Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Lessey et Raymond, Chabot & Associés, Syndic

2014 QCCLP 5055

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

9 septembre 2014

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

530739-63-1401

 

Dossier CSST :

136756012

 

Commissaire :

Pierre Arguin, juge administratif

 

Membres :

Suzanne Blais, associations d’employeurs

 

Daniel Riportella, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

Karen Theresa Lessey

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Raymond, Chabot & associés, Syndic

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 6 janvier 2014, madame Karen Theresa Lessey (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 9 octobre 2013 et déclare « que la travailleuse n’a pas droit au remboursement pour des frais de ménage léger à la semaine ».

[3]           La travailleuse est présente, mais n’est pas représentée à l’audience tenue le 31 juillet 2014 à Joliette. Raymond, Chabot & associés, Syndic, n’est pas représenté. L’affaire est mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande de déclarer recevable sa requête du 6 janvier 2014 à l’encontre de la décision de la CSST rendue le 7 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative.

[5]           Dans l’affirmative, elle demande de déclarer qu’elle a droit au remboursement des frais du ménage léger périodique de son domicile.

[6]           Plus particulièrement, la travailleuse souhaite que les frais que la CSST lui rembourse pour le grand ménage de son domicile soient plutôt affectés au remboursement du ménage léger périodique, car elle se décrit également incapable d’effectuer ce dernier type d’entretien en raison de sa lésion professionnelle.

LES FAITS

[7]           Le 22 août 2010, la travailleuse, une préposée à l’entretien ménager pour le compte d’un aubergiste, subit une lésion professionnelle à l’occasion d’une perte de contrôle de la voiturette qu’elle conduit en vue de se rendre dans un îlot de cabines à nettoyer.

[8]           Ce jour-là, une forte pluie, combinée à un coup de vent, rabaisse le capuchon de son manteau et lui fait perdre l’attention sur sa conduite. La voiturette effectue ensuite de nombreux tonneaux et la travailleuse s’en trouve éjectée, non sans ressentir une intense douleur au genou gauche.

[9]           Les diagnostics retenus à l’égard de cette lésion sont ceux de trauma au genou gauche, de déchirure du ligament croisé antérieur du genou gauche et de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive.

[10]        La lésion physique est consolidée le 4 juin 2012 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 37,75 %, incluant un pourcentage de 6,75 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Des limitations fonctionnelles, qui consistent à éviter que la travailleuse ne reste debout plus de deux heures, et à éviter les escaliers, les échelles et les échafaudages, les terrains accidentés ou les terrains glissants, sont émises. La travailleuse doit également éviter de se déplacer avec un objet de plus de 10 kilogrammes. De plus, elle doit éviter de s’accroupir ou d’être « en petit bonhomme ».

[11]        Quant à la lésion psychique, elle est consolidée le 21 juillet 2012 sans atteinte permanente à l’intégrité psychique ni limitations fonctionnelles.

[12]        Dans l’intervalle, soit le 4 juillet 2012, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle autorise l’achat de différentes aides techniques, à savoir une pince à manche allongée, une semelle de douche, une super barre, un poteau de sécurité, une chaise de douche et un siège de toilette surélevé.

[13]        Le 16 juillet 2012, la CSST décide également qu’elle accepte de procéder au remboursement des frais suivants d’entretien courant du domicile, à savoir le déneigement, le grand ménage, la tonte du gazon, le ratissage du terrain et la peinture.

[14]        La CSST précise que la travailleuse devra fournir deux estimations détaillées pour chacun des travaux acceptés, après quoi cette autorité administrative communiquera avec la travailleuse pour lui confirmer le montant autorisé. Elle rappelle ensuite à la travailleuse que celle-ci devra « avoir payé les factures avant d’en réclamer le remboursement puisque la CSST procède au paiement de ces frais uniquement sur présentation des reçus originaux »[1].

[15]        Comme la travailleuse est devenue incapable d’exercer à nouveau son emploi prélésionnel, la CSST rend une décision, le 27 juillet 2012, qui déclare qu’elle est capable d’exercer l’emploi convenable de commis à la comptabilité à compter de ce jour.

[16]        Le 7 octobre 2013, la travailleuse produit à la CSST une demande visant à ajouter les « petits ménages hebdomadaires » aux autres travaux d’entretien courant du domicile, dont le remboursement est déjà autorisé par cette autorité administrative. Sa demande se lit comme suit :

Le 16 juillet 2012 la CSST Lanaudière rendait une décision concernant la nature des travaux acceptés dans le cadre des frais de réadaptation admissibles. Par cette décision la CSST acceptait les travaux suivants, soient : déneigement, peinture, tonte et ratissage, ainsi que le grand ménage.

 

Étant donné ma grande incapacité à me déplacer, je demande au Service de Réadaptation de la CSST Lanaudière de transformer ce grand ménage annuel en 52 petits ménages hebdomadaires. Sachez que je n’arrive pas à faire l’entretien régulier de mon domicile; de plus, je dois parfois utiliser ma canne, ce qui rend impossible cet entretien hebdomadaire (37,75 % apipp)

 

[sic]

 

[17]        Cette demande est toutefois rejetée par la CSST, le 9 octobre 2013, pour le motif que les frais de ménage hebdomadaire « ne font pas partie de l’entretien courant du domicile ».

[18]        Le 7 novembre 2013, la CSST confirme cette décision, à la suite d’une révision administrative, d’où le litige. Dans cette dernière décision, la CSST refuse la demande de la travailleuse pour le motif que cette dernière n’a pas droit à une allocation pour de l’aide personnelle à domicile, car elle n’a pas démontré qu’elle remplit le premier critère prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), à savoir qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même.

[19]        Le 6 janvier 2014, la requête de la travailleuse est produite à la Commission des lésions professionnelles, d’où le litige. Elle est signée par la représentante de la travailleuse, madame Hélène Mathieu, et porte la date du 20 décembre 2013. La requête précise que la travailleuse a reçu la décision litigieuse le 14 novembre 2013. La requête indique également qu’elle sera transmise par courrier recommandé[3].

[20]        Par ailleurs, en dépit du fait que la requête était adressée à la Commission des lésions professionnelles, elle a d’abord été reçue par la CSST le 3 janvier 2014. Elle a ensuite été transmise par télécopieur à la Commission des lésions professionnelles, le 6 janvier 2014.

[21]        À l’audience, la travailleuse décrit l’événement accidentel tel que rapporté plus haut. Elle ajoute avoir alors ressenti une forte douleur au genou gauche, lequel affichait une enflure importante. Une radiographie simple de ce genou n’a toutefois pas révélé de fracture.

[22]        Mais comme la condition de la travailleuse ne se résorbait toujours pas, son médecin l’a référé à un orthopédiste, le docteur Guy Le Bouthillier, lequel a ordonné qu’elle subisse un examen d’imagerie par résonance magnétique du genou gauche. Or, cet examen, tenu le 21 septembre 2010, a été interprété par le radiologiste, le docteur Pierre Lacaille-Bélanger, comme illustrant une déchirure du ligament croisé antérieur et du ménisque externe.

[23]        La travailleuse ajoute avoir subi deux interventions chirurgicales au genou gauche au printemps 2011. Elle a également reçu des traitements de physiothérapie durant plusieurs mois.

 

[24]        Elle mentionne toutefois conserver une douleur constante au genou gauche. La travailleuse ajoute qu’elle ne peut mettre son poids sur sa jambe gauche et qu’elle ne peut plus se pencher ou s’accroupir. À cet égard, le docteur Le Bouthillier lui a mentionné qu’elle ressentirait toujours de la douleur à son genou gauche et que la situation n’allait pas s’améliorer avec le temps. La travailleuse indique porter une orthèse au genou. Elle utilise également une canne au besoin.

[25]        La travailleuse précise que son domicile compte douze pièces, incluant trois salles de bains, réparties sur deux étages. Elle témoigne qu’elle n’est plus en mesure d’effectuer le ménage régulier en raison de l’état de son genou gauche. Par exemple, elle se dit incapable de passer l’aspirateur ou la vadrouille. Elle ne peut non plus vider le lave-vaisselle, car cette tâche nécessite qu’elle se penche de façon fréquente. Elle ne peut non plus nettoyer le dessus du réfrigérateur puisque cela exige qu’elle porte son poids sur son genou gauche. C’est donc sa fille de neuf ans qui effectue cette tâche, une fois juchée sur un tabouret.

[26]        En outre, la travailleuse ne peut non plus nettoyer la baignoire, car cela nécessite qu’elle s’accroupisse. La travailleuse ajoute considérer gênant et humiliant de devoir répondre à sa fille de neuf ans, qui souhaite prendre son bain, qu’il vaut mieux y renoncer tant que la baignoire ne sera pas nettoyée convenablement.

[27]        La travailleuse mentionne qu’elle faisait elle-même le ménage léger de son domicile avant la survenance de sa lésion professionnelle.

[28]        La travailleuse indique avoir pu compter ensuite sur sa sœur qui, à l’occasion d’une visite mensuelle, venait faire du ménage chez elle. Or, sa sœur demeure à Dorval, alors que la travailleuse habite à Saint-Michel-des-Saints. En raison de la distance qui les sépare, la travailleuse précise qu’elle ne prévoit pas compter sur l’aide de sa sœur plus souvent qu’une fois par deux mois à l’avenir.

[29]        La travailleuse ajoute qu’au moment de l’audience, la dernière visite de sa frangine remontait au printemps 2014. Depuis ce temps, il n’y a pas eu de véritable ménage au domicile de la travailleuse, selon son témoignage. 

[30]        Par ailleurs, le dossier montre que le conjoint de la travailleuse est souvent absent de la maison en raison de son emploi, et ce, pendant de longues périodes.

[31]        La travailleuse se dit toutefois capable de prendre soin d’elle-même, hormis le fait qu’elle ne puisse se pencher pour laver ses pieds.

 

[32]        Enfin, la travailleuse souligne avoir donné le mandat à sa représentante de contester la décision du 7 novembre 2013. Elle ajoute avoir confié ce mandat la veille de son départ pour un séjour de deux semaines à la Grenade, son pays natal. La travailleuse précise avoir alors quitté le Canada le 14 décembre 2013, et y être revenue le 29 décembre suivant.

[33]        Elle souligne avoir tenté de communiquer avec sa représentante dès son retour de voyage, mais ajoute que cette dernière se trouvait alors en vacances. La travailleuse précise avoir réussi à joindre sa représentante le 7 ou le 8 janvier 2014. Cette dernière  lui a alors expliqué avoir posté la requête à la CSST, plutôt que directement à la Commission des lésions professionnelles. La travailleuse témoigne toutefois ignorer à quelle date sa requête a été postée à la CSST par sa représentante.

L’AVIS DES MEMBRES

[34]        Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis que la requête du 6 janvier 2014 est recevable, car en dépit du fait qu’elle a été produite au-delà du délai de 45 jours de la notification de la décision litigieuse, la travailleuse a démontré un motif raisonnable justifiant qu’elle soit relevée de son défaut.

[35]        En effet, ces membres sont d’avis que la travailleuse a donné à sa représentante le mandat de contester cette décision à l’intérieur de ce délai, soit à la mi-décembre 2013. Or, la travailleuse a quitté le pays pendant les deux semaines suivantes, alors que sa représentante a fait défaut de transmettre sa requête à l’intérieur du délai prescrit.

[36]        Sur le fond du litige, ces membres émettent l’avis que la travailleuse a démontré, au moyen d’une preuve prépondérante, qu’elle a subi une atteinte grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle et qu’elle est incapable d’effectuer le ménage léger périodique de son domicile qu’elle effectuerait elle-même, n’eût été sa lésion.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[37]        Le tribunal doit d’abord déterminer si la requête du 6 janvier 2014 de la travailleuse est recevable.

[38]        Dans l’affirmative, le tribunal devra déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais du ménage léger périodique de son domicile.

 

La recevabilité de la requête du 6 janvier 2014

[39]        Selon l’article 359 la loi, une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative peut la contester dans les 45 jours de sa notification :

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

[40]        En l’espèce, la décision litigieuse de la CSST a été rendue le 7 novembre 2013. La preuve au dossier montre aussi que cette décision a été notifiée à la travailleuse le 14 novembre 2013.

[41]        Cette dernière avait donc jusqu’au 29 décembre 2013 pour produire sa requête à la Commission des lésions professionnelles. En effet, cette journée correspond au 45e jour qui suit le 14 novembre 2013.

[42]        Or, le 29 décembre 2013 était un dimanche, soit un jour non ouvrable. Il s’ensuit que la travailleuse pouvait produire sa requête le premier jour juridique suivant, soit le lundi 30 décembre 2013[4]. Sa requête n’a toutefois été produite à la Commission des lésions professionnelles qu’une semaine plus tard, soit le lundi 6 janvier 2014. Elle n’a donc pas été produite dans le délai prévu par la loi.

[43]        L’article 429.19 de la loi prévoit toutefois que la « Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne de son défaut de le respecter s’il est démontré que celle-ci n’a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n’en subit de préjudice grave ».

[44]        La loi ne définit pas la notion de « motif raisonnable », mais la jurisprudence énonce que l’analyse porte sur un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion[5].

[45]        La travailleuse invoque l’erreur de sa représentante, car cette dernière a omis de donner suite au mandat qui lui a été confié de contester la décision litigieuse dans le délai prescrit.

[46]        À cet égard, la jurisprudence établit qu’une partie n’a pas à subir les conséquences de l’erreur de son représentant lorsqu’elle agit elle-même avec diligence[6].

[47]        Or, la veille de son départ pour la Grenade, soit le 13 décembre 2013, la travailleuse a donné le mandat à sa représentante de contester la décision litigieuse.

[48]        Cette dernière a toutefois fait défaut de produire la requête de la travailleuse au plus tard le 30 décembre 2013. Dans les faits, elle ne l’a produit à la Commission des lésions professionnelles que le 6 janvier 2014, soit trois jours après l’avoir transmis par erreur à la CSST.

[49]        La travailleuse se trouvait donc à l’extérieur du pays pendant la période où sa représentante aurait dû produire la requête, conformément à son mandat.

[50]        En outre, la travailleuse a tenté de joindre sa représentante dès son retour au pays, soit quelques jours avant le jour de l’An, mais cette dernière se trouvait alors en congé.

[51]        La travailleuse n’a donc pas à subir les conséquences de l’erreur de sa représentante puisqu’elle a elle-même agi avec diligence dans les circonstances de ce dossier.

[52]        La travailleuse a donc démontré un motif raisonnable lui permettant d’être relevée de son défaut d’avoir produit sa requête à la Commission des lésions professionnelles dans le délai prévu par la loi.

[53]        En outre, le tribunal est également d’avis qu’aucune autre partie ne subira de préjudice grave du fait de relever la travailleuse de son défaut en l’espèce. La requête produite le 6 janvier 2014 est donc recevable.

[54]        Il convient donc de déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais du ménage léger périodique de son domicile.

 

 

Les frais du ménage léger périodique du domicile

[55]        D’emblée, et comme la CSST l’a décidé dans la décision litigieuse, la travailleuse ne peut se prévaloir de l’article 158 de la loi puisqu’elle n’a pas démontré, au moyen d’une preuve prépondérante, qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même, tel que l’exige cette disposition :

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

 

[56]        Comme cette disposition est inapplicable en l’espèce, il convient toutefois de déterminer si l’article 165 de la loi peut s’appliquer[7]. Cette disposition se lit comme suit :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[57]        Pour bénéficier de cette disposition, un travailleur doit démontrer qu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle. Il doit également faire la preuve qu’il est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même n’eût été sa lésion.

[58]        Selon la jurisprudence, l’atteinte permanente grave à l’intégrité physique doit être évaluée non seulement d’après le pourcentage du déficit anatomophysiologique qui résulte d’une lésion professionnelle, mais aussi en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à exercer de tels travaux[8].

[59]        En l’espèce, la preuve au dossier montre que la travailleuse a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de la lésion professionnelle qu’elle a subie le 22 août 2010.

[60]        En effet, non seulement la lésion professionnelle subie par la travailleuse a-t-elle entraîné une importante atteinte permanente à l’intégrité physique à son genou gauche, soit 37,75 %, mais des limitations fonctionnelles sévères en ont également résulté. Parmi celles-ci, plusieurs sont incompatibles avec l’exécution de plusieurs tâches relatives au ménage léger d’un domicile, dont le fait de devoir éviter de gravir des escaliers, de s’accroupir ou de se tenir « en petit bonhomme ».

[61]        En l’espèce, la travailleuse a démontré, au moyen d’une preuve prépondérante, qu’elle est incapable d’effectuer le ménage léger périodique qu’elle effectuerait normalement à son domicile si ce n’était de sa lésion. En effet, le témoignage crédible et non contredit de la travailleuse démontre que ses séquelles permanentes au genou gauche l’empêchent désormais d’exécuter de nombreuses tâches relatives au ménage léger qu’elle effectuait pourtant normalement à son domicile avant sa lésion. Au demeurant, elle pouvait d’ailleurs accomplir de telles tâches dans le cadre de son emploi prélésionnel.

[62]        En raison de son incapacité, la travailleuse a d’ailleurs dû faire exécuter le ménage léger de son domicile par quelqu’un d’autre, en l’occurrence sa sœur. Au moment de l’audience, le ménage de son domicile n’avait toutefois pas été exécuté depuis plusieurs semaines.

[63]        Or, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, à laquelle adhère le tribunal, établit que le ménage léger périodique constitue ou s’assimile à des travaux d’entretien courant d’un domicile au sens de l’article 165 de la loi[9].

[64]        La travailleuse répond donc aux conditions prévues par l’article 165 de la loi et « peut être remboursée des frais qu’(elle) engage pour faire exécuter ces travaux », et ce, jusqu’à concurrence du montant maximal annuel prévu par cette disposition.

[65]        Certes, la travailleuse n’a pas encore engagé de frais pour faire exécuter ces travaux, de sorte qu’elle ne peut en obtenir le remboursement dans l’immédiat.

 

 

 

[66]        Toutefois, comme la travailleuse remplit les conditions prévues par l’article 165 de la loi, elle peut néanmoins, conformément à cette disposition, être remboursée des frais qu’elle engagera pour faire exécuter de tels travaux, et ce, jusqu’à concurrence du montant maximal annuel qui y est prévu[10].

[67]        En effet, de l’avis du tribunal, l’emploi à l’article 165 de la loi des termes « peut être remboursé des frais qu’il engage » permet de déterminer qu’un travailleur peut être remboursé de tels frais qu’il a déjà engagés ou qu’il est susceptible d’engager à l’avenir, à condition bien sûr de rencontrer toutes les autres conditions prévues par cette disposition.

[68]        Selon le professeur Pierre-André Côté, le législateur emploie le temps présent dans la rédaction des lois d’abord pour des motifs techniques, mais « on ne doit pas en tirer certaines conclusions quant à la portée de la loi dans le temps », ni « en limiter les effets dans l’avenir »[11].

[69]        D’ailleurs, les articles 49 et 50 de la Loi d’interprétation[12] prévoient ce qui suit :

49. La loi parle toujours; et, quel que soit le temps du verbe employé dans une disposition, cette disposition est tenue pour être en vigueur à toutes les époques et dans toutes les circonstances où elle peut s'appliquer.

 

S. R. 1964, c. 1, a. 49.

 

50. Nulle disposition légale n'est déclaratoire ou n'a d'effet rétroactif pour la raison seule qu'elle est énoncée au présent du verbe.

 

S. R. 1964, c. 1, a. 50.

 

 

[70]        En l’espèce, le législateur utilise à la fois le temps présent, le temps passé et le temps conditionnel à l’article 165 de la loi.

[71]        Par ailleurs, lorsqu’il réfère aux frais qu’un travailleur engage pour faire exécuter des travaux visés par cette disposition, le législateur utilise le temps présent.

 

[72]        De l’avis du tribunal, il s’ensuit que l’article 165 de la loi permet à un travailleur de demander, d’une part, le remboursement des frais d’entretien courant de son domicile qu’il a déjà engagé, à condition de remplir les conditions prévues par cette disposition.

[73]        D’autre part, l’article 165 de la loi permet également à un travailleur de demander qu’il soit déterminé qu’il a droit au remboursement des frais qu’il engagera pour l’entretien courant de son domicile, toujours à condition de remplir les conditions par cette disposition.

[74]        C’est d’ailleurs ce qu’a fait la CSST en l’espèce dans sa décision du 16 juillet 2012 lorsqu’elle a déterminé qu’elle rembourserait à la travailleuse certains frais d’entretien courant de son domicile que cette dernière n’avait pourtant pas encore engagé, à savoir la peinture, le déneigement ou le grand ménage, notamment.

[75]        Pour les motifs qui précèdent, cette autorité administrative a toutefois eu tort de refuser d’ajouter le ménage léger périodique aux autres travaux d’entretien courant du domicile qu’elle accepte de rembourser, sur présentation de pièces justificatives.

[76]        Il appartiendra donc à la travailleuse, après avoir fait exécuter le ménage léger périodique de son domicile et en avoir acquitté les frais, d’en demander le remboursement à la CSST sur présentation de pièces justificatives.

[77]        Bien entendu, la travailleuse ne pourra être remboursée des frais qu’elle aura engagés pour l’entretien courant de son domicile que jusqu’à concurrence du montant maximal prévu à l’article 165 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

DÉCLARE recevable la requête du 6 janvier 2014 de madame Karen Theresa Lessey, la travailleuse;

ACCUEILLE quant au fond la requête de la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 novembre 2013, à la suite d’une révision administrative;

 

 

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais qu’elle engage pour le ménage léger périodique de son domicile, sur présentation de pièces justificatives.

 

 

__________________________________

 

Pierre Arguin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]          Déjà souligné dans la décision de la CSST.

[2]           RLRQ, c. A-3.001.

[3]          L’enveloppe ayant servi à sa transmission ne fait toutefois pas partie de la preuve au dossier.

[4]          Groupe Lussier inc. et CSST, 2013 QCCLP 4001.

[5]           Purolator ltée et Langlais, C.A.L.P. 87109-62C-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur; Dumais et Modes Cazza inc., 2011 QCCLP 3401.

[6]          Cité de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516; Sévigny et Centre de santé et de services sociaux de Laval, [2006] C.L.P. 54; .Aspamill inc. et Gmyrek, C.L.P. 321492-71-0706, 30 janvier 2009, L. Crochetière.

 

[7]          Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi, C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault ; Côté et Pulvérisateur MS inc., 2011 QCCLP 3169 ; Parent et Alcoa ltée, 2013 QCCLP 169.

[8]           Filion et P.E. Boisvert Auto ltée, C.L.P. 1105031-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Parent et Mines Agnico Eagle Ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément.

[9]          Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi, précitée; Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau; Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr., C.L.P. 251305-01c-0412, 16 décembre 2005, J.-F. Clément; André et Produits Marken ltée, 2013 QCCLP 1437; Morris et Direction générale des affaires policières, 2013 QCCLP 2119.

[10]         Benoît et Produits Électriques Bezo ltée, C.L.P. 144924-62-008, 13 février 2001, R. L. Beaudoin; Bordeleau et Transformation B.F.L., C.L.P. 395545-04-0912, 5 août 2010, S. Sénéchal; Rodrigue et Vêtements de sport R.G.R. inc., 2012 QCCLP 718; Giroux et Défense nationale, 2013 QCCLP 2751.

[11]         P.-A. Côté, S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, inc., 2009, p. 89-90.

[12]         RLRQ, c. I-16.

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