Tarasenko Kovalenko c. Vasilevich Manakhov |
2019 QCCS 5142 |
JB3984 (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-074682-124 |
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DATE : |
Le 29 novembre 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S. |
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YURY VASILEVICH MANAKHOV |
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Demandeur |
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c. |
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ANNA TARASENKO KOVALENKO |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le litige concerne un prêt allégué de 370 000 $ qui, selon le demandeur, a fait l’objet d’une reconnaissance de dette de la défenderesse. Or, d’une part, invoquant un vice de forme, celle-ci soutient la nullité du contrat sur lequel le demandeur fonde sa réclamation. D’autre part, tout en admettant que le demandeur lui ait versé certaines sommes, la défenderesse argue qu’elles représentent un remboursement du demandeur relativement à des prêts qu’elle lui a octroyés. Elle ajoute avoir rendu service à celui-ci qui cherchait désespérément à calmer ses propres créanciers en leur exhibant un compte à recevoir.
[2] Le Tribunal ne retient pas un mot du témoignage mensonger de la défenderesse, dont l’absence de crédibilité est flagrante, et qui n’hésite pas à confectionner de faux documents pour appuyer ses prétentions. Sa théorie voulant qu’elle ait prêté des sommes au demandeur ne tient tout simplement pas la route en regard de la preuve prépondérante, et relève plutôt de la pure fiction. L’action est accueillie.
[3] Issu d’un milieu défavorisé, le demandeur Yury Manakhov quitte sa ville natale en 1964, à l’âge de 18 ans. Il s’établit au Kamtchatka, une péninsule au climat rigoureux située en Extrême-Orient russe face à l’Alaska, et dont les principaux secteurs d’activité tournent autour des chantiers navals et de la pêche. Le demandeur devient capitaine de navire, cofonde en 1991 Kamline, une société œuvrant dans les industries de la pêche, du transport et de la réfrigération, en détient 66 % des parts, et fait fortune. En 2006, ayant atteint 60 ans, l’âge de la retraite en Russie, il vend ses parts dans Kamline.
[4] En 1975, le demandeur épouse en secondes noces Olga Manakhova. Il est déjà le père de deux filles de plus de 20 ans, et sa nouvelle femme a une fille alors âgée de 12 ans, la défenderesse Anna Tarasenko Kovalenko. Le père de celle-ci ne verse à sa mère aucune pension alimentaire ni ne pourvoit à ses besoins matériels. Mais, le demandeur considère la défenderesse comme sa propre fille, et la fait pleinement profiter de sa prospérité : collège, études universitaires en droit, études musicales, voyages.
[5] En 2003, la défenderesse se marie avec Valery Tarasenko, et une enfant naît de cette union en 2004. La même année, la défenderesse décroche un diplôme en droit d’une université à Moscou. Néanmoins, le demandeur continue de subvenir aux besoins matériels de la défenderesse et de sa famille.
[6] À l’hiver 2006, la défenderesse annonce à sa mère et au demandeur son divorce obtenu en 2005, les informe ne recevoir aucune pension alimentaire de M. Tarasenko, et leur confie souhaiter s’établir au Canada et étudier à Montréal, à l’université Concordia. Le demandeur retient et paie les services d’une société montréalaise qui offre un soutien aux étudiants étrangers dans leurs démarches d’immigration. La demanderesse s’établit d’abord seule à Montréal en août 2006, puis son enfant restée en Russie tout l’automne chez le demandeur et son épouse la rejoint après la période des Fêtes. La défenderesse obtiendra un baccalauréat en sciences politiques de l’université Concordia en 2010.
[7] En 2007, le demandeur et son épouse rendent visite à la défenderesse. Ils sont séduits par le Canada et décident d’y immigrer. Pour satisfaire les exigences du programme investisseur du gouvernement, le demandeur doit injecter des sommes importantes. Il remplit cet engagement sans difficulté selon le témoignage de son conseiller en immigration qui a rarement vu un dossier d’immigrant-investisseur d’une aussi grande qualité.
[8] En mai 2007, le demandeur vire 250 000 $ US à la défenderesse pour l’acquisition d’un appartement à Montréal, et en juin, il s’achète une propriété dans un immeuble voisin. La défenderesse se remarie avec M. Tarasenko qui s’installe à Montréal vers janvier 2008. La défenderesse demande aussitôt de l’argent pour l’achat d’une automobile ; le demandeur lui transfère 35 000 $ à cette fin.
[9] En 2007, le demandeur, personnellement ou par le biais de sa société, verse au total 382 000 $ US et 24 150 $ CAN à la défenderesse pour satisfaire son obligation de garant contractée pour celle-ci auprès du consulat canadien à Moscou. Ces fonds couvrent l’achat du condo, de meubles, d’un ordinateur, la nourriture, les besoins personnels de la défenderesse, la garderie de son enfant, ainsi qu’une garantie pour le visa de travailleur de M. Tarasenko.
[10] En 2008, les sommes que le demandeur transfère à la défenderesse s’élèvent à 361 000 $ US et 38 000 $ CAN. Outre son automobile luxueuse, il y aura l’achat d’une maison en République dominicaine - que la mère de M. Tarasenko habite en permanence - l’acquisition d’un condo en Floride, des cadeaux, ainsi que le paiement des dépenses de sa famille.
[11] En 2009, les virements du demandeur à la défenderesse se chiffrent à 207 000 $ US et à 19 000 $ CAN. Le 30 octobre, celle-ci lui remboursera 120 000 $ US et 50 000 $ CAN[1].
[12] En 2010, la défenderesse et M. Tarasenko deviennent résidents permanents. La même année, la relation se dégrade entre le demandeur et son épouse en raison des demandes financières incessantes de la défenderesse. En effet, depuis toujours, Mme Manakhova agit comme intermédiaire entre sa fille et le demandeur pour le convaincre de lui virer des sommes importantes. Or, estimant que la défenderesse et M. Tarasenko sont fainéants, il veut mettre fin à son soutien financier. En outre, il réprouve qu’ils fassent appel à l’aide de dernier recours de l’État. Le demandeur vire néanmoins 50 000 $ US et 33 440 $ CAN à la défenderesse cette année-là.
[13] Ce désaccord mène au divorce du demandeur en juillet 2010. Toutefois, sa séparation d’avec Mme Manikhova est de courte durée, et ils se remarient l’année suivante.
[14] Entre 2007 et 2010, le demandeur et Mme Manikhova n’auront effectué que quelques voyages au Canada. En janvier 2011, ils deviennent résidents permanents et s’installent définitivement au pays.
[15] Depuis le divorce du demandeur et de sa mère en juillet 2010, la défenderesse ne leur a pas demandé d’argent. Pendant la période des Fêtes, elle leur annonce l’achat de huit lots à l’Estérel, dans les Laurentides, pour 32 000 $.
[16] En mai 2011, elle leur mentionne qu’elle veut divorcer, mais qu’elle a besoin d’argent. Elle leur demande 300 000 $ qu’elle promet de leur rembourser dès qu’elle aura vendu les biens composant son patrimoine familial. Elle reçoit d’abord un refus catégorique du demandeur et de Mme Manakhova. Toutefois, en juin, les parties conviennent de modalités qu’elles décident d’officialiser dans un document qui sera notarié. Mme Manakhova se charge de sa rédaction en russe en s’inspirant d’un contrat trouvé sur internet. La défenderesse doit repérer une notaire russophone, mais tarde à s’exécuter. Elle devient évasive et fuyante. Néanmoins, entre les 4 juillet et 9 août 2011, le demandeur lui vire 203 750 $.
[17] Le 26 octobre 2011, les parties signent une convention devant la notaire Gergana Hristova. Elles admettent[2] que la notaire n’a ni rédigé ni modifié la convention, qu’elle s’est limitée à attester des signatures des parties et à y apposer son sceau, et qu’elle ne l’a ni enregistrée ni publiée. Il convient de reproduire l’intégralité de ses dispositions traduites en anglais [3]:
Translated from Russian
LOAN AGREEMENT
October 24, 2011 Montreal, Canada
Manakhov Yury Vasilyevich, hereinafter referred to as the Lender, and Tarasenko Anna Vladimirovna, hereinafter referred to as the Borrower, made the present Agreement as follows:
1. SUBJECT OF THE AGREEMENT
1.1 The Lender transferred to the Borrower funds in the amount of 370 000 (three hundred seventy thousand) Canadian dollars during the period from January 2009 to 2011.
1.2 The Borrower undertakes to repay the Lender the same amount before June 1st, 2012.
1.3 The Borrower gives the Lender a receipt to acknowledge the receipt of the loan.
1.4 The loan is interest-bearing. The interest payable amounts to 1% of the loan amount. The interest is to be paid before June 1st, 2012.
1.5 The loan is considered to be repaid when the entire amount indicated in the clause 1.1 is transferred to the Lender, which must be acknowledged by a receipt from the Lender.
2. RIGHTS AND OBLIGATIONS OF THE PARTIES
2.1 The Borrower undertakes to repay the loan before June 1st, 2012.
2.2 The Borrower has the right to repay the loan and the interest payable before the appointed time.
3. RESPONSIBILITY
3.1 If the loan is not repaid on time, the Borrower pays the Lender a fine at a rate of 0.05% of the loan amount for each day after the due date, until the loan amount is repaid in full. The payment of the fine does not release the Borrower from paying the interest.
4. COMING INTO FORCE AND TERM OF THE AGREEMENT
4.1 The Agreement comes into force upon its registration by a notary and remains in force until the parties have fulfilled all their obligations specified by the present Agreement.
5. SUPPLEMENTARY CONDITIONS
5.1 In all maters not covered by the present Agreement, the parties are subject to the legislation of Canada.
6. PARTIES’ DETAILS AND SIGNATURES
LENDER BORROWER
Manakhov Yury Vasilyevich Tarasenko Anna Vladimirovna [...] [...] Montreal, Canada, [...] Montreal, Canada, [...]
/signature/ /signature/
[18] Par la suite, le demandeur versera à la défenderesse 51 000 $ le 4 novembre 2011, puis 8 382 $ et 10 072 $ respectivement les 12 janvier et 1er février 2012.
[19] Le 8 juin 2012, le demandeur adresse une mise en demeure à la défenderesse.
[20] Les 30 octobre et 21 novembre 2012, la défenderesse contracte des prêts de 55 000 $ et de 20 000 $ auprès d’un ami dénommé Pierre Cloutier. Celui-ci n’en exige pas le remboursement et radie ses hypothèques en janvier 2016.
[21] Le 14 novembre 2012, le demandeur intente sa demande introductive d’instance, qu’il modifie le 12 décembre 2013. Invoquant le document notarié P-3A qu’il qualifie de reconnaissance de dette, il réclame à la défenderesse 370 000 $, avec intérêts au taux conventionnel de 0,05 %. Il demande également de déclarer bonne et valide la saisie avant jugement pratiquée le 29 novembre 2012, sur autorisation d’un juge de cette Cour, contre les immeubles de la défenderesse situés à Montréal et à l’Estérel. D’ailleurs, le 24 octobre 2003, cette Cour a rejeté la demande de la défenderesse en annulation de cette saisie avant jugement[4].
[22] Dans sa défense du 8 mai 2014, modifiée le 9 mai 2019, la défenderesse plaide la nullité du document P-3A, nie devoir quelque somme que ce soit au demandeur, et demande la mainlevée de la saisie avant jugement.
[23] La réclamation du demandeur est-elle bien fondée ?
[24] Le demandeur invoque la reconnaissance de dette de la défenderesse, datée du 24 octobre 2011, mais signée devant notaire le 26 octobre.
[25] D’abord, un mot sur la traduction à retenir aux fins du présent jugement. Au soutien de sa demande introductive d’instance, le demandeur avait produit la Pièce P-3, traduite par Olga Rivkin, le 7 novembre 2012, qui énonce ce qui suit à son article 1.1 :
1.1. The Creditor promises to transfer to the Borrower the funds in the amount of 370 000 (three hundred and seventy thousand) Canadian dollars for the period from January 2009 till 2011. (Le Tribunal souligne.)
[26] Puis, au procès, alléguant une erreur dans cette traduction, il en produit une autre, soit la pièce P-3A, effectuée par Alexandra Agranovich, le 15 septembre 2016, dont l’article 1.1 se lit ainsi :
1,1 The Lender transferred to the Borrower funds in the amount of 370 000 (three hundred seventy thousand) Canadian dollars during the period from January 2009 to 2011. (Le Tribunal souligne.)
[27] Ces deux versions diffèrent drastiquement, en ce que dans la première, le demandeur promet de transférer des fonds à la défenderesse, alors que dans la seconde, il déclare lui avoir déjà viré les sommes à la date du contrat.
[28] Le Tribunal retient comme plus fiable la seconde traduction (P-3A) qui : 1) correspond à la traduction spontanée offerte par Olga Rivkin au procès (« the lender gave » ; 2) est plus logique, car elle mentionne des sommes versées entre 2009 et 2011, avant la signature de l’acte, le demandeur ne pouvant promettre de transférer des fonds déjà remis en 2009 ou 2010 ; et 3) est plus cohérente, car la pièce ne prévoit pas quand les montants supposément promis seraient déboursés.
[29]
Cela dit, ce qui précède est sans conséquence, puisqu’il faut donner
raison à la défenderesse sur la question de la nullité de la reconnaissance de
dette. En effet, invoquant les articles
4.1 The Agreement comes into force upon its registration by a notary […].
[30]
Le demandeur, qui croyait que l’acte était dument enregistré dès
l’apposition du sceau de la notaire, reconnait maintenant le vice de forme,
mais ne lui prête aucune conséquence. Il avance qu’il s’agit d’un acte sous
seing privé qui fait preuve de l’acte juridique qu’il renferme et des
déclarations des parties qui s’y rapportent (art.
[31]
Les articles
Art. 1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle. Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet.
Art. 1414. Lorsqu’une forme particulière ou solennelle est exigée comme condition nécessaire à la formation du contrat, elle doit être observée ; cette forme doit aussi être observée pour toute modification apportée à un tel contrat, à moins que la modification ne consiste qu’en stipulations accessoires. |
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Art. 1385. A contract is formed by the sole exchange of consents between persons having capacity to contract, unless, in addition, the law requires a particular form to be respected as a necessary condition of its formation, or unless the parties subject the formation of the contract to a solemn form. It is also of the essence of a contract that it have a cause and an object.
Art. 1414. Where a particular or solemn form is required as a necessary condition for the formation of a contract, it must be observed; it must also be observed for any modification to the contract, unless the modification is only an accessory stipulation. |
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[32] La défenderesse soutient qu’en l’absence d’enregistrement par la notaire, l’acte P-3A) n’est pas exécutoire. Cet argument est conforme à la doctrine ainsi qu’à la jurisprudence constante, y compris le très récent arrêt de la Cour suprême dans Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc.[5] :
[62] Cependant, une fois que le contrat
franchit le seuil de l’existence juridique (Québec (Agence du revenu) c.
Services environnementaux AES inc.,
[33] Ainsi, bien que la reconnaissance de dette P-3A doive être sanctionnée par la nullité en raison de son vice de forme, là ne s’arrête pas l’analyse des droits respectifs des parties. Car, le demandeur peut néanmoins tenter de prouver ses prêts non remboursés par un autre écrit que la reconnaissance de dette. Le défaut d’enregistrement de la pièce P-3A n’emporte pas la nullité du prêt, mais prive uniquement le demandeur du moyen de preuve par excellence que constitue l’admission d’un débiteur.
[34] Pour faire échec à la réclamation du demandeur, la défenderesse ne nie pas les virements d’argent à son ordre, admettant lors de son témoignage qu’elle ne peut pas contredire les écrits (« I cannot contradict the paper »). Elle avance plutôt une théorie à deux volets voulant d’une part que ces transferts constituent un remboursement du demandeur pour des prêts qu’elle et M. Tarasenko lui ont octroyés, et d’autre part, que la pièce P-3A ne représente que la simulation d’un compte à recevoir pour rassurer les créanciers du demandeur.
[35] La théorie de la défenderesse est frivole. Soit elle et son mari ont réellement prêté de l’argent au demandeur, ce qu’elle est incapable de prouver, soit le demandeur simule un compte à recevoir pour apaiser des prétendus créanciers dont l’existence n’est pas démontrée. La preuve non contredite établit plutôt la prospérité du demandeur, qui a notamment acheté une propriété à Blainville en juin 2012, ainsi que le fait qu’à l’époque de la conclusion de la pièce P-3A, il n’avait aucune dette.
[36] Quant aux soi-disant prêts au demandeur, la défenderesse exhibe les copies de deux conventions entre ce dernier et M. Tarasenko datées des 22 et 24 avril 2009, prétendument signées chez la défenderesse à Montréal, et relatives à des supposés prêts de 55 000 $ et de 220 000 $[6]. Or, de toute évidence, ces documents constituent des faux : non seulement, passeport russe à l’appui, le demandeur démontre ses va-et-vient entre la Russie, les États-Unis, la Chine et la Corée du Sud en mars et avril 2009, mais en plus, la défenderesse reconnait, en contre-interrogatoire que l’acte du 24 avril 2009 n’a pas été signé. Cette démonstration accablante révèle que la défenderesse a altéré des documents pour tenter de soutenir sa théorie.
[37] Par ailleurs, le demandeur a administré une preuve de caractère consistant en des jugements rendus en Russie contre la défenderesse, et en un jugement de cette Cour de septembre 2016 en faveur du demandeur[7]. La défenderesse s’y est opposée, arguant qu’il s’agit d’une preuve de faits similaires. Cette objection ayant été prise sous réserve, il convient d’en disposer.
[38] Le Tribunal rejette l’objection. La preuve du caractère de la défenderesse vise à la discréditer comme témoin et à démontrer sa propension à mentir et à se comporter de façon malhonnête. Est permise cette preuve qui ne se veut pas une présomption pour établir la conclusion de l’acte P-3A[8].
[39] Ainsi, cette preuve saisissante révèle que le 17 mai 2016, la Cour de district de la ville de Moscou a accueilli l’action intentée par Mme Manakhova contre la défenderesse, par laquelle elle recherchait la nullité de faux actes de donation en faveur de celle-ci[9]. En effet, Mme Manakhova avait découvert fortuitement que sa signature et celle du consul général russe à Montréal avaient été contrefaites sur deux actes de donation, en faveur de la défenderesse, de trois propriétés situées à Moscou, à savoir un appartement et deux places de stationnement d’une valeur d’environ 1 million $. Il fallut recourir à une expertise en graphologie, car la défenderesse maintenait avec aplomb, devant le tribunal russe, que sa mère lui avait bel et bien donné ces propriétés.
[40] D’ailleurs, la défenderesse persiste dans sa fabulation devant le Tribunal lorsqu’en contre-interrogatoire, à la question directe : « In November 2013, did Olga Manakhova give you the apartment in Moscow », elle répond : « Yes, she did. […] She was trying to hide and keep assets from Yuri ».
[41] Qu’il suffise d’ajouter que les faits de cette affaire devant le tribunal russe ne sont pas sans rappeler les faux confectionnés par la défenderesse dans la présente instance.
[42] Quant au fond de la réclamation, le prêt d’argent est présumé à titre onéreux[10]. Or, le demandeur a établi, de façon prépondérante notamment par la production de copies de chèques et de ses registres bancaires personnels, que dans les trois ans précédant l’institution de son recours le 14 novembre 2012, il a prêté 373 397 $ à la défenderesse. Cette somme se ventile comme suit :
· 14 décembre 2009 : 10 000 $CAN
· 15 décembre 2009 : 1 606 $CAN
· 17 décembre 2009 : 5 146 $CAN
· 31 janvier 2010 : 2 257 $CAN
· 22 mars 2010 : 20 000 $ US
· 10 mai 2010 : 31 185 $CAN
· 4 juillet 2011 : 30 000 $CAN
· 14 juillet 2011 : 5 200 $CAN
· 14 juillet 2011 : 60 000 $CAN
· 16 juillet 2010 : 30 000 $CAN
· 1er août 2011 : 50 025 $CAN
· 1er août 2011 : 10 000 $CAN
· 9 août 2011 : 40 025 $CAN
· 9 août 2011 : 8 500 $CAN
· 4 novembre 2011 : 51 000 $CAN
· 12 janvier 2012 : 8 382 $CAN
· 1er février 2012 : 10 071 $CAN
[43] Le Tribunal ajoute que s’il avait retenu l’argument de la défenderesse voulant que le prêt soit nul en raison du défaut d’enregistrement de la reconnaissance de dette P-3A, il aurait néanmoins conclu au bienfondé de la réclamation du demandeur en application du principe de la restitution des prestations consacrée aux articles 1422, et 1699 à 1707 C.c.Q[11].
[44] Le demandeur liquide sa réclamation à 370 000 $, et ne demande pas de tenir compte du taux de change entre les devises canadienne et américaine.
[45] Relativement au quantum de la réclamation, la défenderesse plaide qu’il faut opérer compensation entre sa dette et celle du demandeur qu’elle chiffre à 180 000 $ avec intérêts et qu’elle justifie par l’admission du demandeur relativement à un remboursement de cette somme le 30 octobre 2009. Or, le Tribunal a déjà conclu qu’elle n’a pas réussi à prouver une quelconque dette. Au surplus, un remboursement ne saurait constituer une dette, de sorte que la demande de compensation ne trouve aucun fondement.
[46] La défenderesse soutient également qu’il y a lieu d’exclure les trois derniers versements qui s’avèrent postérieurs à la date de signature de la pièce P-3A. Cet argument ne saurait tenir, car si cet acte est invalide, il en va de même de toutes les obligations qu’il consacre. En d’autres termes, la défenderesse ne peut pas plaider que P-3A est invalide et en même temps s’en réclamer pour limiter la période de réclamation du demandeur. Le Tribunal réserve le même sort à l’ultime argument de la défenderesse selon lequel le taux d’intérêt applicable à la réclamation du demandeur est le bas taux contractuel. Car, la reconnaissance de dette annulée, il n’y a plus de taux conventionnel, et le taux légal doit s’appliquer.
[47] Ainsi, le demandeur a établi le bien-fondé de sa réclamation ainsi que de la saisie avant jugement pratiquée en l’instance contre les immeubles de la défenderesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[48] ACCUEILLE l’action ;
[49] REJETTE la défense modifiée;
[50]
CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur 370 000 $
avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’art.
[51] DÉCLARE bonne et valable la saisie avant jugement pratiquée en l’instance contre les immeubles de la défenderesse :
DESCRIPTION
The condominium located at [...], at Montreal (QC), [...],
1. The private portion (housing unit) known as the Lot Number [1] ([1]), Cadastre du Québec, in the Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal;
2. The private portion (parking space) known as the Lot Number THREE MILLION EIGHT HUNDRED AND FORTY-THREE THOUSAND EIGHT HUNDRED AND EIGHTY-SEVEN (3 843 887), Cadastre du Québec, in the Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal;
3. The private portion (locker space) known as the Lot Number THREE MILLION EIGHT HUNDRED AND SIXTY FIVE THOUSAND EIGHT HUNDRED AND TWENTY-SIX (3 865 826), Cadastre du Québec, in the Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal;
4. The percentage share in the undivided interest insofar as concerns the private portions described above in and to the common portions known as Lot Number 3 843 767, Cadastre du Québec, in the Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal, the whole as established in the Concomitant Declaration of Co-Ownership duly published in said Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal under the Number 13 972 778;
5. The percentage share in the undivided interest insofar as concerns the private portions described above in and to the common portions known as Lot Number 3 638 228, Cadastre du Québec, in the Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal, the whole as established in the Initial Declaration of Co-Ownership duly published in said Land Register of Rights for the Registration Division of Montreal under the Number 13 433 266;
DESCRIPTION
An immoveable property situated in the Town of Esterel, known and designated as being:
A. The original lot number B-391 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 39 386,4 square feet English measures and more and less;
B. The original lot number B-392 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 35 965,8 square feet English measures and more and less;
C. The original lot number B-393 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 35 505,7 square feet English measures and more and less;
D. The original lot number B-394 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 33 596,1 square feet English measures and more and less;
E. The original lot number B-395 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 30 000 square feet English measures and more and less;
F. The original lot number B-860 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 28 334 square feet English measures and more and less;
G. The original lot number B-861 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 27 828 square feet English measures and more and less;
H. The original lot number B-862 of Block B upon the Official Cadastre of the « Parish of Sainte-Marguerite », the registration division of Terrebonne; Having superficial area of 28 000 square feet English measures and more and less;
[52] AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s. |
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Me Michael Pandev |
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PANDEV LONGPRÉ |
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Avocat du demandeur |
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Me Karim Renno |
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RENNO VATHILAKIS INC. |
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Avocat de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
13, 14, 15 et 16 mai 2019 |
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[1] Pièce P-15A, note 17.
[2] Admissions en date du 14 mai 2019.
[3] Pièce P-3A. Le demandeur a produit deux documents, soit P-3 et P-3A, dont la traduction en anglais diffère. N’eût été sa nullité pour vice de forme, le Tribunal aurait retenu la version de la pièce P-3A pour les motifs énoncés plus loin.
[4]
Vasilevich c. Anna,
[5]
[6] Pièces D-6 et D-7.
[7]
Lotsman c. Tarasenko,
[8] Claude MARSEILLE, « Les cas particuliers analysés par la jurisprudence », Collection Points de droit -La règle de la pertinence en droit de la preuve québécois, 2004, EYB2004PDD123, par 72 à 85.
[9] Pièce P-16: O.V. Manakhova v. A.V. Tarasenko, civil case No 2-216/16.
[10]
Article
[11]
Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.