Décision

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Masson c. Air Transat

2019 QCCQ 4991

 

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT  DE

LOCALITÉ DE

TERREBONNE

STE-AGATHE-DES-MONTS

 

 

« Chambre civile »

N° :

715-32-700168-186

 

DATE :

25 juillet 2019 

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GEORGES MASSOL, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Christiane Masson

 

Demanderesse

c.

 

Air Transat

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]         La demanderesse, pour son propre bénéfice et pour ceux à qui elle a payé un forfait en Haïti, réclame du transporteur grossiste 1 000 $ pour chaque personne en raison du retard dans le transport aérien effectué par la défenderesse.

 

Les faits

[2]         À la suite du décès d’un proche parent, madame Christiane Masson décide de réunir la famille immédiate et de passer le temps des Fêtes sous les Tropiques.

           

[3]   Elle réserve donc pour 10 personnes en destination d’Haïti. La période choisie est du 27 décembre 2017 au 3 janvier 2018. Elle paie, pour l’ensemble des voyageurs, la somme d’environ 17 000 $. Le groupe est composé de 8 adultes et 2 enfants. Il s’agit d’un vol direct Montréal / Port-au-Prince.

[4]         Le séjour en Haïti se déroule bien, sauf que le début commence sur des chapeaux de roue avec un retard de deux heures pour permettre, semble-t-il, le déglaçage des ailes. La demanderesse ne s’est pas attardée à cette période.

[5]         C’est le retour qui a soulevé l’ire de madame Masson et de ses compagnons.

[6]         On devait venir cueillir les passagers à leur hôtel le 3 janvier à 11h00 pour un départ de l’avion à 15h25. L’avion est retardé une première fois, devant dorénavant décoller à 18h30. Le départ de l’hôtel en autobus est retardé.

[7]         Vers 18h00, le vol est encore remis, cette fois-ci à 22h00.

[8]         Il s’agit d’un petit aéroport, désuet, manquant de sièges et obligeant les passagers à parfois s’asseoir par terre. L’air climatisé, aux dires de la demanderesse, ne fonctionne pas.

[9]         Les voyageurs se sentent laissés à eux-mêmes. Aucune information ne circule, sauf le retard annoncé.

[10]        On offre aux passagers le choix d’un hot dog ou un sous-marin, accompagné d’un jus.  Les enfants pleurent et les adultes sont excédés.

[11]        À 22h00, on annonce que l’avion ne partira finalement pas.

[12]        On retourne les passagers à leur hôtel. Les voyageurs peuvent entrer dans leur chambre vers 1h00 du matin le 4 janvier.

[13]        Le départ de l’hôtel est prévu pour 8h30 le matin, considérant que le vol devait avoir lieu à 13h00.

[14]        L’embarcation se fait à cette heure mais, suite à un problème technique, l’avion reste sur le tarmac. Ils y ressortent plus de deux heures plus tard, soit vers 15h00.

[15]        La demanderesse apprend alors que le vol de la veille a été annulé, semble-t-il, à cause d’un pneu qui a éclaté. On ne fournit, par contre, aucun détail sur le problème technique ayant nécessité l’immobilisation de l’avion sur le tarmac. Le pilote annonce cependant qu’un autre avion, provenant de Toronto, viendra.

[16]        Cet avion arrive vers 21h30 et le départ a finalement lieu à 22h00.

[17]        L’arrivée à Montréal se fait le surlendemain, soit le 5 janvier, à 2h30 du matin.

[18]        Initialement, le vol devait arriver à Montréal le 3 janvier à 20h50.

[19]        Ainsi, environ 30 heures séparent la date de retour prévue de celle qui s’est avérée.

[20]        Madame Masson réclame une compensation pour le retard de 1 000 $ par passager, soit la somme de 10 000 $.

[21]        À l’audience, s’est posée la question à savoir si la demanderesse, seule partie à la réclamation, pouvait réclamer au nom des 9 autres passagers. Elle dépose, à ce moment, 9 mandats de représentation signés par les autres.

[22]        Interloquée sur cette façon de procéder, la défenderesse a finalement convenu, pour éviter une remise qui aurait permis à la demanderesse de régulariser sa procédure, que madame Masson représentait également les 9 autres passagers et que la preuve versée par cette dernière serait applicable aux autres voyageurs.

[23]        De son côté, Air Transat soumet qu’elle a respecté ses obligations générales, qu’elle n’a commis aucune faute et qu’elle doit, en conséquence, être exonérée puisqu’elle a prouvé que ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage ou qu’il leur était impossible de les prendre.

 

Analyse et décision

[24]        Les activités des transporteurs aériens sont régies au Canada par la Loi sur les transports au Canada [1], la Loi sur le transport aérien [2] ainsi que la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (« Convention de Montréal »).

[25]        La convention, en vigueur au moment des faits sous étude, traite du sort du retard des passagers de même que de l’étendue de l’indemnisation du préjudice :


 

« Article 19 — Retard

Le transporteur est responsable du dommage résultant d'un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n'est pas responsable du dommage causé par un retard s'il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s'imposer pour éviter le dommage, ou qu'il leur était impossible de les prendre.

[…]

Article 22 — Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises

1 En cas de dommage subi par des passagers résultant d'un retard, aux termes de l'article 19, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de 4 150 droits de tirage spéciaux par passager. »

[26]        S’agissant d’un contrat de service, qui est également un contrat de consommation, la jurisprudence a retenu que le grossiste peut être tenu responsable du retard imputable au transport aérien si celui-ci n’a pas été en mesure d’exécuter son obligation de résultat et si son manque ne résulte pas d’une force majeure. Ne constituent pas une force majeure les bris mécaniques et ce, de façon générale selon la jurisprudence [3].

[27]        Dans une autre affaire [4], la Cour considéra qu’un retard de 10 heures était inacceptable.

[28]        En l’espèce, le retard a empêché les parties de retourner au travail aux dates convenues. Certaines de celles-ci devaient participer à des activités auxquelles elles ont dû renoncer. Toutes ont subi des attentes interminables avec des ressources limitées. Elles ont été privées d’une information soutenue et ont été laissées à elles-mêmes. De jeunes enfants ont vécu cette situation avec douleur, entraînant celle de leurs parents.

[29]        Selon la preuve de la défense, un des retards subis en Haïti était dû à une crevaison. Il était cependant impossible de trouver une pièce sur place. On a donc dû remettre le vol au lendemain.

[30]        Par la suite, une nouvelle avarie technique s’est produite, retardant le vol d’autant.

 

 

[31]        L’impossibilité de trouver une pièce de façon rapide dans un pays ne constitue certes pas une force majeure pour le transporteur, qui doit s’assurer que les voyageurs ne seront pas pris en otage pour le manque d’une pièce aussi banale qu’un pneu.

[32]        Même si la preuve avait révélé que certaines heures devaient être soustraites des 30 heures d’attente, force est de conclure que le retour s’est déroulé avec un retard de plus de 20 heures.

[33]        Dans une affaire récente [5], notre Cour attribuait, pour un retard, la somme de 4 000 $ avec intérêts.

[34]        Dans la présente cause, la demanderesse réclame 1 000 $ par passager.

[35]        Non seulement prend-elle comme appui la Convention de Montréal précitée, mais remarque que ce montant réclamé correspond aux balises prévues dans le nouveau projet de règlement sur la protection des passagers aériens rendu public en mai 2019.

[36]        Bien que non applicable aux présents faits, il convient de signaler que ce règlement prévoit une indemnité en cas de retard de plus de 1 000 $ si le retard est supérieur à 9 heures.

[37]        Signalons qu’en vertu de l’article 22(1) de la Convention de Montréal, le maximum que peut réclamer une personne pour un retard est fixé à 4 150 « droits de tirage », ce qui correspond, avec la conversion en date des présentes, à 7 482,55 $ canadiens et ce, par passager.

[38]        Ainsi, compte tenu du retard injustifié et exorbitant du retour, et considérant tant la limite prévue à la Convention de Montréal qu’aux règles nouvellement adoptées, le Tribunal conclut que la réclamation de la demanderesse, pour elle et ses compagnons de voyage, est tout à fait justifiée.

 

Pour ces motifs, le Tribunal :

          Accueille la demande ;

Condamne la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de dix mille dollars (10 000,00 $) avec intérêts au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis l'assignation ;

 

 

Condamne la défenderesse au paiement des frais de justice.

 

 

 

__________________________________

Georges Massol, j.c.q.

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

16 juillet 2019

 



[1]     Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10

 

[2]     Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26

[3]     Verrault c. 124851 Canada inc., J.E. 2003-628 (C.Q.)

 

[4]     Leduc c. Air Labrador, 2009 QCCQ 9560

 

[5]     Ouanes c. Royal Air Maroc, 2016 QCCQ 10

 

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