DÉCISION
[1] Le 30 avril 2002 madame Mara Petrovic (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 22 avril 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme une première décision de la CSST datée du 11 décembre 2001 et déclare qu’aucune allocation d’aide personnelle à domicile ne peut être versée à la travailleuse.
[3] Aux date et heure fixées pour l’audience, la travailleuse est présente et représentée. Dans une note adressée par télécopieur le 2 janvier 2003, Addition-Elle (l’employeur) informe la Commission des lésions professionnelles qu’il ne participera pas à l’enquête.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative et de déclarer qu’elle a droit à une allocation d’aide personnelle à domicile en raison des conséquences de sa lésion professionnelle subie le 25 juillet 1998. Elle demande par ailleurs que ce droit lui soit reconnu depuis ce 25 juillet 1998.
LES FAITS
[5] En 1998, la travailleuse est au service de l’employeur. Elle occupe un poste de vendeuse. Le 25 juillet 1998, elle est victime d’une lésion professionnelle. Cette lésion est responsable d’une entorse lombaire. Le 14 août 2000, la Commission des lésions professionnelles confirme ce diagnostic et écarte ceux de hernies discales L4-L5 et L5-S1. Un peu plus tard, le 10 avril 2001, la Commission des lésions professionnelles est saisie des autres questions médicales. Elle dispose que la lésion professionnelle est consolidée depuis le 16 août 2000, qu’elle ne nécessite plus de traitements additionnels après cette date, qu’elle est responsable d’un déficit anatomo-physiologique de 16% et qu’il en résulte les limitations fonctionnelles suivantes :
« (…) éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
Soulever, porter, pousser ou tirer des charges de plus de 10 kilos.
Travailler en position accroupie.
Ramper, grimper.
Effectuer des mouvements des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.
Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.» (sic)
[6] Par lettre datée du 23 octobre 2001, le représentant de la travailleuse demande ce qui suit à la CSST :
«Comme vous le savez, notre cliente s’est vu reconnaître un taux de séquelles permanentes de l’ordre de 16% suite à sa lésion initiale. (sic)
Puisque cette décision consiste en un changement de situation, nous considérons que notre cliente serait en mesure d’obtenir de l’aide personnelle et de l’aide à domicile, et ce, à compter de l’événement du 25 juillet 1998.»
[7] Par décision datée du 11 décembre 2001, la CSST refuse la demande de la travailleuse au motif qu’elle est capable de prendre soin d’elle-même ou d’effectuer sans aide ses tâches domestiques. La révision administrative, dans sa décision du 22 avril 2002, est plus précise à l’égard des motifs de refus. La travailleuse ne lui a pas démontré qu’elle ne peut prendre soin d’elle-même et d’exécuter sans aide les tâches domestiques qu’elle ferait normalement. C’est de cette décision dont se plaint la travailleuse en l’instance.
[8] La travailleuse explique que depuis l’événement survenu le 25 juillet 1998, elle est devenue incapable de prendre soin d’elle-même et d’exécuter les tâches domestiques qu’elle ferait normalement. Particulièrement depuis sa chirurgie en novembre 1999, son mari doit s’occuper de la maison et ses deux filles s’occupent de son hygiène personnelle et de ses repas. L’une de ses filles qui habitait à Windsor a d’ailleurs quitté son conjoint et son emploi, en 2001, pour demeurer avec sa mère et s’occuper d’elle à plein temps.
[9] La chambre de travailleuse est à l’étage et elle ne peut s’y diriger seule. Lorsque personne ne peut l’aider à intégrer son lit, elle doit coucher dans le salon. Lorsque personne ne peut aller la chercher dans son lit le matin, elle reste couchée. Elle doit d’ailleurs être aidée pour s’asseoir. Elle ne peut non plus se pencher. Si un objet tombe par terre au cours de la journée, elle attend le retour de sa fille pour que celle-ci le ramasse.
[10] La travailleuse continue à consulter le docteur Jules Gauthier à tous les mois. Il surveille sa pression artérielle et la traite pour son angoisse.
[11] Madame Liliana Malkovic, fille de la travailleuse, témoigne à l’audience. En juillet 1998, lorsque la travailleuse subit sa lésion professionnelle, elle vient souvent la visiter et demeure parfois quelques jours pour l’aider. En novembre 1999, après la chirurgie, elle passe beaucoup de temps avec sa mère. Elle évalue avoir utilisé environ dix semaines de vacances dont sept à ses frais pour venir au chevet de sa mère. Parce que cette situation n’était plus tolérable, elle a pris la décision de revenir habiter chez sa mère. Elle dit que sa mère ne peut pas être laissée seule. Elle a toujours besoin de quelqu’un parce qu’elle ne peut rien faire d’elle-même.
L'AVIS DES MEMBRES
[12] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux du même avis. Le témoignage de la travailleuse et de sa fille n’est aucunement corroboré par la preuve médicale contenue au dossier. La travailleuse ne démontre pas, par preuve prépondérante, qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même et qu’elle soit incapable d’exécuter sans aide les tâches domestiques. Elle n’a pas droit à l’allocation d’aide personnelle à domicile.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[13] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit à l’application de l’article 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel se lit comme suit :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui - même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[14] Les bénéfices prévus à l’article 158 font partie des bénéfices prévus dans le cadre du droit à la réadaptation (Chapitre IV de la loi). Le droit à l’aide personnelle à domicile est donc subordonné au droit à la réadaptation. La travailleuse rencontre ce premier critère puisque sa lésion professionnelle est responsable d’une atteinte permanente à l’intégrité physique :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[15] Lorsqu’elle présente sa première demande d’allocation pour aide personnelle, la travailleuse s’appuie sur le fait que les séquelles permanentes résultant de sa lésion professionnelle ont été augmentées de 2% à 16% depuis la décision de la Commission des lésions professionnelles en date du 10 avril 2001. Ce pourcentage de séquelles permanentes ne constitue pas un critère unique et déterminant.
[16] Pour avoir droit à l’aide personnelle à domicile prévue à l’article 158 de la loi, la travailleuse doit également satisfaire aux conditions mentionnées dans cet article. Elle doit être dans l’incapacité de prendre soin d’elle-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement. De plus, l’aide doit être requise pour son maintien ou son retour à domicile.[2] Aussi, la jurisprudence du tribunal a interprété que le «et» de l’expression «qui est incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques (...)» est conjonctif, puisque l’article 162 de la loi prévoit la cessation du versement de l’allocation de cette aide personnelle lorsque le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même «ou» d’effectuer sans aide ses tâches domestiques. L’obtention de l’aide doit satisfaire aux deux conditions et la disparition de l’une d’elles met fin au versement de l’allocation préalablement consentie. [3]
[17] Le Règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile [4] (le règlement) prévoit d’ailleurs que l’aide personnelle prévue à l’article 158 n’est accordée qu’au travailleur qui satisfait aux conditions suivantes :
«1. il a une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
2. il est incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement;
3. cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.»
[18] En l’instance, la travailleuse n’a pas démontré à la Commission des lésions professionnelles qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement. Sa preuve, essentiellement constituée de son témoignage et de celui de sa fille, n’est pas convaincante. Les faits relatés par ces témoignages ne sont pas corroborés par les opinions et évaluations contenues au dossier. Enfin, la Commission des lésions professionnelles note que la travailleuse est suivie par le docteur Jules Gauthier depuis au moins quatre ans et que celui-ci n’a soumis aucune opinion à l’égard de la présente demande.
[19] Voici comment le règlement aborde la question de l’évaluation de l’aide personnelle à domicile :
«5. Les besoins d’aide personnelle à domicile sont évalués par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en tenant compte de la situation du travailleur avant la lésion professionnelle, des changements qui en découlent et des conséquences de celle-ci sur l’autonomie du travailleur.
Ces besoins peuvent être évalués à l’aide de consultations auprès de la famille immédiate du travailleur, du médecin qui en a charge ou d’autres personnes-ressources.
Cette évaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d’évaluation prévue à l’annexe I.»
[20] Lors d’une première mise au rôle, la soussignée ajournait l’étude de la requête de la travailleuse et exigeait que soit déposé le règlement ainsi que la grille d’évaluation. Le témoignage de la travailleuse, lors de la reprise de l’audience, a donc consisté à suivre les mentions apparaissant à la grille et à dire en quoi elle était incapable de faire toutes ou chacune des tâches y apparaissant : se lever, se coucher, l’hygiène personnelle, l’habillage, le déshabillage, les soins vésicaux, les soins intestinaux, l’alimentation, l’utilisation des commodités du domicile, la préparation du déjeuner, la préparation du dîner, la préparation du souper, le ménage léger, le ménage lourd, le lavage du linge, l’approvisionnement. A chacune de ces questions, la travailleuse répondait qu’elle avait besoin d’aide parfois complète, parfois partielle. Pour aucun n’a-t-elle répondu qu’elle n’avait pas besoin d’aide.
[21] Comme mentionné précédemment, la travailleuse n’a produit aucune opinion du médecin qui la traite depuis environ quatre ans et qu’elle voit à tous les mois. Or, dans les derniers rapports contenus au dossier pour l’année 2001, le docteur Jules Gauthier inscrit un diagnostic de réaction anxio-dépressive. D’ailleurs, dans son témoignage, la travailleuse disait visiter le docteur Gauthier pour traiter ses problèmes d’angoisse.
[22] La soussignée n’exige pas, pour l’application de l’article 158 et plus particulièrement celle du règlement, que la travailleuse dépose une expertise ou évaluation exhaustive de ses capacités résiduelles. Cependant, les renseignements médicaux contenus au dossier ou, à défaut, une opinion du médecin traitant, doivent soutenir sa réclamation. Son témoignage seul est insuffisant, particulièrement lorsqu’il ne concorde pas avec les renseignements médicaux contenus au dossier.
[23] Le docteur Raouf Antoun, membre du Bureau d’évaluation médicale, lorsqu’il examine la travailleuse, le 16 août 2000, rapporte les plaintes subjectives de la travailleuse. Notamment, celle-ci parle de ses douleurs résiduelles depuis l’intervention chirurgicale. Elles sont aggravées par la position assise de plus de 15 minutes et la position debout immobile aggrave ses douleurs. La travailleuse se dit apte à demeurer debout, tout en bougeant, pendant une heure et demie ou deux heures. Rien dans ces plaintes ne corrobore la condition que dépeint la travailleuse en l’instance, soit qu’elle ne peut ni se lever, ni s’asseoir, ni se coucher sans l’aide d’une personne. C’est le docteur Antoun qui est à l’origine de l’évaluation d’un pourcentage de 16% de séquelles permanentes.
[24] Dans les notes évolutives du dossier de la CSST, la soussignée prend connaissances des quelques faits suivants : le 15 mai 2000, alors qu’elle s’adresse à madame Jeanne Couture, du service de la réadaptation, la travailleuse précise qu’elle parvient à s’occuper d’elle-même; ce sont les tâches ménagères qui lui causent problème. Le 21 septembre 2000, elle rencontre encore une fois madame Couture, cette fois-ci en compagnie de monsieur Grégoire Marcotte, conseiller en réadaptation. Elle dit qu’elle prend des marches deux fois par jour d’une demi-heure chacune. Elle a deux filles qui ne sont plus à la maison. Elle fait le lavage mais ne peut se pencher pour mettre le linge dans la sécheuse; elle fait la vaisselle par petite quantité car ne peut se pencher pour la mettre dans le lave-vaisselle. Au cours de cette rencontre, elle mentionne qu’elle serait prête à tenter un retour au travail mais avec quelques restrictions. Lors d’une visite subséquente, le 5 décembre 2000, la travailleuse est d’accord pour entamer un programme de recherche d’emploi.
[25] Le 16 janvier 2001, Prévicap, dont les services sont retenus par la CSST dans le cadre d’un programme de retour à l’emploi, évalue les capacités résiduelles de la travailleuse. Entre le mois de février 2001 et le mois d’octobre 2001, plusieurs discussions ont lieu entre la CSST et l’employeur, concernant le retour au travail de la travailleuse. Celle-ci rencontrera sa conseillère à plusieurs occasions pour discuter des postes offerts ou pressentis. Les plaintes de la travailleuse lors de ces nombreuses rencontre avec le service de la réadaptation ne sont pas de la même nature que celles qu’elle livre en l’instance.
[26] D’ailleurs, à cette même époque, l’époux de la travailleuse connaît des problèmes de santé, en plus d’être sans revenu. Cette situation affecte grandement la travailleuse. Elle s’inquiète pour son époux et la situation financière de la famille est précaire. Le docteur Jules Gauthier la réfère en psychiatrie et elle est prise en charge pour un suivi. À cause de cette situation, les démarches en réadaptation pour un éventuel retour à l’emploi sont arrêtées. C’est dans ce contexte que la travailleuse, par le biais de son représentant, fait parvenir la demande à l’origine du présent débat.
[27] La soussignée constate que les informations factuelles et médicales contenues au dossier ne corroborent en rien la version que la travailleuse offre à l’audience. Par conséquent, elle ne démontre pas, par preuve prépondérante, qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même et d’exécuter sans aide les tâches domestiques qu’elle ferait normalement, n’eût été de sa lésion. Elle ne démontre pas non plus que l’aide demandée s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Mara Petrovic;
CONFIRME la décision rendue le 22 avril 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Mara Petrovic n’a pas droit à une allocation pour aide personnelle à domicile conformément à l’article 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Louise Boucher, avocate |
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Commissaire |
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Lavoie, Laverdure, Miller, Perreault (Me François Miller) |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q. chap. A-3.001
[2] Cameron et Services des données Asselin [1998] C.L.P. 890
[3] CSST et Fleurent, [1998] CLP 360 ; Lebel et municipalité Paroisse de Saint-Éloi, 124846-01A-9910, 00-06-29, L. Boudreault, (00LP-29); Frigault et Commission scolaire de Montréal, 142721-61-0007, 01-05-25, L. Nadeau; Turgeon et Pro santé enr., 130628-01A-0001, 01-08-02, R. Arseneau.
[4] (1997) 129 G.O. II, 7365
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.