Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2013 QCTAQ 11361
Dossier : SAS-M-209798-1303
DIANE BOUCHARD
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le requérant conteste une décision en révision rendue le 10 janvier 2012 par la Société de l’assurance automobile du Québec « la Société », portant le numéro 14028443-0078, qui confirme la décision de l’agente d’indemnisation, Mme Sylvie Provencher, datée du 29 septembre 2011 et lui retourne le dossier afin que celle-ci se prononce sur l’unité fonctionnelle de la locomotion.
[2] La décision initiale du 29 septembre 2011 traitait de la réclamation portant le numéro 14028443-0068, relative à l’indemnité pour perte de qualité de vie, en lien avec l’accident survenu le 21 février 2009.
[3] Cette décision se prononçait sur les séquelles d'ordre fonctionnel ou esthétique se situant au niveau de la fonction psychique, de la sensibilité cutanée du membre inférieur droit, de la protection assurée par le thorax et l'abdomen ainsi que de l'esthétique du visage; l’indemnité était établie à 2 196.71 $.
[4] En révision, le requérant prétendait que les séquelles avaient été mal évaluées dans leur ensemble et que la Société avait omis de se prononcer sur l’unité fonctionnelle de la locomotion.
[5] À la suite de l’analyse en révision, la Société a donc confirmé la décision du 29 septembre 2011 sur chacune des séquelles, tout en constatant qu’elle ne s’était pas prononcée sur la locomotion; pour ce qui concerne la condition de l’hypothyroïdie, elle a invité le requérant à transmettre tous les documents pertinents à l’agente d’indemnisation afin qu’elle se prononce sur cet aspect.
[6] La décision contestée contient une section intitulée « DROIT À LA CONTESTATION » qui stipule ceci :
Si vous croyez que cette décision ne respecte pas vos droits, vous pouvez la contester. Pour ce faire, vous disposez de 60 jours à partir de la date de réception de cette décision pour écrire au Tribunal administratif du Québec (…)
[7] Par l’entremise de son procureur actuel, le recours en contestation du requérant est signé le 27 mars 2013 et il est reçu au Tribunal le 28 mars, donc approximativement 14 mois après la décision du 10 janvier 2012.
[8] Dans une lettre accompagnant le recours en contestation, le procureur explique que le requérant croyait que puisque la décision du 10 janvier 2012 précisait de retourner le dossier à l’agent d’indemnisation afin qu’il se prononce sur l’unité fonctionnelle de la locomotion, une nouvelle décision serait rendue sur l’ensemble des séquelles et qui remplacerait la décision initiale de septembre 2011.
[9] Dans ce contexte, il était persuadé que la décision en révision avait été remplacée par une autre décision rendue par la Société le 12 mars 2012 portant sur l’indemnité pour perte de qualité de vie, versement final, et qu'il n'y avait pas lieu de contester immédiatement devant le Tribunal.
[10] Ce n’est que lors de la rencontre du 19 mars 2013 avec son avocat que le requérant a compris que la décision du 12 mars 2012 ne remplaçait pas la décision initiale de septembre 2011 sur l'ensemble des séquelles.
[11] Ces décisions successives ont créé de la confusion chez le requérant, laquelle n'a pas été dissipée par les agents de la Société ou par les avocats qui l'ont représenté en 2012-2013.
[12] Le procureur ajoute que le requérant a subi un traumatisme crânien le laissant avec des séquelles cognitives ainsi que des troubles de mémoire qui ont pu influencer sur sa juste compréhension des multiples décisions rendues par la Société quant aux séquelles.
[13] Ce pourquoi le requérant demande au Tribunal de prolonger le délai de contestation en vertu de l’article 106 de la Loi sur la justice administrative[1] « LJA ».
[14] Mentionnons que le délai de 60 jours auquel réfère la décision du 10 janvier 2012 est celui de l’article 83.49 de la Loi sur l’assurance automobile du Québec[2] :
Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Société ou par une décision rendue en révision peut, dans les 60 jours de sa notification, la contester devant le Tribunal administratif du Québec, sauf s'il s'agit d'une décision qui accorde une indemnité maximum ou le remboursement complet des frais auxquels elle a droit.
En outre, une personne peut contester devant le Tribunal la décision dont elle a demandé la révision si la Société n'a pas disposé de la demande dans les 90 jours suivant sa réception, sous réserve de ce qui suit:
1° lorsque la personne qui a demandé la révision a requis un délai pour présenter ses observations ou produire des documents, le délai de 90 jours court à partir de cette présentation ou de cette production;
2° lorsque la Société estime qu'un examen par un professionnel de la santé ou la transmission de documents est nécessaire à la prise de la décision, le délai est prolongé de 90 jours; la personne qui a demandé la révision doit en être avisée.
[15] Aussi, et vu le mandat octroyé par le requérant à son père relativement à la gestion de ses dossiers auprès de la Société, il arrivera que le Tribunal fasse indistinctement référence au requérant dans la présente décision.
La séquence des événements
[16] Le requérant souffre des séquelles d’un stress post-traumatique dû à son accident; compte tenu de son état, il a mandaté son père pour assurer un suivi adéquat de ses dossiers auprès de la Société.
[17] Ce mandat n’est pas contesté et c’est le père du requérant qui a rendu l’essentiel du témoignage à l’audience en lien avec l’objet de la présente requête.
[18] Il explique que le requérant souffre de problèmes psychologiques, qu’il a également des problèmes de mémoire, en plus de ses difficultés physiques.
[19] Son fils est perdu et c’est pour cette raison qu’il a dû prendre en charge la gestion des dossiers avec la Société; le requérant a pris connaissance de la décision du 10 janvier 2012 et il a compris certaines choses mais pas tout.
[20] Pour lui, elle n’avait pas vraiment d’existence puisqu’il comprenait que le dossier était retourné à l’agent d’indemnisation pour une réévaluation.
[21] Le père du requérant indique que l’ensemble du processus décisionnel de la Société a été une source de confusion pour lui et pour son fils.
[22] De fait, l’agente d’indemnisation a rendu une nouvelle décision le 12 mars 2012 relativement à la réclamation no 14028443-0080[3] portant sur l’indemnité pour perte de qualité de vie : versement final. Cette décision mentionne ce qui suit :
Monsieur,
Nous avons fait une nouvelle étude de votre dossier afin de déterminer votre indemnité pour perte de qualité de vie à la suite de votre accident. Il s’agit de la perte de jouissance de la vie en raison de douleurs, de souffrance physique ou de difficultés à réaliser certaines activités de la vie quotidienne.
L’information médicale disponible indique que nous pouvons maintenant évaluer précisément l’ensemble de vos séquelles; un résumé du résultat de cette nouvelle évaluation est présenté en annexe. Nous avons donc établi votre indemnité à 2,258.22 $, selon la gravité de ces séquelles.
(…)
Il s’agit du paiement final de votre indemnité.
(…)
[23] L’annexe de la décision contient l’information sur l’ajout des séquelles d’ordre fonctionnel ou esthétique considérées dans la prise de décision, en l’occurrence la locomotion.
[24] L’agente d’indemnisation informe également le requérant qu’il dispose d’un délai de 60 jours à partir de la date de réception de la décision pour en demander la révision.
[25] En sa qualité de mandataire, le 16 mars 2012[4], le père du requérant formule une demande de révision générale.
[26] Le 21 juin 2012, la Société rend une décision en révision relativement, entre autres, à la décision du 12 mars 2012 portant sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire et qui prévoit ceci :
(…)
À la suite de son évaluation médicale, le docteur Fallaha émet l’opinion que vous ne gardez aucune séquelle permanente à la suite de l’accident du 21 février 2009 et la Société accorde une classe de gravité sous le seuil minimal pour l’unité fonctionnelle de la locomotion.
Cependant, après analyse en révision, en tenant compte des documents médicaux à votre dossier, incluant le suivi du docteur Bellemare, nous sommes d’avis que votre condition actuelle pour la locomotion correspond à une classe de gravité 1. Cette indemnité doit donc vous être versée.
(…)
[27] En conséquence, la Société modifie la décision du 12 mars 2012 et décide de verser au requérant l’indemnité pour perte de qualité de vie correspondant à une classe de gravité 1 plutôt que sous le seuil minimal.
[28] Cette décision en révision du 21 juin 2012 contient la mention suivante :
DROIT À LA CONTESTATION
Si vous croyez que cette décision ne respecte pas vos droits, vous pouvez la contester. Pour ce faire, vous disposez de 60 jours à partir de la date de réception de cette décision pour écrire au Tribunal administratif du Québec (…)
[29] Le père du requérant mandate alors un avocat pour déposer un recours en contestation devant le Tribunal, lequel est effectivement signé le 16 juillet 2012 et reçu le 17 juillet; il donne lieu à l’ouverture du dossier SAS-200964-1207.
[30] Cet avocat ne lui a pas mentionné qu’un recours en contestation devait également être pris à l’encontre de la décision en révision du 10 janvier 2012.
[31] Dans l’intervalle, le 22 octobre 2012, la Société rend une décision en révision concernant aussi la réclamation du requérant; cette décision traite notamment de ses problèmes neuropsychiques.
[32] Un deuxième avocat, mandaté par la suite, ne donne pas davantage au requérant l’ensemble des informations pertinentes quant aux recours à prendre pour protéger ses droits.
[33] Le 27 mars 2013, le procureur actuel, Me André Laporte, comparaît au dossier.
[34] Me Laporte indique alors au requérant que le recours entrepris en juillet 2012 ne couvre que le volet locomotion contenu dans la décision du 12 mars 2012 et non l’ensemble des séquelles visé par la décision du 10 janvier 2012.
[35] C’est dans ce contexte, où un troisième procureur comparaît au dossier en mars 2013, que le recours en contestation de la décision en révision du 10 janvier 2012 est déposé et qui donne lieu à l’ouverture du dossier SAS-209798-1303 et à la présentation de la requête en prolongation du délai.
Analyse
[36] Le Tribunal est d’avis que la décision du 12 mars 2012 ne visait qu’à compléter l’analyse du dossier relativement aux séquelles d’ordre fonctionnel ou esthétique se rapportant à la locomotion, et non à l’ensemble des séquelles identifiées dans la décision initiale du 29 septembre 2011, à savoir la sensibilité cutanée, l’esthétique du visage, la fonction psychique et la protection assurée par le thorax et l’abdomen.
[37] Alors que le requérant avait l’impression que sa demande de révision du 16 mars 2012 et que sa requête ultérieure du 16 juillet 2012 couvraient sa contestation à l’égard de l’ensemble des séquelles, il n’en était rien.
[38] Ce n’est qu’après avoir pris conseils auprès de Me Laporte en mars 2013 qu’il a réalisé que son recours en contestation déjà entrepris ne visait que le volet locomotion des séquelles aux fins du calcul de l’indemnité pour perte de qualité de vie et non l’ensemble des séquelles évaluées dans la décision initiale, confirmée par la décision en révision du 10 janvier 2012.
[39] Le libellé même de la décision du 12 mars 2012 a possiblement contribué à cette confusion; elle mentionne ceci :
(…) Nous avons fait une nouvelle étude de votre dossier afin de déterminer votre indemnité pour perte de qualité de vie à la suite de votre accident.
(…)
L’information médicale disponible indique que nous pouvons maintenant évaluer précisément l’ensemble de vos séquelles; (…)
[40] Cette formulation juxtaposée avec les multiples ramifications de ce dossier et les nombreuses décisions rendues par la Société ont fait en sorte d’entretenir la confusion chez le requérant et son père.
[41] Celui-ci a fait ce qu’il a pu pour comprendre l’ensemble du dossier, sans vraiment pouvoir compter sur son fils pour lui venir en aide compte tenu de son état.
[42] Le Tribunal constate que le requérant, par l’entremise de son père, a agi avec diligence dans des circonstances difficiles, allant même jusqu’à mandater plusieurs avocats pour lui permettre d’y voir plus clair et de n’échapper aucun délai de contestation.
[43] Malgré cela, il a cru que le recours en contestation du 16 juillet 2012 couvrait l’ensemble des séquelles examinées aux fins de la demande d’indemnité pour perte de qualité de vie.
[44] Le requérant a démontré à la satisfaction du Tribunal qu’il avait pris tous les moyens pour loger ses différents recours dans les délais prévus et que n’eût été de cette malheureuse confusion, les délais de contestation auraient été respectés.
[45] Il ressort du dossier que son intention était de contester la décision en révision du 10 janvier 2012 sur l’ensemble des points analysés.
[46] Aucune négligence ne peut être imputée autant au requérant qu’à son mandataire.
[47] En outre, le recours en contestation de mars 2013 pourra éventuellement être joint à celui pendant dans le dossier SAS-M-200964-1204 puisqu’ils sont liés, afin que le Tribunal bénéficie du portrait global de l’affaire.
[48] La Société n’a pas démontré de préjudice grave pouvant résulter de cette prolongation de délai, au sens de l’article 106 de la LJA.
[49] Dans les circonstances particulières de ce dossier, le Tribunal fera droit à la requête.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
ACCUEILLE la requête en prolongation de délai présentée en vertu de l’article 106 de la LJA.
RELÈVE le requérant de son défaut de déposer son recours dans le délai de 60 jours prévu par la loi.
DÉCLARE recevable le recours en contestation de la décision en révision de la Société datée du 10 janvier 2012 et reçu au Tribunal le 27 mars 2013.
RETOURNE le dossier au Secrétariat du Tribunal pour que les parties soient convoquées à une audience au fond, le cas échéant.
Laporte & Lavallée
Me André Laporte
Procureur de la partie requérante
Me Michèle Audry Avoine
Procureure de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.