Décision

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Côté c. Commission de la santé et de la sécurité du travail

2012 QCCA 1146

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007313-114

(200-17-012845-103)

 

DATE :

14 juin 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

BERNARD CÔTÉ

APPELANT - Mis en cause

c.

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

INTIMÉS - Requérants

et

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

MISE EN CAUSE - Intimée

et

LA TRAVERSE RIVIÈRE-DU-LOUP / ST-SIMÉON LTÉE

MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 4 février 2011 par la Cour supérieure (l'honorable Benoit Moulin), rectifié le 1er mars 2011, qui annule une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 16 mars 2010;

[2]           Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Bich et Kasirer;

[3]           Rejette l'appel, avec dépens.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

Me Marius Ménard (absent)

Ménard, Milliard

Me Marilaine Roy, procureure conseil

Pour l'appelant

 

Me Pierre-Michel Lajeunesse

Vigneault, Thibodeau

Pour l'intimée la Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Mes Frédéric Maheux et Syltiane Isabelle Goulet

Chamberland, Gagnon

Pour l'intimé le Procureur général du Québec

 

Date d’audience :

6 octobre 2011


 

 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[4]           Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Cour supérieure[1] rendu le 4 février 2011 (l'honorable Benoît Moulin), rectifié le 1er mars 2011, qui annule une décision de la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») rendue le 16 mars 2010[2].

[5]           Sans pour autant déclarer invalide l'article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »)[3], la CLP refuse d'appliquer cette disposition à la situation de l'appelant au motif qu'il serait alors privé en raison de son âge (64 ans) du même avantage conféré par la loi à de plus jeunes travailleurs. Elle décide donc, vu la preuve de l'incapacité de l'appelant à occuper un emploi due à une lésion professionnelle, qu'il peut toucher l'indemnité de remplacement de revenu prévue à l'article 45 de la LATMP, et ce, sans aucune réduction.

[6]           En désaccord avec cette conclusion, les intimés la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») et le procureur général du Québec (« PG ») ont présenté en Cour supérieure une requête en révision judiciaire. À cette occasion, par une requête incidente, l'appelant demandait à la Cour de :

Déclarer invalide l'article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne et de l'article 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Charte canadienne).

[7]           Ce pourvoi met en relief le régime d'indemnisation prévu à la LATMP. Il convient dès à présent de reproduire les dispositions législatives pertinentes. Il y a tout d'abord celle qui confère un droit au bénéficiaire de recevoir une indemnité de remplacement de revenu et celles qui en établissent la valeur et la durée :

44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

44. A worker who suffers an employment injury is entitled to an income replacement indemnity if he becomes unable to carry on his employment by reason of the injury.

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

A worker who is no longer employed when his employment injury appears is entitled to the income replacement indemnity if he becomes unable to carry on the employment he usually held.

45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

45. The income replacement indemnity is equal to 90% of the weighted net income that the worker derives annually from his employment.

46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

46. A worker is presumed to be unable to carry on his employment until the employment injury he has suffered has consolidated.

[8]           Il y a aussi les dispositions qui traitent de la proportion annuelle de réduction de l'indemnité et du moment où s'amorce cette diminution ainsi que les circonstances conditionnant la fin du régime à l'égard du bénéficiaire :

56. L'indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.

56. The income replacement indemnity is reduced by 25% from the sixty-fifth birthday of the worker, by 50% from the second year and by 75% from the third year following the said date.

Cependant, l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans est réduite de 25 % à compter de la deuxième année suivant la date du début de son incapacité, de 50 % à compter de la troisième année et de 75 % à compter de la quatrième année suivant cette date.

Notwithstanding the first paragraph, the income replacement indemnity of a worker who suffered an employment injury when 64 years of age is reduced, by 25% from the second year following the date of the beginning of his disability, by 50% from the third year and by 75% from the fourth year following the said date.

57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

57. The right to an income replacement indemnity is extinguished from the earliest of the following events:

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;

2° au décès du travailleur; ou

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

(1) when the worker is again able to carry on his employment, subject to section 48;

(2) the death of the worker; or

(3) the sixty-eighth birthday of the worker or, if he suffers an employment injury when 64 years of age or over, four years after the date he became unable to carry on his employment.

[9]           En l'espèce, l'appelant s'en prend à la validité du deuxième alinéa de l'article 56 de la LATMP qu'il estime être discriminatoire en raison des mots « d'au moins 64 ans » « when 64 years of age »[4] que contient cette disposition.

Le contexte

[10]        Le 1er août 2007, l'appelant, alors au travail, glisse sur une flaque d'huile. Il subit une entorse au genou droit. Quatre mois après cet incident, âgé de 64 ans, il se blesse à nouveau au même genou. Le diagnostic cette fois est une déchirure méniscale accompagnée d'une synovite[5] qui le laissera incapable d'exercer son emploi.

[11]        La LATMP prévoit dans la situation de l'appelant que l'indemnité sera réduite de 25 % à compter de la deuxième année suivant la date du début de son incapacité.

[12]        Étant d'avis que, en raison de son âge, la loi diminue prématurément la compensation à laquelle il a droit, l'appelant conteste sa validité.

Les décisions des instances inférieures

I)    La décision de la CLP

[13]        L'appelant demandait à la CLP de déclarer l'article 56 de la LATMP inopérant aux motifs que cette disposition est contraire à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise »)[6] ainsi qu'au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne »)[7].

[14]        La CLP rappelle qu'elle a compétence pour trancher toutes les questions de droit soulevées à l'occasion du litige dont elle est saisie, incluant celles relatives à l'application des chartes. Elle ajoute que, même si elle ne peut déclarer invalide une disposition qu'elle juge contraire à la Charte québécoise ou à la Charte canadienne, elle conserve cependant le pouvoir d'imposer une mesure réparatrice lorsque les circonstances s'y prêtent[8].

[15]        Elle considère que l'article 56 de la LATMP, dans son ensemble, prévoit une distinction fondée sur l'âge. Elle se dit d'avis que la norme mentionnée à cette disposition (« au moins 64 ans ») contrevient à l'article 10 de la Charte québécoise, et ce, même si la distinction en cause est prévue par la loi.

[16]        Poursuivant cette fois son analyse selon le paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne, la CLP retient que le groupe de l'appelant est plus vulnérable économiquement que les plus jeunes membres de la société, qu'il est souvent l'objet de préjugés concernant ses aptitudes au travail et qu'il est en conséquence plus susceptible de se voir appliquer certains stéréotypes.

[17]        Au final, la CLP conclut que l'article 56 pénalise et marginalise l'appelant au seul motif qu'il est âgé d'au moins 64 ans. Partant, elle juge la disposition discriminatoire. Elle estime en dernier lieu qu'une telle atteinte ne peut se justifier au sens de l'article premier de la Charte canadienne.

II)   Le jugement de la Cour supérieure

[18]        Le juge de la Cour supérieure décide que la norme de contrôle applicable aux fins de l'examen de la décision de la CLP est celle de la décision correcte[9]. Cette détermination, acceptée par toutes les parties, l'autorise à entreprendre sa propre analyse de la question en litige qu'il formule ainsi :

L'article 56 contrevient-il aux dispositions de l'une et l'autre des chartes?

[19]        Il rappelle tout d'abord que la partie qui affirme être victime d'une atteinte à ses droits fondamentaux doit démontrer par prépondérance des probabilités que :

-   la disposition législative attaquée crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; et

-   que cette distinction provoque un désavantage par la perpétuation d'un préjugé ou l'application de stéréotypes.

[20]        Puis, il retient que l'article 56 de la LATMP prévoit une distinction fondée sur l'âge. Malgré cette conclusion qui rejoint celle de la CLP, il reproche cependant à cette dernière de ne pas avoir pris suffisamment en compte les différents facteurs contextuels élaborés dans l'arrêt Law[10] avant de conclure comme elle l'a fait à une inégalité réelle ou à un préjugé défavorable à l'égard du groupe de l'appelant.

[21]        Appliquant à son tour les facteurs contextuels pertinents, le juge se dit d'avis que l'appelant n'a pas démontré avoir souffert d'un désavantage réel même si la disposition contestée fait en sorte que l'indemnité à laquelle il a droit diminue de 25 % à compter de la deuxième année suivant le début de l'incapacité.

[22]        Il fait aussi remarquer que cette baisse de revenu sera, le cas échéant, compensée au moment de la retraite par la mise en œuvre de différents régimes étatiques à caractère social qui s'appliqueront alors à la situation de l'appelant. Il ajoute que la norme mentionnée à l'article 56 se justifie aisément lorsqu'on prend en compte l'objectif de la loi ainsi que son contexte général.

[23]        Bref, le juge considère que l'appelant n'a pas établi que la distinction fondée sur l'âge mentionnée à l'article 56 perpétue à l'égard des membres de son groupe un préjugé ou encore lui applique un stéréotype quelconque.

[24]        Quant à l'argument relatif à la Charte québécoise, le juge souligne que l'article 56 énonce expressément une distinction fondée sur l'âge. Comme il s'agit d'une norme fixée par la loi elle-même, l'exception que suggèrent les mots « dans la mesure prévue par la loi » contenus à l'article 10 de la Charte québécoise trouverait application.

Questions en litige

[25]        L'appelant propose de débattre des questions suivantes :

1.         L'article 56 de la LATMP établit-il une distinction fondée sur l'âge qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à l'égalité des travailleurs âgés, victimes de lésions professionnelles?

2.         Cette distinction est-elle discriminatoire et contraire au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne et à l'article 10 de la Charte québécoise?

3.         Cette distinction est-elle justifiée au sens de l'article premier de la Charte canadienne?

[26]        Cependant, malgré la formulation des questions en litige, l'appelant ne nous demande pas d'invalider au complet l'article 56 de la LATMP, limitant ses attentes au deuxième alinéa de cette disposition. Voici comment cette idée est exprimée dans son mémoire :

[25]      Bien que l'article 56 LATMP prévoit la réduction de l'indemnité du revenu pour tous ceux qui en bénéficient à compter de leur soixante-cinquième anniversaire, le litige soumis ne concerne que la situation des travailleurs victimes d'une lésion professionnelle et incapables d'exercer leur emploi alors qu'ils sont âgés d'au moins 64 ans, comme ce fut le cas pour l'appelant M. Bernard Côté;

[…]

[30]      Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 56 LATMP détruit ou compromet le droit à l'égalité de l'APPELANT en le privant, en raison exclusivement de son âge, de son droit au même bénéfice de la loi que les autres travailleurs accidentés du travail;

[…]

[48]      L'article 56, alinéa 2 est en conséquence contraire à l'article 15 (1) de la Charte canadienne;

[27]        La seule véritable question que soulève ce pourvoi consiste à mon avis à déterminer si, à sa face même ou par son effet apparent, le deuxième alinéa de l'article 56 de la LATMP contient une distinction préjudiciable fondée sur l'âge.

[28]        Passons maintenant à l'analyse de cette question.

Analyse

[29]        Âgé de 64 ans au moment de la survenance d'une lésion professionnelle, l'appelant témoigne que, n'eût été cet événement, il aurait maintenu deux emplois rémunérateurs, et ce, bien après son soixante-cinquième anniversaire de naissance. Il soutient que le deuxième alinéa de l'article 56 de la LATMP ignore sa vision de l'avenir en ne tenant pas compte du moment où il choisira librement de quitter le marché du travail. Il ajoute que cette disposition le prive de profiter de la même indemnité de remplacement de revenu que celle réservée à de plus jeunes travailleurs placés dans les mêmes circonstances que lui.

[30]        L'arrêt Andrews[11] propose la définition suivante de la discrimination :

[…] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.  Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.

[31]        Ce passage fait bien ressortir l'idée selon laquelle ce ne sont pas toutes les distinctions qui se révéleront être contraires au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne et que l'absence de traitement identique n'est pas nécessairement révélateur d'une discrimination.

[32]        Pour trancher une question relative à l'application du paragraphe 15 (1), l'arrêt Kapp[12] nous invite à suivre une démarche en deux temps. La première étape consiste à se demander si nous sommes en présence d'une distinction préjudiciable fondée sur un des motifs énumérés à ce paragraphe. C'est uniquement dans le cas où la réponse à cette question s'avérerait affirmative que le décideur doit ensuite passer à la deuxième étape et déterminer si la distinction en cause résulte de la perpétuation d'un préjugé ou de l'application d'un stéréotype à l'égard des membres du groupe visé par la disposition contestée.

[33]        En l'espèce, l'appelant devait tout d'abord démontrer que, en raison de son âge, l'effet apparent du régime d'indemnisation avait comme conséquence de le priver du même avantage que celui conféré aux autres travailleurs. Je considère qu'il n'a pas franchi ce premier stade. Je m'explique.

- L'article 10 de la Charte québécoise

[34]        L'article 10 de la Charte québécoise[13] édicte :

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

10. Every person has a right to full and equal recognition and exercise of his human rights and freedoms, without distinction, exclusion or preference based on race, colour, sex, pregnancy, sexual orientation, civil status, age except as provided by law, religion, political convictions, language, ethnic or national origin, social condition, a handicap or the use of any means to palliate a handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Discrimination exists where such a distinction, exclusion or preference has the effect of nullifying or impairing such right.

[35]        Il n'est pas ici contesté que le régime d'indemnisation mis en place par la LAMTP réfère à des bénéficiaires de différents groupes d'âge[14]. Cette conclusion ne permet pas pour autant de donner ouverture à l'application de l'article 10 de la Charte québécoise.

[36]        Pour les raisons que j'exprime plus avant au moment de discuter de l'application du paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne, je suis d'avis qu'il n'a pas été prouvé que la loi crée à l'égard de l'appelant un désavantage résultant d'un traitement différent de celui réservé aux plus jeunes travailleurs.

[37]        J'ajoute que de toute manière celui qui soutient que son droit à l'égalité est violé ne peut bénéficier de la protection conférée à l'article 10 de la Charte québécoise que s'il démontre que cette atteinte coïncide avec la violation d'un autre droit énuméré dans la Charte. Voici comment notre Cour s'est déjà exprimée sur cette question :

[42]      En effet, et pour conclure, la jurisprudence établit clairement que, contrairement à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, la discrimination prohibée par l'article 10 de la Charte québécoise n'existe que lorsqu'un droit fondamental énoncé ailleurs dans la Charte est brimé pour l'un ou l'autre des motifs contenus à cet article […].[15]

[38]        Par ailleurs, même si les articles 56 et 57 de la LAMTP comportaient une distinction préjudiciable, ce qui à mon avis n'a pas été établi, il faut aussi considérer que l'article 10 de la Charte québécoise autorise une disposition législative à opérer un traitement différent fondé sur l'âge sans pour autant contrevenir au droit à l'égalité. Le passage suivant de l'arrêt Velk résume bien l'état du droit sur ce point :

[41]      Par ailleurs, McGill n'a aucune obligation de fixer cet âge au-delà de 69 ans. La distinction susceptible d'en résulter est prévue et autorisée par la loi de sorte qu'il n'y a aucune discrimination qui en découle au sens de l'article 10 de la Charte québécoise.[16]

[39]        Quoique l'arrêt Velk soit postérieur à la décision de la CLP, en l'espèce, il était quand même étonnant que, sur cette question, elle n'ait pas choisi d'emprunter la voie déjà tracée par sa propre jurisprudence :

Il ressort, en effet, du libellé même de l'article 10 de la Charte québécoise que toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'âge « sauf dans la mesure prévue par la loi », ce qui implique qu'une distinction fondée sur l'âge, lorsqu'elle est prévue par la loi, n'est pas discriminatoire au sens de la Charte québécoise, puisqu'elle est alors permise.[17]

- Le paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne

[40]        Le paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne[18] est ainsi libellé :

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15.(1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[41]        Le juge de première instance admet d'emblée que la disposition attaquée crée une distinction préjudiciable fondée sur l'âge[19]. Le PG paraît concéder cette détermination puisque son mémoire n'aborde principalement que le deuxième volet de l'analyse proposée dans Kapp. Cette concession semble aussi être celle de la CSST.

[42]        Pour ma part, je ne suis pas prêt à admettre, du simple fait que la loi prévoit une modalité d'indemnisation adaptée à la situation des travailleurs âgés d'au moins 64 ans, qu'il en résulte forcément pour ce groupe un traitement différent laissant ainsi supposer l'existence d'un désavantage.

[43]        Je remarque que l'appelant ne fait pas de cas de cet autre régime prévu à la LATMP concernant les travailleurs âgés d'au moins 55 ans :

53. Le travailleur victime d'une maladie professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 55 ans ou celui qui est victime d'une autre lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 60 ans et qui subit, en raison de cette maladie ou de cette autre lésion, une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique qui le rend incapable d'exercer son emploi a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il n'occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez son employeur.

53. A worker who is the victim of an occupational disease when 55 years
of age or over or a person who suffers another employment injury when
60 years of age or over and who
sustains, by reason of that disease
or other injury, permanent physical or mental impairment that renders him
unable to carry on his employment is entitled to the income replacement indemnity provided for in section 45
until he holds a new employment or a suitable employment available with his employer.

Si ce travailleur occupe un nouvel
emploi, il a droit à l'indemnité prévue
par l'article 52; s'il occupe un emploi convenable chez son employeur ou
refuse sans raison valable de
l'occuper, il a droit à une indemnité
réduite du revenu net retenu qu'il tire
ou qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable, déterminé conformément à l'article 50.

If the worker referred to in the first paragraph holds a new employment, he is entitled to the indemnity provided for in section 52 and if he holds a suitable employment with his employer or refuses without valid reason to do so, he is entitled to an indemnity reduced by the amount of the weighted net income that he derives or could derive from the suitable employment, determined pursuant to section 50.

Lorsque ce travailleur occupe un emploi convenable disponible chez son employeur et que ce dernier met fin à cet emploi dans les deux ans suivant la date où le travailleur a commencé à l'exercer,
celui-ci récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.

Where the worker holds a suitable employment with his employer and the latter terminates such employment within two years after the date on which the worker began to hold it, the worker shall recover his right to the income
replacement indemnity provided for in section 45 and to the other benefits provided for in this Act.

[44]        La jurisprudence de la CLP s'est déjà penchée sur l'objet de cette disposition :

L'intention du législateur, quant à l'article 53, semble clairement indiquer qu'il a voulu éviter de soumettre un travailleur de plus de cinquante-cinq ans, devenu incapable d'exercer son emploi suite à une maladie professionnelle, au régime général de recherche d'un emploi équivalent ou d'un emploi convenable. C'est pourquoi le législateur consacre à son égard le droit à l'indemnité de remplacement de revenu prévue par l'article 45 tant qu'il n'occupe pas un nouvel emploi, et ce, sans égard aux articles 47, 48 et 49, articles plus contraignants, s'adressant aux travailleurs non protégés par l'article 53. En fait, compte tenu de la condition et de l'âge du travailleur, le législateur, par l'article 53, n'a pas voulu l'obliger à accepter quelqu'emploi que ce soit, qu'il soit convenable ou équivalent.[20]

[45]        À l'évidence, l'article 53 crée un régime particulier et vraisemblablement avantageux pour les travailleurs appartenant au groupe d'âge des 55 ans et plus. Ce seul exemple montre bien que toutes les distinctions fondées sur l'âge ne sont pas nécessairement attentatoires.

[46]        Dans le cas qui nous occupe, l'étude de la question de la « distinction préjudiciable » nécessitait à la première étape de conclure non seulement à la présence d'une véritable distinction, mais aussi de s'interroger sur l'existence du désavantage apparent que doit nécessairement comporter la distinction reprochée pour être rangée parmi les motifs énumérés ou analogues de 15 (1).

[47]        Cela dit, je rappelle que la validité du premier alinéa de l'article 56 de la LATMP n'est pas remise en question. J'en déduis que l'appelant accepte non seulement le choix du législateur d'établir à 65 ans l'âge présumé de la retraite, mais il reconnaît aussi le bien-fondé des taux de réduction de l'indemnité mentionnés à la loi à compter de l'atteinte de cet âge.

[48]        Or, cette disposition envisage pour tous les travailleurs âgés de moins de 64 ans, au moment de la survenance d'une lésion professionnelle, que l'indemnité de remplacement de revenu à laquelle ils ont droit soit réduite de 25 % à compter de leur soixante-cinquième anniversaire de naissance, de 50 % l'année suivante et de 75 % à compter de la troisième année. Pour ces travailleurs, le droit à l'indemnité prendra fin le jour de leur soixante-huitième anniversaire de naissance conformément au paragraphe 3° de l'article 57.

[49]        Pour ceux qui subissent une lésion professionnelle alors qu'ils sont âgés d'au moins 64 ans, le deuxième alinéa de l'article 56 prévoit que leur indemnité sera réduite de 25 % la deuxième année suivant la date du début de l'incapacité, de 50 % à compter de la troisième année et de 75 % l'année suivante. Concernant ces bénéficiaires, le droit à l'indemnité s'éteindra quatre ans après le début de l'incapacité.

[50]        Une simple analyse comparative de la situation de ces deux groupes de travailleurs montre bien qu'il n'existe entre eux aucun véritable désavantage. Bien plus, si le travailleur âgé d'au moins 64 ans subit une lésion à quelque moment durant sa soixante-quatrième année, l'indemnisation à laquelle il a droit se prolongera pour la même durée au-delà du jour de son soixante-huitième anniversaire de naissance. Un plus jeune travailleur, le fut-il de seulement un an, ne peut espérer un tel traitement, la durée de son indemnité devant se terminer inéluctablement le jour de son soixante-huitième anniversaire.

[51]        Il n'est pas nécessaire de se livrer à un examen plus approfondi de la disposition litigieuse pour conclure que les deux groupes de travailleurs auront droit à la même indemnité équivalant à 90 % du revenu net tiré annuellement de leur emploi. Tous verront la fin de la période d'indemnisation s'étaler sur trois ans et être diminuée progressivement selon les mêmes proportions et finalement, tous se verront appliquer la même norme quant à l'âge présumé de la retraite.

[52]        En définitive, j'estime que la distinction ici reprochée, lorsque analysée sous l'angle du désavantage, ne se vérifie pas sous l'éclairage de la preuve qui démontre au contraire que l'appelant n'a pas été traité différemment des autres bénéficiaires. Ce n'est pas parce que la loi tente de concilier l'intérêt de différents groupes de travailleurs qu'il faut nécessairement y voir là une distinction apparente et par surcroît préjudiciable.

[53]        Si la thèse de l'appelant consiste à plaider que le tort qu'il a subi est de ne pas avoir souffert d'une lésion plus tôt dans sa vie de travailleur, le privant ainsi d'une plus longue période d'indemnisation et le privant potentiellement de recevoir une indemnité jusqu'à ce qu'il ait recouvré sa capacité de gains[21], je considère qu'un tel argument, reposant essentiellement sur les aléas de la vie (ou du travail), ne permet pas de soutenir sérieusement une atteinte au droit à l'égalité. Il faut aussi noter que, pour reprendre l'exemple du travailleur plus jeune, si celui-ci ne recouvre pas sa capacité d'exercer un emploi, sa prestation, tout comme celle de l'appelant, sera assujettie aux articles 56 et 57 de la LATMP.

[54]        Si par ailleurs la prétention de l'appelant tient à l'idée selon laquelle la période d'indemnisation devrait correspondre à ses propres projections quant à la durée de sa vie active, non seulement le régime d'indemnisation de la LATMP deviendrait ingérable, car tributaire d'une trop grande subjectivité, mais il serait aussi dénaturé, voire transformé en un véritable système de rentes viagères, ce qui manifestement ne correspond pas à l'objet de la loi tel que cerné par la jurisprudence[22].

[55]        Je note en terminant que le syllogisme de l'appelant ne tient pas compte du lien indéniable qui unit le deuxième alinéa de l'article 56 avec le paragraphe 3° de l'article 57 de la LATMP. La première disposition prévoit pour le bénéficiaire âgé d'au moins 64 ans l'étalement de la diminution de l'indemnité sur trois ans et la seconde anticipe l'extinction de son droit à l'indemnité quatre ans après la date de l'incapacité démontrée.

[56]        Comme ces dispositions visent le même groupe de travailleurs (ceux âgés d'au moins 64 ans), il est difficile d'isoler l'argument de l'appelant à la seule réalité du deuxième alinéa de l'article 56 sans tenir compte de la disposition complémentaire, le paragraphe 3° de l'article 57. Avec égards, j'y vois là une certaine contradiction.

Conclusion

[57]        Si du strict point de vue de la sémantique on peut admettre qu'un texte législatif qui identifie un groupe de personnes selon son âge crée ainsi une distinction entre ce groupe et les autres membres de la société, il n'est cependant pas permis pour cette seule raison de présumer que la loi à sa face même contient une distinction préjudiciable fondée sur l'âge. On doit, avant de tirer une conclusion aussi radicale, convenir dans un premier temps que, du moins en apparence, la disposition contestée contient les germes de la discrimination au sens où l'entend l'arrêt Andrews.

[58]        En l'espèce et quitte à le redire, cette démonstration n'a pas été faite. La position divergente qu'entretient l'appelant à l'égard du deuxième alinéa de l'article 56 de la LAMTP repose essentiellement sur sa propre conception de l'âge de la retraite et sur son opinion quant à la fin non prévisible de sa vie active.

[59]        Pour ces raisons, je suis d'avis que, à sa face même ou par son effet apparent, le deuxième alinéa de l'article 56 ne prive pas l'appelant des avantages accordés aux autres bénéficiaires du régime implanté par la loi. Je propose donc de rejeter l'appel avec dépens.

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 



[1]     Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, J.E. 2011-489 (C.S.), 2011 QCCS 610 (« Jugement dont appel »).

[2]     Côté et Traverse Rivière-du-Loup St-Siméon, 2010 QCCLP 2074 (« Décision CLP »).

[3]     Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, art. 56 .

[4]     Vu l'interprétation possiblement différente des locutions « d'au moins 64 ans » et « when 64 years of age » contenues aux versions française et anglaise du deuxième alinéa de l'article 56 de la LATMP, il convient de retenir la version française qui est celle qui s'harmonise le mieux avec les autres dispositions de la loi, surtout lorsqu'on la compare à la formulation de la règle analogue énoncée au paragraphe 3° de l'article 57.

[5]     Selon la preuve entendue devant la CLP, une synovite est une condition médicale non spécifique qui se manifeste par un gonflement, une rougeur et de la chaleur au site d'une articulation. Voir Décision CLP, paragr. 21.

[6]     Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.

[7]     Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[8]     Gauthier c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2007] R.J.D.T. 1376 (C.A.), 2007 QCCA 1433 .

[9]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , 2008 CSC 9 , paragr. 57 et 59; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Tessier ltée, [2010] R.J.Q. 2131 (C.A.), 2010 QCCA 1642 .

[10]    Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 .

[11]    Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 , 174-175.

[12]    R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483 , 2008 CSC 41 , paragr. 17. Voir aussi Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396 , 2011 CSC 12 , paragr. 30-32.

[13]    Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.

[14]    Voir LAMTP, art. 53 et 56.

[15]    Velk c. Université McGill, J.E. 2011-664 (C.A.), 2011 QCCA 578 , paragr. 42.

[16]    Ibid., paragr. 41.

[17]    Marie et Viande Richelieu inc., 2008 QCCLP 5038 , paragr. 26 (en gras dans l'original).

[18]    Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[19]    Jugement dont appel, paragr. 31.

[20]    Bardier et Q.I.T. - Fer & Titane Inc., C.L.P., n° 27698-62-9104, 3 décembre 1993, commissaire G. Robichaud.

[21]    Voir M.A., paragr. 29.

[22]    Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 .

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