Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Yamaska

SAINT-HYACINTHE, LE 17 AVRIL 2002

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

112259-62B-9903

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Alain Vaillancourt

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

Guy Dorais

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Lucy Mousseau

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR :

André Perron, médecin

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

114050586

AUDIENCE TENUE LES :

9, 10 et 11avril 2001,

8 juin 2001 et

7 janvier 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Saint-Hyacinthe

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BEAULIEU CANADA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SYLVIE LAVERDIÈRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 10 mars 1999, la compagnie Tapis Coronet (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 février 1999 à la suite d’une révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 6 février 1998 et conclut que madame Sylvie Laverdière (la travailleuse) a été victime d’une lésion professionnelle le 18 novembre 1997 et qu’elle a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]   Les parties sont présentes et représentées à l’audience qui a débuté le 9 avril 2001 et qui s’est terminée le 7 janvier 2002.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]   L’employeur demande de déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 18 novembre 1997 et qu’elle n’a pas droit aux indemnités prévues à la loi.

LES FAITS

[5]   Les parties ont déposé à la Commission des lésions professionnelles une document intitulé Admissions et constatations de faits que la Commission des lésions professionnelles ne juge pas à propos de citer au long bien qu’elle entende prendre le contenu en considération pour rendre sa décision.

[6]   La travailleuse est âgée de 43 ans, elle est droitière, elle est préposée au retordage et elle a 10 ans d’ancienneté pour l’employeur lorsqu’elle soumet une réclamation à la CSST le 25 novembre 1997 pour une épicondylite au coude gauche apparue dans les circonstances suivantes  :

Depuis un certain temps j’avais une douleur de plus en plus intense au coude gauche qui m’empêche de faire mon travail.

 

 

[7]   Le 16 décembre 1997, la travailleuse complète une annexe à la Réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle par mouvements répétitifs où elle décrit son travail de la façon suivante :

Remplacer les bobines des pots : Enlever les bobines du pot qui est rendu petite et la remplacer par une grosse bobine (environ 7 kg) 34 fois par 2 hres = 136 fois / 8 heures.  Remplacer les bobines vides du creel.  Environ 200 bobines pour 8 hres.  Lever le bras gauche pour descendre la position permettant de changer la bobine et remonter la position vers le haut.  Ramasser les bobines qui ont atteint leur grosseur maximale et les déposer dans un camion approprié 34 bobines / 2 hres = 136 (7 kgs).

 

 

[8]   La travailleuse y mentionne également qu’elle exécute des mouvements à répétition pendant 6,5 heures à chaque jour, que les mouvements sont exécutés 1 fois à la minute, qu’elle a 70 minutes de repos par jour et qu’elle doit forcer en exécutant les mouvements répétitifs.  La position la plus souvent utilisée pour exécuter le travail est de : « lever le bras de haut en bas et remonter le bras de bas en haut », elle réfère à la tache de « creeler ».

[9]   La travailleuse mentionne que d’autres travailleurs ont le même problème, qu’elle est droitière et qu’elle a fait une réclamation à la CSST pour un problème semblable à l’autre coude il y a 4 ans.

[10]           Le 18 novembre 1997, la travailleuse est examinée par le Dr Foucault à qui elle déclare des symptômes d’épicondylite depuis le début d’octobre 1997. Le médecin diagnostique une épicondylite récidivante du coude gauche et lui accorde un arrêt de travail.

[11]           Lors de cette visite, la travailleuse mentionne au médecin qu’elle a cessé de travailler pendant 2 semaines il y a trois ans pour le même problème, que cela a été contesté à la CSST et que cela s’est conclu en maladie professionnelle. La preuve déposée à l’audience révèle toutefois que le 26 septembre 1997, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles a entériné une entente survenue entre les parties redonnant effet à la décision de la CSST du 20 février 1993, selon laquelle la travailleuse n’avait pas subi une lésion professionnelle, le 15 février 1993.

[12]           Le Dr Gosselin prend charge de la travailleuse à compter du 27 novembre 1997.  Il lui prescrit des traitements de physiothérapie et il procède à une infiltration le 10 février 1998 avant de consolider la lésion, sans séquelles, le 17 février 1998.

[13]           Peu avant la consolidation de sa lésion, soit le 2 février 1998, la travailleuse est examinée à la demande de l’employeur par le Dr Goulet, orthopédiste, qui a une connaissance du travail exercé par la travailleuse ayant déjà produit en 1994 un rapport d’expertise du poste de travail de préposé au retordage.

 

 

[14]           Le médecin conclut que la travailleuse présente un syndrome douloureux provenant d’une pathologie dégénérative au niveau des muscles épicondyliens.  À son avis, ce syndrome douloureux n’a pas été causé par le travail, car il n’a jamais été démontré dans la littérature médicale que des gestes répétitifs pouvaient avoir causé une maladie objective aux membres supérieurs.

[15]           Il est aussi d’avis que le travail n’a pu aggraver la condition personnelle dégénérative étant donné que la sollicitation des muscles épicondyliens n’est pas faite de façon répétitive et contre résistance, ou en position non ergonomique.  Les gestes exécutés par la travailleuse sont des gestes de préhension avec ses mains et des gestes de flexion des coudes et des épaules.  Ces gestes sont exécutés à une cadence qui permet un repos physiologique.  Les muscles épicondyliens sont des muscles extenseurs des poignets et supinateur de l’avant-bras.  Ici, les muscles épicondyliens ne sont pas sollicités de façon contraignante et fréquente.

[16]           Le 4 février 1998, la CSST accepte la réclamation de la travailleuse à titre de maladie professionnelle.  Cette décision de la CSST est notamment basée sur l’avis émis par l’un de ses médecins et qui est ainsi rédigé « Médicalement possible sur le plan relation ».  L’employeur demande la révision de cette décision le 16 février 1998.

[17]           Le 12 février 1999, la CSST maintient sa décision initiale lors de la révision administrative du dossier.  Elle conclut que la maladie de la travailleuse est reliée aux risques particuliers de son travail de préposée au retordage.  La travailleuse manipule un nombre élevé de bobines dont le poids varie de 0,5 à 14 livres, la cadence de travail est imposée par le rythme de la machine, il y a des exigences et des contraintes pour les deux membres supérieurs et les problèmes de tendinite et d’épicondylite sont fréquents à ce poste de travail.

[18]           Le 4 mai 1999, le Dr Gosselin qui a suivi la travailleuse pour son épicondylite rédige une opinion médicale à la demande de la représentante de l’employeur où il mentionne notamment ceci :

À mon avis, il y a relation de cause à effet entre les gestes posés par la travailleuse et l’épicondylite à son coude gauche.

 

En effet le vidéo illustre bien les gestes de préhension avec extension de l’avant-bras et du poignet pour saisir les bobines de fil (poids variant de 8 onces à 14 lb) pour les soulever en haut de la hauteur des épaules, dans un mouvement de supination pour les introduire dans la machine.  Il en est de même dans le sens contraire pour extraire les bobines.

 

Les mouvements rapides de préhension, supination et extension des poignets lors du nouage des fils, ont aussi une part de responsabilité dans l’atteinte à l’épicondyle.

 

Les muscles et tendons impliqués m’apparaissent alors sollicité de façon contraignante et fréquente à une cadence imposée par la machine.

 

De plus, à mon avis, la fréquence de ce type de lésion à ce poste de travail constitue en soi un indicateur de relation de cause à effet.

 

 

[19]           Le 23 novembre 1999, madame Monique Martin, ergothérapeute et ergonome, produit un rapport d’expertise ergonomique à la demande de l’employeur.  Elle a observé deux machines Volkman différentes et la machine Hamel, elle a tenu compte de l’utilisation de trois chariots différents, elle a étudié les tâches principales (la levée, le remplacement des tubes, le garnissage du râtelier), elle a pris note du rythme, de la variabilité du travail et l’organisation du travail.    Elle a évalué la sollicitation des muscles extenseurs et supinateurs du poignet pour chacune des tâches en termes de mouvements, de postures et d’efforts.

[20]           Sa conclusion se lit ainsi :

Le travail ne requiert pas de posture contraignante ou de mouvements du poignet présentant une amplitude significative;

 

Il s'agit d'un travail dynamique dans lequel les membres supérieurs sont fréquemment en mouvement. Si l'on cumule toutes les situations dans lesquelles les muscles épicondyliens risquent de se contracter (mouvements lors de l'action d'attacher le fil et effort pour stabiliser le poignet lors de la préhension des bobines), on obtient théoriquement un maximum de 100 contractions à l'heure.  Cela représente moins de deux contractions à la minute et permet au travailleur de récupérer;

 

Le travail n'exige pas d'effort excessif puisque pour toutes les manœuvres, les efforts exigés sont modérés et se situent en deçà des normes acceptables, si l'on considère les conditions dans lesquelles ils sont effectués;

 

Le travailleur a la possibilité de gérer son rythme de travail. Celui-ci n'est donc pas imposé et les travailleurs bénéficient de longs délais qui leur offrent une possibilité de récupérer. En effet, les périodes actives de manipulations du fil et des bobines occupent autour de 80 minutes en deux heures. Cela alloue donc aux travailleurs environ 40 minutes par deux heures de surveillance de la machine avec peu de manipulations.

 

 

[21]           Le 3 avril 2000, madame Linda Tierney, ergonome et physiothérapeute, produit un rapport d’expertise ergonomique à la demande de la travailleuse. Tel que madame Martin l’a fait, elle a observé les tâches, tenu compte de la rotation sur les postes, du rythme de travail et de l’équipement.  Elle a vérifié la sollicitation des muscles épicondyliens lors de chacune des tâches en terme d’amplitudes articulaires, d’effort et de fréquence.

[22]           Sa conclusion se lit ainsi :

L'analyse du poste de travail nous permet d'identifier des facteurs de risque et danger reliés à la sollicitation des muscles épicondyliens.

 

La tâche de préposée au retordage comporte des activités durant la levée qui doivent se dérouler à une période définie et dans un délai maxima1.

 

Le rythme de travail étant imposé par la machine, Mme S. Laverdière ne peut travailler plus lentement car elle doit répondre aux exigences de la tâche réelle.  Ces conditions de travail limitent les pauses entre les opérations.  Les périodes de récupération sont pratiquement inexistantes durant la levée de 40 min ( 1 à 2 secondes entre les positions).

 

Sur une période de deux (2) heures ou 120 minutes nous pouvons calculer les probabilités du temps consacré  aux deux (2) tâches de la levée et du garnissage du râtelier :

 

[…]

 

Le temps non consacré à ces tâches varie donc de 0 min à 40 min et est utilisé pour accomplir, si possible, les autres tâches prescrites.

 

La fréquence de répétition est aussi un facteur à considérer, soit 4 lois pour la levée et 8 fois pour le garnissage du râtelier par quart de travail.

 

Nous avons calculé la fréquence des mouvements sollicitant les épicondyliens par cycle de 60 secs ou par position: (pages 5, 6 )

 

La levée = 48 mouvements / position ou 1 mouvement à chaque 1,5 seconde,

Garnissage du râtelier = 18.6 mouvements / position ou 1 mouvement aux 3 secondes

 

La levée :entre 1440 et 1872 mouvements selon le modèle de la machine.

Râtelier : 400 mvs. en 20 min. et / ou 800 mvs. en 40 min. et répétés 2 fois en 2 heures.

 

Total minimum de 2240 mouvements pour les 2 tâches.

Fréquence de ces mouvements sur une période de 2 heures = 18.6 mouvements / min.

 

L’invariabilité de la tâche entraînant la répétitivité de mouvements sollicitant les  épicondyliens, les contractions statiques du poignet et les mouvements au-dessus des épaules sont des facteurs de risque qui contribuent à l’installation de lésions musculo - squelettiques, dont l’épicondylite.

 

Les efforts exigés pour manipuler certaines bobines pleines, se situent au-dessus des normes maximales acceptables (calculs pages 13 à 16).

 

Ces efforts sollicitent les muscles épicondyliens notamment à cause du poids de la bobine pleine, de la fréquence des manipulations de la hauteur de la zone d'atteinte et de la qualité de la prise qui est parfois asymétrique ou qui s effectue avec une main.

 

La sollicitation des muscles épicondyliens pour descendre la bobine (charge moyenne de 6,7 kg), du niveau moyen des machines Volkman et Hamel, a été calculée selon une fréquence d’une (1) fois / 60 secondes.  L’opération se répète pendant une période continue de 40 minutes x 4 fois / quart.

 

L’effort, supérieur aux normes maximales acceptables, entraîne la répétitivité de gestes en déviation cubitale, déviation radiale, extension des art. MP des doigts et la contraction statique des extenseurs du poignet pour accomplir les manœuvres.

 

-          L’aménagement des postes, l’équipement utilisé tel que les boîtes et certains chariots qui en comportent pas de barres de poussée ou de poignée, et les bobines ans poignée externe, sont des facteurs qui obligent la travailleuse à adopter des postures contraignantes, augmentant ainsi les efforts au niveau des muscles épicondyliens.

-          La littérature[2] nous informe que les facteurs de risque dans le milieu de travail sont interreliés et peuvent influer directement ou indirectement sur le déclenchement et/ou l’évolution des lésions attribuables au travail répétitif, dont l’épicondylite.

Les facteurs de risque comprennent notamment :

 

L’adéquation du poste,

la zone d’atteinte,

les postures inadéquates,

la charge musculo-squelettique et statique,

l’invariabilité de la tâche.

 

 

Ø      L’exposition de la travailleuse à ces facteurs de risque, me permet de qualifier le travail de préposée au retordage comme représentatif d’un travail comportant des dangers.  Ainsi, j’évalue un lien entre le diagnostic d’épicondylite et le travail de Madame Sylvie Laverdière.

 

 

[23]           Les deux ergonomes ne sont pas les seules personnes à s’être penchées sur les exigences du poste de travail de préposée au râtelier.  En effet, en plus de l’expertise au dossier effectuée en 1994 par le Dr Goulet, la travailleuse a déposé 3 autres rapports qui traitent des exigences de ce travail.  La Commission des lésions professionnelles retient ceci des différents rapports.

[24]           Madame Estelle Bossé, ergothérapeute, a rédigé un rapport en novembre 1991.  Elle devait statuer si le travail de préposé au retordage était convenable pour un travailleur en particulier compte tenu de ses limitations fonctionnelles.  Elle note que le préposé au retordage effectue 1 660 manipulations avec prise et extension des membres supérieurs ce qui représente une manipulation aux 15 secondes pendant les 7 heures travaillées.  Elle conclut qu’il s’agit d’un travail impliquant des manipulations répétitives et que les gestes au-dessus de la tête sont fréquents.  Elle mentionne aussi qu’une étude ergonomique est en cours dans le département vu que qu’il y a un problème d’épicondylites chez les travailleurs.  Elle réfère de toute évidence à l’étude entreprise à la demande de l’employeur par la compagnie Les Consultants Génicom « Génicom ».

[25]           Le rapport de Génicom a été déposé en décembre 1991.  Il a été rédigé à la demande de l’employeur qui désirait savoir comment diminuer l’incidence des épicondylites aux postes de préposé au retordage notamment.  Génicom en est venu à la conclusion que les problèmes musculo-squelettiques aux poignets et aux coudes des travailleurs étaient associés au fait que les travailleurs manipulaient les bobines d’une seule main avec prise en crochet à main ouverte.

[26]           La preuve révèle que l’employeur a donné suite à cette étude et qu’au cours de l’année 1992, il a formé les travailleurs sur la méthode de manipulation préconisée par Génicom.  La preuve soumise révèle que la travailleuse manipule les bobines à deux mains.

[27]           Madame Carole Leblanc, ergonome, a effectué l’analyse du poste de préposé au retordage dans le but de déterminer la capacité d’un travailleur en particulier à effectuer ce travail.  Dans son rapport du mois de juin 1992, elle est d’avis que le travail est exigeant physiquement, que la fréquence de manipulation des bobines est très élevée et que le travail les deux bras en élévation avec soutien de charges est fréquent.  Les activités suivantes obligent le travailleur à déployer une force des membres supérieurs : le retrait du cran de soutien des bobines, le blocage des cônes, remettre le creel dans sa position initiale et pousser les chariots.

[28]           Le rapport du Dr Goulet date du 14 août 1994 et a été rédigé à la demande de l’employeur qui désirait notamment savoir si les tâches exercées au poste de retordage correspondaient à la définition de mouvements répétitifs pouvant être la cause de maladies professionnelles aux membres supérieurs.  Le médecin mentionne que l’on reconnaît qu’un geste est répétitif par :

Leur rapidité excessive d’exécution soit la cadence élevée;

L’importance de la force musculaire en cause lors de l’exécution du mouvement;

L’utilisation maximale de l’amplitude articulaire;

L’exécution doit être faite sur une période continue et prolongée;

L’inexistence de variété de mouvements;

L’existence de certaines conditions biomécaniques défavorables qui rendraient plus difficile l’exécution du travail.

 

 

[29]           Il conclut que le poste n’est pas à risque car la cadence n’est pas élevée, qu’il ne s’agit pas d’un travail à la chaîne, que les postures sont variées et que les amplitudes articulaires ne sont pas maximales.  De plus, le travail peut se faire de façon discontinue, à la cadence voulue par le travailleur, les gestes sont variés dans le temps et dans différentes hauteurs.  La période de repos de la région sollicitée est plus longue que la période d’activité manuelle.  À son avis, le travail n’est pas susceptible d’entraîner une pathologie tendineuse ou articulaire.

[30]           Dans le but de démontrer que l’épicondylite était caractéristique du travail de préposé au retordage, la travailleuse a déposé des extraits de dossiers médicaux de d’autres travailleurs qui ont présenté des lésions semblables sinon identiques à la sienne.

[31]           Monsieur Poirier a présenté une épicondylite en 1989.  Le Rapport d'évaluation médicale fait état d’un traumatisme et la lésion a été acceptée à titre d’accident du travail.

[32]           Monsieur Gingras a présenté une épicondylite en mars 1990 et une récidive, rechute ou aggravation en décembre 1990, décembre 1991 et avril 1992.  La lésion initiale a été acceptée à titre de maladie professionnelle.

[33]           Monsieur Lareau a présenté une tendinite du coude en décembre 1991.

[34]           Madame Bélanger a présenté une tendinite du coude droit en mars 1992 qui a été acceptée par la CSST à titre d’accident du travail.  Elle a aussi présenté une épicondylite en août 1999 dont la réclamation aurait été refusée par la CSST.

[35]           Madame Beauregard a présenté une épicondylite en septembre 1992 qui a été acceptée par la CSST à titre de maladie professionnelle.

[36]           Monsieur Bissonnette a déclaré une douleur au coude droit en février 1993 et novembre 1994.  Il n’y a pas eu d’arrêt de travail ni semble-t-il de consultation médicale.

[37]           Mme Archambault a présenté une épicondylite bilatérale en novembre 1993 qui a été acceptée à titre d’aggravation d’une condition personnelle préexistante.

[38]           Monsieur Martin a présenté une myosite du trapèze et une épicondylite en novembre 1998, la réclamation a été refusée par la CSST, le dossier est pendant à la Commission des lésions professionnelles.

[39]           Le Dr Canakis, orthopédiste, témoigne à la demande de l’employeur.  Il soumet qu’une épicondylite n’est pas une tendinite, mais une enthésopathie et que le traitement n’est pas le même.  Il soumet également qu’une douleur au coude ne signe pas nécessairement une épicondylite. 

[40]           Il considère qu’à elle seule, la simple sollicitation des muscles épicondyliens ne constitue pas un risque à développer une épicondylite.  Il soutient que les épicondyliens ne sont pas sollicités de façon significative lors de mouvements de dorsi-flexion du poignet inférieurs à 450 et à son avis, la posture n’est pas un facteur de risque significatif à développer une épicondylite.  Lorsque le poignet est en position neutre les muscles épicondyliens sont sollicités proportionnellement à la charge à soutenir.  Il déclare que les mouvements passifs ou le maintien d’une posture de manière passive n’entraîne pas de contracture musculaire. 

[41]           Lorsque la travailleuse place sa main sous la bobine pour la supporter cela ne sollicite pas les épicondyliens mais plutôt les muscles fléchisseurs du poignet, et il en est de même lorsqu’elle dépose sa main sur le dessus de la bobine   C’est la même chose lorsque la travailleuse va porter la bobine en avant d’elle.  Lorsque la travailleuse pousse sur les chariots, ce sont les muscles fléchisseurs qui sont sollicités, pas les épicondyliens.  Il soumet que l’élévation du membre supérieur gauche au-dessus de l’épaule n’est pas problématique pour la circulation sanguine vu qu’elle est de courte durée dans le présent cas.

[42]           Le Dr Lambert, physiatre, témoigne à la demande de la travailleuse.  Il soumet que l’action principale des muscles épicondyliens est la dorsi-flexion du poignet et l’extension des doigts en plus de la supination, des déviations radiale et cubitale et de la stabilisation du poignet lors de la flexion du poignet.  Il est d’avis que des amplitudes articulaires minimes peuvent être à risque si elles sont combinées à une manipulation de charges.  Lorsque le poignet est en position neutre et qu’il n’y a pas de charge, il n’y a pas de risque à développer une épicondylite.


[43]           Il reconnaît que les facteurs de risque, généralement utilisés dans l’appréciation des maladies attribuables au travail répétitif, s’appliquent pour les épicondylites soit la répétitivité, la force, le repos physiologique compensatoire et les postures contraignantes.  Il soumet que la charge à risque pour développer une épicondylite est inconnue, que les épicondyliens sont plus sollicités lorsque le coude est en extension et qu’il faut une combinaison de facteurs de risque pour entraîner une épicondylite.  Il soumet qu’un diagnostic de tendinite du coude est équivalent à une épicondylite lorsqu’il est posé par un omnipraticien.  Il déclare qu’une épicondylite est une maladie du tendon et que le traitement est le même que pour une tendinite. 

[44]           Appelé à commenter les mêmes photographies que le Dr Canakis, il soumet qu’il est difficile à partir de photographies d’évaluer si les muscles épicondyliens sont sollicités car on ignore si la travailleuse stabilise, déplace ou soulève la charge.  Par exemple, si la bobine est retenue (figure 1.c) cela peut solliciter les épicondyliens et constituer un risque de développer une épicondylite alors que ce ne serait pas le cas si la main ne faisait que guider la bobine.

L'AVIS DES MEMBRES

[45]           Le membre issu des associations de travailleurs est d’avis que les deux expertises ergonomiques doivent être écartées car elles sont biaisées, l’une a surestimé les exigences du travail alors que l’autre les a sous-estimés.  La preuve révèle que la travailleuse utilise continuellement son bras gauche dans le cours de son travail et qu’elle manipule des bobines de façon répétitive.  Il faut accorder une force probante à l’avis émis par le médecin qui a pris charge de la travailleuse à l’effet qu’il y a relation entre les exigences du travail et la maladie.  La maladie de la travailleuse est reliée aux risques particuliers de son travail.

[46]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’il faut accorder une force probante à l’étude ergonomique préparée pour le compte de l’employeur.  Les conclusions de cette étude sont,  contrairement à celles de l’autre étude ergonomique, basées sur des prémisses factuelles et médicales supportées par la preuve administrée devant la Commission des lésions professionnelles.  L’opinion du médecin qui a charge de la travailleuse sur la relation entre le travail et la maladie est basée sur de fausses prémisses.

[47]           Il appartenait à la travailleuse de démontrer que sa maladie était reliée aux risques particuliers de son travail ce qu’elle n’a pas réussi à faire.  Au contraire, la preuve prépondérante révèle que les épicondyliens sont peu sollicités par le travail.  La preuve est par ailleurs peu convaincante pour conclure que l’épicondylite est caractéristique du travail de préposé au retordage tel qu’il s’exerçait à l’époque où la travailleuse a déclaré sa maladie.


LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[48]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la maladie de la travailleuse, une épicondylite constitue une lésion professionnelle.  La lésion professionnelle est ainsi définie à l’article 2 de la loi :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.

 

 

[49]           En l’espèce, la travailleuse ne prétend pas avoir subi un accident du travail ni avoir subi une récidive, rechute ou aggravation.  La preuve soumise ne permettrait d’ailleurs pas d’accepter sa réclamation sous l’une ou l’autre de ces facettes.

[50]           La CSST a accepté la réclamation de la travailleuse à titre de maladie professionnelle et la travailleuse soutient que c’est sous cet angle que sa réclamation doit être acceptée.

[51]           La travailleuse ne prétend pas qu’elle doit bénéficier de la présomption de la maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi et d’ailleurs, le diagnostic posé en l’espèce, celui d’épicondylite, s’y oppose.  Dans un tel cas, la travailleuse doit démontrer qu’elle satisfait aux exigences de l’article 30 de la loi :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[52]           La travailleuse devait donc démontrer que sa maladie était caractéristique de son travail de préposée au retordage ou qu’elle était reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

[53]           La jurisprudence est contante à l’effet qu’une preuve prépondérante est suffisante pour reconnaître une maladie professionnelle.

[54]           Pour que l'on puisse démontrer que l'épicondylite est caractéristique d’un travail, il faut une preuve démontrant une prépondérance des probabilités qu'un tel lien existe. Pour ce faire, il faut démontrer qu'un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables sont affectés par cette maladie et, en conséquence, qu'elle est plus présente dans ce type de travail que dans la population en général[3].

[55]           En l’espèce, la travailleuse a soumis des extraits de dossiers médicaux de d’autres travailleurs mais de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette preuve n’est pas prépondérante pour conclure que l’épicondylite est caractéristique du travail de préposée au retordage tel qu’il s’exécutait à la période pertinente à la présente affaire et ce, depuis plusieurs années. 

[56]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les cas d’épicondylites antérieurs à 1993 ne peuvent être pris en considération car au cours de l’année 1992, l’employeur a mis en place la recommandation de la firme Génicom et encouragé les travailleurs à manipuler les bobines à deux mains plutôt qu’une.  De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, une telle modification dans la méthode de travail est trop importante, compte tenu de la maladie en cause et du fait que tous les experts ont témoigné de l’importance du facteur charge comme facteur de risque à développer une maladie professionnelle, pour que les cas antérieurs à 1993 soient considérés avec ceux qui sont postérieurs.  

[57]           De même, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut écarter les cas d’épicondylite postérieurs à 1993 et qui ont été traités par la CSST à titre d’accident du travail.  Il s’agit en effet d’épicondylites traumatiques ou reliées à un travail inhabituel aggravant une condition personnelle.  Aussi, la Commission des lésions professionnelles considère qu’une douleur au coude sans consultation médicale ne permet pas de présumer de la présence d’une épicondylite et retient l’avis du Dr Canakis à cet effet.

[58]           La preuve pertinente se résume donc à deux autres cas d’épicondylite à part celui de la travailleuse de 1993 à ce jour.  La Commission des lésions professionnelles ignore à peu près tout de ces dossiers si ce n’est que les réclamations ont toutes deux été refusées par la CSST.  Dans un tel cas, la Commission des lésions professionnelles n’a d’autre choix que de conclure que la travailleuse n’a pas démontré que l’épicondylite était caractéristique du travail de préposée au retordage.

[59]           La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si l’épicondylite de la travailleuse est reliée aux risques particuliers de son travail de préposée au retordage.  Dans l’affaire Paquet et Terminal & Câble T.C. inc.[4], la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles s’appuyant sur l’affaire Société canadienne des postes et Corbeil [5] décrit ainsi la preuve qui doit être faite pour établir la relation :

Afin de se prononcer sur la possibilité d'une telle relation, la Commission d'appel est d'avis tout d'abord qu'il y a lieu de prendre en considération les structures anatomiques visées par une épicondylite et d'autre part, les mouvements susceptibles de déclencher l'apparition de cette pathologie. Les muscles impliqués dans l'épicondylite sont les muscles épicondyliens, lesquels sont au nombre de quatre : l'extenseur commun des doigts; l'extenseur propre du cinquième doigt; le deuxième radial situé à la face externe de l'avant-bras, lequel est l'abducteur de la main et l'extenseur du poignet; et l'anconé situé à la face postérieure du coude, lequel est extenseur accessoire du coude.

 

Une fois bien identifiés les structures anatomiques et les muscles impliqués dans une épicondylite, il y a lieu de prendre en considération les mouvements et gestes pouvant déclencher l'apparition d'une épicondylite sur les muscles épicondyliens décrits précédemment. Il s'agit de mouvements d'extension du poignet, supination de l'avant‑bras, supination et déviation radiale contrariées du poignet ou répétitive et contre résistance, des extensions violentes du poignet avec la main en pronation et selon certains auteurs l'«overexertion» des extenseurs des doigts et du poignet par dorsi-flexion répétée de la main ou par alternance, de pronation et de supination.

 

Ces mouvements par ailleurs doivent être effectués selon certains critères ergonomiques admis généralement comme étant susceptibles d'occasionner le développement d'une maladie professionnelle. Entre autres, ces mouvements doivent être effectués avec force ou contre résistance de façon répétée, avec impact ou application de force, de façon cyclique, dans des angulations d'amplitude extrême, à des cadences élevées ne permettant pas un contrôle personnel ou n'étant pas entrecoupées de périodes de récupération, ou dans des positions statiques ou contre résistance avec charges. Ces différents critères ou risques ergonomiques ont été mis en évidence et décrits dans l'affaire Société canadienne des postes et Corbeil et Grégoire-Larivière, précitée, alors que la Commission d'appel, d'une façon exhaustive, procédait à l'étude des mouvements pouvant occasionner ou déclencher l'apparition d'une épicondylite ou d'une épitrochléite. À ce sujet, la Commission d'appel déclarait:

 

«La Commission d'appel retient tout d'abord que l'épicondylite et l'épitrochléite sont des pathologies plus fréquentes chez les personnes d'âge moyen, en particulier chez les femmes, lesquelles sont vraisemblablement d'origine multi-factorielle. Elle constate aussi que les divers auteurs rapportent une variété d'activités et de mouvements susceptibles de déclencher une épicondylite ou une épitrochléite, mais qu'il est possible de les regrouper selon de grandes catégories pour l'analyse. Ces catégories sont les suivantes : traumatisme direct au niveau du coude; traumatisme indirect par traction brusque sur les structures tendineuses s'insérant à l'épicondyle ou l'épitrochléite; activité inhabituelle, effort prolongé ou exagéré; geste répétitif avec impact ou application de force; geste répétitif impliquant des déviations et/ou des mouvements importants du poignet, en particulier contre résistance; stress mécanique répété sans autre précision, aucune cause mécanique identifiable; [...]»

 

 

[60]           De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles retient que la seule sollicitation des épicondyliens n’est pas reconnue comme pouvant constituer un facteur de risque à développer une épicondylite mais qu’il doit y avoir cumul de facteurs de risques.  Ces facteurs de risques sont la force ou la charge, la cadence et les périodes de repos, les postures anatomiques. 

[61]           De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cela est conforme aux opinions émises par les médecins spécialistes Goulet, Canakis et Lambert.

[62]           Les parties ont chacune soumis une expertise ergonomique du poste de préposée au retordage dans lesquelles Mmes Tierney et Martin se sont prononcées sur la relation possible entre le travail et la lésion sur la base des facteurs de risques présents ou non au poste de travail.

[63]           Ces deux experts se contredisent dans leurs opinions.  À l’audience, elles ont pu s’exprimer librement par rapport à leur opinion et malgré les reproches inappropriés faites à la Commission des lésions professionnelles à cet égard, elles ont bénéficié des pauses pour consulter leur dossier lorsque cela fût nécessaire, et elles ont eu le loisir de commenter l’opinion et le rapport de l’autre expert, ce qui leur a permis d’attirer l’attention de la Commission des lésions professionnelles sur les forces et les faiblesses de chacune des opinions et des nuances qu’il fallait apporter au besoin.

[64]           La Commission des lésions professionnelles accorde une force probante aux conclusions de Mme Martin.  La lecture de son rapport d’expertise et son témoignage ont permis au tribunal d’apprécier la qualité de la méthode de travail utilisée et de constater que l’expert s’était conformée aux règles de l’art en la matière.  Compte tenu que pour l’essentiel les faits qui sous‑tendent les conclusions de l’expert n’ont pas été infirmées et que l’expert a motivé de façon détaillée ses conclusions, la Commission des lésions professionnelles est convaincue du bien fondée de son opinion sur le plan ergonomique.

[65]           La Commission des lésions professionnelles écarte en grande partie les conclusions de Mme Tierney.  En effet, la preuve a démontré que ses conclusions reposaient sur de nombreuses inexactitudes factuelles et scientifiques. 

[66]           Cet expert est la seule à soutenir que la sollicitation musculaire des épicondyliens est suffisante pour causer une épicondylite.  Cela est contraire à la doctrine déposée, aux autres témoignages entendus et à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles. 

[67]           L'expert a surestimé la sollicitation des muscles épicondyliens et en est arrivée à un calcul inexact du nombre de mouvements sollicitant les muscles épicondyliens. Ainsi, dans le but d'évaluer la répétitivité des mouvements, la Commission des lésions professionnelles considère qu'il est inapproprié de décomposer, en sa direction respective, chacun des mouvements du poignet lorsqu'ils sont effectués simultanément (une extension du poignet combinée à une déviation du poignet par exemple) et de les additionner par la suite en affirmant qu'il s'agit de deux mouvements isolés sollicitant les épicondyliens. De plus, la preuve révèle que l'expert a comptabilisé dans son calcul du nombre de mouvements, des postures du poignet en position neutre, maintenues sans charge et des postures passives d'extension des doigts comme sollicitant les épicondyliens.  Or, la preuve reçue à l'audience est prépondérante pour conclure que de tels mouvements ne sont pas significatifs pour développer une épicondylite.  Dans un tel contexte, la Commission des lésions professionnelles partage l'approche préconisée par madame Martin pour le calcul du nombre de mouvements sollicitant les épicondyliens.


[68]           En plus des erreurs notées dans l'évaluation de la durée de sollicitation des muscles épicondyliens, et des amplitudes articulaires sollicitant les épicondyliens, il a été aussi démontré qu'elle avait surestimé le nombre de bobines pleines manipulées et le temps consacré au garnissage des râteliers. Finalement, l'expert a dû réécrire une partie de son rapport et modifier son témoignage pour corriger des données incorrectes et certaines erreurs.

[69]           Non seulement l’expert a-t-il perdu de la crédibilité en raison des nombreuses erreurs soulignées mais en plus, son témoignage est apparu biaisé.  En effet, pour faire valoir que l’amplitude articulaire du poignet gauche de la travailleuse en dorsi-flexion (60 degrés) était inférieure à la norme habituelle alors que cette donnée n’apparaissait pas au dossier, l’expert a indiqué à la Commission des lésions professionnelles que certaines données citées dans son rapport (70 degrés) et qui avaient été mesurées sur le vidéo devaient être modifiées, car elles étaient erronées. 

[70]           La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir l’opinion du Dr Gosselin sur la relation entre le travail et la maladie, car son avis est basé sur de fausses prémisses.  Les épicondyliens ne sont pas sollicités de façon indue lorsque la travailleuse fait des nœuds compte tenu de l’absence de charge et que les postures ne sont pas extrêmes.  La cadence n’est pas imposée par la machine et la preuve n’a pas permis de conclure que les travailleurs affectés à ce travail, depuis le changement introduit en 1992, présentaient plus souvent des épicondylites que les autres personnes.

[71]           Les rapports préparés par mesdames Bossé et Leblanc peuvent difficilement être utilisés en l’espèce pour statuer sur la relation entre le travail et la maladie compte tenu qu’ils ont été faits dans un contexte bien particulier, et qu’ils ne traitent pas directement des facteurs de risque à développer une épicondylite.  Le seul fait que madame Bossé note que les manipulations sont répétitives est insuffisant pour conclure qu’il y a sollicitation répétitive des épicondyliens.  De plus, madame Bossé laisse sous entendre qu’une étude de plus grande envergure que la sienne est en cours chez l’employeur pour étudier spécifiquement la question des épicondylites or, cette étude révèle que le problème est la manipulation à une main des bobines, ce que ne fait pas la travailleuse.  Quant au rapport de madame Leblanc, il souligne que le travail est exigeant physiquement, que la fréquence de manipulation de bobines est élevée et que le travail les bras en élévation avec charge est fréquent.  Cela est toutefois insuffisant pour conclure qu’il est de nature à entraîner une épicondylite.

[72]           Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles considère que l’avis du médecin de la CSST sur la relation entre le travail et la maladie n’est pas déterminant vu qu’il n’est pas motivé.

[73]           De la preuve recueillie, la Commission des lésions professionnelles entend maintenant indiquer ce qu’elle retient en regard de l’existence de facteurs de risques au poste de travail de préposée au retordage.

Les postures

[74]           Du témoignage de la travailleuse, des vidéocassettes et de la description des mouvements contenus dans les rapports d'ergonomie de Mmes Martin et Tierney, la Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse accomplit un travail manuel, debout, nécessitant des déplacements sur de courte distance, impliquant la manipulation de charges et nécessitant des mouvements du poignet gauche dans des amplitudes variées. 

[75]           Le mouvement le plus fréquemment rencontré est un mouvement de circumduction[6] du poignet atteignant exceptionnellement une amplitude extrême de dorsi-flexion mais impliquant surtout des flexions palmaires, des déviations radiales et cubitales de faibles amplitudes, de préhension et de pince digitale. La travailleuse maintient également, sur de courtes périodes, des postures statiques du poignet dans des amplitudes variées incluant la posture en position neutre.

[76]           Mme Tierney avance que la travailleuse exécute de multiples mouvements dans des amplitudes contraignantes.  La Commission des lésions professionnelles a retenu du témoignage de celle-ci, qu'une posture contraignante du poignet est une dorsi-flexion à partir de 40° ou de 50°. La preuve a démontré que Mme Laverdière effectue peu de mouvements d'une telle amplitude dans son travail et que cette position n’était pas soutenue.

Force et charges

[77]           En ce qui concerne les charges manipulées, Mmes Martin et Tierney utilisent les normes de Snook et Ciriello[7] et celles de NIOSH (1993) pour déterminer si les efforts requis par le travail sont à risque.  Après avoir entendu les témoignages de ces experts et pris connaissance de la littérature déposée à cet effet, la Commission des lésions professionnelles retient qu'elles sont d’une utilité discutable dans le dossier actuel compte tenu qu’elles ont été développées dans le but de prévenir les maux de dos et qu'on y fait pas la correspondance directe entre la manipulation de charges et les problèmes reliés aux coudes.

[78]           Quoiqu’il en soit, si on utilise ces normes comme guide, il ressort que le poids des bobines n’est pas excessif compte tenu qu’elles pèsent moins de 8 kg et que les efforts que la travailleuse doit fournir pour déplacer les chariots est inférieur à 21 kg. 

[79]           Même si les normes développées pour la prévention des maux de dos semblent respectées, il n’en reste pas moins que la preuve documentaire et plus précisément la littérature médicale (NIOSH) est à l’effet que la manipulation de charges constitue un facteur de risque significatif dans l'apparition d'une épicondylite et que la Commission des lésions professionnelles doit y accorder une attention particulière.

[80]           La preuve révèle que la charge varie selon la quantité de fil sur la bobine et que le poids maximum d'une bobine est inférieur à 8 kg (bobine pleine à mettre dans le pot ou dans le râtelier).  La preuve révèle également que la manipulation des bobines implique principalement les muscles épicondyliens dans une fonction de stabilisation du poignet gauche et non pas directement pour manipuler les bobines dans des postures contraignantes de dorsi-flexion, de déviation du poignet ou d'extension des doigts. 

[81]           En conséquence,  la Commission des lésions professionnelles retient que la manipulation des bobines ne sollicite pas de façon indue les épicondyliens en regard de la charge.

Cadence imposée

[82]           De la preuve soumise quant à l'organisation du travail et contrairement à l'opinion de Mme Tierney, la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion que la travailleuse n'est pas soumise à une cadence imposée par une machine telle que dans des opérations en série sur une chaîne de montage. 

[83]           La preuve révèle que la travailleuse a la possibilité de gérer la vitesse d’exécution de son travail car sur une période de deux heures, elle bénéficie entre 20 et 40 minutes pour effectuer de la surveillance sans sollicitation importante de ses muscles épicondyliens.  En effet, les opérations les plus exigeantes physiquement pour le membre supérieur gauche sont entrecoupées d'opérations moins exigeantes pour celui-ci.  Entre les périodes de levée et de garnissage des râteliers, la travailleuse effectue des opérations qui exigent peu de manipulations, dont la surveillance visuelle de l’équipement.

Période de repos physiologique

[84]           La preuve n’est pas prépondérante pour conclure que les muscles épicondyliens ne bénéficient de périodes de repos suffisantes.  La Commission des lésions professionnelles retient l’avis du Dr Goulet et de Mme Martin à cet effet.


Répétitivité

[85]           La Commission des lésions professionnelles accorde une force probante aux conclusions de Mme Martin sur l'absence de mouvements répétitifs pour les muscles épicondyliens.

[86]           Mme Tierney a tenté de démontrer la répétitivité de la tâche. Et nous citons «l'effort, supérieur aux normes maximales acceptables, entraîne la répétitivité de gestes en déviation cubitale, déviation radiale, extension des art. MP des doigts et la contraction statique des extenseurs du poignet pour accomplir les manœuvres».  Malgré les explications données par l’ergonome à l’audience sur la signification de cette phrase, la Commission des lésions professionnelles ne tire pas les mêmes conclusions que Mme Tierney sur la relation entre les efforts effectués et le concept de la répétitivité.

[87]           Mme  Tierney dans son étude ergonomique soutient que la travailleuse effectue 18 mouvements à la minute.  Cela constitue certainement des mouvements répétitifs par contre, l’ergonome a utilisé une méthode de calcul et retenu des mouvements dont l’exactitude et la pertinence font en sorte qu’elle a surestimé de façon importante la cadence réelle de la travailleuse.  Par exemple, elle considère que les muscles épicondyliens sont sollicités lorsque le poignet gauche est en position neutre ou lorsque la travailleuse maintient une posture passive d'extension des doigts de la main gauche ou de dorsi-flexion du poignet gauche alors que de telles positions ne sollicitent pas ou peu les muscles épicondyliens.

[88]           De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles décide qu’il n’existe pas au poste de préposée au retordage une combinaison de facteurs de risque susceptibles d’expliquer l’épicondylite de la travailleuse.  La maladie de la travailleuse ne constitue pas une maladie professionnelle et par le fait même, une lésion professionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE  la requête de Beaulieu Canada (l’employeur);

INFIRME la décision rendue le 12 février 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

 

 

DÉCLARE que madame Sylvie Laverdière n’a pas subi une lésion professionnelle le 18 novembre 1997 et qu’elle n’a pas droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

ALAIN VAILLANCOURT

 

Commissaire

 

 

 

 

 

OGILVY RENAULT

Me Jean-R. Allard

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

C.S.D.

Me Marie-Anne Roiseux

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Kuorinka 1, Forcier, L. 1995, LATR, Les lésions attribuables au travail répétitif.

[3]          Corneau et S.E.C.A.L., 89647-02-9706, 00-10-31, P. Simard.

 

[4]          1997 CALP 212

[5]          1994 CALP 285

[6]          combinaison des mouvements de flexion-extension avec des mouvements d’adduction-abduction

[7]          documents E-12, E13 et T12

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.