Décision

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Gabarit EDJ

Badamshin c. Panasonic Corporation

2015 QCCS 6554

JD 2315

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

DATE :

Le 22 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

N° :500-06-000703-146

 

YANA BADAMSHIN

Requérante

c.

PANASONIC CORPORATION ET AL.

Intimées

 

N° :500-06-000704-144

 

OPTION CONSOMMATEURS

Requérante

c.

LOUIS-ALEXANDRE LECLAIRE

Personne désignée

c.

PANASONIC CORPORATION ET AL.

Intimées

 

N° 500-06-000705-141

 

MATHIEU HÉRARD

Requérant

c.

PANASONIC CORPORATION ET AL.

Intimées

 

 

N° 500-06-000712-147

 

ARCHIE MARTIN

Requérant

c.

PANASONIC CORPORATION ET AL.

Intimées

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Options Consommateurs (O.C.) présente un avis de gestion qui se lit comme suit :

« OBJET DE LA CONFÉRENCE DE GESTION D'INSTANCE : déterminer lequel de quatre recours collectifs concurrents doit procéder en premier.

En effet :

1.    Quatre requêtes pour autorisation d'exercer un recours collectif ont été déposées au Québec relativement à un complot allégué concernant la vente de condensateurs. De ce nombre, deux l'ont été le 6 août, un le 7 août et un quatrième le 25 septembre 2014. Le tableau qui suit présente l'information pertinente à ces quatre dossiers sous forme de sommaire :

     

Dossier

Requérant

Cabinet

Date

Paiement des droits de greffe

500-06-000703-146

Badamshin

Consumer Law Group

06-08-2014

14h19

500-06-000704-144

Option consommateurs

Belleau Lapointe

06-08-2014

16h22

500-06-000705-141

Hérard

Paquette Gadler

07-06-2014

14h17

500-06-000712-147

Martin

Merchant Law Group

25-09-2014

16h17

 

2.    Il est opportun de suspendre trois de ces quatre recours dans l'attente qu'un jugement soit rendu sur la Requête en autorisation du recours ne faisant pas l'objet d'une suspension.

 


 

 

Ainsi, Option Consommateurs demandera au Tribunal de :

 

a)    Identifier laquelle des quatre Requêtes pour autorisation d'exercer un recours collectif déposées dans les dossiers 500-06-000703-146, 500-06-000704-144, 500-06-000705-141 et 500-06-000712-147 doit être entendue en priorité à la lumière des enseignements de la Cour d'appel dans les affaires Servier [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.) et Schmidt (2012 QCCA 2132);

 

b)    Suspendre les trois autres dossiers jusqu'à ce jugement final soit rendu sur la Requête pour autorisation d'exercer un recours collectif dans le dossier identifié ».

 

[2]           Pour les fins du présent jugement, le Tribunal fera référence aux recours comme suit :

-   Badamshin;

-   Option Consommateurs (O.C.)

-   Hérard;

-   Martin.

[3]           Badamshin présente une requête datée du 3 décembre 2015 pour amender sa requête en autorisation ainsi qu'une requête pour suspendre le recours d'O.C. dans no : 500-06-000704-144 jusqu'à jugement final dans son dossier portant le no : 500-06-000703-146.

[4]           Hérard et Martin acceptent de suspendre leur dossier jusqu'à jugement final dans l'un ou l'autre des dossiers 1 et 2 selon les conclusions du présent jugement.

POSITION DES PARTIES

a)            Badamshin

1.    La règle du premier qui dépose ou " first to file " doit s'appliquer;

2.    Elle a la capacité légale de représenter les membres;

3.    Sa requête en autorisation est complète, bien structurée et énonce clairement la théorie de la cause;

 

 

4.    Il n'y a pas lieu de faire une étude comparative des requêtes au niveau d'une requête pour suspension;

5.    Elle veut procéder avec diligence au Québec.

b)            Option Consommateurs

l.    La requête de Badamshin est un « copier-coller » des requêtes déposées aux États-Unis;

2.    Badamshin ne peut produire plusieurs pièces alléguées dans les recours aux États-Unis, lesquelles sont sous scellées, ce qui constitue une lacune majeure;

3.    Badamshin n'a pas fait avancer son dossier depuis son dépôt le 6 août 2014;

4.    Badamshin a déposé rapidement son recours pour occuper le terrain au Québec, tout en multipliant les recours dans d'autres provinces;

5.    O.C. veut procéder dans le meilleur intérêt des membres.

ANALYSE ET DÉCISION SUR LA REQUÊTE POUR SUSPENSION

[5]           Les parties admettent qu'il y a litispendance entre les quatre recours.

[6]           L'arrêt Servier de la Cour d'appel établit la règle du « premier qui dépose » en 1999[1].

[7]           En 2012, dans l'arrêt Schmidt [2]l la Cour d'appel décide qu'il y a lieu d'appliquer cette règle avec souplesse. Voici comment le juge Dalphond campe le débat :

« [16] Le juge affirme qu'il n'a pas à appliquer aveuglément la règle du « premier qui dépose » (règle Servier), ce qui risque de donner lieu à l’« ambulance chasing» et au « forum shopping », des comportements susceptibles de nuire à une saine administration de la justice et aux meilleurs intérêts des membres. Il propose une application souple de la règle Servier, adaptée au contexte de chaque affaire.

[17] En l’espèce, il souligne que la requête introductive de l'appelant ne comportait que trois paragraphes quant à sa réclamation, qu'elle a ensuite tardé à être signifiée et que MLG souhaite désormais se désister contre deux des trois groupes de défendeurs. Selon lui, tout cela démontre que MLG a préparé les procédures déposées au Québec à la hâte, sans recherche suffisante et sans développer sérieusement une cause d'action. Le juge croit aussi que les autres recours intentés ailleurs au Canada par MLG auront préséance sur celui au Québec, qui demeurera vraisemblablement inactif. Pour lui, MLG tente tout simplement d'occuper le terrain et de bloquer l’entrée en scène d'autres cabinets d'avocats, afin de récolter seul tous les bénéfices.

[18] Par contre, Dick posséderait, à première vue, les qualités requises pour assurer une représentation adéquate des résidants du Québec. De plus, la requête préparée par ses avocats est bien structurée et énonce clairement la théorie de la cause et les conclusions recherchées. Quant aux avocats de Dick, il retient qu’ils font le nécessaire pour faire avancer le dossier. »

[8]           Le juge Dalphond discute ensuite de la position acceptée dans les autres provinces dans le cas de recours concurrents qui donnent lieu à des « carriage motions » déposées pour un groupe d'avocats suivies d'une « carriage hearing » coûteuse :

« [41] Depuis lors, dans les provinces de common law où les recours collectifs sont reconnus, on procède, en cas de pluralité de recours similaires, à une audition appelée Carriage Hearing à la suite de la signification par un des groupes d'avocats d'une Carriage Motion. Le tribunal saisi détermine alors s'il est effectivement en présence de recours collectifs concurrents en examinant leurs finalités et les descriptions des groupes. S'il en arrive à la conclusion que tel est le cas, il examine ensuite une série de critères, lesquels sont essentiellement ceux énoncés en 2000 et soulignés plus haut[8], auxquels on ajoute des variantes, comme l’existence d’un possible conflit d’intérêts (voir un jugement fouillé récent : Smith v. Sino-Forest Corporation, 2012 ONSC 24).

[42] En somme, un juge agissant au nom des membres putatifs désigne leur représentant et surtout leurs avocats. L'exercice tend alors à devenir une véritable joute entre des bureaux d'avocats en compétition pour l'obtention d'un lucratif mandat conféré par un juge au nom de clients pour l'essentiel inconnus. L'utilisation de critères comme le niveau de préparation des deux requêtes, les ressources et l'expérience des avocats, etc., pour déterminer lequel serait autorisé à aller de l'avant ne peut que rendre l'exercice hautement discrétionnaire et largement subjectif. »


[9]           La Cour d'appel détermine la procédure à suivre au Québec :

« [47] Comme plusieurs autres auteurs, ils soulignent que, dans le cadre d'un recours collectif, le juge a un rôle de protection des intérêts des membres absents[10] et  ils proposent l'adoption d'une approche intermédiaire.

[48] À mon avis, c'est l'approche que cette Cour doit désormais favoriser, soit la deuxième des options décrites précédemment. Aller plus loin et retenir l'option de la Carriage Motion constitueraient un virage trop important, dont on ne me démontre pas à ce jour les avantages. D'ailleurs, aucune des parties devant nous ne le propose.

[49] Il s'ensuit que le juge De Grandpré n'a pas commis d'erreur de droit en affirmant que « [l]e tribunal n'a pas à appliquer aveuglément le principe ou la règle du “First to file” » (paragr. 9) et en soutenant que le tribunal « a le devoir de veiller à ce que les intérêts de toutes les personnes représentées soient adéquatement protégés » (paragr. 11). Par contre, dans son analyse, il me semble trop comparer les deux requêtes en autorisation et le comportement des avocats qui les mettent de l'avant, ce qui le rapproche dangereusement d'un Carriage Hearing.

[50] À mon avis, les effets pervers décriés plus haut tiennent d'un détournement de la finalité de la règle Servier. Cependant, ceux-ci pourraient possiblement être contrés par une application souple de la règle Servier se traduisant comme suit :

- la première requête déposée au greffe est, en principe, celle qui sera entendue en priorité;

- les requêtes subséquentes sont, entre-temps, suspendues et ne seront entendues, dans l'ordre de dépôt, que si la précédente est rejetée;

- la préséance dont jouit la première requête peut faire l'objet d'une remise en question par les avocats responsables des requêtes subséquentes; et

- celui qui conteste la préséance a le fardeau d'établir que la requête qui en bénéficie n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, mais constitue plutôt un abus de la règle Servier.

[51] La démonstration que la première requête n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs doit être faite à partir d'éléments propres à la requête contestée et non par une démonstration de la supériorité de la qualité de la requête concurrente, du représentant proposé ou des avocats qui la mettent de l'avant. Il ne s'agit pas d'une joute entre deux cabinets d'avocats à la recherche d'honoraires ou entre deux organisations à la recherche de publicité.

[52] Ainsi, est admissible la démonstration que la première requête déposée au greffe souffre de graves lacunes, que les avocats qui en sont les responsables ne s'empressent pas de la faire progresser, qu'ils ont déposé des procédures similaires ailleurs au Canada, et ce, pour les mêmes membres putatifs, etc., c'est-à-dire des indices que les avocats derrière la première procédure tentent uniquement d'occuper le terrain et ne sont pas mus par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois.

[53] Lorsque la première requête est de qualité acceptable et que les avocats qui la mettent de l'avant démontrent leur volonté de faire progresser le dossier dans les meilleurs délais, la règle du premier qui dépose devrait prévaloir pour éviter un débat long et coûteux comme il peut y en avoir dans le reste du Canada sur la meilleure des procédures, avec tout l'aspect subjectif, voire aléatoire, que cela peut représenter. »

[10]        La Cour d'appel précise qu'il n'y a pas lieu de rechercher le représentant idéal, mais de s'assurer que « le requérant a la capacité légale de représenter les membres ».

[11]        Le juge Dalphond ajoute qu'une étude comparative de la capacité de représenter ne devrait pas se faire à l'étape préalable d'une requête pour suspension.

« [60] Il est clair que la capacité de représenter adéquatement les membres du groupe est un critère à examiner au stade de l'autorisation en vertu de l'article 1003 C.p.c. Toutefois, je ne crois pas que cette question devrait faire l'objet d'une étude comparative à l'étape préalable d'une requête pour suspension. Hormis le fait que le représentant n'a manifestement pas qualité pour agir, ce qui est une lacune sérieuse de la procédure, le juge saisi d'une requête en suspension n'a pas à tenter de déterminer si le requérant est la personne idéale pour représenter les membres. Il doit seulement s'assurer que le requérant a la capacité légale de représenter les membres.

[…]

 [62] Sur le tout, je suis d'avis que la situation en l'espèce constitue un cas où le juge pouvait conclure que la requête de l'appelant comportait des lacunes importantes qui, ajoutées au comportement de MLG (défaut de signification, absence d'empressement de procéder au Québec, etc.), démontraient que les intérêts des membres du groupe commandaient de suspendre la première requête et de procéder plutôt sur la requête du mis en cause. »

APPLICATION DE CES PRINCIPES

[12]        O.C. a donc le fardeau d'établir que la requête Badamshin « n'est pas mue dans le meilleur intérêt des membres putatifs, mais constitue plutôt un abus de la règle Servier.

[13]        Badamshin désire le statut de représentante pour le groupe qu'elle décrit comme suit :

« 1. Petitioner wishes to institute a class action on behalf of the following group, of which she is a member, namely:

·         all residents in Canada who purchased either an aluminum, tantalum and/or film capacitor (a "Capacitor") manufactured by a Respondent and/or a Capacitor Product containing a Capacitor manufactured by a Respondent, or from any predecessors, parents, subsidiaries, agents or affiliates thereof, at any time between January 1, 2002 and the present (the "Class Period"), or any other group to be determined by the Court;

Alternately (or as a subclass)

·         all residents in Quebec who purchased either an aluminum, tantalum and/or film capacitor (a "Capacitor") manufactured by a Respondent and/or a Capacitor Product containing a Capacitor manufactured by a Respondent, or from any predecessors, parents, subsidiaries, agents or affiliates thereof, at any time between January 1, 2002 and the present (the "Class Period"), or any other group to be determined by the Court. »

[14]        O.C. désire le statut de représentante pour le groupe qu'elle décrit comme suit :

            « La Requérante demande l'autorisation d'exercer un recours collectif contre les     Intimées pour le compte du groupe dont la Personne désignée fait partie, à      savoir :

Toute personne qui a acheté au Québec un ou des condensateurs électrolytiques ou un ou des produits équipés d'un ou de plusieurs condensateurs électrolytiques entre le premier septembre l997 et le premier août 2014.

Toutefois, une personne morale de droit privé, une société ou une association n'est membre du groupe que si, en tout temps entre le 6 août 2013 et le 6 août 2014 elle comptait sous sa direction ou sous son contrôle au plus cinquante (50) personnes liées à elle par contrat de travail, et qu'elle n'est pas liée avec la requérante. »


S'AGIT-IL D'UN « COPIER-COLLER »?

[15]        O.C. présente deux tableaux de comparaison démontrant que tant la requête originale du 6 août 2014 que la requête amendée pour autorisation du 2 décembre 2015 sont des « copier-coller » de requêtes américaines antérieures[3] [4].

[16]        Ces comparaisons sont faites avec les recours déposés aux États-Unis et annexés à ces deux tableaux :

1.    eIQ Energy Inc., plaintiff déposée dans l'état de New Jersey le 1er août 014;

2.    Chip-Tech, Ltd., déposée le 18 juillet 2014 dans l'état de la Californie;

3.    Flectronics International USA Inc. déposée le 22 juillet 2015 dans l'état de la Californie;

4.    All indirect purchaser actions déposée le 16 juin 2015 dans l'état de la Californie.

[17]        Il s'agit effectivement d'un copier-coller de recours américains auxquels Badamshin apporte quelques ajustements.

[18]        À titre d'exemple, le paragraphe 12 du recours Chip-Tech, Ltd. se lit comme suit[5] :

« 12. For at least the last nine and a half years, Defendants conspired together by directly and indirectly communicating with each other to effectuate a scheme to control market prices of aluminum and tantalum electrolytic capacitors directed toward and sold into the United States market. Defendants also agreed to combine and perform the various acts necessary to achieve the anticompetitive purposes of this scheme. »

[19]        Le paragraphe 118 de la requête en autorisation Badamshin se lit comme suit[6] :

« 118. For at least the last nine and a half years, the Respondents colluded by directly and indirectly communicating with each other to effectuate a scheme to control market prices of aluminum, tantalum and film capacitors directed toward and sold into the Canadian market. Respondents also agreed to combine and perform the various acts necessary to achieve the anticompetitive purposes of this scheme. »

[20]        On a donc ajouté les mots "and film" et remplacé les mots « United States market » par les mots « Canadian market ».

[21]        À plusieurs autres endroits, on remplace les mots « aluminium and tantalum electrolytic capacitors » par le mot « Capacitors » avec un C majuscule.

[22]        Au paragraphe 149[7], Badamshin remplace le mot « approximately » par le mot « over » qui se trouve au paragraphe 36 du recours collectif Chip-Tech, Ltd.

[23]        Ainsi, les allégations « approximately 12% of the market » et « approximately 8% of the market » deviennent « over 12% of the market » et « over 8% of the market ».

[24]        O.C. reproche à Badamshin de ne pas produire des pièces importantes qui sont alléguées dans les recours américains, mais qui y sont mises sous scellées.

[25]        Notamment, elle allègue sans les produire les documents suivants dans sa requête amendée :

a)    au paragraphe 6.3 : Records of cartel meetings;

b)    au paragraphe 132.28 : 2008 e-mail;

c)    au paragraphe 132.36 : 2007 e-mail;

d)    au paragraphe 132.37 : 2009 e-mail;

e)    au paragraphe 132.38 : multiple e-mails;

f)     au paragraphe 240.3 : e-mails, summaries and notes recounting secretive cartel meetings.

[26]        Badamshin s'en remet donc aux dossiers américains dans sa requête en autorisation.


[27]        La juge Claudine Roy, dans l'affaire MacMillan[8] critique cette façon de faire dans les termes suivants :

« [118] M. MacMillan doit démontrer qu'il est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres (art. 1003 d) C.p.c.).

[119] Essentiellement, cela signifie qu'il doit satisfaire à trois exigences :

· posséder un intérêt personnel;

· être compétent, c'est-à-dire, être « ce mandataire par qui les membres accepteraient d'être représentés si la demande était formée selon l'article 59 C.p.c. »[40];

· ne pas être en conflit avec les membres du groupe.

[…]

[124] Il est regrettable de constater que les paragraphes 64 à 71 de la Requête sont identiques, mot pour mot, aux allégations de ces autres requêtes.

[125] Plusieurs raisons amènent le Tribunal à conclure que M. MacMillan n'est pas un représentant adéquat :

[...]

· son procureur a déposé la Requête avant même d'avoir vu le dossier médical de M. MacMillan;

· la Requête contient certaines informations qui sont fausses;

· il a fallu que le Tribunal insiste à plusieurs reprises pour qu'il produise finalement deux courriels de membres qu'il a contactés concernant le recours collectif, ce qui a permis au Tribunal de constater qu'il n'a tenté de communiquer avec eux que quelques jours avant l'audience.

[126] M. MacMillan et son avocat n'ont pas fait preuve du sérieux nécessaire pour représenter les membres d'un groupe dans le recours collectif envisagé.

[127] La condition de l'art. 1003 d) C.p.c. n'est pas satisfaite. »


[28]        Le Tribunal s’interroge sur l’impact, lors de l’audition de la requête en autorisation, de la quantité importante d’allégations qui s’appuient sur des pièces qui ne sont pas en possession de la requérante ni de son avocat puisqu’elles ont été scellées dans les dossiers américains.

[29]        Badamshin ne peut prétendre qu'en agissant ainsi, sa requête est mue dans le meilleur intérêt des membres.

[30]        Sa requête fait voir des lacunes importantes, et ce, dans de nombreux paragraphes qui constituent la pierre angulaire du recours.

MULTIPLICATION DES RECOURS POUR OCCUPER LE TERRAIN

[31]        Après avoir déposé le présent recours au Québec, les procureurs de Badamshin, Consumer Law Group (ci-après CLGr) déposent, le 11 août 2014, en Ontario, au nom de Michael Taylor, une requête en certification d'un recours collectif visant le groupe suivant[9] :

« All resident in Canada that purchased either an aluminum, tantalum and/or film capacitor (a " Capacitor") manufactured by a Defendant and/or a Capacitor Product containing a Capacitor manufactured by a Defendant, or from any predecessors, parents, subsidiaries, agents thereof, at any time between January 1, 2005 and the present (the "Class Period"). »

[32]        Dans une lettre adressée au soussigné CLGr écrit ce qui suit[10] :

« Our firm is cooperating with Merchant Law Group, who filed related actions in several other Canadian provinces. »

[33]        Dans les faits, Merchant Law Group (ci-après MLGr) non seulement dépose le recours no 4 au Québec, le 25 septembre 2014, au nom de Martin, mais en dépose quatre autres[11] visant le même groupe et la même période.

1-    Le 6 octobre 2014 en Colombie-Britannique;

2-    Le 6 novembre 2014 au Manitoba;

3-    Le 3 octobre 2014 en Ontario;

4-    Le 3 octobre 2014 en Saskatchewan.

[34]        Plusieurs tribunaux canadiens ont eu l'occasion de se prononcer sur cette pratique qu’ils condamnent unanimement[12].

[35]        Ainsi, la Cour d'appel de la Saskatchewan, dans l'arrêt Boehringer Ingelheim (Canada) Ltd c. Englund[13] devait déterminer si un recours collectif déposé dans cette province, mais identique à un recours déposé en Ontario, notamment en ce qu'il était défendu par les mêmes procureurs devait être suspendu parce que constituant un abus de procédures.

[36]        Voici, comment la Cour d'appel accueille cette demande :

« [34] It is well established that the commencement by a plaintiff of more than one action in the same jurisdiction against a defendant in relation to the same dispute or matter is an abuse of process.  As Sir George Jessel observed over one hundred years ago, “It is prima facie vexatious to bring two actions where one will do”.  See:  McHenry v. Lewis, [1883] 22 Ch. D. 397. »

[37]        D'autres jugements se prononcent dans le même sens[14].

[38]        Le 9 avril 2015, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse condamne cette pratique de déposer des recours identiques dans plusieurs provinces dans les termes suivants[15] :

« [41] Absent an intent to prosecute the Nova Scotia claims, bringing an action in Nova Scotia serves no proper purpose. It is improper to file a claim in multiple jurisdictions, or even to file a single claim in a single jurisdiction when there is no intention to advances that litigation. The absence of intention to prosecute the Nova Scotia claim or an attempt at re-litigation here, weighs against the respondents on the issue of abuse or process.

[…]

[43] Delay in advancing the Nova Scotia action is somewhat related to the issue of the original intention not to proceed with the Nova Scotia action. Delay in and of itself can result in an abuse of process.[…]

[…]

[46] MLG suggests that starting virtually identical actions across the country is not unusual and can be sound practice. Commencing multiple class actions and then doing nothing is not permissible “tactics”. […]

 

[…]

[73] The respondents suggest that a valid reason for commencing identical actions in numerous jurisdictions is so they can maintain carriage of the claim. Filing actions in numerous jurisdictions simply to maintain carriage is not a positive thing for the respondents nor something that I condone.

[74] The result is that, if there were indeed claimants in this province who wished to pursue this case as a class action, on a national or provincial basis, they would first have to enter into a carriage dispute with the MLG group. What is especially distasteful in this case is that the action filed in Nova Scotia was one that was never intended to be pursued. Filing to maintain carriage must be discouraged. MLG’s involvement in Nova Scotia should come to an end. It is an abuse of process to file a claim in Nova Scotia should come to an end. It is an abuse of process to file a claim in Nova Scotia simply to maintain carriage. »

[39]        CLGr et MLGr déposent donc cinq autres recours dans quatre autres provinces, et ce, pour les mêmes membres putatifs.

[40]        Ainsi, un deuxième critère d’analyse suggéré par la Cour d’appel[16] est rencontré par O.C. pour démontrer que le recours Badamshin n’est pas mû par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois.

ABSENCE DE PROGRÈS DU DOSSIER DEPUIS LE DÉPÔT DU RECOURS

[41]        O.C. reproche à CLGr de ne pas avoir fait progresser le dossier.

[42]        Le soussigné écrit aux avocats[17] le 7 juillet 2015 et leur demande de faire diligence pour que la demande d’autorisation soit entendue dans l’année qui suit le dépôt.

[43]        O.C. dépose un cahier de correspondance[18] pour démontrer que CLGr n’a pas fait preuve de diligence.

[44]        CLGr ne fait pas diligence pour répondre aux lettres qui lui sont adressées.

 

[45]        Le 31 août 2015, Me Rodrigo écrit au soussigné et note que certaines défenderesses n’ont toujours pas été signifiées de la requête en autorisation de Badamshin, soit plus d’un an après le dépôt du recours[19].

[46]        Le 26 octobre 2015, CLGr écrit au soussigné et indique notamment que toutes les défenderesses ont été signifiées promptement[20].

[47]        Or, le procès-verbal de signification par Fedex démontre que Sanyo Electric Co., Ltd. n’a jamais reçu signification et que la procédure a été retournée à CLGr le 1er septembre 2014. Aucune démarche n’a été faite pour parer à cette absence de signification.

[48]        À ce jour, cinq défenderesses n’ont pas comparu et aucune inscription par défaut n’a été produite contre les quatre qui ont fait défaut de comparaître après avoir reçu signification.

[49]        Ce n’est donc que le 3 décembre 2015, après la fixation de la séance de gestion prévue pour le 9 décembre 2015, que CLGr signifie sa requête pour amender la requête en autorisation.

[50]        Même si CLGr plaide qu’il a l’intention de procéder au Québec, il faut conclure que Badamshin n’a pas fait diligence pour faire progresser le dossier.

[51]        Le dépôt de CLGr du recours en Ontario, ajouté aux autres recours déposés par MLGr avec qui il travaille en collaboration démontre leur intention d’occuper le terrain et d’attendre un règlement des recours américains.

[52]        D’ailleurs, lors de l’audition, CLGr avance que le recours entrepris au Québec est tributaire des recours américains.

[53]        CLGr ne convainc pas le Tribunal qu’il a l’intention de procéder au Québec et de faire avancer le dossier dans les meilleurs délais.

[54]        CLGr tente uniquement d’occuper le terrain et n’est pas mû par le meilleur intérêt des membres putatifs québécois.


 

CONCLUSIONS

[55]        Le Tribunal est d’avis qu’O.C. démontre que les membres seraient mieux servis par la suspension du recours Badamshin et de procéder sur le recours numéro deux déposé par O.C.

[56]        Vu cette conclusion, le Tribunal ne se prononcera pas sur la requête pour amendée de Badashim, laquelle sera continuée sine die.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[57]        Sur l’avis de gestion d’Option Consommateurs et sur la requête en suspension de Yana Badamshin :

[58]        REJETTE la requête pour suspendre les procédures présentée par Yana Badamshin;

[59]        ORDONNE la suspension des procédures judiciaires dans les dossiers de la Cour supérieure portant les numéros 500-06-000703-146, 500-06-000705-141 et 500-06-000712-147, jusqu’à ce que jugement final intervienne sur la requête amendée pour autorisation d’exercer un recours collectif dans le dossier 500-06-000704-144;

[60]        LE TOUT sans frais, compte tenu que les parties requérantes ont le même intérêt.

.

 

___________________

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

 

Groupe de droit des consommateurs inc.

Me Jeff Orenstein

Me Andrea Grass

Procureurs de la requérante Yana Badamshin

 

Belleau Lapointe

Me Maxime Nasr

Me Daniel Belleau

Me Violette Leblanc

Me David Lopez Sanso

Me Sylvie De Bellefeuille

Procureurs de la requérante Option Consommateurs

 

Paquette Gadler inc.

Me Guy Paquette

Procureurs du requérant Mathieu Hérard

 

Merchant Law Group LLP

Me Daniel Chung

Procureurs du requérant Archie Martin

 

Langlois Kronström Desjardins

Me Vincent De L’Étoile

Procureurs des défenderesses Panasonic et Sanyo

 

Gowlings, Lafleur, Henderson

Me Joëlle Boisvert

Procureurs de la défenderesse Kemet

 

McCarthy Tetrault

Me Madeleine Renaud, Ad. E.

Procureurs des défenderesses Vishay et Holi Stone

 

Lavery, De Billy

Me Jean Saint-Onge, Ad. E.

Procureurs de la défenderesse NEC Tokin

 

LCM Avocats

Me Bernard Amyot, Ad. E.

Procureurs pour les défenderesses Taiyo Yuden

 

Fasken Martineau

Me Noah Boudreau

Procureurs de la défenderesse Rohm Co. Ltd.

 

Irving Mitchell Kalichman

Me Jean-Michel Boudreau

Procureurs des défenderesses Nippon Chemi Con

Corporation et United Chemi Con Corporation

 

McMillan

Me Sidney Elbaz

Procureurs des défenderesses Nichicon

 

 

Miller Thomson

Me Fadi Amine

Procureurs de la défenderesse AVX Corporation

 

Osler, Hoskin & Harcourt

Me Alexandre Fallon

Procureurs des défenderesses NEC Canada inc.

et NEC Corporation

 

DLA Piper

Me Tania Da Silva

Procureurs des défenderesses ELNA

 

Stikeman Elliott

Me Yves Martineau

Procureurs des défenderesses Hitachi

 

Blake, Cassels & Graydon

Me Robert J. Torralbo

Procureurs des défenderesses Samsung

 

Davies Ward Phillips & Vineberg

Me Nick Rodrigo

Procureurs des défenderesses TDK

 

BDBL Avocats

Me Pascale Dionne-Bourassa

Procureurs des défenderesses Rubycon

 

Dentons Canada

Me Laurent Nahmiash

Procureurs de la défenderesse Matsuo Electric Co. Ltd.

 

Date d’audience :

 

Le 9 décembre 2015

 

 



[1]     Hotte c. Servier, [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.).

[2]     Schmidt c. Johnson & Johnson, 2012 QCCA 2132.

[3]     Tableau de comparaison de la Motion to authorize the bringing of a class action & to ascribe the status of a representative déposée par Consumer Law Group avec des requêtes américaines antérieures.

[4]     Tableau de comparaison de la Amended Motion to authorize the bringing of a class action & to ascribe the status of a representative déposée par Consumer Law Group avec des requêtes américaines antérieures.

[5]     Précité note 3, Onglet 3, par. 12.

[6]     Précité note 3, Onglet 1, par. 118.

[7]     Précité note 3, Onglet 1, par. 149.

[8]     MacMillan c. Abbott Laboratories, 2012 QCCS 1684.

[9]     Pièce R-1. Statement of claim.

[10]    Cahier de correspondance, onglet 18.

[11]    Cahier d'extraits des Requêtes canadiennes de Merchant Law Group, Onglets 1 à 5.

[12]    Cohen c. LG Chem ltd. et al. C.S. Montréal, no 500-06-000632-121, 18 décembre 2015, j. Roy.

[13]    2007 SKCA 62.

[14]    Duzan c. Glaxosmithkline, 2011 SKQB 118; Turon c. Abbott Laboratories Ltd., 2011ONSC 4343; Turon v. Abbott Laboratories Ltd., 2011 ONSC 4676; St-Marseille c. Procter & Gamble inc., 2012 QCCS 5419; Bear c. Merck Frosst Canada & Co., 2011 SKCA 152; BCE c. Gillis, 2015 NSCA 32; Drover v. BCE Inc., 2013 BCSC 50; Drover v. BCE Inc., 2013 BCSC 1341; Drover v. BCE Inc., 2015 BCCA 132; Hafichuk-Walkin v. BCE Inc., 2014 MBQB 175 (en appel).

[15]    BCE Inc. c. Gillis, 2015 NSCA 32, pp. 14, 15, 16, 25.

[16]    Précité note 2, par. 51.

[17]    Cahier de correspondance, Onglet 13.

[18]    Id., 32 onglets.

[19]    Id., Onglet 14.

[20]    Id., Onglet 18.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.