Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Courchesne et Restaurant comme chez soi inc.

2014 QCCLP 3663

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

25 juin 2014

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

479931-04B-1208

 

Dossier CSST :

138902267

 

Commissaire :

Renée-Claude Bélanger, juge administratif

 

Membres :

Denis Gagnon, associations d’employeurs

 

Serge Saint-Pierre, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Guylaine Landry-Fréchette, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Nancy Courchesne

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Restaurant comme chez soi inc.

Collège St-Bernard

Restaurant le Maska

Restaurant Poulet Rôti

Restaurant Ti-Den

Resto-Bar Vieux 38

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 21 août 2012, madame Nancy Courchesne (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 août 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 janvier 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 15 décembre 2011 et qu’en conséquence elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           À l’audience tenue le 25 septembre 2013 à Drummondville, la travailleuse est présente et représentée par monsieur Jean Philibert. Restaurant comme chez soi inc. (l’employeur) est présent en la personne de monsieur André Gamelin et est représenté par Me Ginette Nilsson. Bien que dument convoquées, les autres parties intéressées soit Collège St-Bernard, Restaurant le Maska, Restaurant Poulet Rôti, Restaurant Ti-Den et Resto-Bar Vieux 38 n’étaient ni présentes ni représentées.

[4]           Aux termes de l’audience, un délai est accordé à l’employeur pour faire valoir ses commentaires suite au dépôt d’une série de documents médicaux en liasse. Un délai est également accordé à la travailleuse pour faire valoir ses commentaires en réponse à ceux de l’employeur.

[5]           Le 30 octobre 2013, le dossier est mis en délibéré suite à la réception des commentaires de chacune des parties.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle à compter du 15 décembre 2011 en raison de gestes répétitifs effectués dans le cadre de son travail de serveuse. Les diagnostics qu’elle désire voir reconnaître à titre de maladie professionnelle sont ceux de tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et tendinite de De Quervain au pouce droit.

LES FAITS

[7]           Afin de rendre la présente décision, le tribunal a pris connaissance du dossier constitué et des documents supplémentaires qui ont été déposés. Les témoignages de la travailleuse, de mesdames Dominique Gamelin et Johanne Courchesne et de monsieur André Gamelin ont également été considérés. Ceci étant, le tribunal en retient principalement les faits suivants.

[8]          Lors des événements en cause, la travailleuse est âgée de 47 ans et travaille comme serveuse pour le compte de l’employeur. Selon un relevé d’emploi déposé par l’employeur,[2] la travailleuse a été embauchée le 19 décembre 2010.

[9]           Le 16 décembre 2011, la travailleuse produit une réclamation à la CSST en vue de faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle. Dans son formulaire de réclamation, elle explique les circonstances d’apparition de la douleur de la façon suivante :

En servant sentie douleur extrême aux épaules et la main droite.   [sic]

 

 

[10]        Au soutien de sa réclamation, la travailleuse produit une attestation médicale complétée par la docteure Norma Desrochers datée du 15 décembre 2011. Les diagnostics de tendinite de la coiffe des rotateurs bilatérale calcifiée et de tendinite des extenseurs du pouce droit sont émis. Il est également fait mention que ces diagnostics sont apparus à la suite de mouvements répétitifs et d’efforts dans le cadre du travail de serveuse. Une radiographie des deux épaules, des traitements de physiothérapie, des anti-inflammatoires et un arrêt de travail sont prescrits. Une consultation en orthopédie est également recommandée. Le tribunal note au surplus que la date d’événement qui apparait à l’attestation est le 7 mai 2011.

[11]        La note médicale colligée à cette date révèle que la raison de consultation est une douleur aux deux épaules. À l’histoire, on rapporte une douleur aux épaules qui devient de plus en plus importante et qui irradie vers les coudes. La travailleuse se plaint également d’une douleur à l’articulation métacarpophalangienne no 1 à droite. Le début des problèmes remonte au 7 mai 2011.

[12]        À l’examen, on note au niveau des épaules qu’il y a une tendinite du sus-épineux bilatéralement avec absence de bursite et de capsulite. La palpation de l’épicondyle droit est très douloureuse alors que les mouvements contre résistance ne le sont pas. On rapporte également une douleur à la palpation des gouttières cubitales au niveau des deux coudes avec une sensation de choc électrique à ce niveau. L’examen du pouce droit démontre finalement une tendinite de De Quervain. Les diagnostics retenus sont ceux de « tendinite de la coiffe des rotateurs bilatérale, calcifiée du côté droit ainsi que tendinite du pouce droit. »


 

[13]        La radiographie des deux épaules est effectuée le 20 décembre 2011. Cet examen est interprété de la façon suivante :

Ébauches de changements dégénératifs acromio-claviculaires bilatéralement, mais sans plus. À droite, il y a une densité calcaire en projection de l’extrémité distale du tendon de la coiffe des rotateurs pouvant témoigner de phénomènes de tendinopathie chronique calcifiante.

 

 

[14]        Le 10 janvier 2012, une agente d’indemnisation de la CSST communique avec la travailleuse afin d’effectuer la cueillette d’information nécessaire à la prise de décision. Les notes évolutives font état de ce qui suit :

-ASPECT LÉGAL :

Appel à T :        Les douleurs auraient débuté au printemps 2011. T. avait fait une réclamation pour une tendinite calcifiée épaule droite. La réclamation a été refusée. Elle n’a été en arrêt qu’une semaine. Puis elle a commencé à avoir des douleurs aux 2 épaules et au niveau du pouce droit. Les douleurs ont été graduelle et non suite à un événement particulier. Elle mentionne que ce serait à force de faire son travail. Elle est serveuse depuis l’âge de 18 ans.

Elle fait le service au table et débarrasse les tables également.

 

Elle travaille en moyenne 40 heures par semaine.   [sic]

 

 

[15]        Le 12 janvier 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle informe la travailleuse du refus de sa réclamation. Elle explique d’une part qu’il ne s’agit pas d’un accident du travail puisque la travailleuse n’a pas démontré à la satisfaction de la Commission qu’un événement imprévu et soudain est survenu le ou vers le 15 décembre 2011 ayant entraîné une lésion professionnelle. Elle ajoute d’autre part qu’il ne s’agit pas non plus d’une maladie professionnelle puisqu’il n’a pas été prouvé que la maladie est caractéristique du travail exécuté ou reliée aux risques particuliers de ce travail. Cette décision est confirmée par la CSST siégeant en révision administrative le 16 août 2012; d’où le présent litige.

[16]        Le 19 janvier 2012, la docteure Desrochers maintient les diagnostics et le même traitement. Elle suggère au surplus qu’une infiltration à l’épaule droite soit effectuée.

[17]        Le 2 février 2012, la travailleuse passe une radiographie épaules/coudes/mains. À l’épaule droite, l’examen conclut à une tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs. L’épaule gauche est normale sans calcification. Les coudes et les mains sont également normaux sans signe de lésion.

[18]        Le 20 février 2012, la docteure Desrochers maintient ses conclusions et prévoit qu’un suivi conjoint avec l’orthopédiste sera effectué. La note de consultation relate que la travailleuse a vu l’orthopédiste et a reçu une infiltration au niveau de l’épaule droite sans succès pour les douleurs à l’épaule.

[19]        Le 22 février 2012, la travailleuse passe une résonance magnétique de l’épaule droite qui révèle un « petit foyer de tendinopathie calcifié en projection du tendon sous-épineux distal. »

[20]        Le 5 avril 2012, la travailleuse passe un électromyogramme du membre supérieur droit à la demande du docteur François Colin, chirurgien orthopédiste. Cet examen révèle « une minime neuropathie sensitive du nerf médian droit qui n’explique pas la symptomatologie de la patiente. Douleur dans la région du pouce d’origine musculo-squelettique. »

[21]        Le 1er mai 2012, une note de consultation en clinique externe rapporte que l’infiltration réalisée n’a pas fonctionné. Il est fait mention de la résonance magnétique qui démontre un foyer de tendinite calcifiée et il est recommandé de tenter une nouvelle infiltration sous écho.

[22]        Le 3 mai 2012, la travailleuse passe une échographie de surface de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite à la demande du docteur Colin. Cet examen démontre la présence d’un « petit foyer de calcification, 8 mm de diamètre, situé à l’extrémité distale du sus-épineux. Il n’y a pas de signe de déchirure ni de signe de tendinite. »

[23]        À la même date, une radiographie de l’épaule droite rapporte un petit foyer de calcifications de 9 mm de diamètre à la coiffe des rotateurs.

[24]        Le 8 mai 2012, un rapport d’arthrographie rapporte que la travailleuse a reçu une injection de Kénalog dans la bourse sous-acromiale de l’épaule droite.

[25]        Une note de consultation du 8 mai 2012 rapporte que la travailleuse a reçu une deuxième infiltration. Le diagnostic de tendinite bilatérale de la coiffe des rotateurs est repris. L’arrêt de travail est maintenu et le suivi avec l’orthopédiste est en cours.

[26]        Le 24 mai 2012, la travailleuse consulte le docteur Colin qui retient un diagnostic de tendinite à l’épaule droite « après chute » (tendinite post calcifiante), poursuite du traitement médical. L’arrêt de travail est prolongé. Le tribunal constate par ailleurs que la note de consultation colligée à cette date par le docteur Colin ne fait pas mention d’une notion de chute.

[27]        Dans une note de consultation du 26 juin 2012, le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs bilatérale est maintenu. On rapporte également un problème au niveau de la main droite qui demeure avec un spasme qui empêche la travailleuse de la plier et de la déplier. La douleur se situe entre l’index et le pouce au niveau de la main avec une coloration bleutée et une enflure à ce niveau.

[28]        Le 8 août 2012, la travailleuse est opérée par le docteur Colin. Le diagnostic préopératoire est celui de « tendinite chronique de la coiffe des rotateurs post-calcifiante. Échec du traitement médical, échec des infiltrations. » Lors de l’intervention, le docteur Colin procède à une acromioplastie décompressive. Le protocole opératoire rapporte qu’il n’y a pas de lésion de la face profonde de la coiffe. Un remaniement du tendon du long biceps est effectué de même qu’une ténotomie.

[29]        Le 4 décembre 2012, le docteur Colin émet un billet médical sur lequel il indique que la travailleuse « présente des lésions de l’épaule droite compatibles avec une maladie professionnelle.» Le tribunal note que le docteur Colin n’a pas identifié le nom de la travailleuse sur ce billet médical et qu’il ne motive aucunement sa conclusion.

[30]        La travailleuse témoigne à l’audience. Elle indique qu’elle occupait un poste de serveuse sur un horaire établi sur quinze jours. Pour une semaine, elle travaillait le dimanche, mercredi et jeudi alors que pour l’autre, elle travaillait le dimanche, lundi, mardi, vendredi, et samedi. Elle effectuait en moyenne 32 à 40 heures par semaine. Elle commençait le matin à 5 :00 jusqu’à 13 :00. Selon l’achalandage et les journées, elle pouvait travailler jusqu’à 15 :00. Elle précise qu’elle travaillait pour le service des déjeuners et des dîners et que le restaurant compte quatre-vingts places assises plus le comptoir.

[31]        Globalement, son emploi de serveuse consistait à effectuer le service aux tables, elle débarrassait les tables et les remontait. Elle devait classer la vaisselle et faire un peu de ménage des tablettes en arrière du comptoir des serveuses.

[32]        Appelée à décrire une journée type de travail, la travailleuse explique qu’en semaine, elle était toute seule jusqu’à 11 h 30. Lorsque l’autre serveuse arrivait pour le dîner à 11 h 30, elles prenaient les clients à tour de rôle. Le samedi, elle était seule jusqu’à 15 h 00 et le dimanche elle était seule de 6 h 15 à 8 h 00. Par la suite, lorsque l’autre serveuse commençait son quart de travail, à nouveau, elles se séparaient les clients à tour de rôle. Elle précise toutefois qu’elle n’était jamais totalement seule dans le restaurant puisqu’il y avait une cuisinière à la cuisine.

[33]        Ainsi, en semaine, lorsqu’elle arrivait au travail à 5 h 15, elle partait le café, remplissait les pichets d’eau, remplissait les frigidaires. Il y avait déjà des clients, dont elle estime le nombre à 7 ou 8, qu’il fallait servir. À travers ces tâches, elle commençait la mise en place du dîner. Le service aux clients nécessitait entre autres qu’elle prenne la commande au préalable et qu’elle l’inscrive à l’ordinateur du restaurant avec son numéro d’employée. Aussi, à travers le service aux clients, elle pouvait devoir répondre au téléphone. Les déjeuners étaient servis jusqu’à 11 h 00.


 

[34]        Le service du déjeuner comprenait entre autres des œufs, de la viande, des fruits, des crêpes. Elle ajoute qu’une assiette brunch pouvait également être servie qu’elle qualifie « d’énorme. » Cette assiette-brunch mesurait environ 12 ou 15 pouces de long et était assez lourde parce qu’elle était complète et garnie. L’achalandage était variable et il n’y avait pas de journée dans la semaine qui était connue, selon elle, pour un achalandage plus marqué.

[35]        Pour le dîner, elle devait servir les verres d’eau, les soupes, les menus principaux et les desserts.

[36]        Pour faire le service des clients, elle passait aux tables et prenais les commandes. Elle précise qu’elle avait toujours les bras dans les airs que ce soit pour le transport des assiettes, de la cafetière, du pichet d’eau bref elle n’avait jamais les mains vides et avait toujours quelque chose à transporter. Il n’y avait pas vraiment de temps de repos sauf quand elle allait chercher la cafetière. Il n’y avait pas de pause repas. Elle ajoute qu’elle devait marcher une bonne distance dans le restaurant.

[37]        Elle est droitière, mais utilisait ses deux membres supérieurs. Elle précise que les assiettes étaient extrêmement pesantes et qu’elle devait les supporter avec son bras gauche. Elle ajoute qu’elle était presque toujours à bout de bras pour faire le service et qu’elle devait faire toujours le même mouvement avec son membre supérieur droit.

[38]        Appelée à décrire et mimer avec précision les mouvements effectués lors du service aux tables, le tribunal retient de la démonstration de la travailleuse qu’elle se penche le tronc vers l’avant, plus ou moins, en fonction de l’emplacement du client à la table soit devant elle ou de l’autre côté. Elle effectue alors un geste de flexion antérieure de l’épaule droite dont l’amplitude de mouvement peut atteindre de 30° à 40°. Au niveau du poignet et de la main droite, elle effectue un mouvement de préhension en pince. Lors de la prise de la commande sur le passe-plat, la travailleuse effectue une flexion antérieure à environ 80° soit un peu plus bas que la hauteur de sa poitrine. Lors de la prise de la cafetière, elle effectue des mouvements en pince entre le pouce et les quatre doigts de la main droite.

[39]        Au niveau de son bras et de son épaule gauche qui supporte les assiettes, le tribunal retient un mouvement dont l’amplitude est en deçà de 45° de flexion antérieure, le bras le long du corps. L’avant-bras qui supporte les assiettes est en position statique de supination, le coude étant fléchi.

[40]        Au niveau de l’achalandage, la travailleuse indique qu’il y avait une clientèle régulière et que le nombre de clients était variable. Elle estime qu’il pouvait y avoir entre 50 et 60 déjeuners à servir en semaine en plus des dîners. Le samedi qui était la plus grosse journée, il pouvait y avoir environ 150 clients alors que le dimanche il pouvait y en avoir jusqu’à 200, elles étaient par contre deux serveuses. Elle estime que le temps du « rush » pour le déjeuner était environ de deux à trois heures. Pour le dîner, c’était environ deux heures.

[41]        La douleur est apparue le 7 mai 2011 au niveau de la région du biceps droit. Elle s’est levée un matin avec cette douleur. Par la suite, elle a noté l’évolution de la douleur à la région supérieure et antérieure de l’épaule droite et plus tard la douleur a atteint le premier compartiment du poignet et du pouce droit à la région dorsale.

[42]        En mai 2011, elle a été en arrêt de travail durant près de deux semaines. Des anti-inflammatoires lui ont été prescrits. Elle a repris le travail et a effectué ses tâches régulières avec le même horaire. La douleur était toujours présente et elle prenait des anti-inflammatoires pour se soulager.

[43]        Entre les mois de mai et décembre 2011, elle a noté l’apparition d’une douleur à l’épaule gauche. Elle indique « qu’elle compensait trop » avec son épaule gauche afin d’épargner son bras droit. Ainsi elle tentait de supporter le plus d’assiettes possible avec son bras gauche.

[44]        En décembre 2011, la douleur est devenue plus intense. Elle explique qu’à cette période de l’année, le restaurant était plus achalandé. Le samedi représentait une grosse journée de travail et elle estime que c’était trop pour une seule serveuse.

[45]        En dehors du travail, elle ne faisait pas de sport et ne faisait que son entretien régulier à la maison. Bien qu’elle soit serveuse depuis l’âge de 18 ans, elle n’a jamais eu de problème aux épaules avant le mois de mai 2011.

[46]        La travailleuse admet en contre-interrogatoire qu’elle est une fumeuse et qu’elle sortait à l’extérieur pour aller fumer durant son quart de travail lorsque c’était tranquille. Il pouvait également lui arriver de transmettre des « textos » à ses enfants en cas d’urgence.

[47]        Questionnée sur le rapport médical du 24 mai 2012 qui indique qu’il y aurait eu une chute, la travailleuse affirme que ce n’est pas le cas et qu’elle n’a jamais fait mention d’une chute au docteur Colin.

Témoignage de madame Dominique Gamelin

[48]        Madame Dominique Gamelin témoigne à la demande de l’employeur. En 2010, elle était cuisinière et « gérante. » Étant la fille du propriétaire, elle explique qu’elle touchait un peu à tout et a eu à effectuer à peu près toutes les fonctions dans le restaurant. Elle était en charge entre autres de l’ordinateur.

[49]        Elle explique que l’ordinateur est en fait un écran tactile sur lequel chaque serveuse doit entrer ses commandes avec un code et un mot de passe qui lui est attribué au préalable. Elle précise qu’il est impossible de modifier les données enregistrées dans l’ordinateur. Le programme informatique qui provient du gouvernement permet d’obtenir des données exactes sur le nombre d’assiettes servies, sur chacun des items servis, les heures travaillées, etc.

[50]        À ce propos, elle dépose un document intitulé « sommaire des serveurs » qui fait état de tout ce qui a été vendu par la travailleuse du 19 décembre 2010 au 12 décembre 2011. À ce document s’ajoute en liasse le « rapport d’items par employé » qui détaille de façon précise chacun des items. Elle explique qu’à partir de ces rapports, elle a réparti chacun des items vendus dans des formats d’assiettes afin de pouvoir produire un estimé du nombre total d’assiettes servies par mois par la travailleuse ainsi que le type d’assiettes utilisées.

[51]        Afin de faciliter la compréhension du tribunal, elle produit un résumé des résultats obtenus pour les déjeuners et dîners servis par la travailleuse par mois[3]. Le tribunal en reproduit ci-après les extraits pertinents :

Mois

Nombre total d’assiettes

Nombre d’heures travaillées

Moyenne d’assiettes transportées par heure durant le mois

Décembre 2010

363

35.75

10,13

Janvier 2011

1490

121,8

12,21

Février 2011

1603

142

11,28

Mars 2011

1624

145

11,2

Avril 2011

1382

126

10,96

Mai 2011

1422

134,5

10,57

Juin 2011

1333

119,5

11,1

Juillet 2011

2048

155

13,2

Août 2011

1797

150,8

11,9

Septembre 2011

1689

135

12,5

Octobre 2011

1926

149

12,92

Novembre 2011

1410

124

11,4

Décembre 2011

423

33,5

12,62

 

[52]        À partir des informations obtenues par le biais des différents rapports fournis par le système informatique, madame Gamelin est en mesure de conclure que la travailleuse a servi plus de déjeuners que de dîners.

[53]        De façon générale, madame Gamelin ajoute que l’achalandage était concentré plutôt à la fin de la semaine soit les vendredis, samedis et dimanches. Les lundis et mardis étaient plus tranquilles alors que les mercredis et jeudis c’était « moyen. » Le matin, le « rush » était entre 8 h 00 et 9 h 00 et reprenait vers 11 h 30 jusqu’à 13 h 00. Pour le dîner, si la serveuse qui commençait à 11 h 00 était capable de répondre à la tâche elle les prenait toute seule.

[54]        Le dimanche, il y avait deux serveuses à partir de 8 h 00. Le samedi, la travailleuse était seule toute la journée. Madame Gamelin témoigne qu’à l’époque, elle était présente au restaurant tous les jours. Elle arrivait vers 9 h 00 et demeurait au restaurant jusqu’à la fermeture.

[55]        Elle ajoute au surplus que lorsque les assiettes sont prêtes à servir aux clients, elles sont placées sur le réchaud qui a une largeur d’environ 30 cm.

[56]        Il n’y a pas de pauses déterminées. Elle ajoute cependant que toutes les serveuses qui fument incluant la travailleuse sont capables de le faire à cinq ou six reprises durant leur quart de travail. Elle témoigne également avoir constaté que la travailleuse transmettait des « textos » durant son quart de travail.

Témoignage de madame Johanne Courchesne

[57]        Madame Johanne Courchesne témoigne à la demande de l’employeur. Elle est serveuse chez l’employeur et occupe le même quart de travail que la travailleuse lorsqu’elle est en congé. Son horaire de travail est de 5 h 30 à 12 h 30 / 13 h 00. Elle explique à ce sujet que lorsqu’elle travaillait « sa petite semaine » soit trois jours, la travailleuse était « dans sa grosse semaine » de 5 jours et vice versa.

[58]        Elle explique qu’à son arrivée au travail le matin, elle met les paniers en place et effectue le service aux tables des clients. À travers ces tâches, elle monte des napperons, va porter de la vaisselle, lave des tables. Bref elle s’occupe avec plusieurs tâches. Elle a malgré tout le temps d’aller fumer.

[59]        À partir du vendredi, l’achalandage est plus important. Elle explique qu’à partir de 11 h 30, elle ne prend plus de dîner afin de permettre à l’autre serveuse « de faire des sous elle aussi. » Elle raconte qu’à l’époque, les samedis étaient achalandés, elle demandait alors de l’aide.

[60]        Habituellement, le service aux tables n’est pas vraiment un problème. Elle est en mesure de donner les assiettes soit par en arrière ou par en avant. Les clients collaborent également et l’aident souvent à distribuer les assiettes.

Témoignage de monsieur André Gamelin

[61]        Monsieur André Gamelin témoigne. Il est le propriétaire du restaurant depuis deux ans, mais il précise qu’il y travaillait avant.

[62]        Il témoigne qu’une assiette ronde et vide pèse deux livres, une moyenne deux livres et demie, une grosse environ trois livres. Il n’a toutefois pas pesé l’assiette ovale pour les brunchs, mais estime son poids à environ quatre livres.

[63]        La travailleuse lui a déjà parlé d’une chute au travail à une époque qu’il ne peut préciser. Il avait fait enquête et personne ne semblait au courant. Il se souvient que la travailleuse lui avait remis un papier médical sur lequel il était inscrit qu’elle avait fait une chute.

Antécédents

[64]        Le 13 mai 2011, la travailleuse passe une radiographie de l’épaule droite qui démontre la présence d’une calcification près du site d’insertion du sus-épineux près de la tête humérale. Une calcification entre l’acromion et la tête humérale est également notée.

[65]        La travailleuse a également déposé son dossier médical. À l’analyse de celui-ci, le tribunal note l’existence d’une consultation médicale en date du 28 juin 2011. La raison de la consultation est une douleur à l’épaule droite. À l’histoire, le médecin rapporte qu’en mai, la travailleuse a dû arrêter de travailler durant une semaine, car elle n’arrivait plus à bouger son membre supérieur droit. Un diagnostic de tendinite du biceps et de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite avec deux dépôts de calcium a été posé.

[66]        À l’examen objectif, le médecin rapporte une palpation douloureuse au niveau des épicondyles bilatéralement. Les mouvements de l’épaule droite démontrent une douleur à l’abduction et une limitation à la rotation interne. Au niveau de l’épaule gauche, il existe une douleur à la mise en résistance du sus-épineux et du sous-claviculaire. La mobilisation est par ailleurs meilleure dans les différentes directions. Le diagnostic retenu est celui de tendinite de la coiffe des rotateurs bilatérale, calcifications des tendons de la coiffe des rotateurs à droite et épicondylite bilatérale. Aucun arrêt de travail n’est prescrit à la demande de la travailleuse.

[67]        Le 15 juillet 2011, la travailleuse passe une radiographie de l’épaule gauche qui est normale.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[68]        Bien que le représentant de la travailleuse indique en début d’audience qu’il recherche essentiellement l’application de l’article 29 de la loi, il précise néanmoins qu’il laisse au tribunal le soin d’apprécier si une autre forme de lésion peut être reconnue.

[69]        En argumentation, il plaide que la preuve démontre le poids et le nombre d’assiettes important que la travailleuse devait supporter avec son bras gauche. Il faut également s’attarder aux mouvements de l’épaule droite effectués lorsqu’elle donne les assiettes aux clients et qu’elle est à bout de bras. Il insiste également sur la distance à parcourir avec cette charge.

[70]        La procureure de l’employeur plaide qu’il n’y a pas de preuve d’un événement traumatique ayant causé une blessure. Ainsi la présomption de l’article 28 de la loi et l’article 2 ne sont pas applicables en l’espèce.

[71]        En regard de la présomption de l’article 29 de la loi, la procureure concède que la tendinite est une maladie qui est répertoriée à l’annexe I de la loi. Elle soutient, toutefois, jurisprudence à l’appui, que la démonstration du travail effectué par la travailleuse ne comporte pas de mouvements identiques qui sollicitent l’épaule droite. Les tâches et les mouvements effectués sont divers et sollicitent les deux membres supérieurs. Elle souligne à ce propos que l’épaule gauche n’est pas sollicitée de la même façon que l’épaule droite.

[72]        En ce qui a trait à l’article 30 de la loi, la preuve ne démontre pas selon elle que la maladie est reliée aux risques particuliers du travail. Elle allègue au surplus que la travailleuse devait démontrer qu’il existe une relation médicale entre la maladie et le travail de serveuse. Finalement, la preuve ne démontre pas que la maladie est caractéristique du travail de serveuse

L’AVIS DES MEMBRES

[73]        Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres qui ont siégé avec elle en regard de la question soumise au tribunal.

[74]        Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis de rejeter la requête de la travailleuse puisque cette dernière n’a pas fait la démonstration qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle, que l’analyse se fasse en fonction de l’article 29 ou en fonction de l’article 30 de la loi. Ils estiment en effet que la travailleuse n'a pas rencontré son fardeau de preuve de démontrer qu'il y a, dans l'emploi de serveuse, des facteurs de risque suffisants pour développer une tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et une tendinite de De Quervain au pouce droit.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[75]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 15 décembre 2011 ayant occasionné une tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et une tendinite de De Quervain au pouce droit.

[76]        La notion de lésion professionnelle est définie ainsi à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[77]        D’emblée, la notion d’accident du travail est écartée puisque la preuve établit qu’aucun événement particulier ni fait accidentel ne sont survenus. La note évolutive de la CSST du 10 janvier 2012 est d’ailleurs en ce sens. La notion de rechute, récidive ou aggravation ne peut quant à elle être considérée en l’absence d’une lésion initiale reconnue.[4] À ce propos, il appert de la même note évolutive du 10 janvier 2012 que la travailleuse a produit une réclamation pour des douleurs apparues en mai 2011 et que celle-ci a été refusée.

[78]        Ceci étant, le tribunal se propose donc d’analyser la présente réclamation sous l’angle de la maladie professionnelle. L’article 2 de la loi définit ainsi la maladie professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[79]        Afin de faciliter la démonstration de la présence d’une maladie professionnelle, le législateur a édicté une présomption en faveur de la travailleuse que l’on retrouve à l’article 29 de la loi, lequel se lit comme suit :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[80]        Ainsi, afin de bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l'article 29 de la loi, la travailleuse doit prouver, par une preuve prépondérante, qu’elle est atteinte d’une maladie prévue à l’annexe I et qu’elle exerce un travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe.

[81]        Pour sa part, l’annexe 1 section IV prévoit ce qui suit :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

[...]

1.     Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite):

 

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

[...]

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

 

[82]        L’application de la présomption permet à la travailleuse d’être dispensée de faire la preuve d’un lien de cause à effet entre sa maladie et les conditions physiques dans lesquelles elle a exercé son travail.


 

[83]        En ce qui a trait aux lésions musculo-squelettiques, les diagnostics énumérés sont ceux de bursite, tendinite et ténosynovite. Si l’une de ces lésions est en cause, il faut alors déterminer si elle correspond à un travail impliquant des répétitions de mouvements ou des pressions sur des périodes de temps prolongées.

[84]        À ce propos, le législateur ne définit pas la notion de répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. La jurisprudence enseigne toutefois que les gestes répétitifs s'entendent de mouvements ou de pressions semblables, sinon identiques, qui doivent se succéder de façon continue pendant une période de temps prolongée et à une cadence assez rapide, avec périodes de récupération insuffisantes. Les mouvements ou pressions doivent nécessairement impliquer la structure anatomique visée par la lésion identifiée[5].

[85]        Quant à l’expression « périodes de temps prolongées, » la jurisprudence précise qu’elle réfère plutôt au nombre d'heures quotidiennement consacrées aux gestes répétitifs plutôt qu'au nombre d'années, de mois ou de jours durant lesquels l'emploi visé a été exercé, bien que le nombre d’années, de mois ou de jours n’a pas à être totalement exclu et peut être aussi considéré comme tout autre élément de preuve.[6]

[86]        Dans la présente affaire, les diagnostics non contestés et par conséquent retenus par le tribunal aux fins de l’analyse sont ceux de tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et de tendinite de De Quervain au pouce droit. Le tribunal considère que ces diagnostics constituent des lésions musculo-squelettiques prévues à la section IV de l’annexe I. La première condition d’application de la présomption de l’article 29 de la loi est donc remplie.

[87]        Toutefois, bien que nous soyons en présence de maladies prévues à la section IV de l’annexe I, le tribunal estime dans la présente affaire que la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.

[88]        En effet, la description des tâches de la travailleuse ne permet pas de conclure qu’il s’agit d’un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.


 

[89]        En l’espèce, il n’est pas nié que la travailleuse utilise ses membres supérieurs pour l’exécution de ses tâches. Ainsi, la preuve démontre que les différentes tâches de la travailleuse mettent à contribution ses épaules, ses avant-bras, ses poignets et ses doigts. Le tribunal retient toutefois que les deux membres supérieurs ne sont pas sollicités de la même façon et dans les mêmes amplitudes de mouvement.

[90]        La preuve démontre à ce sujet que la travailleuse est appelée, outre son service aux tables, à effectuer plusieurs autres tâches dans le cadre de son travail de serveuse. Il appert à ce titre qu’elle doit monter les tables, préparer le café, remplir les pichets d’eau et les frigos. Elle doit faire la mise en place pour le service du dîner et doit également classer la vaisselle et faire un peu de ménage des tablettes en arrière du comptoir des serveuses. Il peut également lui arriver de répondre au téléphone. À travers l’ensemble de ces fonctions, elle prend les commandes des clients, les inscrit à l’ordinateur et procède au service des assiettes. Le tribunal retient au surplus des témoignages de mesdames Gamelin et Courchesne, que malgré l’ensemble des tâches à effectuer, des temps de repos sont tout de même possibles et que la travailleuse en bénéficiait dans les faits.

[91]        Au surplus, le tribunal retient que la sollicitation des membres supérieurs durant ces tâches, qu’elle effectue en moyenne entre 32 et 40 heures par semaine, est tributaire de l’achalandage. La preuve démontre à ce sujet que les journées les plus achalandées sont les vendredis, samedis et dimanches. Le tableau de la moyenne des assiettes transportées à l’heure fait état quant à lui d’un maximum de 13,2 assiettes/heure en juillet 2011; les résultats étant moindres pour les autres mois. Certes, il s’agit là d’une moyenne, mais le tribunal considère que ce tableau, compilé à partir des données propres à la travailleuse, ne démontre pas un rythme ou une cadence aussi élevés que celui dont elle fait état dans son témoignage.

[92]        Finalement, le tribunal retient que l’effort requis varie en fonction du type de plat qui est servi; les assiettes n’ayant pas toutes le même poids. De la même façon, le poids de la cafetière ou du pichet d’eau varie en fonction de leur contenu.

[93]        Ceci étant établi, le tribunal constate que les mouvements effectués par la travailleuse avec son épaule droite le sont dans des amplitudes qui ne sont pas contraignantes hormis les gestes effectués au passe-plat où l’amplitude peut atteindre 80° de flexion antérieure. Par contre, le tribunal rappelle que la répétition de ce geste est variable en fonction de l’achalandage et des autres tâches à effectuer, ce qui permet, dans l’intervalle de reposer son épaule droite ou du moins de faire en sorte qu’elle n’est pas sollicitée de la même façon. Au surplus, l’effort requis par son épaule droite pour prendre les assiettes et les déposer est variable en fonction du poids et du contenu de celles-ci.


 

[94]        En regard de l’épaule gauche, les mouvements et par surcroit les amplitudes ne sont pas les mêmes. Il va de soi que la travailleuse ne sollicite pas son épaule gauche de la même façon que son épaule droite; la preuve ayant démontré que la travailleuse supporte les assiettes qui sont de grosseurs et de poids variables avec son bras gauche. Malgré ce fait, le tribunal considère que la preuve prépondérante ne lui permet pas de conclure qu’il s’agit là d’une sollicitation significative, de façon soutenue et sans période de repos suffisante. De la même façon, outre le fait d’alléguer qu’elle avait surutilisé son bras gauche en compensation de l’épaule droite qui était blessée, la travailleuse n’a pas décrit de mouvements pouvant permettre au tribunal de conclure « à des mouvements répétitifs sur une période de temps prolongée

[95]        Finalement, pour ce qui est de la main et du poignet droit, le tribunal note qu’il y a une sollicitation en pince pouce/doigts lors de la manipulation des assiettes, de la cafetière et des pichets d’eau. Toutefois, cette sollicitation demeure variable selon l’achalandage et est entrecoupée par des périodes de repos lorsqu’elle effectue d’autres tâches qui ne sollicitent pas sa main et son poignet droit de la même façon.

[96]        Bref, même si le tribunal convient qu’il y a dans la tâche de la travailleuse certains mouvements que l’on peut qualifier de répétés, le tribunal considère que l’on ne peut parler en l’espèce de mouvements répétitifs sur des périodes de temps prolongées au sens de l’article 29 de la loi.

[97]        Le tribunal est par conséquent d’avis que la travailleuse n’a pas fait la démonstration par une preuve prépondérante que son travail implique des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées selon les critères retenus par la jurisprudence.

[98]        En matière d’application de la présomption, le tribunal rappelle qu’il appartient à la travailleuse de présenter une preuve prépondérante que les maladies qui ont été diagnostiquées (tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et tendinite de De Quervain au pouce droit) correspondent à un travail impliquant des répétitions de mouvements ou des pressions sur des périodes de temps prolongées.

[99]        Le tribunal n’est donc pas en mesure de présumer, à partir de la preuve offerte, que la travailleuse est atteinte d’une maladie professionnelle.


 

[100]     Comme la présomption de l’article 29 de la loi n’est pas applicable, il appartient alors à la travailleuse de faire la démonstration que sa maladie est caractéristique du travail qu’elle a exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail, le tout tel que prévu à l’article 30 de la loi qui se lit comme suit :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

[101]     Soulignons que le tribunal ne dispose d’aucune indication lui permettant d’assimiler la présente affaire à une maladie caractéristique du travail au sens de l’article 30 de la loi, ce que la travailleuse n’invoque nullement.

[102]     La travailleuse a donc le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante que la tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et la tendinite de De Quervain au pouce droit sont reliées aux risques particuliers de son travail de serveuse.

[103]      À ce sujet, le tribunal considère important de préciser le fardeau de preuve qui incombe à la travailleuse. Celle-ci doit en effet démontrer par une preuve prépondérante, en fonction de la balance des probabilités, qu’elle a été exposée à des risques particuliers dans l’exécution de ses tâches et que ces risques particuliers ont été significatifs et déterminants dans l’apparition et/ou le développement de sa maladie.

[104]     Bien que le fardeau de preuve requis ne soit pas celui de la certitude scientifique, il n’est pas pour autant suffisant d’invoquer de simples possibilités pour convaincre le tribunal. La balance des probabilités réfère à un degré raisonnable de probabilités supérieures à 50%.[7]

[105]     De même, la simple allégation d’une problématique particulière dans l’exécution d’une tâche n’est pas suffisante, une preuve médicale permettant de démontrer la relation entre les risques particuliers du travail et la maladie diagnostiquée est requise.[8]


 

[106]     Ceci étant, tel qu’il a déjà été établi, le tribunal retient de la preuve que la travailleuse utilise ses membres supérieurs pour l’exécution de ses tâches. La preuve démontre à ce sujet que les différentes tâches de la travailleuse mettent à contribution ses épaules, ses avant-bras, ses poignets et ses doigts, et ce, dans des amplitudes de mouvements différentes.

[107]     Toutefois, le tribunal estime que la description du poste de travail obtenue en preuve ne permet pas de conclure à l’existence de facteurs de risques suffisants pour développer une tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et une tendinite de De Quervain au pouce droit.

[108]     Bien que la travailleuse ait en effet décrit plusieurs tâches dans l’exécution de son travail de serveuse, en insistant plus particulièrement sur certaines, le tribunal estime que la preuve prépondérante ne lui permet pas de conclure que ces tâches sollicitent de façon péjorative ses deux épaules ainsi que sa main et son poignet droit.

[109]     Le tribunal estime en effet qu’il ne dispose pas d’une preuve permettant d’identifier des facteurs de risque particuliers suffisants pour causer les lésions en cause surtout en tenant compte que les deux épaules sont touchées alors que la sollicitation n’est pas la même pour chacune d’entre elles. La sollicitation de ses membres supérieurs se fait au surplus dans une période de temps limité, sans cadence imposée et est entrecoupée d’autres tâches.

[110]     De plus, la preuve médicale disponible n’est pas probante. Le tribunal note d’une part que le docteur Colin n’a pas effectué de suivi médical ou prescrit de traitement en regard de la tendinite à l’épaule gauche et de la tendinite de De Quervain. Le suivi médical et les traitements ont plutôt été concentrés sur la tendinite calcifiée de l’épaule droite. D’autre part, le tribunal constate que le docteur Colin a noté sur un billet médical du 4 décembre 2012, qui n’est même pas identifié au nom de la travailleuse, « qu’elle présente des lésions de l’épaule droite compatibles avec une maladie professionnelle. » Cette note ne contient aucun motif permettant de soutenir cette conclusion.

[111]     Dans l’affaire Lachance et Déjeuner Ink,[9] le tribunal tient les propos suivants auxquels la soussignée adhère :

[28]      Le fait pour le médecin de la travailleuse d’écrire sur l’attestation du 29 mars 2012 que la tendinite à l’épaule droite est secondaire à des mouvements répétitifs est insuffisant. Pareille affirmation doit être étayée et expliquée pour que le tribunal puisse constater si les prémisses à partir desquelles elle est posée sont bonnes et si une valeur quelconque doit y être accordée.

 

 

[112]     Dans le même ordre d’idée, le fait que la docteure Desrochers, médecin qui a charge, ait posé les diagnostics en cause sur des rapports médicaux CSST ne fait pas la preuve pour autant d’une relation médicale entre ceux-ci et le travail; d’autant plus que l’analyse des notes de consultation permet au tribunal de constater que celles-ci ne font état d’aucune description du poste de travail de serveuse.

[113]     Ceci étant, le tribunal conclut, en l’absence d’une preuve médicale et factuelle prépondérante, que l’ensemble des contraintes identifiées n’est pas compatible avec l’apparition de la tendinite calcifiée de la coiffe des rotateurs bilatérale et de la tendinite de De Quervain au pouce droit.

[114]     En présence d'une tendinite calcifiée de l'épaule droite, aurait-on pu, par ailleurs, considérer la notion d’aggravation d’une condition personnelle préexistante?

[116]   La jurisprudence a établi que la présence d’une condition personnelle ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle.[10]

[117]   Sur cet aspect, le tribunal rappelle toutefois que l’aggravation d’une condition personnelle préexistante n’est pas une lésion professionnelle en soi. Dans l’éventualité où la travailleuse a une condition personnelle préexistante et que cette condition est aggravée, la preuve doit être faite que l’aggravation constatée découle d’un accident du travail ou de risques particuliers de son travail.[11]

[118]   En l’espèce, le tribunal a déjà statué sur l’absence de risques particuliers en regard du travail de serveuse effectué par la travailleuse.

[115]     Dans les circonstances, le tribunal conclut que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 15 décembre 2011. En conséquence, elle n’a pas droit aux prestations prévues à la loi.

[116]     Il y a donc lieu de rejeter la requête de la travailleuse.


 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée le 21 août 2012 par madame Nancy Courchesne, la travailleuse;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 16 août 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que madame Nancy Courchesne (la travailleuse) n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 15 décembre 2011 et qu’en conséquence, elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

Renée-Claude Bélanger

 

 

 

 

Jean Philibert

A.T.T.A.M.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Ginette Nilsson

CLAIR NILSSON GAGNON

Représentante du Restaurant Comme chez soi inc.

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Document déposé sous la cote E-1.

[3]           Document déposé en E-4.

[4]          Latoures et Saima maçonnerie inc., 82334-64-9608, 97-10-17, M. Duranceau; Guérin et CSST, 142419-62C-0005, 00-11-27, M. Sauvé.

[5]           Frigon et Arboriculture de Beauce inc., C.L.P. 330347-04-0710, 15 juin 2010, D. Lajoie; Foster-Ford et Catelli (1989) inc., C.A.L.P. 56830-61-9402, 12 octobre 1995, B. Lemay.

[6]           Charron et Héma-Québec, C.L.P. 175611-64-0112, 3 janvier 2003, J.-F. Martel, (02LP-170); Cadieux et B.O.L.D., C.L.P. 216395-64-0309, 1er juin 2004, R. Daniel; Bermex International inc. et Rouleau, [2005] C.L.P. 1574 , révision rejetée, C.L.P. 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau, (06LP-287); Rossi et Société Diamond Tea Gown inc., C.L.P. 220900-72-0311, 7 mai 2004, Anne Vaillancourt.

[7]           Succession Maurice Lemieux (2000) C.L.P. 1087; Robert Caron et Association de la construction du Québec, 286993-31-0603, 20-12-2007, J.F. Clément.

[8]          Jocelyn Gendron et 9118-9274 Québec inc., 396287-31-0912, 1er juin 2010, G. Tardif; Les industries de moulage Polytech inc. et Pouliot, 144010-62B-08, 20 novembre 2001; Cadieux et B.O.L.D., 216395-64-0309, 1er juin 2004, R. Daniel.

[9]           CLP482114-1-1209, 5 août 2013, J.-F. Clément.

[10]         Proulx et Centre hospitalier de l’Université de Montréal, (2004) C.L.P. 1735; Chaput c. S.T.C.U.M., (1992) C.A.L.P. 1253 (C.A.); Produits chimiques Expro inc. c. C.A.L.P. (1988) C.A.L.P. 187 (C.A.); Société Canadiennes des postes c. Dumont, C.A. 200-09-002924-998, 20 août 2000; Société canadienne des postes c. Bernard, C.A. 200-29-003373-005, 20 avril 2002.

[11]         PPG Canada et Grandmont, [2000] C.L.P. 1213, (C.A.).

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