Décision

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Bérubé et Construction Dumais & Pelletier inc.

2011 QCCLP 7823

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

6 décembre 2011

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

382802-01A-0907-R

 

Dossier CSST :

134142322

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

Membres :

Marcel Beaumont, associations d’employeurs

 

Mario Boudreau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Denis Bérubé

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Construction Dumais & Pelletier inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 7 février 2011, Construction Dumais & Pelletier inc. (l'employeur) dépose une requête par laquelle il demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu'elle a rendue le 1er février 2011.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette le moyen préalable présenté par l'employeur, déclare que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 avril 2010 ne remplace pas celle qu'elle a rendue le 2 juin 2009 à la suite d'une révision administrative et convoque les parties à une audience portant sur le fond de la contestation déposée par monsieur Denis Bérubé (le travailleur) le 2 juillet 2009.

[3]           Les parties et leurs représentants étaient présents à l'audience que la Commission des lésions professionnelles a tenue à Rivière-du-Loup le 15 novembre 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L'employeur prétend que la décision rendue le 1er février 2011 comporte des vices de fond qui sont de nature à l'invalider.

[5]           Il demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision, d'accueillir le moyen préalable qu'il a présenté et de déclarer sans objet la contestation de monsieur Bérubé du 2 juillet 2009 et sans effet la décision de la CSST du 2 juin 2009.

LES FAITS

[6]           Le 2 décembre 2008, dans l'exercice de son emploi de tireur de joints, plâtrier et peintre chez l'employeur, monsieur Bérubé subit une lésion professionnelle au poignet gauche imputable au fait qu'il a accompli des tâches de plâtrage de manière intensive au cours des deux mois précédents. La CSST accepte sa réclamation comme accident du travail.

[7]           Le docteur Yves Raymond qu'il consulte le 2 décembre 2008 diagnostique une tendinite au poignet gauche et prescrit un arrêt de travail et de la physiothérapie. Le 12 janvier 2009, ce médecin fait état d'une bonne évolution et de la persistance d'une douleur en flexion. Il recommande la poursuite de la physiothérapie et la reprise du travail. Monsieur Bérubé recommence à travailler le même jour.

[8]           Le 16 février 2009, le docteur Raymond fait état de la tendinite au poignet gauche et il mentionne qu'il y a eu apparition d'une épicondylite au coude gauche à la suite du retour au travail. Il réitère ces deux diagnostics dans ses rapports subséquents.

[9]           Le 1er avril 2009, la CSST décide qu'il n'y a pas de relation entre l'épicondylite au coude gauche et l'événement du 2 décembre 2008 et que monsieur Bérubé n'a pas droit à des indemnités pour ce diagnostic. Ce dernier demande la révision de cette décision.

[10]        Le 2 juin 2009, à la suite d'une révision administrative, la CSST rejette sa contestation et déclare que le diagnostic d'épicondylite au coude gauche n'est pas relié à l'événement du 2 décembre 2008. Monsieur Bérubé porte cette décision en appel à la Commission des lésions professionnelles.

[11]        Au soutien de sa contestation, il transmet à la Commission des lésions professionnelles une expertise produite le 17 novembre 2009 dans laquelle le docteur Marc-André Latour, orthopédiste, émet l'opinion que l'épicondylite au coude gauche est reliée à l'événement du 2 décembre 2008 en expliquant les raisons qui supportent son opinion.

[12]        Le 10 janvier 2010, à la demande de l'employeur, le docteur Paul-O. Nadeau, orthopédiste, produit une expertise dans laquelle il retient que s'il y a eu une tendinite au poignet gauche et une épicondylite au coude gauche, ces lésions sont résolues.

[13]        Le 16 avril 2010, en qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur Sarto Arsenault, orthopédiste, émet un avis voulant que le diagnostic de la lésion survenue le 2 décembre 2008 soit celui de tendinite au poignet gauche. Dans les commentaires qu'il formule au soutien de sa conclusion, il écrit ce qui suit :

Ce n'est que le 12 février lorsque monsieur a repris le travail, qu'on a parlé d'épicondylite et je suis d'avis qu'il n'y a pas de relation entre la tendinite du poignet gauche et l'épicondylite du coude gauche.

 

De toute évidence, le diagnostic à retenir pour l'événement du 2 décembre 2008, est une lésion du poignet gauche avec un diagnostic de tendinite. L'épicondylite est survenue par après lorsqu'il a repris le travail.

 

 

[14]        Le 28 avril 2010, la CSST rend la décision suivante donnant suite de l’avis du docteur Arsenault :

Le diagnostic établi est une tendinite du poignet gauche. De plus, il n’y a pas de relation entre la tendinite du poignet gauche et l’épicondylite du coude gauche. La réclamation demeure donc refusée. La date de consolidation est le 7 avril 2009.

 

Les conclusions suivantes sont applicables seulement si la décision est modifiée en appel :

 

·         Les soins ou traitements ne sont pas justifiés le 7 avril 2009;

·         Votre lésion n’a pas entraîné d’atteinte permanente. Vous n’avez donc pas droit à une indemnité à cet égard.

·         Compte tenu de la date de consolidation de votre lésion et de l’absence de limitations fonctionnelles, nous concluons que vous êtes capable d’exercer votre emploi depuis le 7 avril 2009.

 

 

[15]        Monsieur Bérubé ne demande pas la révision de cette décision.

[16]        Le 23 septembre 2010, la Commission des lésions professionnelles tient une audience portant sur l'appel de monsieur Bérubé concernant la décision du 2 juin 2009 par laquelle la CSST confirme le refus du diagnostic d'épicondylite au coude gauche.

[17]        Au début de l'audience, l'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer sans objet la contestation de monsieur Bérubé au motif que la décision de la CSST du 2 juin 2009 a été remplacée par celle qu'elle a rendue le 28 avril 2010 donnant suite à l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale et qu'elle est donc devenue sans effet.

[18]        Dans la décision du 1er février 2011 qui fait l'objet de la requête en révision, le juge administratif rejette le moyen préalable présenté par l'employeur.

[19]        Après avoir indiqué, en citant des extraits de décisions, que la jurisprudence « n'est pas limpide quant aux conséquences d'une décision subséquente traitant de la même matière que la décision initiale », le juge administratif motive sa conclusion par les considérations suivantes :

[56]      Néanmoins, la lecture de la décision de la CSST rendue le 28 avril 2010, confirmant l’avis du Bureau d’évaluation médicale, ne permet pas au tribunal de conclure qu’elle modifie la décision initiale rendue. D’ailleurs, le Bureau d’évaluation médicale n’a pas remis en question la présence d’une épicondylite gauche diagnostiquée antérieurement par le médecin traitant, préférant décrire « […] de toute évidence, le diagnostic à retenir pour l’événement du 2 décembre 2008 est une lésion au poignet gauche avec un diagnostic de tendinite. L’épicondylite est survenue après, lorsqu’il a repris le travail. »

 

[57]      À cet égard, le tribunal souligne que les deux décisions de la CSST se prononcent sur l’existence d’une relation causale entre une blessure ou une maladie et le travail, ce qui relève d’une question d’ordre juridique et non médical8. Le tribunal ne peut être lié par la décision de la CSST, laquelle est basée sur l’opinion du docteur Arsenault, car elle ne modifie pas le diagnostic émis initialement par le médecin traitant, mais émet une opinion sur une question d’ordre juridique. Ainsi, l’opinion du membre du Bureau d’évaluation médicale n’est pas déterminante en l’espèce. Le tribunal ne peut alors conclure que la deuxième décision modifie ou remplace la première.

 

[58]      De plus, le tribunal est d’avis qu’il doit écarter les prétentions de l’employeur car il serait inéquitable, dans les circonstances, de déclarer le travailleur forclos de contester la décision de la CSST, relative à la relation causale entre l’événement d’origine et le deuxième diagnostic, à savoir l’épicondylite au coude gauche. Non seulement la décision rendue par la CSST le 28 avril 2010 n’informe pas le travailleur qu’elle remplace la décision initiale, mais elle semble plutôt indiquer qu’elle la confirme. D’ailleurs, l’agent d’indemnisation écrit qu’il y a absence de relation entre l’événement et le diagnostic, et que « […] la réclamation demeure donc refusée. » Ce libellé indique non pas le remplacement mais le maintien de la décision initiale. Plus loin, elle écrit que « […] les conclusions suivantes seront applicables seulement si la décision est modifiée en appel. » Il est évident, dans le contexte du présent dossier, que cette décision a pu porter confusion aux parties.

__________

8     Voir C.U.M. et Blouin, [1987] C.A.L.P. 62 ; Turgeon et Northern Telecom Canada ltée, C.A.L.P. 45465-60-9209, 27 juillet 1995, M. Zigby; Musto et Manufacture Mona Maria ltée, C.L.P. 47179-61-9211, 28 août 1995, L. Thibault; Delisle et Ispat-Sidbec inc., [1999] C.L.P. 929 ; Industries Hagen ltée et Lanthier, [2003] C.L.P. 882 ; CSST c. Bélair, C.A. Montréal,  500-09-014207-047, 28 mai 2004, jj. Mailhot, Baudouin, Pelletier.

[20]        Dans la requête en révision qui a été déposée, l'avocate qui représentait l'employeur lors de l'audience initiale prétend que la décision comporte des erreurs de droit manifestes et déterminantes et elle soumet à cette fin les arguments suivants :

11.     En effet, la décision rendue par la CSST en date du 28 avril 2010, à la suite de l'avis émis par le BEM, indique clairement ce qui suit :

 

« Le diagnostic établi est une tendinite du poignet gauche »

 

[nos soulignements]

 

12.     Nous vous rappelons que cette décision n'a jamais été contestée par le travailleur. Dès lors, et au risque de nous répéter, elle est devenue finale. Par conséquent, le seul diagnostic qui puisse lier tant la CSST que la CLP aux fins de rendre une décision est celui de tendinite du poignet gauche. Il n'existe strictement aucune autre possibilité.

 

13.     Si on devait accepter les conclusions du premier juge administratif, il s'ensuivrait nécessairement que le travailleur pourrait faire reconnaître, à titre de lésion professionnelle, un diagnostic spécifiquement exclu par la CSST à la suite d'un avis rendu par le BEM, au moyen d'une décision non contestée. Et tout cela en totale contradiction avec les dispositions claires et impératives édictées par l'article 224.1 LATMP. Cette seule possibilité illustre avec la plus grande limpidité l'ampleur flagrante de l'erreur commise.

 

14.     Autre erreur manifeste et déterminante, le premier juge administratif mentionne que le BEM ne remet pas en question la présence d'une épicondylite gauche. Il oublie cependant de mentionner qu'au terme de l'exercice, le BEM ne retient qu'un seul diagnostic, soit celui de tendinite du poignet gauche.

 

15.     Mais il y a mieux. Au paragraphe 57, le premier juge administratif indique que le tribunal ne peut être lié par la décision de la CSST qui est basée sur l'opinion du BEM, au motif que ce dernier émet une opinion sur une question d'ordre juridique. Doit-on en conclure que la CSST ne peut jamais, d'aucune façon, tenir compte de l'avis du BEM afin de déterminer l'existence ou non d'un lien causal entre une lésion et un fait accidentel donné, sous peine que sa décision soit ipso facto frappée de nullité ? Avec respect, on ne saurait raisonnablement souscrire à pareille conclusion.

 

16.     Encore une fois, le premier juge se pose la mauvaise question, ce qui l'amène fatalement à formuler la mauvaise réponse. Et il perd de vue la seule véritable considération qui aurait pourtant dû guider toute l'analyse : la décision de la CSST ne souffre d'aucune ambiguïté quant au diagnostic finalement retenu, pas plus que l'avis du BEM  sur cette question. Le diagnostic d'épicondylite n'a pas été retenu et la CLP ne peut strictement rien y changer, d'aucune façon, sans excéder gravement sa compétence. Les conclusions du BEM sont claires en ce qui concerne le diagnostic. La décision de la CSST l'est tout autant.

 

 

[21]        Le représentant de l'employeur a repris ces arguments lors de l'audience et il a déposé de la jurisprudence à l'appui de son argumentation.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[22]        Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être rejetée. Ils estiment que la conclusion à laquelle en vient le juge administratif résulte de son interprétation de la question de droit soulevée par l'employeur ainsi que de l'appréciation de la preuve au dossier et qu'elle ne comporte aucune erreur donnant ouverture à la révision de la décision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[23]        La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 1er février 2011.

[24]       Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[25]       Cet article constitue une exception au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.

[26]       L'employeur fonde sa requête sur le troisième motif, soit celui qui autorise la Commission des lésions professionnelles à réviser ou à révoquer une décision qui comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.

[27]       Cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » a été assimilée par la jurisprudence à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2]. La jurisprudence précise par ailleurs qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[3].

[28]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[4], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[29]        La Cour d'appel réitère cette position dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[5] lorsqu’elle écrit :

On voit donc que la gravité, l'évidence et le caractère déterminant d'une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d'en faire un «vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]      En ce qui concerne la raison d'être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s'agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d'être décrites. Il ne saurait s'agir de substituer à une


première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première51.

_______________

[51]         Voir l'arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l'arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.

 

 

[30]        Ces décisions de la Cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision, comme elle l'indique dans l’extrait suivant de la décision Savoie et Camille Dubois (fermé)[6] :

[17]      La soussignée estime qu’effectivement le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que «la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider une décision», elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif «grave» n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.

 

[18]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

 

 

[31]        Dans la présente affaire, le tribunal estime que l'employeur n'a pas établi que la décision qui a été rendue le 1er février 2011 comporte des erreurs manifestes de fait ou de droit qui puissent justifier sa révision et ce, pour les raisons suivantes.

[32]        Le fait que la décision que la CSST a rendue le 28 avril 2010 donnant suite à l'avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale soit devenue, en l'absence de contestation, une décision finale liant toutes les parties ne peut certainement pas être remis en cause.

[33]        La question que soulevait le litige ne concernait pas le caractère liant de cette décision, mais plutôt la portée de celle-ci et plus particulièrement, ses effets sur la décision antérieure de la CSST du 2 juin 2009 concernant le diagnostic d'épicondylite au coude gauche.

[34]        Comme le mentionne le juge administratif dans les motifs de la décision, cette question a donné lieu à différentes approches jurisprudentielles et c'est encore le cas aujourd'hui[7]. Il retient notamment que la décision du 28 avril 2010 ne peut remplacer la décision antérieure sur le diagnostic d'épicondylite parce qu'elle ne comporte aucune mention spécifique à cet effet, ce qui constitue une des approches suivies par la jurisprudence[8].

[35]        Le fait que le juge administratif ait opté pour une approche plutôt qu'une autre ne peut donner ouverture à la révision puisqu'un conflit jurisprudentiel n'est pas un motif de révision. Dans Beirouti et La Ronde[9], la Commission des lésions professionnelles écrit à ce sujet ce qui suit :

[23]      Le fait qu'une autre interprétation de la définition d’accident du travail survenant à une personne « à l’occasion du travail » eu égard aux faits de l’espèce soit possible ou même plausible ne saurait constituer un motif de révision. Le présent tribunal doit s’en tenir à déterminer si l’interprétation du premier juge administratif fait ou non partie de la panoplie des interprétations possibles.

 

[24]      Soulignons que ce principe est énoncé par la Cour d’appel du Québec en matière d’interprétation de textes législatifs dans l’arrêt Amar et CSST et Locations d’autos et camions Discount10, principe qui a été repris plus récemment dans l’affaire Fontaine11. La Cour retient que l’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas toujours à une interprétation unique et que les décideurs jouissent d’une marge de manœuvre appréciable dans leur interprétation. En outre, il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de déterminer l’interprétation à retenir, de trancher les conflits jurisprudentiels existants ou de donner son opinion sur ces questions12.

__________

10    C.A. Mtl : 500-09-011643-012, le 28 août 2003, jj Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle.

11    Précitée, note 3

12    Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Robin et Hôpital Marie Enfant, C.L.P. 87973-63-9704, le 13 octobre 1999, J.-L. Rivard; Buggiero et Vêtements Eversharp ltée, C.L.P. 93633-71-9801, le 11 novembre 1999, C.-A. Ducharme (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Mtl : 500-05-054889-991, le 30 mars 2001, j. Baker; (Olymel) Turcotte & Turmel inc. et CSST, C.L.P. 91587-04B-9710, le 31 juillet 2001, M. Allard; Gaumond et Centre d'hébergement St-Rédempteur inc. [2000] C.L.P. 346 ; Prévost Car inc. et Giroux, C.L.P. 160753-03B-0105, le 10 février 2004, M. Beaudoin; Couture et Les immeubles Jenas [2004] C.L.P. 366 ; Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas, C.L.P. 187742-72-0207, le 1er mars 2006, M. Zigby.

 

 

[36]        Par ailleurs, il convient de rappeler que la controverse jurisprudentielle sur l'effet de la décision donnant suite à l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale s'inscrit dans le contexte où ce dernier modifie le diagnostic posé par le médecin qui a charge du travailleur et ce, au plan médical. L'article 221 de la loi prévoit en effet que l'avis que rend le membre du Bureau d'évaluation médicale porte sur les questions médicales mentionnées à l'article 212 de la loi. Ces articles se lisent comme suit :

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

221.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

[37]        Dans le présent cas, comme le mentionne le juge administratif, le membre du Bureau d'évaluation médicale n'a pas infirmé l'opinion du médecin qui avait charge de monsieur Bérubé au motif qu'il retenait de son examen médical objectif qu'il n'y avait pas d'épicondylite au coude gauche.

[38]        Il a plutôt considéré que ce diagnostic n'était pas relié à l'événement survenu le 2 décembre 2008 pour des considérations factuelles, outrepassant ainsi le mandat que lui confère l'article 221 de la loi puisque, selon la jurisprudence, l'existence d'une relation entre un diagnostic et un événement est une question juridique qui relève de la compétence de la CSST[10].

[39]        Certes, un membre du Bureau d'évaluation médicale peut donner son opinion sur l'existence d'une relation entre un diagnostic et un événement, comme cela se fait à l'occasion, mais cette opinion n'a pas un caractère liant au sens de l'article 224.1 de la loi qui se lit comme suit :

224.1.  Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[40]        La conclusion à laquelle en vient le juge administratif résulte de son appréciation en droit et en fait de la problématique juridique posée par le fait que le membre du Bureau d'évaluation médicale ait écarté le diagnostic d'épicondylite au coude gauche pour une question de relation causale.

[41]        Sa conclusion est motivée, elle s'appuie sur la jurisprudence, elle fait partie des conclusions qu'il était possible de retenir et elle n'est certainement pas dénuée de sens. De l'avis du tribunal, il n'y a aucun élément qui puisse donner ouverture à sa révision.

[42]        Le tribunal a pris connaissance des décisions que le représentant de l'employeur a déposées au soutien de son argumentation, mais aucune d'entre elles ne concernent la problématique particulière soulevée par les faits de la présente affaire. Il y a lieu de signaler d'ailleurs que dans la décision Ouimet et Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles[11] qu'il a déposée pour illustrer la théorie du remplacement, le membre du Bureau d'évaluation médicale avait modifié au plan médical le diagnostic posé par le médecin qui avait charge du travailleur.

[43]        Après considération des arguments soumis par les représentants des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que l'employeur n'a pas démontré que la décision rendue le 1er février 2011 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider et en conséquence, que sa requête doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de Construction Dumais & Pelletier inc.

 

 

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Claude-André Ducharme

 

 

 

 

Me Serge Houde

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Réjean Côté

Raymond Chabot Grant Thornton

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix; Savoie et Camille Dubois (fermé), C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau.

[4]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[6]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau.

[7]           Théorie du remplacement (position majoritaire) : Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance et Gosselin, 2009 QCCLP 6950 ; Lemieux et CHUM Pavillon Mailloux, 2010 QCCLP 5050 ; Hamza et MRC Gros Fruits Canadawide inc., 2010 QCCLP 9325 ; Théorie du non remplacement : Serres du St-Laurent et Mathieu, 2008 QCCLP 969 ; Simard et Bombardier Aéronautique inc., 2008 QCCLP 2591 ; Leclair et Inter-Val 1175 inc., 2011 QCCLP 1386 ; Théorie du remplacement partiel de la décision d'admissibilité : Liz Clairbone Canada inc. et Ben Nana, 2009 QCCLP 5007 ; Abmast inc. et Bossé, 2009 QCCLP 8748 ; Cie de Volailles Maxi ltée et Lavallée; 2010 QCCLP 6098 .

[8]           Serres du St-Laurent et Mathieu, Simard et Bombardier Aéronautique inc., Leclair et Inter-Val 1175 inc., précitées note 7.

[9]           2011 QCCLP 421 .

[10]         C.U.M. et Blouin, [1987] C.A.L.P. 62 ; Delisle et Ispat-Sidbec inc., [1999] C.L.P. 929 .

[11]         C.L.P. 247948-64-0411, 13 février 2006, M. Montplaisir.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.