Bernard et Constructions Scandinaves inc. |
2012 QCCLP 2618 |
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[1] Le 26 juillet 2010, monsieur Maxime Bernard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur du 22 avril 2010 à l’encontre de la décision qu’elle a initialement rendue le 30 mars 2010. Elle confirme également une autre décision qu’elle a initialement rendue le 23 mars 2010 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi habituel depuis le 14 janvier 2010 et qu’il n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu après cette date.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 15 décembre 2011 à New Richmond. Monsieur Christian Bernard, président des Constructions Scandinaves inc. (l’employeur), est également présent à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal d’infirmer la décision du 12 juillet 2010, de déclarer nulles celles des 23 et 30 mars 2010 et de retourner le dossier à la CSST afin que les questions d’ordre médical concernant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles soient soumises au Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en partie. Il constate que le rapport complémentaire de son médecin n’est pas étayé et qu’il est impossible de comprendre les raisons pour lesquelles il a modifié son opinion au sujet des limitations fonctionnelles. Il estime donc que ce rapport n’a aucune valeur à cet égard. Il conclut que la décision de la CSST portant sur la capacité de travail du travailleur devrait être annulée et le dossier retourné à la CSST pour être acheminé au Bureau d’évaluation médicale. Par contre, il est d’avis que le rapport complémentaire demeure valide en ce qui a trait à la question de l’atteinte permanente. Sur ce, il note que les conclusions du rapport d’expertise du médecin désigné par la CSST ne s’opposent pas à l’opinion exprimée par le médecin du travailleur dans son rapport final. Il souligne qu’il n’était donc pas nécessaire pour ce dernier d’étayer son opinion sur le sujet.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en totalité. Essentiellement, il partage le point de vue du membre issu des associations d’employeurs. En revanche, il estime que le rapport complémentaire n’a pas plus de valeur au regard de la question traitant de l’atteinte permanente que de celle traitant des limitations fonctionnelles. Sous cet aspect, il considère que puisque le médecin du travailleur indiquait dans son rapport final que la lésion professionnelle entraînait des limitations fonctionnelles, il est logique de considérer qu’il estimait qu’elle entraînait également des séquelles fonctionnelles autres qu’un préjudice esthétique. Conséquemment, il est d’avis que les décisions initiales rendues par la CSST les 23 et 30 mars 2010 devraient être annulées.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Au départ, il paraît opportun de faire un rappel chronologique des faits mis en preuve.
[8] Le 27 août 2007, le travailleur alors âgé de 27 ans subit un accident du travail dans l’exercice de son emploi de charpentier-menuisier pour l’employeur. Dans sa réclamation déposée à la CSST, il explique être tombé d’un mur d’une hauteur approximative de 9 pieds et s’être blessé à la jambe gauche.
[9] À compter du 7 septembre 2007, le travailleur est suivi par le docteur Philippe Bernier. Ce dernier diagnostique d’abord un hématome post-traumatique au mollet gauche avec cellulite secondaire. Par la suite, il fait également mention d’un diagnostic de rupture musculaire au mollet gauche avec cellulite post-traumatique. À sa demande, le travailleur reçoit un traitement conservateur, incluant une antibiothérapie intraveineuse et de la physiothérapie. Entre-temps, il demeure en arrêt de travail.
[10] Le 7 janvier 2008, le docteur Bernier transmet à la CSST un rapport final. Il retient comme diagnostic de la lésion professionnelle une rupture musculaire au mollet gauche avec cellulite post-traumatique. Il indique que cette lésion sera consolidée le 14 janvier 2008 et spécifie qu’elle n’entraîne aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni aucune limitation fonctionnelle.
[11] Au cours de l’hiver 2008, le travailleur est en période de chômage.
[12] Au printemps 2008, le travailleur recommence à travailler pour l’employeur. Progressivement, il note une réapparition des symptômes touchant son mollet gauche.
[13] Le 3 août 2008, le docteur Michel Ferron examine le travailleur et diagnostique une cellulite au mollet gauche. Il traite cette pathologie au moyen d’une antibiothérapie intraveineuse pour quelques jours, laquelle est suivie d’une antibiothérapie par voie buccale pour une dizaine de jours.
[14] Dans les jours suivants, le travailleur dépose à la CSST une réclamation dans laquelle il allègue avoir subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale. Cette réclamation est initialement refusée. Par contre, à la suite d’une révision administrative, la CSST accepte la réclamation et reconnaît que le travailleur a subi le 3 août 2008 une récidive, rechute ou aggravation. Le diagnostic retenu en lien avec cette nouvelle lésion professionnelle est une cellulite au mollet gauche.
[15] À cette époque, le travailleur demeure en arrêt de travailleur.
[16] Le 22 août 2008, le travailleur passe une échographie du membre inférieur gauche. La radiologiste qui en interprète le résultat note la présence d’une cellulite au mollet gauche avec possiblement un foyer de nécrose graisseuse surinfectée. En cours d’examen, elle procède à une ponction du liquide cellulaire qu’elle suspecte être du pus.
[17] Le 18 septembre 2008, à la demande du docteur Bernier, le docteur Simon Mercier, orthopédiste, examine le travailleur. Il suggère de poursuivre l’investigation au moyen d’une résonance magnétique.
[18] Le 30 septembre 2008, le travailleur passe la résonance magnétique demandée. La radiologiste qui en interprète le résultat fait mention de la présence d’un remaniement inflammatoire de la graisse sous-cutanée dans la région du mollet gauche.
[19] Dans les mois suivants, les docteurs Bernier et Mercier revoient le travailleur sur une base régulière. Ils notent qu’il est en attente d’une consultation auprès d’un chirurgien-plasticien qui doit décider de l’opportunité de procéder à une chirurgie.
[20] Le 22 janvier 2009, le docteur André Léveillé, chirurgien-plasticien, examine le travailleur. Il prévoit procéder à une chirurgie exploratoire au mollet gauche dans les semaines à venir.
[21] Le 11 mars 2009, le docteur Léveillé effectue l’intervention chirurgicale planifiée, à savoir un débridement avec drainage d’hématome au mollet gauche.
[22] Après cette intervention chirurgicale, le travailleur continue d’être suivi par les docteurs Bernier et Mercier, plus fréquemment par ce dernier. Il reçoit divers traitements postchirurgicaux, notamment de la physiothérapie.
[23] Le 28 avril 2009, le docteur Mercier transmet à la CSST un rapport final. Il spécifie que la lésion est consolidée, qu’elle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, mais aucune limitation fonctionnelle. Il autorise le travailleur à effectuer un retour au travail.
[24] Quelques jours plus tard, le travailleur recommence à travailler. Dès ce moment, il ressent toutefois d’importantes douleurs au mollet gauche.
[25] Le 14 mai 2009, le travailleur consulte une médecin dans un service d’urgence, qui recommande un nouvel arrêt de travail et suggère une nouvelle antibiothérapie intraveineuse.
[26] À partir de cette période, le travailleur est de nouveau en arrêt de travail. Il est suivi par le docteur Bernier et bénéficie de divers traitements, entre autres, de la physiothérapie.
[27] Le 20 octobre 2009, le docteur Mercier examine le travailleur dans le cadre d’un examen de contrôle. Il note que sa condition est en bonne voie de résolution.
[28] Le 10 novembre 2009, le docteur Mercier revoit le travailleur. Il note qu’il présente toujours certains symptômes. Il recommande de poursuivre les traitements de physiothérapie et autorise le travailleur à effectuer un retour au travail, aux « travaux légers » pour une période d’un mois. À l’audience, le travailleur indique qu’il ressentait à cette époque des élancements au membre inférieur gauche.
[29] Le 10 décembre 2009, le docteur Mercier examine de nouveau le travailleur. Il note que sa condition est inchangée et qu’il tolère les travaux légers. Il recommande de poursuivre les traitements entrepris.
[30] Le 7 janvier 2010, le docteur Mercier revoit le travailleur. À cette occasion, il rédige un rapport final dans lequel il inscrit que la lésion est consolidée à la date de son examen et qu’elle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Il précise que ce n’est pas lui qui produira le rapport d’évaluation médicale. Il ajoute que le travailleur peut continuer d’effectuer des travaux légers.
[31] Le 14 janvier 2010, le docteur André Beaupré, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de la CSST. Il rédige ensuite (le 19 janvier 2010) un rapport d’expertise dans lequel il conclut que la lésion professionnelle est consolidée, qu’elle entraîne un déficit anatomophysiologique de 0 % (atteinte des tissus mous sans séquelle fonctionnelle ni changement radiologique) et un préjudice esthétique de 4 % (cicatrice vicieuse au membre inférieur gauche de 8 cm par 0,5 cm), mais signale qu’elle n’entraîne aucune limitation fonctionnelle.
[32] Le ou vers le 23 mars 2010[1], la CSST reçoit du docteur Mercier un rapport complémentaire (sur un formulaire de la CSST) dans lequel il indique être d’accord avec les conclusions du docteur Beaupré. Dans la section du formulaire intitulée Conclusions étayées, où il est inscrit : Expliquez, les raisons pour lesquelles vous maintenez ou vous modifiez votre opinion, il écrit simplement : « D’accord avec l’expertise du [docteur] Beaupré ».
[33] Les 23 et 30 mars 2010, la CSST rend des décisions donnant suite au rapport d’expertise du docteur Beaupré et au rapport complémentaire du docteur Mercier. Ainsi, dans la première décision, elle déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi habituel depuis le 14 janvier 2010, sa lésion professionnelle étant consolidée sans limitations fonctionnelles. Dans la seconde, elle fixe l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique résultant de la lésion professionnelle à 4,40 %, incluant 0,40 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Ces décisions sont à l’origine du litige dans le présent dossier.
[34] À l’audience, le travailleur relate ne jamais avoir revu le docteur Mercier après sa consultation du 7 janvier 2010. Il mentionne n’avoir reçu aucune communication de sa part après cette date. Il explique avoir été informé, par l’entremise de la CSST, du contenu de son rapport complémentaire, et ce, après réception des décisions du mois de mars 2010. Il ajoute ne pas comprendre les motifs pour lesquels le docteur Mercier a pu changer d’avis après avoir été informé des conclusions du docteur Beaupré.
[35] En cours de témoignage, le travailleur explique avoir continué d’effectuer des tâches allégées jusqu’à l’automne 2010, spécifiant avoir dû adapter par la suite son travail en fonction de certaines contraintes au plan physique en lien avec les séquelles de sa lésion au mollet gauche. Il signale avoir rencontré le docteur Léveillé en juin 2010 et ajoute que ce dernier lui a alors suggéré de continuer « les travaux légers ».
[36] Monsieur Christian Bernard témoigne également à l’audience. Il confirme que les tâches du travailleur ont dû être modifiées pour tenir compte des séquelles de sa lésion professionnelle.
[37] Le représentant du travailleur plaide que le processus d’évaluation médicale est irrégulier, principalement parce que le docteur Mercier n’a pas étayé les raisons pour lesquelles il a modifié son opinion après réception du rapport d’expertise du docteur Beaupré et n’en a pas informé le travailleur. Tenant compte de ces irrégularités, il souligne que les questions médicales en lien avec l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles auraient dû faire l’objet d’une demande au Bureau d’évaluation médicale.
[38] Avant de commenter les arguments évoqués, il y a lieu d’examiner les principales dispositions législatives applicables dans ce genre de litige.
[39] Lorsqu’une lésion professionnelle est consolidée, le médecin qui a charge du travailleur doit produire un rapport final et éventuellement un rapport d’évaluation médicale sur les formulaires prescrits par la CSST, le tout en vertu de l’article 203 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[40] Si aucune procédure de contestation médicale n’est entreprise à l’initiative de l’employeur ou de la CSST, l’avis du médecin qui a charge concernant les cinq sujets d’ordre médical énumérés à l’article 212 de la loi lie la CSST aux fins de rendre sa décision, conformément à l’article 224 de la loi. Voici ce que ces deux articles stipulent :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[41] La CSST et l’employeur peuvent cependant se prévaloir de la procédure de contestation médicale et demander que le dossier soit soumis au Bureau d’évaluation médicale. Dans le cas de la CSST[3], cette possibilité prend assise sur les articles 204 et 206 de la loi :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
[42] Lorsque le Bureau d’évaluation médicale est saisi d’une demande et se prononce sur les sujets d’ordre médical prévus à l’article 212 de la loi, c’est son avis qui devient liant pour la CSST, le tout conformément à l’article 224.1 de la loi :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[43] L’article 215 de la loi oblige par ailleurs la CSST et l’employeur à transmettre au travailleur et à son médecin une copie des rapports qu’ils reçoivent dans le cadre de la procédure de contestation médicale :
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
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1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
[44] L’article 205.1 de la loi spécifie qu’avant que le dossier ne soit transmis au Bureau d’évaluation médicale, le médecin qui a charge du travailleur — après avoir reçu le rapport du médecin mandaté par la CSST qui infirme ses conclusions — dispose d’un délai de 30 jours pour produire un rapport complémentaire en vue d’étayer ses propres conclusions et y joindre, le cas échéant, un rapport de consultation motivé. L’article ajoute que ce médecin doit alors informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport complémentaire. Voici précisément ce que prévoit l’article 205.1 :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[45] L’article 212.1 de la loi est au même effet et s’applique lorsque la procédure d’évaluation médicale est engagée par l’employeur plutôt que par la CSST. La jurisprudence développée en application de l’article 212.1 est donc applicable aux cas qui relèvent de l’article 205.1.
[46] Autant l’article 205.1 que l’article 212.1 prévoient que le rapport complémentaire est rédigé par le médecin qui a charge du travailleur « en vue d’étayer ses conclusions ».
[47] La jurisprudence[4] enseigne que pour se conformer à ces dispositions, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer son avis pour permettre de comprendre, du moins sommairement, les raisons qui l'amènent à changer son opinion, dans la mesure où il change effectivement d’opinion. Dans l’affaire Sifonios et Circul-Aire inc.[5], la juge administrative Crochetière spécifie que l’expression « étayer ses conclusions » implique « que le médecin énonce les éléments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications ».
[48] En outre, pour en venir à la conclusion que le médecin qui a charge du travailleur a changé d’opinion pour se rallier aux conclusions du médecin de l’employeur ou de la CSST, il faut que sa nouvelle opinion soit « claire et limpide »[6] ou, exprimé autrement, que son rapport complémentaire « ne présente aucune ambiguïté et ne porte pas à interprétation »[7].
[49] À défaut d’être conforme à ces exigences, autant celle voulant que la nouvelle opinion soit « étayée » que celle exigeant qu’elle ne puisse prêter à confusion, le rapport complémentaire sera jugé irrégulier et n’aura aucun caractère liant[8].
[50] Dans l’affaire Landry et Recyclage Trans-Pneus inc.[9], la juge administrative Burdett écrit à ce sujet :
[58] Étant donné que les conclusions médicales du médecin qui a charge sont liantes et ne peuvent être contestées par le travailleur, l'opinion exprimée par ce médecin se doit d'être claire, ne pas présenter d'ambiguïté et ne pas porter à interprétation. Le simple fait de se dire en accord avec les conclusions du médecin désigné est insuffisant3. Le rapport complémentaire ne présente donc aucun caractère liant pour la CSST et doit être écarté4.
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3,4 [Références omises]
[51] Par ailleurs, la jurisprudence est partagée quant à savoir si l'omission du médecin qui a charge d'informer le travailleur du contenu de son rapport complémentaire invalide ou non celui-ci. A priori, la jurisprudence majoritaire[10], à laquelle le soussigné souscrit, semble toutefois considérer que même si cette obligation constitue un rouage dans la transmission de l'information au travailleur, aucune sanction n'y est rattachée. C’est ce que rappelle la juge administrative Monique Lamarre dans l’affaire Bouchard et Martin Chevrolet Oldsmobile inc.[11], lorsqu’elle écrit :
[83] Par ailleurs, comme il a été décidé à maintes reprises dans le passé, la Commission des lésions professionnelles retient que le défaut du médecin traitant d’informer le travailleur du contenu de son rapport complémentaire n’invalide pas ce rapport. En effet, la Commission des lésions professionnelles estime que cette obligation d’information qui est faite au médecin traitant constitue un rouage dans la transmission de l’information au travailleur pour l’informer si le processus d’indemnisation doit être poursuivi ou interrompu. Aucune sanction n’y est rattachée et le travailleur demeure lié par les conclusions de son médecin […].
[52] Appliquons maintenant ces principes aux faits de la présente affaire.
[53] De toute évidence, le rapport complémentaire du docteur Mercier contrevient à l’une des exigences jurisprudentielles énoncées dans les derniers paragraphes.
[54] En effet, en transmettant ce rapport complémentaire à la CSST, le docteur Mercier a fait défaut d’y étayer ses conclusions. Il s’est contenté d’inscrire une courte mention afin de faire part de son accord avec les conclusions du docteur Beaupré.
[55] Rien dans la preuve présentée ne permet de comprendre pourquoi le docteur Mercier a ainsi changé d’opinion quant à la présence de séquelles permanentes.
[56] Il s’agit d’une lacune importante, puisque les conclusions contenues dans le rapport d’expertise du docteur Beaupré du 19 janvier 2010 sont diamétralement opposées à celles inscrites dans son rapport final rédigé moins de deux semaines auparavant, soit le 7 janvier 2010. S’il avait examiné le travailleur durant cet intervalle, on pourrait présumer qu’il a constaté une amélioration non prévisible de sa condition, mais selon la preuve, il n’a jamais revu le travailleur après la rédaction de son rapport final.
[57] Il faut ici préciser que ce constat vaut autant pour la question de l’atteinte permanente que pour celle ayant trait aux limitations fonctionnelles. En effet, puisque le docteur Mercier indique dans son rapport final que la lésion professionnelle entraîne des limitations fonctionnelles, il est logique de considérer qu’il estimait qu’elle entraînait également des séquelles fonctionnelles autres qu’un préjudice esthétique.
[58] Cette omission du docteur Mercier d’étayer son changement d’opinion sur les séquelles de la lésion professionnelle fait en sorte que son rapport complémentaire doit être écarté.
[59] Au-delà de ce qui précède, il ne faut pas perdre de vue que le docteur Mercier a indiqué dans son rapport final qu’il n’entendait pas produire de rapport d’évaluation médicale. Même s’il ne s’agit pas ici d’un élément déterminant, il y a lieu de souligner que dans un contexte semblable, le juge Daniel Therrien écrit, dans l’affaire Naudi et Société de Contrôle Johnson, s.e.c[12], que le médecin qui a charge qui indique dans son rapport final qu'il ne produira pas de rapport d’évaluation médicale et demande que cette évaluation soit faite par un autre médecin renonce à son statut, de sorte qu'il ne peut, par la suite, produire un rapport complémentaire.
[60] En définitive, le tribunal constate que le rapport complémentaire du docteur Mercier n’a aucune valeur ni aucun effet liant pour la CSST. Ainsi, les décisions qui ont donné suite au rapport d’expertise du docteur Beaupré et à ce rapport complémentaire doivent être annulées.
[61] En conséquence, les questions d’ordre médical contestées, à savoir l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles, devront être soumises au Bureau d'évaluation médicale avant que la CSST ne statue de nouveau sur ces sujets et sur la capacité du travailleur à exercer son emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Maxime Bernard, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision du travailleur du 22 avril 2010;
DÉCLARE nulle les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail les 23 et 30 mars 2010 statuant sur l’indemnité pour préjudice corporel et la capacité du travailleur à exercer son emploi habituel;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que les questions d’ordre médical contestées, à savoir l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles, soient soumises au Bureau d'évaluation médicale.
[1] La date de signature inscrite sur le rapport complémentaire est le 1er février 2010. Il s’agit probablement d’une erreur, puisque sur un formulaire de transmission du dossier au Bureau d’évaluation médicale, il est inscrit que le rapport complémentaire a été transmis au docteur Mercier le 2 février 2010. Il faut souligner que ce formulaire, signé le 17 mars 2010, spécifie qu’à cette dernière date, le rapport complémentaire n’est pas encore reçu. La demande au Bureau d’évaluation médicale a finalement été annulée le 23 mars 2010, la mention suivante ayant été manuscrite sur le formulaire : « Annulé 2010/03/23 rapp. compl. reçu ».
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Dans le cas de l’employeur, ce sont les articles 209, 212 et 212.1 de la loi qui encadrent ce pouvoir.
[4] Voir notamment : Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, Monique Lamarre. Clermont et Broderie Rive-Sud, C.L.P. 254081-62B-0501, 15 décembre 2005, Alain Vaillancourt.
[5] C.L.P. 284622-71-0603, 25 juillet 2007, L. Crochetière, (07LP-101), révision rejetée, 23 octobre 2007, L. Nadeau (N.B. Cette décision est souvent citée au regard de cette question).
[6] Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine, révision rejetée, [2007] C.L.P. 508 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-078, 7 octobre 2008, j. Marcelin.
[7] Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, précitée, note 6; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault, C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arseneau; Centre Bell et Gagnon, C.L.P.352073-71-0806, 14 avril 2010, J.-F. Martel; Mazda Chatel et Arseneault, 2011 QCCLP 1880 .
[8] Les Aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 297872-71-0609, 23 juillet 2007, L. Landriault; Sifonios et Circul-Aire inc., précitée, note 5; Scierie Parent inc. et Duguay, [2007] C.L.P. 872 , révision rejetée, 271310-04-0509, 24 octobre 2008, J.-M. Dubois, (08LP-156).
[9] C.L.P. 331251-62C-0710, 9 décembre 2008, C. Burdett.
[10] Rangers et Asphalte ST, C.L.P. 364388-02-0811, 1er juin 2009, R. Bernard; Hamilton et Toyota Pie IX inc., C.L.P. 312268-63-0703, 4 mars 2010, P. Perron, révision rejetée, 2011 QCCLP 1532 ; Bouchard et Martin Chevrolet Oldsmobile inc., C.L.P. 387069-31-0908, 27 octobre 2010, Monique Lamarre.
[11] Précitée, note 10.
[12] 2011 QCCLP 3319 ; voir au même effet : Pimparé et Gestion Hunt Groupe Synergie inc., C.L.P. 374205-63-0904, 29 décembre 2009, I. Piché, requête en révision rejetée, 3 février 2011, Anne Vaillancourt.
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