Lemieux et Verger Serge Darsigny |
2007 QCCLP 296 |
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[1] Le 25 novembre 2005, monsieur Gilles Lemieux (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 novembre 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 26 août 2005 et 24 octobre 2005 et déclare que, le 25 juillet 2005, le travailleur n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 19 septembre 2004 et que, puisqu’elle est liée par l’avis du médecin traitant, la docteure Myriam Deblonde, laquelle s’est dite en accord avec les conclusions du docteur Charles Gravel, médecin désigné par la CSST, le versement de son indemnité de remplacement du revenu prendra fin le 29 juin 2005, puisque sa lésion est consolidée sans séquelle permanente.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3] Le travailleur demande d’annuler la décision de la CSST du 24 octobre 2005, car elle est fondée sur un avis complémentaire illégal de la docteure Deblonde du 21 juin 2005. Il demande de retourner le dossier à la CSST afin que les questions d’ordre médical soient soumises à un Bureau d’évaluation médicale (BEM). Subsidiairement, il demande de reconnaître qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 25 juillet 2005 de sa lésion professionnelle du 19 septembre 2004.
LES FAITS
[4] Le 19 septembre 2004, le travailleur est victime d’un accident du travail. Un diagnostic d’entorse à la cheville droite est initialement posé. Par la suite, le médecin traitant, la docteure Myriam Deblonde, se questionne quant à la présence d’une dystrophie réflexe et elle ajoute le diagnostic de fasciiite plantaire.
[5] Dans le cadre du suivi médical, une résonance magnétique du 14 janvier 2005 démontre une déchirure du ligament péronéo-astragalien antérieur au niveau de la malléole externe, une déchirure longitudinale d’âge indéterminé du tendon du muscle court péronéen, une ténosynovite du tendon fléchisseur du gros orteil et une apparence normale du tendon d’Achille ainsi que du fascia plantaire.
[6] Le 26 avril 2005, la docteure Deblonde complète le rapport final où elle consolide la lésion. Le diagnostic qu’elle retient en relation avec la lésion professionnelle du 19 septembre 2004 est une entorse à la cheville droite grade 3, déchirure complète du ligament péronéo-astragalien antérieur au niveau de la malléole externe et une dystrophie réflexe. Elle est alors d’avis que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, mais elle indique qu’elle ne produira pas le rapport d’évaluation médicale (REM) et qu’elle ne réfère pas le travailleur à un autre médecin, laissant plutôt le soin à la CSST de le faire. Par ailleurs, elle précise qu’il n’y a pas eu d’amélioration de la condition du travailleur depuis 4 semaines, mais que la physiothérapie serait à continuer et que l’acupuncture devrait être tentée. Elle veut revoir le travailleur dans un mois.
[7] Le 31 mai 2005, conformément à l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le docteur Charles Gravel, à titre de médecin désigné de la CSST, examine le travailleur. Le 7 juin 2005, il produit son rapport d’expertise, où il conclut que le travailleur est porteur d’aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle en relation avec la lésion professionnelle.
[8] Le 20 juin 2005, la CSST transmet à la docteure Deblonde le rapport du docteur Gravel en lui demandant de compléter le rapport complémentaire afin de signifier son accord avec les conclusions retenues par ce médecin ou, dans le cas contraire, étayer ses conclusions.
[9] Le 21 juin 2005, la docteure Deblonde complète le rapport complémentaire. Elle écrit, qu’après avoir pris connaissance du rapport du docteur Gravel, elle est d’accord avec ses conclusions. Elle ajoute alors que les douleurs résiduelles du travailleur sont sans cause objectivable cliniquement, notant qu’il n’y a pas d’instabilité des ligaments de la cheville. Elle précise que le travailleur est actuellement sous antidépresseur et qu’elle doit le revoir le 5 juillet 2005.
[10] Le travailleur est alors avisé par son agente de la CSST que son indemnité de remplacement du revenu prendra fin le 29 juin 2005, puisque sa lésion professionnelle n’entraîne pas d’atteinte permanente ni de limitation fonctionnelle.
[11] Le 5 juillet 2005, tel que convenu, le travailleur revoit la docteure Deblonde. Selon la note de consultation de cette visite, elle rapporte que le travailleur a vu le docteur Gravel, lequel est d’avis que la lésion professionnelle n’entraîne pas de séquelles. Elle précise, de nouveau, être d’accord avec ce rapport. Cependant, elle mentionne que le travailleur lui reproche de ne pas avoir attendu avant de donner sa réponse, que maintenant la CSST « l’a coupé ». Elle lui explique alors qu’elle s’est fiée aux évaluations des spécialistes et qu’elle était d’accord avec eux. Comme le travailleur veut en voir un autre, puisqu’il n’est pas content de l’examen du docteur Gravel, elle le réfère au docteur Pouliot. À titre de commentaire final, elle écrit qu’elle ne fera pas d’autre papier CSST, car elle a déjà fait un rapport final et un rapport complémentaire dans lequel elle s’est dit en accord avec le docteur Gravel. Par ailleurs, elle se questionne quant à la relation qui existe entre l’entorse et les douleurs qui persistent, se demandant même si elles ne sont pas plutôt secondaires à la frustration du travailleur pour sa blessure, étant insatisfait de la sécurité pour le transport dans le verger où il travaillait et où il a été victime de son accident du travail.
[12] Le 25 juillet 2005, le travailleur consulte le docteur Deguire. Celui-ci complète un rapport médical où il porte le diagnostic de status post-rupture ligamentaire cheville droite. À sa note de consultation, il rapporte son examen objectif, à savoir : une absence d’œdème, une douleur au pourtour de la malléole augmentée par l’inversion et l’éversion, pas de Iaxité. Puisque le travailleur désire consulter un expert en CSST pour le défendre, il le dirige au docteur Michel Gauthier, précisant que celui-ci est plus au fait des contestations de la CSST.
[13] Le 28 juillet 2005, le docteur Gauthier rencontre le travailleur. Il indique au rapport médical de la CSST que le travailleur est victime d’une récidive, rechute ou aggravation en raison d’une douleur handicapante à la cheville droite. Il demande qu’une cartographie osseuse soit faite et, par la suite, il veut revoir le travailleur. Les notes de consultation de ce médecin n’ont pas été produites.
[14] À la même date du 28 juillet 2005, le travailleur complète un formulaire de réclamation à la CSST afin de se faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle.
[15] Le 29 juillet 2005, une scintigraphie osseuse est faite afin d’élimer la présence d’une dystrophie réflexe de la cheville droite. Il est bon de se rappeler que lors de l’événement initial, le médecin traitant en avait suspecté la présence. Voici le résultat de cette scintigraphie :
En raison du délai depuis le traumatisme la scintigraphie du flot et en phase immédiate est moins spécifique actuellement pour le diagnostic de dystrophie réflexe. La légère hypervascularisation notée au niveau de la cheville pourrait résulter uniquement de séquelles post-traumatiques datant de septembre 2004. Il n’y a pas non plus de signe d’hyperthémie plus diffuse impliquant tout le membre inférieur à son extrémité distale tel que cela peut être rencontré dans les cas de dystrophie.
Présence toutefois d’une lésion métaboliquement plus intense de la malléole interne de la cheville droite ce qui pourrait résulter de séquelles traumatiques telle une enthésopathie.
À corréler cliniquement et au besoin par un cliché radiologique. Je suspecte également de séquelles traumatiques en phase subaiguë au niveau de la malléole externe de la cheville gauche à sa région postérieure. Arthrose probable des 2 genoux.
[16] Le même jour, le docteur Gauthier pose le diagnostic suivant sur un rapport médical : « séquelle cheville droite, carto osseuse positive pour une enthésopathie ». Il demande une radiographie de contrôle.
[17] Le 26 août 2005, la CSST rend une décision défavorable au travailleur, où elle indique qu’elle ne reconnaît pas qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 25 juillet 2005, puisqu’il n’y a aucune détérioration de son état de santé.
[18] Le 8 septembre 2005, le travailleur rencontre la docteure Nadine Lachance. Elle note la présence d’une ankylose, d’une douleur incessante et d’une boiterie. Elle dirige le travailleur en physiatrie, demande un EMG et indique que le travailleur doit revoir le docteur Gauthier le 26 septembre.
[19] Le 21 septembre 2005, le travailleur demande la révision de la décision du 26 août 2005.
[20] Aussi, le 21 septembre 2005, l’EMG est fait par le docteur Grandmaison, neurologue. Il note que la douleur lombaire a nettement diminué depuis 3 mois, mais il persiste une douleur surtout dans la cheville avec paresthésies au niveau du pied et des orteils. Il rapporte que l’examen est difficile en raison de la douleur. Il suspecte une très légère atrophie des pédieux. La force est impossible à évaluer de façon fiable. La mobilisation de la cheville est douloureuse. Il note une hyporéflexie achilienne des deux côtés mais pas d’atrophie du mollet. Ses impressions finales sont :
1. Signes de dénervation dans le gastrocnémien droit suggérant une radiculopathie S1 de ce côté. Une étude d’imagerie avec résonance magnétique ou tomographie axiale est recommandée, à la recherche d’une lésion compressive de cette racine.
2. Il n’y a pas de signes clairs d’une compression d’un nerf au niveau du pied, tout au plus il pourrait y avoir une légère neuropathie chronique du nerf sciatique poplité externe des côtés prédominants à droite, qui n’expliquent pas la symptomatologie du patient.
[21] Le 24 octobre 2005, la CSST rend une autre décision indiquant au travailleur que son indemnité de remplacement du revenu a pris fin le 29 juin 2005, date à laquelle la CSST a été informé de l’accord de son médecin avec les conclusions du docteur Gravel.
[22] Le 30 octobre 2005, le travailleur demande la révision de la décision du 24 octobre 2005.
[23] Le 21 novembre 2005, la CSST en révision administrative confirme ses deux décisions des 26 août et 24 octobre 2005. C’est cette décision qui est l’objet de la présente contestation devant la Commission des lésions professionnelles.
[24] Le 29 novembre 2005, une tomographie axiale de la colonne lombaire est faite.
[25] À l’audience, le travailleur fait part de son insatisfaction concernant la docteure Deblonde, laquelle, dit-il, a complété le rapport final et le rapport complémentaire sans le rencontrer et lui en parler. Il mentionne que c’est à la demande de la CSST que la docteure Deblonde a complété le rapport final. Il ressentait encore des douleurs et il ne comprend pas pourquoi sa lésion a été consolidée. Il n’est pas plus satisfait des réponses qu’elle lui a données quant à son accord avec les conclusions du docteur Gravel. Il dit qu’il n’a plus confiance en elle et c’est pourquoi, il a vu un autre médecin, car il souffre toujours. Il ressent toujours les mêmes douleurs. Sa situation serait inchangée depuis juin 2005.
[26] Le 7 juillet 2006, à la demande de la représentante du travailleur, le docteur Morris Duhaime produit une expertise médicale.
[27] À son examen objectif, le docteur Duhaime rapporte qu’à l’inspection, il n’y a pas d’odème, ni de rougeur à la cheville droite. Il note que le patient se déplace avec une légère boiterie du côté droit. À la palpation, il existe une douleur exquise dans la région du ligament péronéo-astragalien antérieur. Du côté externe de la cheville, le ligament péronéo-astragalien lui paraît intact. L’examen du tiroir antéro-postérieur de la cheville ne démontre pas de signe important d’instabilité.
[28] L’examen de la mobilité de la cheville est ainsi décrite par le docteur Duhaime : l’arc tibio-tarsien de la cheville gauche est à 60º alors que l’arc tibio-tarsien de la cheville droite est autour de 50º. Il précise qu’il manque moins que 10º de dorsiflexion à la cheville droite. L’examen de la sous-astragalienne démontre une mobilité droite et gauche à 30º alors que les médio-tarsiennes droite et gauche ont une mobilité dans les limites de la normale. Il n’y a pas de problème de sensibilité au toucher dans la région de la cheville droite et du pied droit. La circulation périphérique apparaît normale et la force segmentaire aux membres inférieurs paraît dans les limites de la normale.
[29] À la question qui lui est posé, d’établir si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 25 juillet, le docteur Duhaime répond ceci :
En réponse à la question posée, nous soumettons les considérations suivantes :
Établir si le travailleur a subi une RRA le 25 juillet 2005
Considérant l’évolution du dossier;
Considérant que le 25 juillet, le Dr Deguire mentionnait un status post-rupture ligamentaire de la cheville droite;
Considérant que le réclamant a été référé à un autre médecin en médecine industrielle
Considérant que son état était le même qu’il présentait dans les mois qui ont suivi le traumatisme initial;
Considérant que l’examen d’aujourd’hui qui nous démontre une atteinte de la mobilité de la cheville, surtout en dorsiflexion;
Considérant l’imagerie du 14 janvier 2005 qui parle par elle-même qui démontre bien une atteinte des tissus mous (déchirure du ligament péronéo-astragalien antérieur et déchirure du tendon court péronéen);
Nous croyons que le travailleur présente une situation d’aggravation dans sa condition, qu’il est porteur d’une atteinte des tissus mous et que le 25 juillet 2005 correspond à une récidive, rechute ou aggravation en relation directe avec son accident initial.
Nous croyons que ce réclamant bénéficierait d’une orthèse de stabilisation de la cheville, genre Aisplint qui pourrait l’aider dans ses activités et ses déplacements et qui lui donnerait la stabilité et la sécurité pour qu’il reprenne les activités qu’il faisait auparavant et cette orthèse pourrait être en place pour une période de 4 à 6 mois.
L’AVIS DES MEMBRES
[30] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête du travailleur et de déclarer nulle la décision du 24 octobre 2005. Il considère que la CSST ne peut être liée par l’avis complémentaire de la docteure Deblonde car, contrairement à l’article 205.1 de la loi, elle n’a pas informé le travailleur du contenu de ce rapport en lui indiquant qu’elle changeait d’opinion. Ainsi, à son avis, la CSST aurait dû soumettre les questions d’ordre médical au BEM. Donc, cela fait en sorte qu’il n’a pas à se prononcer sur la récidive, rechute ou aggravation du 25 juillet 2005, car selon lui, il s’agit d’une continuité de la lésion initiale, qui aurait du être consolidée avec atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[31] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur et de confirmer la décision contestée. Il considère que l’avis complémentaire de la docteure Deblonde est conforme à la loi. Si elle n’était pas d’accord avec le docteur Gravel, elle aurait pu le dire alors qu’elle s’est dit en accord. Son avis n’étant pas ambigu et ne portant pas à interprétation, il lie les parties. Donc, selon lui, la CSST avait raison de conclure que le travailleur était capable d’exercer son emploi puisque la lésion professionnelle n’entraîne pas d’atteinte permanente ni des limitations fonctionnelles. Quant à la récidive, rechute ou aggravation du 25 juillet 2005, il est d’avis qu’il y a absence d’élément objectif soutenant une telle prétention. Certes en juillet 2006, le docteur Duhaime retrouve une diminution de la mobilité de la cheville, mais son examen est fait un an après la prétendue récidive, rechute ou aggravation, alors que de façon contemporaine à juillet 2005, aucun élément objectif ne soutient une récidive, rechute ou aggravation. Ainsi, il ne retient pas l’opinion du docteur Duhaime.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] D’abord, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre fin le 29 juin 2005.
[33] Pour ce faire, le tribunal doit examiner la régularité du rapport complémentaire de la docteure Deblonde du 21 juin 2005, puisque c’est à partir de ce rapport que la CSST a décidé que la lésion professionnelle était consolidée, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et a ainsi mis fin aux prestations.
[34] La représentante du travailleur allègue qu’il est illégal puisque la docteure Deblonde ne peut modifier son avis initial et s’approprier celui d’un autre. Aussi, elle prétend que le rapport ne respecte pas les conditions de l’article 205.1 de la loi, en ce que la docteure Deblonde aurait dû informer le travailleur qu’elle changeait d’opinion et elle aurait même dû l’examiner avant de changer d’idée.
[35] Selon la jurisprudence, pour que la CSST soit liée par le rapport complémentaire du médecin qui a charge du travailleur, qui se dit d’accord avec les conclusions du médecin désigné par la CSST, l’avis du médecin qui a charge doit être clair, non ambigu et ne pas porter à interprétation[2].
[36] En, l’espèce, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la docteure Deblonde pouvait modifier son avis initial en complétant le rapport complémentaire et que la CSST est liée par ce rapport puisque celui-ci ne laisse place à aucune interprétation. Il est clair et non ambigu.
[37] Qui plus est, la docteure Deblonde a même précisé sur le rapport complémentaire que les douleurs résiduelles alléguées par le travailleur n’avait aucune cause objectivable cliniquement et qu’il n’y avait pas d’instabilité des ligaments de la cheville. Aussi, après qu’elle ait émis ce rapport, elle a rencontré de nouveau le travailleur et a réitéré son opinion à l’effet qu’elle était toujours d’accord avec le médecin désigné. Elle a même procédé à un nouvel examen du travailleur, où elle a conclu à un examen normal, se questionnant alors sur la nature des douleurs persistantes. Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que le médecin traitant a étayé ses conclusions.
Dans le cadre d'un rapport complémentaire, un médecin ne doit pas être empêché de modifier son opinion. Cependant, dans ce cas, il doit étayer son avis pour permettre de comprendre, du moins sommairement, les raisons qui l'amènent à changer son opinion. Si son opinion est claire, même si le médecin traitant a changé d'avis, elle lie la CSST quant aux questions médicales. Cependant, s'il n'étaye pas ses conclusions conformément à l'article 205.1 et que l'opinion du médecin désigné infirme celle du médecin traitant, la CSST doit soumettre le litige au BEM pour ne plus être liée par l'avis du médecin traitant[3].
[38] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le médecin qui a charge du travailleur peut, en vertu de l’article 205.1, se rallier à l’opinion du médecin désigné par la CSST, sans nécessairement procéder à un nouvel examen du travailleur[4].
[39] Le commentaire exprimé par le commissaire Jean-François Clément dans l’affaire Paquette et Aménagement Forestier LF[5], s’applique très bien au présent cas :
Le fait que le docteur Aubry se soit dit d’accord avec le docteur Ferland sans avoir procédé à un nouvel examen de la travailleuse n’a pas pour effet d’invalider son accord. Le médecin de la travailleuse la suivait déjà, et l’avait examinée en plus de la diriger vers d’autres spécialistes. Il avait en main le dossier de la travailleuse et a pu prendre connaissance de l’examen du médecin désigné par la CSST. Le tribunal estime que la réponse inscrite au rapport complémentaire est claire et c’est tout ce qui importe en l’espèce. Si le docteur Aubry a jugé que l’examen du docteur Ferland était fiable et complet, rien ne l’empêchait de s’en remettre aux conclusions de ce médecin expert. La Loi n’exigeait pas du médecin du travailleur qu’il l’examine à nouveau avant de produire son rapport complémentaire puisqu’il avait en sa possession le dossier de la travailleuse et l’expertise du docteur Ferland.
[40] Quant au fait que le médecin n’ait pas informé le travailleur du contenu de son rapport avant de le produire, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cet élément, à lui seul, ne peut invalider le rapport[6].
[41] Tout comme dans Raymond et Transformation B.F.L.[7] et Trudel et Transelec/Common inc.[8], le présent tribunal est d’avis que le fait pour le médecin qui a charge de ne pas avoir communiqué ses conclusions médicales directement et sans délai au travailleur ne représente qu’un aspect technique dont le non-respect ne peut donner de droits exorbitants au travailleur[9].
[42] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le rapport complémentaire est régulier et présente un caractère liant au sens de l’article 224 de la loi.
[43] Ainsi, puisqu’il faut considérer que la lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, il faut conclure que le travailleur est capable d’exercer son emploi et que la CSST était justifiée de mettre fin aux indemnités de remplacement du revenu le 29 juin 2005.
[44] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider de la récidive, rechute ou aggravation alléguée en date du 25 juillet 2005.
[45] Il faut retenir que la lésion initiale subie par le travailleur le 19 septembre 2004 est consolidée le 26 avril 2005, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[46] Le 25 juillet 2005, c’est en raison de son insatisfaction envers la docteure Deblonde que le travailleur rencontre un autre médecin. À cette date, le tribunal retient que l’examen du docteur Deguire ne démontre pas de signe objectif d’atteinte de la cheville droite. Il ne met en évidence qu’une douleur au pourtour de la malléole. Il précise qu’il n’y a pas d’œdème ni de laxité. Il y a alors absence d’éléments permettant de conclure à une détérioration de l’état de santé du travailleur.
[47] Quant au docteur Gauthier, c’est en raison de son expertise face aux contestations de la CSST, que le docteur Deguire lui a référé le travailleur. Le docteur Gauthier a diagnostiqué une douleur handicapante. Toutefois, la preuve présentée par le travailleur ne permet pas d’objectiver sur quelle base la douleur serait handicapante. Certes, il a demandé une cartographie osseuse, mais selon l’information apparaissant sur le rapport, elle aurait été faite pour éliminer une dystrophie réflexe en juillet 2005. Celle-ci ne l’a toutefois pas confirmée. Quant au fait qu’elle serait positive pour une enthésopathie, il y a description d’une lésion métaboliquement plus intense au niveau de la malléole interne de la cheville droite, séquelles traumatiques à la malléole externe de la cheville gauche et arthrose au niveau des deux genoux.
[48] Or, dans la présente affaire, c’est au niveau de la malléole externe de la cheville droite que le travailleur a subi sa lésion. Donc, les trouvailles au niveau de la malléole interne de la cheville droite sont non spécifiques ainsi que celles au niveau de la malléole externe de la cheville gauche. Ainsi, le fait d’inscrire que la cartographie serait positive n’indique pas la présence d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale. Quant à l’examen de la docteure Lachance, du 8 septembre 2005, même si celle-ci note une ankylose à son rapport, le tribunal ne peut retenir cette seule évaluation pour objectiver une récidive, rechute ou aggravation, puisque les degrés d’ankylose et le site ne sont pas indiqués. Par ailleurs, l’investigation ultérieure, soit l’EMG et la tomographie axiale ne mettent non plus en évidence une récidive, rechute ou aggravation de la lésion initiale.
[49] En ce qui concerne l’expertise médicale du docteur Duhaime, il faut noter que celle-ci est faite près d’un an après la prétendue récidive, rechute ou aggravation de juillet 2005, soit en juillet 2006. La conclusion du docteur Duhaime soutenant une récidive, rechute ou aggravation en juillet 2005 est fondée sur son examen démontrant une atteinte de la mobilité de la cheville droite en dorsiflexion (moins de 10º). Or, le tribunal ne peut retenir que cet examen démontre une récidive, rechute ou aggravation de juillet 2005 puisque cette constatation survient de façon beaucoup trop éloignée des examens faits lors de la récidive, rechute ou aggravation, lesquels n’objectivaient nullement une telle récidive, rechute ou aggravation en juillet 2005.
[50] Par ailleurs, le docteur Duhaime est d’avis que la lésion initiale aurait entraîné une atteinte permanente, puisque l’imagerie de janvier 2005 (résonance magnétique) démontrerait une atteinte des tissus mous. Or, cette conclusion ne peut être retenue puisqu’il remet alors en cause les conclusions du médecin traitant, laquelle avait conclu que la lésion initiale n’entraînaint aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Gilles Lemieux, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 novembre 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre fin le 29 juin 2005 et que monsieur Gilles Lemieux n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 25 juillet 2005.
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Nicole Blanchard |
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Commissaire |
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Maryse Rousseau, avocate |
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F.A.T.A. MONTRÉAL |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c.A-3,001
[2] Leclaire et Construction Enfab inc., 199237-62C-0302, 28 mai 2003, R. Hudon; Jalbert et Supermarché Saint-Raphaël inc., 218556-04-0310, 28 octobre 2004, L. Collin; Ally et Atelier d’usinage Guy Côté, 252742-04B-0501, 15 juin 2005, L. Collin; Saint-Arnaud et Ville de Trois-Rivières, 256038-04-0502, 20 décembre 2005, D. Lajoie; Kafshdaran et Immeubles Sternthal inc., 282236-71-0602, 13 octobre 2006, S. Di Pasquale.
[3] Ouellet et Métallurgie Noranda inc., 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre
[4] Guillemettte et Consortium Cadoret Tremblay, 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arseneau; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine
[5] 246976-08-0410, 6 juillet 2005
[6] Précitée, note 4
[7] 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier
[8] 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois
[9] Au même effet voir : Tremblay et Providence N.-D. de Lourdes, 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine; Jean et Belron Canada inc., 287234-31-0604, 6 septembre 2006, M.-A. Jobidon
AVIS :
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