être certifiée? Procéder à la vérification des outils en sa possession ("audit tool"), chose qu'elle a faite le 30 août 2004 (P-22), puis procéder à l'achat des outils manquants.
[55] C'est cette dernière étape du processus de certification l'habilitant à réparer certains types de moteurs et ce faisant, à assurer le service après vente, que Hardy Ringuette n'a pas complétée et qu'elle aurait pu faire en commandant lesdits outils qui auraient alors été livrés en moins de deux semaines selon ce que la preuve a révélé.
[56] Là encore, Hardy Ringuette donne pour raison que l'achat de ces outils lui aurait occasionné une dépense de 100 000 $, dépense qu'elle ne voulait pas faire sous le coup de la menace. Le Tribunal comprend le dilemme dans lequel était placée Hardy Ringuette suite à l'envoi du Cure Notice. La réponse est toutefois la même que celle donnée précédemment à propos de l'engagement d'un vendeur. Cette exigence de Freightliner était fondée et, cette dernière étant pleinement dans son droit, Hardy Ringuette devait y donner suite à l'intérieur du délai de 120 jours.
[57] Mais, poursuit Hardy Ringuette, Freightliner aurait eu à son endroit une conduite discriminatoire en ne la faisant pas profiter d'un délai additionnel offert aux autres concessionnaires qui, comme elle, sont en défaut d'obtenir leur certification (P-23).
[58] Tel que mentionné précédemment, c'est l'ensemble des reproches formulés par Freightliner à l'endroit de Hardy Ringuette et la conduite générale adoptée par cette dernière suite à la réception du Cure Notice qui permettent de porter un jugement de valeur sur sa volonté réelle de coopérer avec Freightliner. Or, à y regarder de près, il semble bien que jusqu'à l'expiration du délai de 120 jours, Hardy Ringuette s'est davantage comportée comme quelqu'un qui teste le sérieux des exigences de son cocontractant, sans jamais vraiment vouloir satisfaire celles-ci. Pour cette raison, l'argument que tente de tirer Hardy Ringuette de la lettre circulaire P-23 ne permet pas de conclure qu'elle a subi un traitement discriminatoire de la part de Freightliner.
Des motifs non avoués
[59] Hardy Ringuette prétend que les motifs donnés par Freightliner dans son Cure Notice sont de faux prétextes servant à camoufler en réalité son projet de regrouper ailleurs, sous un même toit (Truck Stop), les différentes bannières lui appartenant, soit les camions de marque Sterling, Freightliner et Western Star.
[60] De l'avis du Tribunal, c'est là une insinuation nullement supportée par la preuve. Tout d'abord, ainsi que nous l'avons vu, les motifs donnés par Freightliner dans son Cure Notice sont réels et fondés. Ensuite, cette prétention est expressément niée par André Boucher. Enfin, si comme le prétend Hardy Ringuette les dés étaient jetés d'avance, le Tribunal ne croit pas que Freightliner aurait dépêché à Val d'Or, lors de la rencontre du mois de septembre 2004, des membres de sa haute directive en provenance d'Ontario et des Etats-Unis. Le Tribunal retient plutôt que Freightliner était réellement à la recherche d'une solution pour remettre Hardy Ringuette sur les rails.
L'obligation d'assistance de Freightliner
[61] La jurisprudence reconnaît que le franchiseur a une obligation d'assistance technique et commerciale envers le franchisé qui doit s'apprécier dans une perspective de partenariat et de collaboration (Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q., 47, p. 60 (C.A.). Or, Hardy Ringuette soutient que Freightliner a manqué à cette obligation à son endroit en ne lui offrant pas le support nécessaire.
[62] De l'avis du Tribunal, il n'en est rien.
[63] Tout d'abord, il faut préciser que cette obligation d'assistance du franchiseur à l'endroit de son franchisé ne doit pas s'apprécier dans l'abstrait, mais en tenant compte de l'expérience des gens sur le terrain. La preuve révèle à ce sujet que Daniel Ringuette est dans le domaine de l'automobile depuis 1972. Quant à Donald Hardy, il jouit lui aussi d'une grande expérience. Certes, Dominic Hardy ne présente pas autant d'ancienneté. En réponse toutefois à l'exigence de Freightliner qui demande un vendeur attitré, il se déclare compétent et plaide que cette exigence peut être rencontrée en lui confiant cette tâche.
[64] Tout ceci pour dire que le Tribunal ne voit pas très bien ce que Freightliner aurait pu faire de plus pour que Hardy Ringuette rencontre ses obligations de ventes de camions, engage un vendeur et achète les outils nécessaires à sa certification.
[65] Lors de l'audience, Dominic Hardy a affirmé que Doug Labelle lui avait refusé l'accès à un programme par lequel un client peut s'approvisionner en pièces en s'adressant directement à Freightliner. Cette question étant complètement étrangère au Cure Notice, le Tribunal n'est pas disposé à examiner plus longtemps cet argument qui est non pertinent.
[66] Enfin, s'agissant toujours du témoignage de Dominic Hardy, ce dernier mentionne que, à l'issue de la rencontre du mois de septembre 2004, Doug Labelle lui aurait laissé sous-entendre de ne pas procéder à l'achat des outils requis à la certification parce qu'il serait mis fin à sa franchise. Quelques temps plus tard, c'est Paul Guay qui aurait refusé d'honorer une commande de camions pour la même raison.
[67] Le Tribunal étant d'avis que la rencontre du mois de septembre 2004 n'avait rien de fictif, il a beaucoup de difficulté à concevoir que Doug Labelle aurait pu ainsi aller à l'encontre de la volonté exprimée par ses patrons en suggérant une telle chose à Dominic Hardy. Pour tout dire, le Tribunal ne croit pas que Doug Labelle ait pu agir de la sorte.
[68] Quant au soi-disant refus de Paul Guay de donner suite à une commande de camions, il faut là encore replacer les choses dans leur contexte. Devant l'inaction de Hardy Ringuette de procéder à l'achat des outils requis, d'engager un vendeur, de fournir un plan d'affaires et l'échéance du 120 jours approchant, on peut supposer que les relations entre les parties sur le terrain devenaient de plus en plus frileuses et étaient entourées d'un climat de suspicion réciproque peu propice à la poursuite des affaires.
[69] Quoiqu'il en soit, cet épisode, à lui seul, à supposer qu'il puisse constituer un manquement au devoir d'assistance de Freightliner, n'explique pas ni ne justifie pourquoi Hardy Ringuette n'a pas obtempéré au Cure Notice à l'intérieur du délai de 120 jours.
[70] Sur le tout, le Tribunal en vient donc à la conclusion que les manquements dénoncés au Cure Notice étaient réels, graves et récurrents, que Hardy Ringuette ne s'est pas exécutée à l'intérieur du délai prévu et que partant, Freightliner pouvait mettre fin au contrat de franchise le 30 janvier 2005.
[71] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, il ne sera pas nécessaire pour ce dernier de statuer sur le droit de Hardy Ringuette à l'émission d'une injonction, non plus que sur la portée de l'arrivée du terme prévu au contrat de franchise et sa nullité en raison de son caractère prétendument abusif.
[72] PAR ces motifs, le Tribunal:
[73] REJETTE la requête introductive d'instance;
[74] DÉCLARE que le contrat de franchise P-6 s'est terminé le 30 janvier 2005;
[75] AVEC DÉPENS.
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JEAN BOUCHARD, j.c.s. |
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Me Jacques Ladouceur |
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CLICHE LORTIE LADOUCEUR 1121, 6e rue Val d'Or (Québec), J9P 3W8 |
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procureur de la demanderesse |
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Me Frédéric P. Gilbert FASKEN MARTINEAU DUMOULIN |
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Tour de la Bourse Bureau 3400, C.P. 242 800, Place Victoria Montréal (Québec), H4Z 1E9 |
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procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
Les 25, 26 et 27 janvier 2006 |
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[1] Les statistiques que Freightliner a entre les mains indiquent que Hardy Ringuette a vendu à cette date un (1) camion, alors qu'elle en a vendu neuf ( 9). Compte tenu toutefois qu'un camion prend environ quatre (4) mois avant d'être construit et livré, il y a tout lieu de croire à cette date que Hardy Ringuette ne rencontrera pas ses objectifs de vente en 2004.
AVIS :
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