CONSEIL DE DISCIPLINE
CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
NO : 26-13-01239
DATE : Le 1er novembre 2013
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LE CONSEIL: Me JACQUES LAMOUREUX, avocat Président
Me NATHALIE JODOIN, notaire Membre
Me PIERRE PÉLADEAU, notaire Membre
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Me MARYSE LALIBERTÉ, notaire, en sa qualité de syndic adjoint de la Chambre des notaires du Québec, ordre professionnel régi par le Code des professions, dont le siège social est à Montréal, district de Montréal,
Plaignante
c.
Me SYLVIANE BERNIER, notaire,
Intimée
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION
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ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION, NON-DIFFUSION ET NON-DIVULGATION DES PIÈCES SP-2, SP-4 ET SP-7
(1) L’audition de la présente plainte s’est tenue à Montréal, le 25 octobre 2013, en présence des parties.
(2) Ladite plainte comporte les huit chefs d’infraction suivants :
« 1. À Granby, l’intimée a omis de garder et de conserver l’original du testament reçu le 6 novembre 2011 sous sa minute 5 407.
Ainsi,
l'intimée a contrevenu aux dispositions de l'article
2. À Granby, le ou vers le 7 novembre 2011, l’intimée n’a pas émis à Y.L. une copie conforme au testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de
l'article
3. À Granby, le ou vers le 5 janvier 2012, l’intimée n’a pas émis à N.L. une copie conforme au testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de
l'article
4. À Granby, le ou vers le 5 janvier 2012, l’intimée a créé une version du testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes dont le contenu diffère d’une autre version de ladite minute qu’elle a mise en circulation le ou vers le 7 novembre 2011.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de l'article
5. À Granby, le ou vers le 20 février 2012, l’intimée n’a pas émis à Me Maryse Laliberté, syndic adjoint, une copie conforme au testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de
l'article
6. À Granby, le ou vers le 20 février 2012, l’intimée a créé une version du testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes dont le contenu diffère des autres versions de ladite minute qu’elle a mises en circulation le ou vers le 7 novembre 2011 et le ou vers le 5 janvier 2012.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de l'article
7. À Granby, le ou vers le 27 février 2012, l’intimée n’a pas émis à Me Maryse Laliberté, syndic adjoint, une copie conforme au testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de
l'article
8. À Granby, le ou vers le 27 février 2012, l’intimée a créé une version du testament reçu sous le numéro 5 407 de ses minutes dont le contenu diffère des autres versions de ladite minute qu’elle a mises en circulation le ou vers le 7 novembre 2011, le ou vers le 5 janvier 2012 et le ou vers le 20 février 2012.
Ainsi, l'intimée a contrevenu aux dispositions de l'article
(3) Au début de l’audition, la procureure de la plaignante a demandé le retrait des chefs 4, 6 et 7. Le Conseil a autorisé le retrait des desdits chefs.
(4) L’intimée a alors reconnu sa culpabilité sur les chefs d’infraction 1, 2, 3, 5 et 8 et le Conseil l’a reconnue coupable, séance tenante.
(5) Les parties ont informé le Conseil qu’elles désiraient procéder sur sanction.
(6) La partie plaignante a présenté une preuve sur sanction.
(7) Me Maryse Laliberté, plaignante, a témoigné.
(8) Elle a déclaré que Mme N.L. avait fait une demande d’enquête (SP-2) au bureau du syndic, le 18 janvier 2012.
(9) Mme N.L. a rencontré l’intimée, le 5 janvier 2012, concernant la succession de son père qui était décédé le 20 novembre 2011.
(10) Mme N.L. a demandé à l’intimée qui avait reçu le testament de son père si la succession de sa grand-mère de laquelle son père avait hérité faisait partie du legs particulier ou du legs universel prévu dans le testament de son père.
(11) L’intimée lui aurait d’abord répondu que la succession de sa grand-mère entrait dans le legs particulier pour rapidement changer de réponse.
(12) Selon l’intimée, le père de N.L. voulait seulement lui laisser ses meubles à titre de legs particulier.
(13) De plus, l’intimée aurait alors changé une page du testament devant Mme N.L.
(14) À partir de ce moment, il existait donc deux testaments différents et N.L. avait déjà remis une copie du premier testament aux autorités gouvernementales, à l’institution financière et à d’autres organismes.
(15) À ce stade-ci, le Conseil croit utile de reproduire les clauses relatives au legs particulier et au legs universel des deux testaments :
· Testament faisant l’objet du deuxième chef d’infraction :
« ARTICLE III LEGS PARTICULIER
Je lègue à titre particulier tous mes biens meubles, bijoux et effets personnels que je posséderai au moment de mon décès à ma fille N.L.
ARTICLE IV LEGS UNIVERSEL
Je lègue tout le résidu de mes biens meubles et tous mes biens immeubles y compris le produit des polices d’assurance sur ma vie sans bénéficiaire désigné à parts égales entre ma fille N.L. et ma fille L.L. que j’institue mes légataires universelles à la condition qu’elles me survivent au moins trente (30) jours.
En cas de prédécès de l’un d’eux ou si l’un d’eux ne me survit pas au moins trente (30) jours, ou si l’un d’eux renonce à ce legs, ou pour quelque raison que ce soit ne peut recevoir ce legs, sa part appartiendra à ses enfants par représentation au premier degré; à défaut d’enfants, elle accroîtra à ses colégataires en parts égales entre eux. »
· Testament faisant l’objet du troisième chef d’infraction :
ARTICLE III LEGS PARTICULIER
« Je lègue à titre particulier tous mes meubles, bijoux et effets personnels que je posséderai au moment de mon décès à ma fille N.L.
ARTICLE IV LEGS UNIVERSEL
Je lègue tout le résidu de mes meubles et tous mes biens immeubles, y compris le produit des polices d’assurance sur ma vie sans bénéficiaire désigné, en parts égales entre ma fille N.L. et ma fille L.L., que j’institue mes légataires résiduaires universelles à la condition qu’elles me survivent au moins trente (30) jours
En cas de prédécès de l’un d’eux ou si l’un d’eux ne me survit pas au moins trente (30) jours, ou si l’un d’eux renonce à ce legs, ou pour quelque raison que ce soit ne peut recevoir ce legs, sa part appartiendra à ses enfants par représentation au premier degré; à défaut d’enfants, elle accroîtra à ses colégataires en parts égales entre eux. »
(16) L’on constate que, selon le premier testament, la clause du legs particulier et du legs universel indiquent « mes biens meubles » alors que dans le deuxième testament le mot « biens » a été supprimé.
(17) Le 2 février 2012, la plaignante a demandé (SP-3) des explications à l’intimée.
(18) Le 20 février 2012, l’intimée a répondu (SP-4) à la plaignante.
(19) L’intimée s’exprimait notamment ainsi :
« J’ai fait la lecture du testament à Monsieur L. En lisant le testament, je me suis aperçu de l’erreur à l’article III - legs particulier. En effet, la clause mentionnait « je lègue à titre particulier tous mes biens meubles », alors que l’intention du testateur était de léguer seulement ses meubles à sa fille N. J’ai donc fait un mot rayé dans le testament de Monsieur.
Lorsque nous avons procédé à la copie conforme du testament au bureau, nous avons fait une copie propre à Monsieur L., en rajoutant la date et le nom du témoin à l’informatique. Malheureusement le mot « biens » n’a pas été enlevé. La copie originale du testament contient bien une rature du mot « biens ».
(20) Elle joignait à sa version des faits une copie de ce qu’elle désignait comme une copie originale sur laquelle le mot « biens » était raturé à la clause « legs particulier » :
« ARTICLE III LEGS PARTICULIER
Je lègue à titre particulier mes biens meubles,
bijoux et effets personnels que je posséderai au moment de mon décès à ma fille
N.L. »
(21) Ce testament fait l’objet du cinquième chef d’infraction.
(22) Il s’agissait d’une troisième version du testament de M.L.
(23) La plaignante a déposé (SP-5) et (SP-6), des notes de conversations téléphoniques avec l’intimée, les 23 et 24 février 2012, lui demandant un complément d’information.
(24) Le 27 février 2012, l’intimée a complété sa version des faits (SP-7).
(25) À cette occasion, elle a fourni une quatrième version du testament qui fait l’objet du huitième chef d’infraction.
(26) Finalement, le 14 mars 2013, la plaignante, accompagnée de Me Sonia Godin, syndic adjoint, et d’un expert en informatique a rencontré l’intimée à son bureau.
(27) La plaignante a déposé une copie de ses notes d’entrevue (SP-8).
(28) Lors de cette rencontre, l’intimée a signé la déclaration suivante (SP-9) :
« Granby, le 14 mars 2013
Je, soussignée, Sylviane Bernier, notaire à Granby, atteste que les 4 copies différentes de ma minute 5407 sont le reflet de l’original de cet acte tel qu’il a existé à différentes époques. »
(29) La plaignante a déclaré qu’il est impossible de savoir lequel des quatre testaments est le vrai testament signé par le testateur.
(30) Cela crée de l’insécurité et a un impact sur le partage de la succession entre les héritiers.
(31) Elle a terminé son témoignage en soulignant que l’intimée lui avait offert une bonne collaboration durant son enquête.
(32) L’intimée n’a pas d’antécédent disciplinaire.
(33) L’intimée n’a pas témoigné.
REPRÉSENTATIONS
(34) La procureure de la plaignante a informé le Conseil que les parties s’étaient entendues pour présenter des recommandations communes quant aux sanctions.
(35) Ces recommandations sont les suivantes :
· À l’égard du premier chef, une période de radiation temporaire de trois (3) semaines;
· À l’égard du deuxième chef, une période de radiation temporaire d’une (1) semaine;
· À l’égard du troisième chef, une période de radiation temporaire de deux (2) semaines;
· À l’égard du cinquième chef, une période de radiation temporaire de trois (3) semaines;
· À l’égard du huitième chef, une période de radiation temporaire de trois (3) semaines.
(36) Elle a mentionné que les périodes de radiation temporaire devraient être servies de façon concurrente.
(37) La procureure de la plaignante a souligné la gravité objective des infractions qui sont au cœur même de la profession notariale.
(38) Elle a réitéré que les infractions pour lesquelles l’intimée a reconnu sa culpabilité avaient un impact sur le partage de la succession.
(39) De plus, de telles infractions sont de nature à diminuer la confiance du public envers la profession notariale.
(40) Elle a reconnu avoir considéré la collaboration de l’intimée, son plaidoyer de culpabilité et l’absence d’antécédent disciplinaire comme autant de facteurs atténuants.
(41) Elle a déposé un cahier de sources[1] et a analysé les différents jugements en faisant partie.
(42) Elle a souligné que dans le présent dossier il n’y avait pas de chef d’infraction concernant l’altération d’un acte authentique.
(43) Les jugements déposés confirment, selon la procureure de la plaignante, que les recommandations communes des parties sont justes et raisonnables tout en étant conformes à la jurisprudence.
(44) Le procureur de l’intimée s’est dit en accord avec les représentations de la procureure de la plaignante.
(45) Il a ajouté que l’intimée a pris des mesures pour éviter que des erreurs semblables se reproduisent.
DÉCISION
(46) Il est clair que les infractions pour lesquelles l’intimée a reconnu sa culpabilité sont sérieuses.
(47) Cependant, il faut retenir qu’il n’y a aucun chef d’altération d’un acte authentique.
(48) La preuve démontre qu’il y a eu une erreur qui en a entraîné plusieurs autres.
(49) La bonne foi de l’intimée n’est pas mise en cause.
(50) Dans les circonstances, des périodes de radiation temporaire, même si elles sont relativement courtes, sont des sanctions justes et raisonnables tout en étant dissuasives et exemplaires.
POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL :
ORDONNE la non-publication, non-diffusion et non-divulgation des pièces SP-2, SP-4 et SP-7.
AUTORISE le retrait des quatrième, sixième et septième chefs.
RECONNAÎT l’intimée coupable des premier, deuxième, troisième, cinquième et huitième chefs.
IMPOSE à l’intimée les sanctions suivantes :
· À l’égard du premier chef, une période de radiation temporaire de trois (3) semaines;
· À l’égard du deuxième chef, une période de radiation temporaire d’une (1) semaine;
· À l’égard du troisième chef, une période de radiation temporaire de deux (2) semaines;
· À l’égard du cinquième chef, une période de radiation temporaire de trois(3) semaines;
· À l’égard du huitième chef, une période de radiation temporaire de trois(3) semaines.
Les périodes de radiation temporaire seront servies de façon concurrente.
ORDONNE à la Secrétaire du Conseil de discipline de faire publier un avis de cette décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée a son domicile professionnel.
CONDAMNE l’intimée au paiement des entiers débours, incluant les frais de publication de l’avis.
Le CoNSEIL de discipline :
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Me JACQUES LAMOUREUX, Président
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Me NATHALIE JODOIN, notaire, Membre
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Me PIERRE PÉLADEAU, notaire, Membre
Procureure de la plaignante
Me Éliane Gauvin
CHARBONNEAU, GAUVIN
Procureur de l’intimé
Me Bryan Furlong
ARCHER, AVOCATS
Date d’audience : le 25 octobre 2013
ANNEXE
SOURCES DE LA PARTIE PLAIGNANTE
Onglet 1 Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (Qc CA), 15 avril 2003
Onglet 2 Marston c. Autorité des marchés
financiers,
Onglet 3 Normandin c. Lalande,
Onglet 4 Nadeau c. Dion, no 26-98-00664, 22 juillet 1998 (Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec)
Onglet 5 Laliberté c. Gougeon, 2010 CanLII 98807 (Qc CDNQ), 8 septembre 2010
Onglet 6 Larivée c. Steinberg, 2002 CanLII 61626 (Qc CDNQ), 5 novembre 2002
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.